Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 23 mars 2009
Endroit : BFC Esquimalt, Édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB)
Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).
•Chefs d'accusation 3, 4 : Art. 129(2) LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de neuf mois.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Ex-Matelot de 3e classe C.A.E. Ellis 2009 CM 4007
Dossier : 200812
COUR MARTIALE PERMANENTE
BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT
COLOMBIE-BRITANNIQUE
CANADA
Date : 27 mars 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
L’ex-MATELOT DE 3e CLASSE C.A.E. ELLIS
(demandeur)
c.
SA MAJESTÉ LA REINE
(défenderesse)
DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE DE DÉCLARATION PORTANT QUE L’ARTICLE 139 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE VA À L’ENCONTRE DE L’ARTICLE 7, DE L’ALINÉA 11D) ET DE L’ARTICLE 12 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS
(prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le demandeur, l’ex-Matelot de 3e classe Ellis, a été déclaré coupable de quatre infractions, soit deux infractions de trafic de cocaïne et deux infractions d’usage de cocaïne. Le demandeur a présenté une demande fondée sur l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Il soutient que l’article 139 de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit l’échelle des peines, va à l’encontre de l’article 7, de l’alinéa 11d) et de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il demande à la cour d’ordonner à titre de recours approprié à l’égard de cette violation une suspension conditionnelle des procédures, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte jusqu’à ce que la Loi sur la défense nationale soit modifiée ou jusqu’à ce qu’un tribunal civil soit saisi de la présente affaire, ou encore simplement une suspension conditionnelle des procédures à l’égard des accusations de trafic de cocaïne.
[2] Le demandeur se fonde sur les admissions formulées, conformément à l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve (RMP) au cours du procès relatif aux accusations, sur un exposé conjoint des faits et sur cinq pièces. La défenderesse a déposé trois pièces.
[3] Le demandeur soutient que l’emprisonnement dans un établissement de détention à titre de sanction de dernier recours est un principe de justice fondamentale et que l’article 139 de la Loi sur la défense nationale (LDN) viole ce principe de justice fondamentale, puisqu’il permet l’incarcération proprement dite ou la suspension d’une peine d’emprisonnement, mais ne permet pas que cette peine soit purgée dans la collectivité. Le demandeur ajoute que l’article 130 viole l’alinéa 11d) et l’article 12 de la Charte. À l’appui de cette allégation, il cite la décision que la Cour d’appel de la cour martiale a rendue dans Trépanier[1] et le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Morrisey[2]. En dernier lieu, il fait valoir que ces violations ne peuvent être sauvegardées par l’article premier de la Charte, parce que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant pourquoi ces violations de droits reconnus par la Charte pourraient être justifiées.
[4] La défenderesse soutient que l’alinéa 11d) ne s’applique pas en l’espèce, en raison du libellé de cette disposition. Elle ajoute que la cour devrait appliquer uniquement l’article 12 de la Charte dans la présente requête, et non l’article 7, et invoque le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Malmo-Levine à l’appui de cette position. Elle fait également valoir que l’article 139 ne va pas à l’encontre du principe de la proportionnalité et que, par conséquent, il ne contrevient pas à l’article 12 de la Charte.
[5] Les dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés qui s’appliquent en l’espèce sont l’article 7, l’alinéa 11d), l’article 12 et le paragraphe 24(1). Voici le libellé de ces dispositions :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
11. Tout inculpé a droit :
[...]
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[6] Je commenterai d’abord la question relative à l’alinéa 11d). Je ne puis voir en quoi cette disposition de la Charte s’applique à la présente requête. Elle énonce en effet que tout inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’a pas été déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable. L’article 139 de la LDN concerne les sanctions pouvant être imposées à l’égard d’infractions d’ordre militaire. Il ne s’applique nullement à la partie d’un procès sommaire ou d’un procès devant une cour martiale où la culpabilité de l’accusé est en question. L’article 139 n’intervient qu’à l’étape de l’instance concernant la détermination de la peine, lorsque l’accusé a été déclaré coupable d’au moins une accusation.
[7] L’alinéa 11i) et l’article 12 de la Charte énoncent des droits précis au sujet des sanctions. En conséquence, j’estime que cette partie de la requête est sans fondement.
[8] J’examine maintenant l’argument fondé sur l’article 7. La Cour suprême du Canada a énoncé une méthode à deux volets à appliquer à toute analyse fondée sur l’article 7. Il faut d’abord se demander s’il y a atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Dans l’affirmative, il faut ensuite se demander si cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamentale. Si l’atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, il y a alors violation de l’article 7[3].
[9] L’article 139 concerne le droit à la liberté du contrevenant, puisqu’il prévoit les sanctions de l’emprisonnement et de la détention. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans R. c. D.B., au paragraphe 38 :
Il est clair que l’emprisonnement et la menace d’emprisonnement constituent des atteintes à la liberté (Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, aux pages 500 et 501).
[10] La cour doit maintenant décider si cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamentale. D’abord, elle doit déterminer le principe de justice fondamentale qui est en jeu en l’espèce. Le demandeur fait valoir que l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours est un principe de justice fondamentale. La cour doit vérifier si le principe de l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours constitue effectivement un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte.
[11] La Cour suprême du Canada a établi un cadre d’analyse aux fins de cette question[4] et ce cadre se compose de trois critères :
(1) Il doit s’agir d’un principe juridique.
(2) Il doit exister un consensus sur le fait que cette règle ou ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice.
(3) Ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.
[12] La première question à examiner est de savoir si l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours est un principe juridique. Dans Sous-lieutenant D. Baptista c. R.[5], la Cour d’appel de la cour martiale s’est exprimée comme suit aux paragraphes 5 et 6 :
Nous sommes tous d’avis que le juge militaire a commis une grave erreur de principe en prononçant cette peine parce qu’il n’a pas donné effet à la règle bien établie selon laquelle une peine d’emprisonnement ne devrait être infligée qu’en dernier recours.
Cette règle est fondée sur l’article 718.2 du Code criminel, mais il s’agit également d’une règle générale de détermination de la peine qui était déjà appliquée par les tribunaux avant que cette disposition soit adoptée (R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux paragraphes 38 et 40).
[13] La Cour d’appel de la cour martiale a souligné à au moins deux occasions que bon nombre des peines infligées par les tribunaux civils ne peuvent être imposées par les juges militaires[6]. Le demandeur a accordé beaucoup d’importance au fait que l’article 139 ne prévoit aucune sanction semblable à la peine d’emprisonnement avec sursis qui est prévue à l’article 742.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.
[14] En mars 1996, environ six mois avant l’édiction des modifications apportées à la partie XXIII du Code criminel, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans R. c. M.(C.A.)[7], parce que ce pourvoi soulevait « plusieurs questions juridiques importantes concernant les principes généraux applicables à la détermination de la peine en matière criminelle [...] ». La cour a souligné l’importance de cet appel car, conformément à la pratique établie et à sa politique, la Cour suprême du Canada entend rarement des pourvois ayant trait à la justesse de peines particulières[8]. L’appel dans ce jugement portait principalement sur la question de savoir si la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait commis une erreur en concluant à l’existence d’un plafond légal à l’égard des peines chiffrées d’une durée déterminée.
[15] Au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a reconnu que « dans notre système de justice, l’emprisonnement est de loin la forme de sanction pénale la plus courante et la plus reconnue ». Elle s’est ensuite exprimée comme suit au paragr. 40 :
[...] [I]l existe un principe bien établi de notre droit criminel selon lequel l’importance de la peine infligée doit être généralement proportionnelle à la gravité de l’infraction commise et à la culpabilité morale du contrevenant. Le juge Wilson a exprimé ce principe de la manière suivante dans ses motifs concordants, dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 533 :
Il est essentiel, dans toute théorie des peines, que la sentence imposée ait un certain rapport avec l’infraction. Il faut que la sentence soit appropriée et proportionnelle à la gravité de l’infraction. Ce n’est que dans ce cas que le public peut être convaincu que le contrevenant « méritait » la punition qui lui a été infligée et avoir confiance dans l’équité et la rationalité du système.
[16] Le juge Cory a également reconnu ce « principe de la proportionnalité » dans l’arrêt R. c. M.(J.J.)[9] où, s’exprimant au nom de la Cour, il a souligné « [qu’]il est vrai que, pour les adultes comme pour les mineurs, la peine doit être proportionnelle à l’infraction commise ». En effet, le principe de proportionnalité en matière de punition est fondamentalement lié au principe général de la responsabilité criminelle qui veut qu’on ne puisse imposer de sanction pénale qu’au contrevenant possédant un état d’esprit moralement coupable. Dans le cours de l’examen de l’obligation constitutionnelle relative à l’existence d’une faute pour qu’il y ait meurtre, dans R. c. Martineau[10], le juge Cory a fait état des principes connexes que « la peine doit être proportionnelle à la culpabilité morale du délinquant » et que « ceux qui causent un préjudice institutionnel intentionnellement doivent être punis plus sévèrement que ceux qui le font involontairement ».
Au paragraphe 41 de l’arrêt M.(C.A.), la Cour suprême du Canada a également conclu que :
« le principe de proportionnalité se présente comme une obligation constitutionnelle. Comme notre Cour l’a reconnu [...] »
Je cite maintenant un extrait du paragraphe 41 :
Comme notre Cour l’a reconnu à de nombreuses occasions, les peines prévues par la loi ou imposées par un tribunal et qui sont exagérément disproportionnées, en ce sens qu’elles sont excessives au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine, violeront l’interdiction d’imposer des peines cruelles et inusitées que fait la Constitution, à l’art. 12 de la Charte [...] Toutefois, comme je l’ai signalé dans Smith, à la p. 1072, « [i]l faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution ». En conséquence, l’examen de la proportionnalité des peines devrait normalement relever du « processus normal d’appel en matière de sentence », qui vise à vérifier la justesse de la peine.
[17] La Cour suprême du Canada était d’avis que le législateur fédéral entendait conférer au juge du procès un large pouvoir l’autorisant à infliger une peine qui soit « juste et appropriée » eu égard aux circonstances et qui serve adéquatement les objectifs fondamentaux de la peine qui sont la dissuasion, la réadaptation et la protection de la société[11].
[18] La Cour a ajouté ce qui suit :
Le bastion qui protège les Canadiens et les Canadiennes contre l’application de peines d’une durée déterminée trop sévères ne réside pas dans les rouages de la Loi sur le système correctionnel mais plutôt dans le bon sens des juges qui président les procès au pays.
Et plus loin[12] :
Dans notre système de justice, la protection ultime contre l’application de peines criminelles excessives réside dans l’obligation primordiale du juge chargé de la détermination de la peine de fixer une peine « juste et appropriée », qui soit proportionnée à la culpabilité générale du contrevenant.
[19] La Cour suprême du Canada a précisé que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire spécialisé que lui confère le Code, le juge appelé à infliger la peine devrait généralement se garder d’imposer des peines d’une durée déterminée qui dépassent tellement le nombre d’années qu’il reste de façon prévisible au contrevenant à vivre que les objectifs traditionnels de la détermination de la peine, même les objectifs de dissuasion générale et de réprobation, en perdent pratiquement toute leur valeur fonctionnelle. Toutefois, avec cette considération à l’esprit, le principe directeur demeure le même : les tribunaux canadiens jouissent, dans l’application des peines chiffrées pour des infractions uniques ou multiples, d’un vaste pouvoir discrétionnaire, limité seulement par les larges paramètres législatifs prévus par le Code et le principe fondamental de notre droit criminel qui veut que les peines globales soient « justes et appropriées ».
[20] La Cour suprême a conclu que, en dernière analyse,
[...] le devoir général du juge qui inflige la peine est de faire appel à tous les principes légitimes de détermination afin de fixer une peine « juste et appropriée », qui reflète la gravité de l’infraction commise et la culpabilité morale du contrevenant.
[21] Au paragraphe 92 de ce même arrêt, la Cour suprême du Canada a ensuite commenté le rôle des cours d’appel au cours du processus de détermination de la peine :
Il va de soi que les cours d’appel jouent un rôle important en contrôlant et en réduisant au minimum la disparité entre les peines infligées à des contrevenants similaires, pour des infractions similaires commises dans les diverses régions du Canada[...] Toutefois, dans l’exercice de ce rôle, les cours d’appel doivent néanmoins faire montre d’une certaine retenue avant d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire spécialisé que le législateur fédéral a expressément accordé aux juges chargés de déterminer les peines. On a à maintes reprises souligné qu’il n’existe pas de peine uniforme pour un crime donné[...] La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d’une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. De même, il faut s’attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu’à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent. Pour ces motifs, conformément à la norme générale de contrôle que nous avons formulée dans Shropshire, je crois qu’une cour d’appel ne devrait intervenir afin de réduire au minimum la disparité entre les peines que dans les cas où la peine infligée par le juge du procès s’écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.
[22] Un nouveau régime de détermination de la peine, soit la partie XXIII du Code criminel, est entré en vigueur le 3 septembre 1996. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans R. c. Gladue[13], ces dispositions codifient pour la première fois l’objectif et les principes fondamentaux de la détermination de la peine. De l’avis de la Cour, l’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqué « une étape majeure, soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de détermination de la peine dans l’histoire du droit criminel canadien »[14] (voir le paragraphe 39 de l’arrêt Gladue). Le pourvoi de l’arrêt Gladue portait sur le nouvel alinéa 718.2e), selon lequel le juge chargé de la détermination de la peine doit examiner toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. La question à trancher dans cet appel portait sur la façon d’interpréter et d’appliquer l’alinéa 718.2e) du Code criminel. La Cour suprême du Canada a d’abord précisé qu’elle commencerait le processus d’élaboration des règles et des principes qui régiront l’application concrète de l’alinéa 718.2e) du Code criminel par le juge du procès. Il s’agissait du premier jugement de la Cour suprême du Canada sur cette question précise. Dans l’arrêt Gladue, la Cour a donc examiné l’alinéa 718.2e) en accordant une attention spéciale à l’application de cette disposition aux contrevenants autochtones, mais certains principes et concepts généraux de la détermination de la peine découlent de ce jugement.
[23] Au paragraphe 33, la Cour s’est exprimée comme suit :
Il importe de dire que le libellé de l’al. 718.2e) ne change rien au devoir fondamental du juge d’infliger une peine adaptée à l’infraction et au délinquant.
Plus loin, au paragraphe 36, la Cour a ajouté ce qui suit :
[...] l’al. 718.2e) s’applique à tous les délinquants, et il porte que l’emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours. On ne devrait imposer l’emprisonnement que lorsque aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le délinquant.
[24] La Cour a également mentionné que la jurisprudence supportait amplement le principe de l’emprisonnement comme sanction de dernier recours et que les modifications entrées en vigueur en 1996 au sujet de la détermination de la peine ont changé de façon importante la gamme de sanctions pénales applicables. Elle a ensuite ajouté ce qui suit :
La possibilité de prononcer une condamnation avec sursis, en particulier, modifie le paysage de telle manière qu’elle donne un sens entièrement nouveau au principe du recours à l’emprisonnement dans le seul cas où aucune autre option n’est justifiée dans les circonstances. La création de la condamnation avec sursis, comme telle, traduit le désir de diminuer le recours à l’incarcération. C’est dans cet esprit qu’il faut interpréter et appliquer le principe général énoncé à l’al. 718.2e).
[25] Avant ces modifications de 1996, la jurisprudence canadienne en matière de détermination de la peine a mis principalement l’accent sur l’atteinte de certains buts, savoir l’isolement du délinquant, l’effet dissuasif particulier et général, la dénonciation et la réinsertion sociale. Selon la Cour, la réinsertion est une notion relativement nouvelle dans l’analyse de la peine à infliger, qui privilégiait auparavant presque exclusivement les intérêts de l’État.
[26] La Cour a souligné que les alinéas 718a) à d) étaient une reformulation des objectifs de base du prononcé de la peine, tandis que les alinéas e) et f) étaient nouveaux et, avec l’alinéa d), mettaient l’accent sur le concept de la justice corrective. Selon la Cour, la décision du Parlement d’ajouter les alinéas e) et f) aux objectifs traditionnels de la détermination de la peine témoigne d’une intention d’élargir les paramètres de l’analyse de la peine pour tous les délinquants.
[27] Après avoir passé en revue l’historique législatif de ces nouvelles dispositions sur la détermination de la peine, la Cour a conclu que l’alinéa 718.2e) visait à régler le problème de l’incarcération excessive au Canada.
[28] La Cour a expliqué clairement le rôle du juge appelé à déterminer une peine :
Le rôle du juge chargé d’infliger une peine à un délinquant autochtone, comme pour chaque délinquant, consiste à déterminer une peine qui tienne compte de toutes les circonstances entourant l’infraction, le délinquant, les victimes et la communauté. Rien dans la partie XXIII du Code criminel ne change la généralité de cette obligation fondamentale. Toutefois, dans le contexte de l’ensemble de la partie XXIII, l’al. 718.2e) a pour effet de modifier la méthode d’analyse que les juges doivent utiliser pour déterminer la peine appropriée pour des délinquants autochtones.
[29] La Cour a ajouté que, dans R. c. M.(C.A.), le juge en chef Lamer avait réitéré le principe bien établi du droit canadien de la détermination de la peine selon lequel l’adéquation d’une peine est fonction des circonstances particulières entourant l’infraction, le délinquant et la collectivité dans laquelle l’infraction a été perpétrée. De plus, la disparité des peines pour des crimes similaires est la conséquence naturelle de cet accent mis sur l’individu. La Cour a ensuite cité l’extrait suivant de l’arrêt R. c. M.(C.A.) :
On a à maintes reprises souligné qu’il n’existe pas de peine uniforme pour un crime donné. [...] La détermination de la peine est un processus intrinsèque individualisé, et la recherche d’une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile théorique. De même, il faut s’attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu’à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent.
[30] Toujours dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada s’est ensuite attardée à l’obligation du juge qui détermine la peine. Après avoir examiné le libellé de l’alinéa 718.2e), elle a souligné que le juge devait examiner toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances et porter une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones. Elle a reconnu que le juge qui détermine la peine est investi du pouvoir discrétionnaire nécessaire pour déterminer la peine juste et appropriée.
[31] Enfin, la Cour a souligné ce qui suit :
[...] l’al. 718.2e) doit être examiné dans le contexte de l’ensemble de cet article ainsi que dans le contexte de l’art. 718, de l’art. 718.1 et de l’économie générale de la partie XXIII. [L’al. 718.2e)] n’est qu’une des considérations dont le juge chargé d’infliger la peine doit obligatoirement tenir compte.
La Cour a ensuite ajouté que le résultat n’est pas toujours une peine moins sévère pour le délinquant autochtone. La peine infligée dépendra de tous les facteurs dont il doit être tenu compte dans chaque cas individuel, et le poids devant être accordé à ces différents facteurs variera dans chaque cas.
[32] En 2000, tout en rappelant que, conformément à une pratique établie et à une politique judicieuse, elle entend rarement des pourvois visant la peine infligée par un tribunal, la Cour suprême du Canada a décidé d’entendre cinq pourvois connexes, parce que ces affaires lui donnaient l’occasion d’exposer les principes qui régissent le nouveau régime de condamnation à l’emprisonnement avec sursis (non souligné dans l’original). Le jugement que la Cour a rendu dans R. c. Proulx[15] a été rédigé par l’honorable juge en chef Lamer, qui a exprimé l’avis suivant :
En adoptant la Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 22 (le « projet de loi C-41 »), le Parlement a lancé un message clair à tous les juges du Canada : beaucoup trop de gens sont envoyés en prison. En vue de remédier au problème du recours excessif à l’incarcération, le Parlement a créé un nouveau type de peine, la condamnation à l’emprisonnement avec sursis.
[33] Tout en soulignant que certains avaient dit des prisons qu’elles étaient des écoles du crime et qu’elles préparaient mal les prisonniers à leur réinsertion sociale, la Cour a cité l’extrait suivant de l’arrêt Gladue :
Ainsi, il appert que même si l’emprisonnement vise les objectifs traditionnels d’isolement, de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion sociale, il est généralement admis qu’il n’a pas réussi à réaliser certains d’entre eux. Le recours excessif à l’incarcération est un problème de longue date dont l’existence a été maintes fois reconnue sur la place publique mais que le Parlement n’a jamais abordé de façon systématique. Au cours des dernières années, le Canada, comparativement à d’autres pays, a enregistré une augmentation alarmante des peines d’emprisonnement. Les réformes introduites en 1996 dans la partie XXIII, et l’al. 718.2e) en particulier, doivent être comprises comme une réaction au recours trop fréquent à l’incarcération comme sanction, et il faut par conséquent en reconnaître pleinement le caractère réparateur.
[34] Selon la Cour, le législateur a prescrit le recours accru aux principes de justice corrective en matière de détermination de la peine en raison de l’incapacité générale de l’emprisonnement à assurer la réadaptation du délinquant et sa réinsertion sociale. En insistant davantage que par le passé sur les principes de justice corrective, le législateur comptait réduire le taux d’incarcération et accroître l’efficacité du processus de détermination de la peine.
[35] Au paragraphe 82 de l’arrêt Proulx, la Cour suprême du Canada a rappelé qu’elle avait :
[...]statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée. La justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que « la peine corresponde au crime », le principe de proportionnalité commande l’examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l’infraction. La conséquence de l’application d’une telle démarche individualisée est qu’il existera inévitablement des écarts entre les peines prononcées pour des crimes donnés.
La Cour a ensuite cité le même extrait du paragraphe 92 de l’arrêt R. c. M.(C.A.) qu’elle avait déjà cité dans Gladue.
[36] Le principe fondamental de la détermination de la peine est énoncé à l’article 718.1 du Code criminel, dont voici le libellé :
La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
[37] Dans l’arrêt Proulx, la Cour suprême du Canada a rejeté l’utilisation des présomptions d’inapplicabilité du sursis à l’emprisonnement à certaines infractions ainsi que des présomptions en faveur de l’application de cette sanction. Elle a également rappelé que, dans chaque affaire, il faut tenir compte de la situation propre à chaque délinquant ainsi que des circonstances particulières de l’infraction.
[38] La Cour suprême du Canada estimait que le tribunal devait envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis dans tous les cas où les trois premiers préalables prévus par la loi sont réunis, car les alinéas 718.2d) et e) codifient le principe important de la modération dans la détermination des peines et, avec l’article 742.1, ils ont été adoptés précisément en vue d’aider à réduire le taux d’incarcération au Canada, mais pas à n’importe quel prix cependant.
L’alinéa 718.2d) impose au tribunal « l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ». L’alinéa 718.2e) prévoit « l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances ».
La Cour a conclu que :
[...] pour décider si les circonstances « justifient » des sanctions moins contraignantes ou si des sanctions substitutives sont « justifiées », il faut prendre en compte les autres principes de détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2.
[39] La Cour suprême était consciente du fait que :
Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329, « [d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant ». [La cour sait parfaitement que] Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3.
[40] La Cour suprême a ensuite souligné que plusieurs dispositions de la partie XXIII :
[...]confirment que le législateur a voulu conférer un large pouvoir discrétionnaire au juge qui détermine la peine. La règle générale se trouve aux par. 718.3(1) et (2) qui prévoient que la décision quant au type de peine et à sa sévérité est laissée à l’appréciation du tribunal qui condamne le délinquant. [...] les premiers mots de l’art. 718 précisent que le tribunal doit chercher à réaliser l’objectif essentiel du prononcé des peines « par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants ». Dans le contexte de l’emprisonnement avec sursis, l’art. 742.1 indique que le tribunal « peut » prononcer cette sanction et qu’il dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour l’établissement des conditions appropriées [...]
[41] Maintenant, comment ces trois jugements de la Cour suprême du Canada aident-ils la cour martiale à savoir si l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours constitue un principe juridique? Je suis d’avis que ces jugements transmettent au lecteur un message clair, qui est le suivant : au Canada, les juges appelés à déterminer une peine doivent tenir compte de chaque principe et de chaque objectif applicables en la matière afin d’infliger une peine qui sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. L’expression « juste et appropriée » est l’expression qui revient constamment tout au long de ces décisions. De plus, la nécessité que la peine reflète la gravité de l’infraction perpétrée et la culpabilité morale du délinquant est constamment répétée dans ces décisions, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans R. c. Morrisey[16] :
Le principe fondamental en la matière est la proportionnalité : Code criminel, art. 718.1; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, au par. 54. Ce principe constitue l’essence même de l’analyse fondée sur l’art. 12. Les autres principes de détermination de la peine énoncés par le législateur à l’art. 718 et reconnus par notre Cour dans les arrêts R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux par. 42 et 43, et Proulx, précité, sont notamment l’isolement des délinquants du reste de la société, la dissuasion - générale et spécifique -, le châtiment, la réinsertion sociale, les principes de justice corrective fondés sur la réparation des torts causés et les mesures visant à faire prendre conscience aux délinquants de leur responsabilité à l’égard des torts qu’ils ont causés aux victimes et à la collectivité.
[42] La Cour suprême du Canada n’a pas déclaré que ce principe de la proportionnalité de la sanction est un principe de justice fondamentale. La peine exagérément disproportionnée, qui se trouve à l’extrême opposé de ce principe, pourrait être considérée comme une peine cruelle et inusitée et, de ce fait, une violation de l’article 12 de la Charte.
[43] Tout au long de ces décisions, la Cour suprême du Canada a reconnu que le législateur a édicté dans le Code criminel des dispositions qui accordent aux juges appelés à prononcer une peine un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer une peine « juste et appropriée » dans les circonstances de chaque cas, soit une peine favorisant la réalisation des objectifs fondamentaux de la détermination de la peine que sont la dénonciation, la dissuasion, la réadaptation et la protection de la société.
[44] Le législateur a modifié le régime de la détermination de la peine en 1996, afin de codifier la jurisprudence existante et d’ajouter de nouveaux principes à cet égard. Ces nouveaux principes visaient à atteindre certains objectifs précis, notamment à réduire le nombre de prisonniers et à atténuer le problème de l’incarcération excessive. Dans R. c. M.(C.A.), la Cour suprême a reconnu que, dans le système de justice canadien, l’emprisonnement constituait de loin la forme de sanction pénale la plus courante et la plus reconnue.
[45] Dans l’arrêt Gladue, la Cour a souligné que le libellé de l’alinéa 718.2e) ne change rien au devoir fondamental du juge d’infliger une peine adaptée à l’infraction et au délinquant. Cette nouvelle disposition du Code criminel énonçait que l’emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours et qu’il ne devrait être imposé que lorsque les autres sanctions disponibles ne pourraient répondre aux besoins liés à la détermination de la peine dans un cas donné. Le législateur a donné aux tribunaux civils la possibilité d’imposer la peine d’emprisonnement avec sursis, qui pourrait être purgée dans la collectivité et dont l’utilisation était assortie de nombreuses conditions.
[46] L’accès à l’emprisonnement avec sursis dans un cas donné est assujetti aux conditions énoncées à l’article 742.1 et au pouvoir discrétionnaire du juge qui, après avoir examiné les faits précis entourant les infractions et la situation du délinquant, détermine une peine juste et appropriée qui est proportionnelle à la gravité de l’infraction, qui reflète la culpabilité morale du délinquant et tient compte de la collectivité dans laquelle l’infraction a été perpétrée.
[47] Contrairement à ce que le demandeur soutient, je ne crois pas que le principe de l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. L’alinéa 718.2e) énonce que l’emprisonnement comme mesure de dernier recours est un principe de la détermination de la peine. Dans l’arrêt Proulx, la Cour suprême du Canada a longuement commenté le « nouveau régime de condamnation à l’emprisonnement avec sursis ». Le législateur a créé ce nouveau type de peine afin de remédier au problème du recours excessif à l’incarcération dans les prisons civiles. En 1996, il a décidé de permettre aux tribunaux civils d’imposer un nouveau type de peine et de tenir compte de nouveaux critères, en partie pour réduire le nombre de prisonniers. La condamnation avec sursis est une peine d’emprisonnement, bien qu’elle ne soit pas purgée dans une prison, et le recours à cette peine est assorti de nombreuses conditions législatives. Le Code criminel renferme également de nombreuses dispositions qui exigent qu’une peine d’emprisonnement minimale soit infligée lorsqu’une arme à feu est utilisée au cours de la perpétration de l’infraction. La Cour suprême du Canada a confirmé la validité de ces dispositions, ce qui montre également que l’emprisonnement n’est pas toujours la peine imposée en dernier recours.
[48] La Cour suprême du Canada a reconnu en toutes lettres que, bien qu’il soit vivement encouragé par les nouvelles dispositions du Code criminel, le recours à la condamnation avec sursis est assujetti au principe fondamental de la détermination de la peine, soit la proportionnalité.
[49] Je ne crois pas que l’emprisonnement dans un établissement de détention comme mesure de dernier recours soit un principe juridique. Le principe de la détermination de la peine n’a pas été élevé au-delà du seuil de la justice fondamentale dans la jurisprudence canadienne. Comme l’a expliqué le juge Lamer dans l’arrêt Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), les principes de justice fondamentale se trouvent « dans les préceptes de l’appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire. Ils relèvent non pas du domaine de l’ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l’appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire ». Dans la présente affaire, la cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve ou décision de la cour martiale selon lesquels l’emprisonnement dans un établissement de détention comme sanction de dernier recours constitue un principe juridique. Il appert des arrêts Proulx et Gladue que le législateur a décidé de codifier les principes régissant la détermination de la peine et d’ajouter de nouveaux principes et une nouvelle peine afin de tenter de remédier au problème de l’incarcération excessive. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Gladue, l’alinéa 718.2e) est une disposition visant à remédier au recours trop fréquent à l’incarcération.
[50] J’en arrive maintenant à l’argument fondé sur l’article 12 de la Charte. Le critère applicable à cette question a récemment été réitéré dans R. c. Ferguson[17], où la Cour suprême du Canada s’est exprimée comme suit :
[14] Pour décider si une peine donnée est cruelle et inusitée, il faut se demander si elle est exagérément disproportionnée : R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045. Notre Cour a conclu à maintes reprises qu’il ne suffit pas qu’une peine soit excessive pour être jugée exagérément disproportionnée. Elle doit être « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et disproportionnée au point où les Canadiens « considéreraient cette peine odieuse ou intolérable » [...]
[51] Bien que le demandeur ait présenté en l’espèce trois pièces comportant une description de la vie quotidienne des détenus et prisonniers à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes, je ne puis voir en quoi ces pièces permettent à la cour de conclure que l’article 139 prévoit une peine cruelle et inusitée. L’avocat du demandeur n’a cité qu’à une occasion une disposition, soit l’article 104.01 de la pièce M1‑3. Dans l’affaire Trépanier, aux paragraphes 40 à 53, la Cour d’appel de la cour martiale a commenté les conditions pénibles de détention ou d’emprisonnement à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes. Encore là, je ne puis voir en quoi cette partie de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale est pertinente quant à la présente requête. Dans l’affaire Trépanier, la Cour d’appel de la cour martiale n’a pas déclaré que les conditions constituaient une peine cruelle et inusitée. Même si je peux facilement comprendre, à la lumière des pièces M1-3, M1-4 et M1-5, que la vie quotidienne n’est pas facile à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes, la vie dans une prison civile est‑elle beaucoup plus facile ou agréable? Je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve qui me permet de faire la moindre comparaison. Je ne puis conclure de la preuve présentée par le demandeur ou de la jurisprudence et des plaidoiries de l’avocat de celui-ci que les conditions de détention à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes sont excessivement disproportionnées et constituent donc une peine cruelle et inusitée.
[52] S’il est bien certain que les juges militaires ne disposent pas à l’heure actuelle des mêmes options que les juges civils en ce qui a trait à la détermination de la peine, il est également indéniable que la Loi sur la défense nationale et l’échelle des peines actuelle accordent aux juges militaires certains pouvoirs qui leur permettent de déterminer une peine qui, pour paraphraser les remarques que le juge en chef Lamer a formulées dans R. c. M.(C.A.) et qui ont été citées dans les arrêts Gladue et Proulx, constitue une combinaison juste et appropriée des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine, laquelle dépend également des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent. L’échelle des peines offre aux juges militaires de nombreuses solutions de rechange à l’emprisonnement et à la détention et la Loi sur la défense nationale permet au juge appelé à prononcer une peine de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention.
[53] Serait-il préférable que les juges militaires disposent des mêmes options que les juges civils du Canada en ce qui a trait à la détermination de la peine? Cette question pourrait faire l’objet d’un long débat visant à savoir jusqu’à quel point les régimes de détermination de la peine civil et militaire devraient être semblables. Cependant, c’est là une question qui relève des politiques et non de la justice fondamentale. Il appartient au législateur de la trancher et non à la présente cour martiale.
[54] Pour les motifs exposés ci-dessus, la cour rejette la demande fondée sur l’alinéa 112.05(5)e) en vue d’obtenir une suspension d’instance conditionnelle, ce qui met fin à ladite demande.
LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.
Avocats :
Le major B. McMahon, Poursuites militaires régionales (Ouest)
Avocat de Sa Majesté La Reine
Le capitaine de corvette P. Lévesque, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de l’ex-Matelot de 3e classe Ellis
[1] Joseph Simon Kevin Trépanier c. R., 2008 CACM 3.
[2] R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2002] 2 R.C.S 90.
[3]R. c. D.B., 2008 CSC 25, au paragr. 37.
[4]Ibid., au paragr. 46.
[5]2006 CACM 1.
[6]Voir Soldat J.D. Dixon c. R., 2005 CACM 2, au paragr. 21; supra, note 1, au paragr. 36.
[7][1996] 1 R.C.S. 500.
[8]Ibid., paragr. 33.
[9] [1993] 2 R.C.S. 421, p. 431.
[10][1990] 2 R.C.S. 633, p. 645.
[11]Supra, note 7, au paragr. 56.
[12]Supra, note 7, au paragr. 73.
[13]R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688.
[14]Ibid., au paragr. 39.
[15] 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61.
[16]Supra, note 2.
[17]2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96.