Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 527 - Appel rejeté
Date of commencement of the trial: 9 March 2009
Location: Asticou Centre, Block 2600, 241 Cité-des-Jeunes Boulevard, Gatineau, QC
Charges
•Charge 1 (alternate to charge 2): S. 112(a) NDA, used a vehicle of the Canadian Forces for an unauthorized purpose.
•Charge 2 (alternate to charge 1): S. 130 NDA, breach of public trust by public officer (s. 122 CCC).
•Charge 3 (alternate to charge 4): S. 117(f) NDA, an act of a fraudulent nature not particularly specified in sections 73 to 128 of the National Defence Act.
•Charge 4 (alternate to charge 3): S. 130 NDA, breach of public trust by public officer (s. 122 CCC).
•Charge 5 (alternate to charge 6): S. 117(f) NDA, an act of a fraudulent nature not particularly specified in sections 73 to 128 of the National Defence Act.
•Charge 6 (alternate to charge 5): S. 130 NDA, breach of public trust by public officer (s. 122 CCC).
•Charge 7: S. 129 NDA, conduct to the prejudice of good order and discipline.
Results
•FINDINGS: Charges 1, 3: A stay of proceedings. Charges 2, 4: Guilty. Charges 5, 6, 7: Not guilty.
•SENTENCE: A severe reprimand and a fine in the amount of $3000.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Maître de 1re classe B.P. Bradt, 2009 CM 4005
Dossier : 200850
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
QUÉBEC
CENTRE ASTICOU
Date : 13 mars 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
MAÎTRE DE 1RE CLASSE B.P. BRADT
(Accusé)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Maître de 1re classe Bradt, au terme d’un procès complet, la cour vous a déclaré coupable des accusations nos 2 et 4 et a ordonné un sursis de l’instance à l’égard des accusations nos 1 et 3. Vous avez été déclaré non coupable des accusations nos 5, 6 et 7. Plus précisément, vous avez été déclaré coupable de deux accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire public, en violation de l’article 122 du Code criminel du Canada. La cour doit maintenant prononcer une sentence juste et équitable.
[2] Pour déterminer la peine appropriée, la cour a tenu compte des circonstances entourant la commission de ces infractions, des circonstances atténuantes et des circonstances aggravantes mises en avant par votre avocat et par le poursuivant, des observations tant de la poursuite que de l’avocat de la défense, de la preuve soumise par les deux avocats et des principes applicables en matière de détermination de la peine.
PRINCIPES GÉNÉRAUX EN MATIÈRE DE DÉTERMINATION DE LA PEINE
[3] Les principes de détermination de la peine, qui s’appliquent aussi bien aux procès tenus devant une cour martiale qu’aux procès criminels devant les tribunaux civils au Canada, sont fondés sur la nécessité de protéger le public, le public incluant les Forces canadiennes. Les principes essentiels sont la dissuasion, qui comprend la dissuasion spécifique, destinée à exercer un effet dissuasif sur vous personnellement, et la dissuasion générale, qui vise à dissuader d’autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions semblables. Ces principes incluent aussi la dénonciation du comportement et, dernier mais non le moindre, le principe de la réadaptation et de la réinsertion sociale du contrevenant. La cour doit décider si la protection du public serait mieux assurée en mettant l’accent sur la dissuasion, la réadaptation, la dénonciation ou une combinaison de ces facteurs.
[4] Lorsqu’elle rend sentence, la cour est tenue de se conformer aux directives énoncées au paragraphe 2 de l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes; cette disposition lui prescrit de tenir compte, dans la détermination de la peine, de toute conséquence indirecte du verdict ou de la peine, et de prononcer une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant.
[5] La cour a pris en considération les critères énoncés dans les articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada. La sentence qu’imposera la cour devrait correspondre à la peine minimale nécessaire pour assurer le maintien de la discipline. Nous devons nous rappeler que l’objectif ultime de l’imposition d’une peine est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire.
[6] Une seule sentence est prononcée contre le contrevenant, qu’il soit coupable d’une ou de plusieurs infractions, et la sentence peut être constituée de plus d’une peine.
[7] De l’avis de la poursuite, tous les principes de détermination de la peine s’appliquent en l’espèce. Le poursuivant a soumis à la cour six cas de jurisprudence visant à étayer sa prétention selon laquelle la peine minimale, dans la présente instance, consiste en une rétrogradation au rang de maître de 2e classe et en une amende se situant entre 4 000 $ et 8 000 $. L’avocat de la défense affirme qu’une peine consistant en une réprimande et en une amende de 2 500 $ serait une peine juste et équitable en l’espèce. Votre avocat propose que cette amende soit payée par versements mensuels de 200 $.
[8] Dans l’arrêt R. c. Angelillo, [2006] A.C.S no 55, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 22 :
Les principes de détermination de la peine sont maintenant codifiés et sont énoncés aux art. 718 à 718.2 C.cr. Ces dispositions confirment que l’infliction de la peine est un processus individualisé, qui doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du délinquant.
[9] Également, dans l’arrêt R. c. M(C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, rendu en 1996, le juge en chef Lamer a écrit, au paragraphe 82 :
En dernière analyse, le devoir général du juge qui inflige la peine est de faire appel à tous les principes légitimes de détermination afin de fixer une peine « juste et appropriée », qui reflète la gravité de l’infraction commise et la culpabilité morale du contrevenant.
[10] J’estime que les deux infractions en cause correspondent à un comportement que vous avez emprunté durant environ un mois. Vous semblez avoir adopté une attitude insouciante quant à l’utilisation des véhicules des FC pendant votre affectation au CEDH. En outre, vous ne semblez pas disposé à accepter les conséquences de vos actes, car apparemment, vous ne voyez aucun problème à faire couper votre bois de chauffage par des subordonnés durant les heures de travail.
[11] Les rapports d’appréciation du personnel (RAP) présentés à la cour décrivent un cuisinier maître de 1e classe très compétent, avant et après votre affectation au CEDH. Ces RAP font état d’excellentes compétences techniques et aptitudes à diriger et d’un potentiel évalué comme étant au‑dessus de la moyenne à exceptionnel. La preuve soumise à la cour dans le cadre du procès tend à démontrer qu’il en va autrement. Le RAP que vous avez reçu quand vous étiez au CEDH, bien que généralement positif en ce qui touche vos compétences techniques, n’est pas si positif pour ce qui est de votre aptitude à diriger. Il semble que cette première expérience dans un milieu autre que la Marine depuis votre promotion à des postes de supervision ait nécessité un ajustement qui s’est avéré difficile.
[12] Le procureur adjoint a longuement élaboré sur la nature de l’unité, sur son rythme opérationnel intense et sur le fait que le concept de succès de la mission s’applique avec beaucoup plus d’acuité dans cette unité que dans n’importe quelle autre unité des Forces canadiennes. La cour tient à mentionner ici que, même si certains des témoins ont effectivement évoqué l’intensité du rythme opérationnel, des déploiements et des exercices, la plus grande partie de cette preuve est considérée quelque peu énigmatique, puisqu’aucun témoin n’a véritablement décrit la nature exacte de l’unité ni de ses activités. Bien que quiconque ayant lu les journaux locaux ou nationaux au cours des dernières années aurait su quelle unité des Forces canadienne est postée au CEDH, ce renseignement n’a été divulgué par aucun témoin. Par conséquent, étant donné la nature énigmatique de cette preuve, la cour n’accordera pas à cet aspect de l’instance l’importance préconisée par le procureur adjoint.
[13] J’examinerai maintenant les circonstances atténuantes en l’espèce. Vous n’avez pas de fiche de conduite; il s’agit donc pour vous d’une première infraction. Votre carrière de quelque vingt-cinq ans dans les Forces canadiennes et dans la Marine est restée sans tache. Les rapports d’appréciation du personnel produits comme pièce 10, sauf celui établi lorsque vous étiez en poste au CEDH, sont fort élogieux dans leur évaluation de votre rendement et de votre potentiel.
[14] Je ne considère pas comme une circonstance atténuante le temps écoulé entre la date des infractions et la date du procès. Aucun élément de preuve ne démontre que cette période est déraisonnable ou excessive ni qu’elle a eu des répercussions défavorables sur vous ou sur la discipline des membres de la section des services d’alimentation au CEDH.
[15] Vous avez exercé votre droit de plaider non coupable. Vous avez été déclaré coupable par la cour au terme d’un procès complet. L’exercice de ce droit ne peut être considéré négativement, pas plus qu’il ne peut constituer un facteur aggravant. La jurisprudence canadienne considère généralement le fait de plaider coupable rapidement et de collaborer avec la police comme des signes tangibles que le contrevenant éprouve du remords de ses actes et qu’il assume la responsabilité de ses gestes illicites et du préjudice qui en a découlé. Par conséquent, une telle collaboration avec la police et un aveu de culpabilité rapide seront généralement considérés comme des facteurs atténuants. Bien que la doctrine puisse être divisée sur ce sujet, cette démarche n’est généralement pas considérée comme étant incompatible avec le droit au silence et le droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre l’accusé. On y voit plutôt un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine plus clémente, parce que le plaidoyer de culpabilité signifie généralement que les témoins n’auront pas à témoigner et que les frais liés à la procédure judiciaire seront considérablement réduits. De plus, on interprète généralement le plaidoyer de culpabilité comme une reconnaissance du fait que l’accusé entend assumer la responsabilité de ses actes illégaux.
[16] En clair, un accusé qui plaide coupable à la première occasion diminue le fardeau imposé aux ressources judiciaires, et cette collaboration, de même que la reconnaissance du fait que l’accusé assume la responsabilité de ses actions illicites, lui méritent habituellement un avantage. Un accusé qui plaide non coupable ne peut pas s’attendre à recevoir la même considération de l’appareil judiciaire. Cela ne veut pas dire que la peine sera plus sévère parce que l’accusé a été déclaré coupable après avoir plaidé non coupable, mais bien seulement que la circonstance atténuante que représente un plaidoyer de culpabilité ne pourra pas jouer favorablement sur la détermination de sa peine.
[17] J’ai également examiné les circonstances aggravantes suivantes. Vous avez profité de votre position et de votre rang pour commettre ces infractions. Telle n’est pas la conduite que nous attendons d’un sous‑officier supérieur. Comment pouvons‑nous espérer que les militaires du rang respectent nos lois et nos règlements si nos sous-officiers supérieurs ne leur donnent pas l’exemple?
[18] Les deux infractions en cause ont été commises au cours d’une période de quatre semaines et témoignent d’un manque flagrant de respect pour les règles et pour vos subordonnés. Vous avez attaché une plus grande importance à votre profit personnel qu’à vos responsabilités en tant qu’officier de cuisine.
[19] J’ai examiné la jurisprudence fournie par le poursuivant. Je remarque que la peine imposée dans les décisions Cayer et Desmeules faisait suite à une recommandation conjointe des avocats. Le Sergent Cayer a été condamné à une réprimande et à une amende de 2 500 $, alors que l’ex-Sergent Desmeules s’est vu infliger un blâme et une amende de 7 000 $. Tous deux ont plaidé coupable à un chef d’accusation porté en vertu de l’article 129 de la LDN pour avoir fait travailler des soldats sur la maison de l’ex‑Sergent Desmeules. Les travaux effectués par ces soldats auraient consisté en des rénovations résidentielles qui se seraient étendues sur cinq journées consécutives. L’ex‑Sergent Desmeules est la seule personne à qui a profité le travail de ces soldats. Les faits de cette affaire sont beaucoup plus graves que ceux dont la cour est saisie en l’espèce.
[20] À mon avis, les arrêts R. c. Ryan, 219 N.B.R. (2d) 287, Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, et R. c. LeBlanc, 2003 NBCA 75, portent également sur des situations de fait beaucoup plus graves que le cas présent. Chacune de ces affaires mettait en cause un agent de police. Dans Ryan, l’accusé a plaidé coupable à sept accusations, dont quatre portées en vertu de l’article 122 du Code criminel, deux de vol de moins de 5 000 $ et une de fraude de moins de 5 000 $. L’accusé dans Ryan a été condamné à un emprisonnement de huit mois pour chacune des infractions, ces peines devant être purgées concurremment. L’accusé dans LeBlanc a plaidé coupable à un chef d’accusation porté en vertu de l’article 122 du Code criminel et, en dernier ressort, a été condamné par la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick à purger une peine de trois mois d’emprisonnement. Les deux accusés avaient commis les infractions alors qu’ils agissaient en leur qualité d’agent de police. Les tribunaux ont toujours beaucoup insisté sur la dissuasion et la dénonciation lorsqu’il s’agit d’agents de police, parce que ceux‑ci font le serment de veiller au respect de la loi.
[21] Cela dit, la cour en l’espèce est consciente des devoirs qu’imposent aux sous‑officiers supérieurs le chapitre 5 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes et les principes de leadership qui commandent de montrer la voie à suivre en donnant l’exemple.
[22] J’ai aussi examiné attentivement la décision de la cour martiale permanente dans Ex-Premier maître de 2e classe Tobin. Dans cette affaire, l’ex-Premier maître de 2e classe Tobin a plaidé coupable à une accusation portée au titre de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour infraction à l’article 122 du Code criminel du Canada. Dans Tobin, une recommandation conjointe de 30 jours d’emprisonnement avec sursis avait été présentée à la cour. Celle‑ci a imposé un blâme et une amende de 3 000 $ à l’ex‑Premier maître de 2e classe Tobin.
[23] L’infraction dans cette affaire s’était étendue sur cinq mois, et l’accusé n’avait pas tiré profit aux dépens des FC. La cour a souligné le stratagème trompeur utilisé dans la commission de l’infraction. Il s’agissait de la première infraction de l’accusé au cours de 25 ans de carrière; l’accusé avait plaidé coupable et souffrait d’un problème de santé grave au moment du procès. La cour a également expliqué pourquoi elle estimait, dans les circonstances particulières de cette affaire, qu’une rétrogradation ne constituait pas la sanction appropriée.
[24] Maître de 1re classe Bradt, veuillez vous lever. Je crois que la peine en l’espèce doit être axée principalement sur la dénonciation du comportement du contrevenant et sur la dissuasion générale et spécifique. Vous avez abusé de votre position d’officier de cuisine et de chef de la section des services alimentaires; le public canadien et les Forces canadiennes doivent faire confiance aux membres des FC pour montrer la voie à suivre à leurs subordonnés et pour gérer leurs ressources dans l’intérêt public et non pour leur avantage personnel. Vous avez trahi cette confiance.
[25] Je ne considère pas que les circonstances entourant la commission des deux infractions dans le cas présent sont aussi graves que celles des affaires Cayer et Desmeules, entendues en cour martiale permanente, ou celles des affaires Ryan et LeBlanc. Néanmoins, en commettant ces infractions, vous avez fait preuve de mépris des règles concernant l’utilisation des véhicules des FC et de désintérêt à l’égard du bien‑être de vos subordonnés. Vous vous êtes servi d’un véhicule des FC et avez eu recours à vos subordonnés pour votre avantage personnel sans vous inquiéter des répercussions que cette conduite pourrait avoir pour vos subordonnés ni des privations qu’elle pourrait causer à votre unité ou aux Forces canadiennes. Cette violation des règles et le recours abusif à votre personnel pour votre propre profit ont eu lieu à deux reprises et n’ont duré que quelques heures. Toutefois, les conséquences inhérentes à la violation des principes essentiels, tels que la confiance, peuvent avoir des effets à beaucoup plus long terme.
[26] Ce comportement doit être dénoncé par l’imposition d’une peine qui communique ce message. J’ai mentionné la dissuasion spécifique parce que vous n’avez pas démontré à la cour que vous comprenez les conséquences de vos actions.
[27] En conséquence, après avoir examiné les circonstances particulières des infractions commises et du contrevenant, les facteurs atténuants et les facteurs aggravants ainsi que la jurisprudence soumise par les avocats, je ne crois pas qu’une rétrogradation représente la peine minimale nécessaire pour maintenir et rétablir la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire. La cour doit prononcer une sentence qui envoie un message clair tant à vous qu’à d’autres personnes et qui vous aidera à assumer la responsabilité des infractions que vous avez commises.
[28] Maître de 1re classe Bradt, la cour vous adresse un blâme et vous impose une amende de 3 000 $. L’amende doit être payée par versements mensuels de 250 $ qui débuteront le 1er avril 2009. Vous pouvez vous asseoir.
LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
Avocats :
Major B. McMahon, Poursuites militaires régionales, Région de l’Ouest
Capitaine Drebot, stagiaire, Direction des poursuites militaires
Procureurs de Sa Majesté la Reine
Major A. Litowsky, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Maître de 1re classe Bradt