Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 28 septembre 2009

Endroit : BFC Halifax, Édifice S-17, Halifax (NÉ)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d'accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chef d'accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Non coupable

Contenu de la décision

Citation : R. c. Enseigne de vaisseau de 2e classe P. Pelletier, 2009cm4017

 

Dossier : 200872

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX

HALIFAX, NOUVELLE-ÉCOSSE

 

 

Date : 9 octobre 2009

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

ENSEIGNE DE VAISSEAU DE 2e CLASSE P. PELLETIER

(Accusé)

 

                                                                                                                             Avertissement

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

 

 

Verdict

(Prononcé  oralement)

 

 

 

[1]                 L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier est accusé en vertu des articles 130, 97 et 129 de la Loi sur la défense nationale. Plus particulièrement, il est accusé davoir commis une agression sexuelle, divresse et de harcèlement. Les détails de ces chefs daccusation sont :

 

PREMIER CHEF D'ACCUSATION.

 

INFRACTION PUNISSABLE SELON L'ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT UNE AGRESSION SEXUELLE, CONTRAIREMENT À L'ARTICLE 271 DU CODE CRIMINEL

 


En ce que, le ou vers le 27 avril 2007, au Collège militaire royal, Kingston, Ontario, il a commis une agression sexuelle sur l'Élève-officier D.M.

 

DEUXIÈME CHEF D'ACCUSATION.

Article 97 de la Loi sur la défense nationale.

 

IVRESSE

 

En ce que, le ou vers le 27 avril 2007, au Collège militaire royal, Kingston, Ontario, il était ivre.

 

TROISIÈME CHEF D'ACCUSATION

Article 129 de la Loi sur la défense nationale

 

COMPORTEMENT PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

En ce que, entre septembre 2006 et le 27 avril 2007, au Collège militaire royal, Kingston, Ontario, il a harcelé l'Élève-officier D.M.

 

[2]                 La preuve produite devant la présente cour se compose des faits et questions dont la cour a pris judiciairement connaissance selon l'article 15 des Règles militaires de la preuve, des témoignages de la plaignante, du maître de 1re classe Bagnell, du sous-lieutenant Béland et de l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier  et de pièces déposées par la poursuite et par la défense.

 

[3]                 Avant que la cour ne procède à l'analyse juridique des chefs d'accusation, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels au Canada. Si ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 

[4]                 Il est juste de dire que la présomption d'innocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d'une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent. C'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. L'accusé est présumé innocent tout au long de son procès jusqu'à ce que le juge des faits rende un verdict.

 


[5]                 La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé, mais jamais à l'accusé de prouver son innocence. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s'il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité, après avoir examiné l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable »est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l'arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des tribunaux d'appel. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. L'accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité.

 

[6]                 Dans l'arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

... une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités...

 

[7]        Par contre, il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n'est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 


[8]        Qu'entend-t-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Il peut s'agir de documents, de photographies, de cartes ou autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, de témoignages d'experts, de fait admis devant le tribunal par la poursuite ou la défense ou de questions dont le tribunal a pris connaissance d'office. Il n'est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d'un fait et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles. La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité n'est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l'évaluation que le tribunal fait de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité qu'a eue le témoin d'observer ou les raisons qu'il a de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si une chose en particulier a aidé le témoin à se souvenir des détails d'un événement qu'il a décrit, si les faits étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants et, par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Le témoin a-t-il un intérêt dans l'issue du procès; en d'autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s'applique d'une manière quelque peu différente à l'accusé. Bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[9]        Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité. Il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises, ou évasives, ou encore hésitantes, s'il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les fait non contestés. Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement d'un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et peut entacher le témoignage en tout ou en partie. Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire. Les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peuvent être appliqués dans leur intégralité puisque l'accusé, l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier, a témoigné. Selon cet arrêt, la Cour suprême indique les étapes que doivent suivre une cour.

 

premièrement, si la cour croit la déposition de l'accusé après avoir évalué l'ensemble de la preuve, la cour doit prononcer l'acquittement de l'accusé;

 

deuxièmement, si la cour ne croit pas le témoignage de l'accusé après avoir évalué l'ensemble de la preuve, mais que la preuve de la défense la laisse avec un doute raisonnable, la cour doit prononcer l'acquittement;

 

troisièmement, même si la cour n'a pas de doute à la suite de la preuve de l'accusé, la cour doit se demander si, en vertu de la preuve qu'elle accepte, elle est convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé.

 

Ce processus ne signifie pas que la cour doit décider laquelle des versions des faits est vraie ou si elle doit croire la plaignante ou l'accusé. La question demeure toujours à savoir si la poursuite a prouvé les infractions au-delà de tout doute raisonnable.

 

La preuve

 

[10]      La plaignante, D.M. a décrit les événements des 26 et 27 avril 2007 ainsi que le comportement de l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier en septembre-octobre 2006 et en février 2007.

 


[11]      La plaignante était la seule occupante de la chambre 4049 au Fort Sauvé au Collège militaire royal en avril 2007. La plaignante a témoigné que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier aurait entré dans sa chambre vers 3 heures le 27 avril 2007 alors qu'elle dormait. Elle ne se souvient pas si l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier aurait cogné avant d'entrer. Elle dormait au deuxième étage d'un lit superposé et son bureau de travail se trouvait en dessous de son lit. Elle aurait rencontré l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier dans l'aire de fumage derrière le Fort Sauvé vers 23 heures alors que chacun fumait une cigarette. Elle lui aurait parlé de certains de ses problèmes. Il lui aurait dit qu'il se préparait à sortir avec ses amis pour aller boire à Kingston. Il quitta en lui disant qu'il la verrait plus tard et elle lui dit qu'elle allait se coucher.

 

[12]      La plaignante témoigna qu'elle fut réveillée par l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier vers 3 heures. Il se trouvait dans sa chambre. Elle avait beaucoup de problèmes à comprendre ce que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier lui disait car il murmurait. Il est alors monté dans son lit et s'est couché derrière elle. Elle témoigna qu'elle était éveillée quand il était couché près d'elle. Elle était couchée sur son côté droit en position courbée et elle serrait ses jambes et ses bras pour éviter des attouchements. Il lui aurait touché le bras gauche, le long de son corps, les seins et entre ses jambes avec sa main gauche. Elle n'avait pas consenti à ceci et avait essayé de le repousser et lui avait dit de quitter son lit. Elle n'a pas crié et ne pouvait expliquer pourquoi elle n'avait pas crié. Il aurait descendu de son lit et aurait murmuré en marchant dans sa chambre. Il aurait dit qu'il était gêné de lui avoir fait des avances et aurait ensuite sorti de sa chambre. Elle demeura environ deux minutes dans son lit et elle s'est rendue à la salle de bains pour ensuite revenir à sa chambre et verrouiller la porte de l'intérieur en tournant le verrou avant de se recoucher. Elle témoigna qu'il aurait été dans sa chambre environ cinq minutes et dans son lit deux à trois minutes.

 

[13]      La plaignante avait une blessure à la jambe gauche et ceci l'empêchait de bien dormir. Elle avait obtenu une ordonnance de médicaments pour l'aider à dormir qu'elle prenait environ une demi-heure avant de se coucher. Ceci l'aidait à dormir profondément. Le matin du 27 avril, elle rapporta cet incident au maître de 1re classe Bagnell car elle avait pris la décision de tout rapporter. Il lui demanda de préparer une déclaration écrite et il informa le commandant d'escadron, le capitaine Audet. Le maître de 1re classe Bagnell a décrit sa rencontre avec la plaignante. Il a aussi décrit la condition de la plaignante. Elle avait les yeux rouges comme si elle avait pleuré auparavant et elle semblait bouleversée (upset).

 

[14]      La plaignante a aussi témoigné qu'elle croyait que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier était en état d'ébriété car elle ne comprenait pas tout ce qu'il disait, qu'il parlait comme une personne ivre, qu'il avait du mal à se tenir debout et qu'il marchait croche. Par ailleurs, elle ne se souvient pas si elle pouvait sentir de l'alcool sur son haleine alors qu'il était couché à ses côtés.

 

[15]      La plaignante a aussi décrit deux autres incidents. Le premier se serait passé au mois de septembre ou octobre 2006 au mess des élèves-officiers du CMR. Alors qu'elle se rendait au bar pour commander une consommation, elle aurait rencontré l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier. Celui-ci lui aurait demandé si elle voulait avoir une relation sexuelle avec lui. Elle lui aurait répondu non et aurait rejoint ses amis sans se rendre au bar.

 


[16]      Le deuxième incident avec l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier eut lieu à l'aire de fumage du Fort Sauvé vers minuit durant une fin de semaine en février 2007. Ils fumaient chacun une cigarette. L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier semblait être intoxiqué. Il lui aurait fait des avances et lui aurait dit qu'il la trouvait belle. Il se serait approché d'elle et aurait essayé de lui donner un baiser sur les lèvres. Elle aurait tourné la tête et elle l'aurait repoussé de la main. Elle aurait ensuite quitté l'aire de fumage. Elle se serait sentie inconfortable. Elle aurait laissé tomber l'affaire car elle en conclut que c'était causé par l'alcool.

 

[17]      L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier a nié les événements de septembre-octobre 2006 et du mois de février 2007. Il confirme qu'il connaît la politique de harcèlement des Forces canadiennes et du CMR. Il a témoigné qu'il avait l'habitude de se rendre au « My Bar » les jeudis soirs avec ses amis Demers-Martel[1] et Béland pour jouer au billard et prendre quelques bières. Il expliqua qu'il sortait les jeudis soir car il réservait la fin de semaine pour ses travaux académiques car il les recevait le vendredi. Il expliqua que suite à sa rencontre avec son commandant d'escadron le 30 avril et son entrevue avec le sergent Turcotte en juin 2007, il décida de garder en tête les faits de l'incident du 27 avril 2007.

 

[18]      Il dit avoir rencontré la plaignante à l'aire de fumage vers 19 h 30 ou 20 heures le 26 avril avant de rencontrer ses amis. Il lui aurait parlé environ cinq minutes. Il aurait ensuite rencontré ses amis pour se rendre au « My Bar » à pied. Il aurait arrivé au « My Bar » vers 20 h 30 ou 21 heures. Il expliqua qu'ils avaient l'habitude que chacun paie une ronde; donc, il aurait bu deux ou trois bières. Il aurait joué au billard, un deux de trois, comme à l'habitude. Il aurait quitté le « My Bar » vers 23 heures ou 23 h 15 pour aller manger une pita et ensuite serait revenu au CMR à pied. Il serait arrivé au collège vers minuit. Il s'agissait d'une soirée normale. Il témoigna que les gens se couchaient tard au collège et qu'il visitait souvent des gens ou recevait des visites vers minuit.

 


[19]      Arrivé à sa chambre, il y aurait laissé son manteau et s'est rendu à la chambre de la plaignante car il lui avait dit qu'il irait la voir à son retour. Il aurait cogné à la porte de la plaignante et elle lui aurait dit d'entrer. Il entra et la porte se referma par elle-même. La plaignante lui aurait demandé qu'il se couche près d'elle et elle essaya de le tirer vers elle. Il aurait refusé et, puisqu'elle ne semblait pas apprécier son refus et qu'elle montait le ton, il partit pour retourner à sa chambre. La porte de sa chambre était verrouillée et son co-chambreur lui ouvrit la porte de l'intérieur. Le sous-lieutenant Béland a témoigné pour la défense. Il avoue ne pas se souvenir exactement des événements du 26 avril 2007. Il a témoigné qu'il aurait rencontré les élof Demers-Martel et Pelletier à l'aire de fumage du Fort Sauvé avant de se rendre au « My Bar » avant la tombée de la nuit. Il témoigna qu'ils s'y rendaient habituellement à pied et quelques fois en taxi. Le«  My Bar » est environ à 15 ou 20 minutes de marche du CMR. C'était leur habitude d'y aller les jeudis soirs pour jouer au billard, surtout les élèves Demers-Martel et Pelletier et prendre deux ou trois consommations. Ils seraient revenus à la marche au CMR vers minuit ou minuit et demi. Il indiqua qu'il y avait une parade à tous les vendredis matin à 7 heures. Après cette parade, il avait un cours de mathématique avec les élof Demers-Martel et Pelletier. Il ne croyait pas que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier était en était ébriété lors du retour du « My Bar ».

 

[20]      Je vais à présent appliquer les critères énoncés dans l'arrêt R. c. W.(D.) cité plus haut à chacune des accusations. La cour doit en premier lieu examiner le témoignage de l'accusé. Tout comme pour tout autre témoin, la cour peut croire ou accepter l'ensemble du témoignage de l'accusé, des parties de son témoignage ou la cour peut décider de ne pas croire le témoignage de l'accusé

 

 

1er chef d'accusation : agression sexuelle

 

[21]      La preuve démontre clairement que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier se trouvait dans la chambre de la plaignante au CMR de Kingston le 27 avril 2007. Il n'y a aucun débat sur ces éléments de l'infraction

 

[22]      Durant son contre-interrogatoire, l'accusé a décrit la plaignante comme étant une connaissance au lieu de la qualifier d'amie. Il dit ne pas être attiré par elle et qu'elle est une autre élof comme les autres. Il témoigne qu'elle n'était pas intégrée dans l'escadre et qu'elle avait des problèmes médicaux et académiques et que son moral était bas en avril 2007. Il a aussi indiqué qu'il avait une petite amie au mois d'avril 2007 et qu'il ne voulait pas avoir de relations sentimentales avec d'autres membres des Forces canadiennes compte tenu des problèmes inhérents à de telles relations.

 

[23]      Lors de leur courte rencontre à l'aire de fumage, soit approximativement cinq minutes, elle lui aurait parlé de ses problèmes avec les autorités du collège et d'un incident avec une autre personne. Par contre, l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier ne pouvait offrir plus de précisions sur cet incident lors de son contre-interrogatoire malgré le fait qu'il était au courant depuis le 30 avril des allégations de la plaignante et qu'il avoue avoir fait un effort de garder des notes sur cet incident depuis ce temps.

 

[24]      Il témoigne aussi qu'il croit qu'elle lui avait demandé auparavant de venir à sa chambre pour l'aider à comprendre des problèmes en mathématique mais qu'il avait refusé de l'aider car il avait une vie assez remplie. Il a décrit la charge de travail des étudiants en génie et l'importance qu'il porte à ses études. La fin d'avril étant la fin de la session, il expliqua que les cours étaient très importants car les professeurs complétaient les révisions de la matière et donnaient des indices aux étudiants en préparation aux examens. Il témoigna qu'il revenait au CMR vers minuit dans la nuit du 26-27 avril pour pouvoir ainsi se coucher tôt pour être alerte pour ses cours de génie. Par ailleurs, au lieu de se coucher immédiatement, il décide de se rendre à la chambre de la plaignante pour qu'elle puisse lui parler de ses problèmes personnels.

 


[25]      La cour ne croit pas ce témoignage qui vise à peindre l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier en bon samaritain. Les descriptions qu'il donne de la plaignante, l'importance qu'il portait à ses résultats académiques et son refus antérieur de l'aider ne supportent pas ce témoignage. Alors, la cour ne croit pas qu'il se rendait à la chambre de la plaignante avec la seule intention de lui parler et de l'aider.

 

[26]      L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier nie la version des faits de la plaignante et allègue que c'est cette dernière qui lui a fait des avances. Il mentionne des subtilités dans son langage verbal et non-verbal. Par ailleurs, il ne peut préciser comment elle aurait fait ces avances, soit par les paroles ou les gestes employés. Ce scénario devrait être considéré comme un fait important dans la vie d'un élève-officier surtout qu'il apprend trois jours plus tard qu'une plainte fut faite suite à ces événements et qu'on lui conseille de garder des notes. Malgré ceci, il ne garde que de vagues souvenirs de ces avances.

 

[27]      Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la cour est d'avis que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier n'est pas un témoin crédible quant aux événements du 27 avril 2007 et la cour ne croit pas sa version de ces événements. Aussi, cette version ne laisse pas la cour avec un doute raisonnable. Par ailleurs, la cour croit la preuve de la défense quant au déroulement des événements du 26 avril 2007.

 

[28]      Il est évident que la mémoire de la plaignante au sujet des événements du 27 avril fut amoindrie par le passage du temps. Il est aussi évident que les médicaments qu'elle prenait à ce moment l'ont placée dans un état de somnolence et que cet état a eu un impact sur sa perception des événements.

 

[29]      Son témoignage contient des détails importants qu'elle n'a pas inclus dans sa déclaration écrite du 27 avril 2007 ou lors de son entrevue avec le sergent Turcotte. Elle explique ce manque de précision par sa gêne de mentionner des détails tels se faire toucher les seins et qu'elle ne croyait pas que c'était nécessaire de fournir de tels détails dans sa déclaration écrite du 27 avril. Elle affirma qu'il était possible qu'elle ne l'avait pas mentionné dans son entrevue avec le sergent Turcotte mais qu'elle croyait qu'elle avait mentionné ces détails dans ses conversations avec la police militaire, le sergent Turcotte, le maître de 1re classe Bagnell ou le capitaine Audet. Bien qu'elle ait indiqué dans sa déclaration écrite du 27 avril qu'il avait utilisé ses deux mains pour la toucher, elle témoigna qu'il avait utilisé sa main gauche car il était couché sur son côté droit à ses côtés; donc, selon la plaignante, la déduction logique est qu'il ait utilisé sa main gauche.

 

[30]      Son témoignage contient aussi un bon nombre de contradictions et d'incertitudes. Elle indiqua comment il avait monté l'échelle de son lit pour ensuite dire qu'elle ne se souvenait pas quand il avait monté dans son lit car elle indiqua qu'elle se réveilla quand il était couché derrière elle. Durant son contre-interrogatoire, elle ne pouvait confirmer ou nier si elle avait été au mess cette soirée-là et avait consommé deux ou trois bières. Elle a aussi exprimé des doutes dans son témoignage à l'effet que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier avait pris un taxi pour se rendre à Kingston au cours de la soirée du 26 avril. Elle exprima aussi un doute à savoir si elle avait sorti de sa chambre suite au départ de l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier. Elle expliqua ces incertitudes par son état de choc suite à ces événements.

 


[31]      Elle confirma qu'il lui avait dit qu'il reviendrait la voir plus tard et qu'elle lui a dit qu'elle serait couchée quand il reviendrait de sa sortie avec ses amis. Elle est convaincue que ces événements eurent lieu vers 3 heures et plus précisément vers 3 h 7 ou 3 h 8 car elle avait comme habitude toujours vérifier l'heure quand elle se réveillait. Elle est convaincue qu'elle a verrouillé la porte de sa chambre après le départ de l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier en tournant le verrou de l'intérieur de sa chambre. La pièce 5, un extrait d'un rapport pour la serrure électronique de la porte de chambre de la plaignante et la pièce 7, une lettre d'analyse du rapport trouvé à la pièce 5, indiquent que la porte de la chambre de la plaignante ne fut pas verrouillée durant la période du 9 avril 2007 au 28 avril 2007.

 

[32]      L'incertitude dans le témoignage de la plaignante qui est sûrement causée par le passage du temps mais aussi par les effets des médicaments qu'elle avait pris avant de se coucher ainsi que ses commentaires quant à des déductions logiques en font un témoin peu fiable. Ceci entache de beaucoup sa crédibilité. Ce témoignage, la seule preuve de la poursuite quant à la nature de l'agression sexuelle, laisse la cour avec un doute raisonnable.

 

2e chef d'accusation : ivresse

 

[33]      Tout comme le premier chef d'accusation, la preuve démontre clairement que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier se trouvait dans la chambre de la plaignante au CMR de Kingston le 27 avril 2007. Là encore, il n'y a aucun débat sur ces éléments de l'infraction.

 

[34]      L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier a témoigné qu'il prenait habituellement deux ou trois bières quand il allait au « My Bar » les jeudis soir. Le sous-lieutenant Béland a témoigné qu'ils auraient pris trois ou quatre consommations au « My Bar », qu'ils auraient consommé ces bières au cours d'une période d'approximativement deux heures, soit de 21 heures à 23 heures. Ils auraient été de retour au CMR vers minuit. Cette preuve n'est pas contredite par la preuve de la poursuite sauf pour le témoignage de la plaignante qui dit avoir rencontré l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier à l'aire de fumage vers 23 heures le 26 avril 2007. L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier et le sous-lieutenant Béland ont témoigné que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier n'était pas en état d'ébriété lors de son retour au CMR. Cette preuve de l'accusé n'est pas considérée très fiable ou crédible.

 


[35]      La plaignante indique qu'elle avait du mal à comprendre ce qu'il disait car il murmurait et qu'il parlait comme une personne soûle, qu'il marchait comme une personne ivre et qu'il avait du mal à se tenir debout mis par contre elle indique qu'il aurait descendu l'échelle de son lit calmement et elle ne se souvient pas s'il avait eu des problèmes à descendre l'échelle. Elle ne pouvait pas dire s'il sentait comme s'il avait bu de l'alcool même quand son visage était tout près du sien quand il aurait été couché dans son lit. La preuve de la poursuite ne prouve pas au-delà du doute raisonnable que les gestes et les paroles de l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier indiquaient qu'il était sous l'influence de l'alcool même s'il a admis avoir consommé de l'alcool au cours des trois heures précédentes. Il avait indiqué à la plaignante qu'il la verrait à son retour et elle lui indiqua qu'elle serait couchée sans lui préciser de ne pas la déranger. La cour en vient à la conclusion que la preuve de la poursuite ne prouve pas hors de tout doute raisonnable que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier était sous l'influence ou sous l'effet de l'alcool quand il se trouvait dans la chambre de la plaignante.

 

3e chef d'accusation - harcèlement

 

[36]      La poursuite allègue que trois événements constituent le harcèlement. Il s'agit de l'invitation à avoir des relations sexuelles au cours de septembre-octobre 2006, d'avoir essayé de donner un baiser sur les lèvres de la plaignante en février 2007 et l'agression sexuelle ou du moins le fait d'être entré sans permission dans la chambre vers minuit le 27 avril 2007.

 

[37]      L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier nie les allégations de septembre-octobre 2006 et du mois de février 2007. Il ne se souvient pas de telles rencontres avec la plaignante. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la cour ne croit pas l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier et sa preuve ne crée pas un doute raisonnable chez la cour.

 

[38]      La plaignante ne se souvient pas des détails de ces allégations. Elle ne souvient pas du mois précis de la première allégation. Cela se serait passé au mess des élèves-officiers quelque temps dans la soirée après le souper. Elle ne se souvient pas des mots employés par l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier sauf qu'elle aurait entendu le mot « sexe ». Elle indique qu'il y avait de la musique qui jouait à ce moment. Elle ne se souvient pas de la journée. Elle aurait consommé deux ou trois consommations alcooliques et possiblement quatre avant l'incident mais il déclara ne pas être intoxiquée.

 

[39]      Quant à la deuxième allégation, celle de février 2007, la plaignante ne se souvient d'aucun détail sauf qu'elle fumait une cigarette à l'aire de fumage et que l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier aurait essayé de lui donner un baiser sur les lèvres mais qu'il n'avait pas réussi. Elle affirma qu'il paraissait intoxiqué mais elle n'expliquait pas pourquoi elle croyait cela.

 

[40]      Finalement, quant à la troisième allégation, soit l'agression sexuelle ou du moins le fait d'être entré sans permission dans la chambre vers minuit le 27 avril 2007, l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier a témoigné qu'il avait cogné à la porte de la plaignante et elle avait répondu. La plaignante n'a que de vagues souvenirs de cette soirée et son témoignage est très incertain. De plus, lors de son départ de l'aire de fumage, l'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier avait mentionné à la plaignante qu'il la verrait à son retour et lui répondit qu'elle serait sûrement couchée. Elle ne lui a pas dit de ne pas se présenter à sa chambre. L'enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier s'est présenté à sa chambre tel qu'il l'avait dit.

 

[41]      Compte tenu de l'ensemble de cette preuve de la poursuite, la cour a un doute raisonnable que ces événements se sont produits tels qu'allégués par la poursuite. Enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier, veuillez vous lever.


 

[42]      Enseigne de vaisseau de 2e classe Pelletier, pour les motifs énoncés par la cour, la cour vous déclare non coupable des trois chefs d'accusation. Vous pouvez vous asseoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.

 

Avocats :

 

Major B. McMahon, Procureur militaire régional, région de l'Ouest

Poursuivant

 

Me H. Bernatchez, Bureau du directeur du service d'avocats de la défense

Avocat de l'enseigne de vaisseau de 2e classe P. Pelletier



[1]Les élof D.M. et Demers-Martel sont des personnes distinctes.

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