Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 527 - Appel rejeté
Date de l'ouverture du procès : 9 mars 2009
Endroit : Centre Asticou, Bloc 2600, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 112a) LDN, s'est servi d'un véhicule des Forces canadiennes à des fins non autorisées.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 6) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d'accusation 6 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).
•Chef d'accusation 7 : Art. 129 LDN, comportement préjudicable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 4 : Coupable. Chefs d'accusation 5, 6, 7 : Non coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Maître de 1re classe B.P. Bradt, 2009 CM 4004
Dossier : 200850
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
QUÉBEC
CENTRE ASTICOU
Date : 13 mars 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
MAÎTRE DE 1RE CLASSE B.P. BRADT
(Accusé)
VERDICT
(Prononcé de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
INTRODUCTION
[1] Le Maître de 1re classe Bradt, C20 033 248, est accusé d’avoir commis sept infractions. Il fait l’objet d’un chef d’accusation lui reprochant, aux termes de l’article 112 de la Loi sur la défense nationale, de s’être servi d’un véhicule des Forces canadiennes à des fins non autorisées; de trois accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire public, en violation de l’article 122 du Code criminel du Canada, portées en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale; de deux accusations d’avoir commis un acte de caractère frauduleux aux termes de l’article 117 de la Loi sur la défense nationale; et d’une accusation, fondée sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir eu recours à des subordonnés pour effectuer des tâches à son avantage personnel.
[2] La poursuite plaide que la preuve présentée à la cour établit hors de tout doute raisonnable tous les éléments des infractions alléguées. Elle soutient que le Maître de 1re classe Bradt a commis les infractions alléguées en se faisant conduire à la maison par le Caporal Newton dans un véhicule des FC et en arrêtant en route pour acheter de la nourriture pour les chevaux qu’il garde en pension dans sa ferme; en faisant venir les membres de sa section à sa résidence durant les heures de travail pour couper du bois destiné à son usage personnel; enfin, en ordonnant à un subordonné d’acheter un appareil de chauffage au propane et des réservoirs à propane et de les lui livrer à sa ferme.
[3] L’accusé affirme pour sa part que la preuve n’établit pas hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de chacune des infractions.
LE DROIT APPLICABLE
[4] Avant que la cour procède à son analyse de la preuve et de l’accusation, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Si ces principes sont bien connus des avocats, ils sont peut‑être moins connus d’autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.
[5] Il est juste de dire que la présomption d’innocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.
[6] La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.
[7] Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.
[8] Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives portant sur le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé; il repose sur la raison et le sens commun. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée ne constitue nullement une indication de sa culpabilité.
[9] Dans l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, la Cour suprême a statué :
[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités […].
Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Maître de 1re classe Bradt, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue, ou aurait été convaincue, que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[10] Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, des témoignages d’experts, des faits admis devant la cour par la poursuite ou la défense ou des éléments dont la cour prend connaissance d’office.
[11] Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. La cour doit déterminer quels éléments de preuve elle estime crédibles.
[12] Crédibilité n’est pas synonyme de vérité, et absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte dans l’évaluation que fait la cour de la crédibilité d’un témoignage entendu. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il ou elle décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants, ou plutôt relativement anodins et, partant, naturellement plus difficiles à se remémorer? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.
[13] Un autre facteur qui doit être pris en compte pour déterminer la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contredits?
[14] De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent effectivement en toute innocence, ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave, et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.
[15] La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que le témoignage ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.
[16] La cour doit arrêter son attention sur le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Ce critère, énoncé à la page 758 de l’arrêt, est le suivant :
Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.
Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.
Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité.
[17] Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions dont la cour est saisie.
LA PREUVE
[18] La preuve soumise à la cour en l’espèce est formée essentiellement d’éléments dont la cour a pris connaissance d’office, de témoignages et de pièces. La cour a pris connaissance d’office des faits et questions mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
[19] La poursuite a déposé trois pièces et l’avocat de la défense, une.
[20] Le Maître de 1re classe Bradt a été le dernier témoin entendu. Selon son témoignage, il a reçu un minimum de renseignements de passation à son arrivée au CEDH et n’a bénéficié que d’instructions limitées lorsqu’il a pris la relève de la section des services alimentaires; il n’y avait pas d’IPO, son entretien avec le CO a duré cinq minutes, il était seul dans sa section entre juin et octobre 2006 et il a hérité d’une section désunie et dysfonctionnelle. Quatre personnes travaillaient dans sa section alors qu’à son avis, il y avait du travail pour 10 ou 12 personnes. Il avait été affecté au CEDH depuis la BFC Esquimalt, où il avait passé environ 23 ans. La cour comprend de son témoignage que le Maître de 1re classe Bradt n’était pas très heureux de sa situation. Comme il l’a mentionné, son épouse a acquiescé à cette affectation à la condition d’obtenir le genre d’emploi qu’elle désirait. Elle était passionnée de chevaux; le couple a donc acheté une ferme afin de permettre à l’épouse d’exploiter une entreprise de pension de chevaux.
[21] Le Maître de 1re classe Bradt a déclaré que les problèmes de personnel de sa section constituaient le centre de ses préoccupations. Il a pensé qu’un après-midi de sport lors duquel les membres de sa section couperaient du bois à sa résidence améliorerait la section et constituerait un exercice favorisant l’esprit d’équipe avant que la section ne quitte pour l’exercice auquel devait participer l’unité en Colombie‑Britannique. Cette activité leur permettrait de [traduction] « se défouler ». Il aurait fait part de son idée à la section pendant une pause café quelques jours avant la date prévue, en disant qu’il avait du bois de chauffage à couper durant le week‑end et que les membres de la section pourraient venir l’aider le vendredi; cette journée serait considérée comme une journée de sport. Quelques jours avant l’activité, le Sergent Pernitzky lui aurait dit que le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ne voulaient pas y prendre part. Le Maître de 1re classe Bradt aurait répondu qu’il ne pouvait pas leur ordonner de venir, et le Sergent Pernitzky aurait ensuite déclaré qu’il leur avait ordonné d’être présents parce que [traduction] « c’est la façon de faire dans l’armée ». Le Maître de 1re classe Bradt aurait alors réitéré qu’il ne pouvait leur ordonner d’être présents et qu’il ne voulait pas qu’ils viennent contre leur gré parce que cette situation risquerait de causer des problèmes. Le Sergent Pernitzky lui a dit qu’ils viendraient pour un petit moment, ce à quoi le Maître de 1re classe Bradt aurait répondu que toute aide valait mieux que pas d’aide du tout.
[22] Cette version des événements laisse la cour très perplexe. Le Maître de 1re classe Bradt a affirmé que l’objectif de cette activité était d’améliorer le moral de la section. Comment pouvait-il espérer atteindre cet objectif en approuvant l’ordre donné par le Sergent Pernitzky, alors qu’il savait que ses subordonnés ne voulaient pas couper du bois? En contre‑interrogatoire, il a déclaré qu’il n’était pas certain des motifs pour lesquels ses troupes ne voulaient pas venir chez lui. Il aurait pu leur dire de ne pas venir chez lui, mais il ne l’a pas fait. Bien qu’il affirme que sa section était continuellement occupée et que son personnel était le centre de ses préoccupations, il n’a pas semblé intéressé à savoir pourquoi ses subordonnés n’étaient pas intéressés à participer à cette activité destinée à améliorer le moral de la section.
[23] Le Maître de 1re classe Bradt a aussi parlé de son expérience de travail avec des civils, de la situation délicate que crée le travail avec des civils et du fait qu’il [traduction] « ne voulait pas franchir cette ligne ». Cette dernière explication ajoute à la confusion, car aucun des subordonnés en cause dans les accusations en l’espèce n’était un employé civil. Il est tout à fait compréhensible qu’un superviseur militaire doive se comporter avec des employés civils d’une manière fort différente de la façon dont il traite avec des subordonnés militaires. Cela dit, la cour ne voit aucun fondement logique à cette partie de son explication quant aux motifs pour lesquels il ne pouvait pas ordonner aux membres de sa section de participer à l’activité prévue.
[24] Durant son contre‑interrogatoire, le Maître de 1re classe Bradt a d’abord indiqué que selon lui, il était en « CTO » le 23 mars 2007. La cour croit comprendre que le terme « CTO » correspond à « compensatory time off », soit congé compensatoire. Partant, le Maître de 1re classe Bradt n’aurait pas été de service ce jour‑là. Par la suite, il a rectifié son témoignage et déclaré qu’il était au travail jusque vers 11 h 45, ce jour-là, et que l’après‑midi était aussi considéré comme des heures de travail.
[25] Le Maître de 1re classe Bradt a également déclaré qu’il avait envoyé à l’Adjudant-maître Hanna un courriel dans lequel il l’informait que sa section couperait du bois dans l’après‑midi du 23 mars 2007. L’Adjudant-maître Hanna a clairement affirmé n’avoir eu vent de la journée de sport qu’après l’exercice tenu en Colombie‑Britannique. Il a aussi déclaré que personne ne s’était adressé à lui pour obtenir son autorisation pour cette journée de sport. Il a en outre confirmé en contre‑interrogatoire n’avoir jamais discuté avec le Maître de 1re classe Bradt de la tenue d’une journée de sport pour la section. L’avocat de la défense ne lui a pas demandé si le Maître de 1re classe Bradt lui avait envoyé un courriel concernant une journée de sport consistant à couper du bois. Il est une règle fondamentale en droit canadien qui exige que l’avocat interroge le témoin sur tout élément nouveau ou contradictoire qu’il compte présenter en preuve ou sur lequel il compte s’appuyer après que le témoin aura quitté la barre. Cette règle est généralement connue comme étant la règle Browne and Dunn. Le défaut de contre‑interroger peut se répercuter défavorablement sur la crédibilité de l’accusé.
[26] Le Maître de 1re classe Bradt a indiqué dans son témoignage que l’utilisation des véhicules des FC à des fins personnelles était autorisée. Il a cité l’exemple d’une situation où il aurait demandé à l’Adjudant-maître Hanna, et reçu de ce dernier, l’autorisation pour un membre de sa section de se servir d’un camion de la section pour déménager des meubles un week‑end. Or, ni l’Adjudant-maître Hanna, ni les membres de la section appelés à témoigner pour la poursuite n’ont été interrogés relativement à cette déclaration. Je renvoie à nouveau à la règle de Browne and Dunn à cet égard. Dans son témoignage principal, l’Adjudant‑maître Hanna a déclaré que la politique en cours à son unité ne permettait pas l’utilisation des véhicules des FC à des fins personnelles. Il a autorisé le Maître de 1re classe Bradt à utiliser un véhicule de la section pour participer à un cours à Borden, mais il ne l’a jamais autorisé à utiliser un véhicule pour se rendre à sa résidence.
[27] Le Maître de 1re classe Bradt a expliqué pourquoi le Caporal Newton l’a reconduit à la maison. Ils avaient quitté en fin de journée avec l’intention de se rendre à Petawawa le lendemain pour procéder à l’inventaire de leur équipement à Petawawa; or, Petawawa est plus proche de la résidence du Maître de 1re classe Bradt que du CEDH. Il a ensuite déclaré que le plan avait changé, mais il n’a pu exposer les motifs exacts de ce changement. Il semble que l’unité ait eu besoin du camion de la section pour effectuer une autre tâche et que le voyage à Petawawa ait été retardé d’une journée ou deux. Il n’a pas précisé à quel moment le plan a été changé. Il a indiqué en contre‑interrogatoire que le Caporal Newton avait mangé chez lui ce soir-là, puis avait changé d’idée et décidé de rentrer chez lui même si ce n’est pas ce qui avait été prévu. Selon son témoignage, le Caporal Newton ne l’a informé qu’après le repas qu’il avait modifié ses plans.
[28] De nouveau, la cour demeure perplexe devant le témoignage du Maître de 1re classe Bradt. Le plan a-t-il changé pendant le trajet vers la résidence de celui‑ci ou juste avant le repas? Si le plan avait changé au cours de la journée ou avant et qu’ils ne devaient pas se rendre à Petawawa le lendemain, pourquoi se seraient‑ils rendus à la résidence du maître de 1re classe dans un camion de la section et pourquoi le Caporal Newton aurait-il dû dormir à la résidence du Maître de 1re classe Bradt cette nuit-là?
[29] Dans son témoignage, le Maître de 1re classe Bradt a déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucune politique de l’unité concernant l’utilisation de l’équipement de l’unité, et que son commandant adjoint lui avait dit qu’il était de pratique courante d’emprunter des articles contre signature. D’après son expérience dans les FC, les articles de classe C et de classe D pouvaient être prêtés contre signature. La section avait besoin d’un appareil de chauffage au propane et de réservoirs à propane, et il a fait certaines recherches pour comparer les prix. Il a donné instruction au Sergent Pernitzky d’acheter l’appareil de chauffage et les réservoirs, parce qu’il n’avait pas de carte d’achat et qu’il pensait par ailleurs qu’il pourrait exister un conflit d’intérêt du fait qu’il était la personne responsable sous le régime de l’article 32 de la LGFP. Le Sergent Pernitzky, a‑t‑il dit, s’est présenté à l’improviste à sa résidence avec l’appareil de chauffage et les réservoirs. Le Sergent Pernitzky n’a pas été contre‑interrogé relativement à cette affirmation du Maître de 1re classe Bradt. Celui‑ci a dit au Sergent Pernitzky de laisser l’appareil de chauffage et les réservoirs à sa résidence pour qu’il puisse en vérifier le fonctionnement. Plus tard, il a signé une carte de prêt temporaire pour cet équipement.
[30] De l’avis de la cour, le Maître de 1re classe Bradt ne s’est pas avéré être un témoin crédible. Ses explications concernant l’après-midi consacré à la coupe de bois et celles concernant le voyage à sa résidence en compagnie du Caporal Newton sont pour le moins déconcertantes. Il a déclaré que le projet de se rendre à Petawawa le lendemain avait changé. Cependant, il n’a pas indiqué à quel moment ce changement est survenu. On ne peut que présumer que le changement s’est produit après leur départ du CEDH. L’explication fournie quant au changement de plan concernant le déplacement à Petawawa est extrêmement suspecte. La préoccupation que dit avoir eue le maître de 1re classe quant au moral de ses troupes, et son récit de sa conversation avec le Sergent Pernitzky sont aussi fort suspects. Ni son comportement ni son témoignage n’appuient son affirmation selon laquelle son personnel occupait la première place dans ses préoccupations. Je déduis de son témoignage que ses priorités allaient à lui-même et à sa ferme.
[31] Étant donné que je ne considère pas le Maître de 1re classe Bradt comme un témoin crédible, je ne crois pas son témoignage s’il n’est pas corroboré par d’autres éléments de preuve. Par conséquent, puisque je n’ajoute pas foi à la preuve de l’accusé et que cette preuve ne laisse pas place chez moi à un doute raisonnable, je me tournerai maintenant vers la troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt R. c. W.(D.). En gardant cette conclusion à l’esprit, j’examinerai maintenant chacune des accusations. Auparavant, toutefois, je formulerai certaines observations sur les témoins et la preuve qu’ils ont soumis.
[32] Le Caporal-chef Bertrand a été l’autre témoin de la défense. L’unique but de son témoignage était de verser en preuve la carte de prêt temporaire FC 638 remplie par le Maître de 1re classe Bradt.
[33] Le Sergent Pernitzky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ont témoigné pour la poursuite. Tous trois ont témoigné au sujet de l’après‑midi de sport du 23 mars 2007, qui consistait à couper du bois. Le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ont parlé des événements à l’origine des accusations nos 1 et 2. Le Sergent Pernitzky a parlé des événements au coeur des accusations nos 5 et 6. Le Sergent Sawyer et le Caporal Newton sont considérés comme des témoins crédibles, car ils ont répondu à chacune des questions posées par les deux avocats de façon franche et au meilleur de leur souvenir. Seul le passage du temps porte atteinte à la fiabilité de leur témoignage.
[34] La cour considère le Sergent Pernitzky comme un témoin crédible, mais pas très fiable. Bien qu’il se soit parfois montré argumenteur au cours de son contre‑interrogatoire et qu’il ait fourni de longues réponses, ce comportement semble résulter du niveau élevé d’anxiété dont il a fait preuve pendant son témoignage. Durant le contre‑interrogatoire, il était souvent sur la défensive; néanmoins, de l’avis de la cour, cette attitude ne témoigne pas de la mauvaise foi du témoin mais de son état d’anxiété. Le Sergent Pernitzky est une personne très nerveuse, et son souvenir des événements est altéré à la fois par le passage du temps et par l’anxiété qui l’habitait tant dans le cadre de son témoignage qu’au moment des événements qui ont débouché sur certaines des accusations en l’espèce. Il a affirmé dans son témoignage qu’il avait été incapable de dormir après avoir été informé, le dimanche, du projet d’après-midi de sport prévu à la résidence du Maître de 1re classe Bradt pour couper du bois. Il a consulté le psychologue de l’unité le lundi, en raison du stress que lui causait cette situation.
[35] Indépendamment de ces observations générales sur la crédibilité et la fiabilité des témoins de la poursuite, des parties essentielles de leurs témoignages sont cohérentes et permettent à la cour d’avoir une certaine idée des événements qui ont mené aux accusations portées en l’espèce.
[36] Le Sergent Pernitzky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ne voulaient pas aller couper du bois à la résidence du Maître de 1re classe Bradt le vendredi 23 mars 2007, mais chacun s’est senti obligé de le faire, ayant le sentiment qu’il était dans son intérêt de se conformer à la directive du Maître de 1re classe Bradt. Le Sergent Pernitzky était d’avis qu’il était dans leur intérêt d’acquiescer afin de pouvoir obtenir un congé après l’exercice en Colombie‑Britannique, et parce qu’il ne voulait pas s’opposer à son supérieur immédiat et risquer une mesure disciplinaire. Le Sergent Sawyer a décrit l’atmosphère au sein de la section comme étant tendue; c’était, dit-il, [traduction] « comme marcher sur des oeufs ». Il a accepté de prendre part à l’activité de l’après-midi pour éviter de se voir assigner plus de travail ou des heures de travail prolongées s’il ne faisait pas ce qu’on demandait. Le Caporal Newton a déclaré que le Sergent Pernitzky lui avait donné le choix de ne pas participer, mais qu’il avait le sentiment qu’il était dans son intérêt de participer à l’après‑midi de coupe de bois, parce qu’il ne se sentait pas en sécurité dans son emploi à cette époque.
[37] Les hommes ont travaillé en deux groupes. Le Sergent Sawyer et le Sergent Pernitzky étaient placés à un bout de la pile d’arbres, et le Maître de 1re classe Bradt et le Caporal Newton, à l’autre bout. Le Sergent Sawyer et le Maître de 1re classe Bradt coupaient les grumes avec une scie à chaîne, et le Sergent Pernitzky et le Caporal Newton fendaient les billes. Ces trois témoins ont dépeint un groupe très tendu durant l’après-midi de coupe de bois. Chacun d’eux a décrit le silence qu’ils observaient et les expressions de frustration qui se lisaient sur leur visage. Le Sergent Sawyer a décrit le [traduction] « regard mauvais » du Sergent Pernitzky pendant qu’il coupait du bois. Il a déclaré que le Caporal Newton était très contrarié et que ce dernier l’a regardé de travers. Selon le Caporal Newton, le Sergent Sawyer n’a parlé à personne. Le Sergent Pernitzky a relaté que le Caporal Newton a lancé des billes dans la boue et s’est fait admonester par le Maître de 1re classe Bradt. Il a décrit l’exercice comme une pitrerie. Le Caporal Newton a expliqué qu’il avait lancé des billes dans la boue parce qu’il essayait de suivre le rythme du Maître de 1re classe Bradt, qui coupait les brumes avec une scie à chaîne. Le Maître de 1re classe Bradt lui a dit d’arrêter de faire cela.
[38] Ces témoins ont aussi attesté avoir entendu le Maître de 1re classe Bradt dire qu’il vendrait le bois qu’ils avaient coupé. Selon le Caporal Newton, le Maître de 1re classe leur a fait cette déclaration au cours d’une pause, alors que d’après le Sergent Sawyer, elle a été faite pendant qu’ils prenaient une bière, à la fin de l’après‑midi. Le Sergent Pernitzky a affirmé avoir entendu le Maître de 1re classe Bradt faire cette déclaration alors que ce dernier parlait à son épouse, en fin d’après-midi. Il ressort clairement de ces témoignages que chaque témoin a compris que le Maître de 1re classe Bradt avait l’intention de vendre le bois qu’ils avaient coupé afin de gagner assez d’argent pour payer tout le chargement de bois.
[39] Je traiterai maintenant de chacune des accusations. La première accusation vise l’utilisation d’un véhicule des FC à des fins non autorisées. Les détails de cette accusation sont libellés comme suit :
[traduction] « Entre septembre 2006 et mai 2007, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, l’accusé s’est servi sans autorisation d’un ou de plus d’un véhicule des Forces canadiennes pour son usage personnel ».
[40] La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à cette infraction :
a) l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;
b) l’utilisation d’un véhicule par l’accusé;
c) le fait que le véhicule en cause appartenait aux FC;
d) l’absence d’autorisation pour l’utilisation du véhicule;
e) le fait que ’accusé s’est intentionnellement servi du véhicule.
[41] L’identité du contrevenant n’est pas en cause dans cette accusation ni dans aucune des accusations en l’espèce. Ni l’identité du contrevenant ni les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation n’ont été contestés par l’avocat de la défense, et ces éléments ont été établis par le témoignage du Maître de 1re classe Bradt et celui du Caporal Newton. Ce dernier déclare que le Maître de 1re classe Bradt lui a donné instruction de l’accompagner à sa résidence. Le Maître de 1re classe Bradt conduisait le camion. Le Caporal Newton l’accompagnait pour pouvoir rapporter le camion au CEDH. Selon le Caporal Newton, ce voyage à la résidence du Maître de 1re classe Bradt a eu lieu en début de mars 2007, environ une ou deux semaines avant leur participation à l’exercice de l’unité en Colombie‑Britannique. Le Caporal Newton a aussi déclaré qu’à quelques reprises, avant cet incident, il avait vu le Maître de 1re classe Bradt quitter à la fin de la journée de travail au volant d’un des camions de la section, mais il ne savait pas si celui-ci avait reçu l’autorisation de se servir du camion de la section à ces occasions. Lorsqu’ils se sont rendus ensemble à la résidence du Maître de 1re classe Bradt, ils se sont arrêtés en route pour acheter de la nourriture et des copeaux de bois pour les chevaux. Le Caporal Newton a aidé à charger et à décharger la nourriture et les copeaux.
[42] Il appert manifestement des témoignages du Maître de 1re classe Bradt et du Caporal Newton qu’un véhicule des FC a été utilisé pour conduire le Maître de 1re classe Bradt à sa résidence et pour aller chercher, en route, de la nourriture pour animaux et des copeaux de bois.
[43] Le témoignage de l’Adjudant-maître Hanna établit clairement que les véhicules des FC ne doivent pas être utilisés à des fins personnelles. Le Sergent Pernitzky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ont également déclaré qu’il est interdit de se servir des véhicules des FC à des fins personnelles. Seul le Maître de 1re classe Bradt a affirmé dans son témoignage qu’il était permis de se servir des véhicules pour usage personnel. La cour a déjà mentionné qu’elle ne croit pas l’explication donnée par le Maître de 1re classe Bradt pour justifier son utilisation du camion de la section ce jour‑là. La cour estime que la preuve qu’elle retient prouve hors de tout doute raisonnable que le Maître de 1re classe Bradt s’est intentionnellement servi du véhicule de la section pour se rendre à sa résidence ce jour-là et qu’il n’était autorisé à ce faire ni par un supérieur ni par une politique de l’unité. Pour aggraver la situation, il a ordonné au Caporal Newton de l’accompagner afin que celui‑ci puisse l’aider à charger et à décharger la nourriture pour animaux et les copeaux de bois et rapporter ensuite le camion au CEDH.
[44] Les accusations nos 2, 4 et 6 allèguent qu’il y a eu abus de confiance par un fonctionnaire public en violation de l’article 122 du Code criminel. Les détails de l’accusation no 2 sont libellés comme suit :
[traduction] « Entre septembre 2006 et mai 2007, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, alors qu’il occupait un poste ou un emploi de fonctionnaire dans un ministère public, l’accusé a commis un abus de confiance relativement aux fonctions de sa charge en se servant d’un ou de plus d’un véhicule des Forces canadiennes pour son usage personnel. »
Les détails de l’accusation no 4 sont libellés comme suit :
[traduction] « Le 23 mars 2007 ou vers cette date, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, alors qu’il occupait un poste ou un emploi de fonctionnaire dans un ministère public, l’accusé a commis un abus de confiance relativement aux fonctions de sa charge en faisant couper du bois de chauffage par ses subordonnés à sa résidence pendant les heures de travail. »
Enfin, les détails de l’accusation no 6 sont libellés comme suit :
[traduction] « Le 16 février 2007 ou vers cette date, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, alors qu’il occupait un poste ou un emploi de fonctionnaire dans un ministère public, l’accusé a commis un abus de confiance relativement aux fonctions de sa charge en faisant acheter par un subordonné, avec les deniers publics, et livrer à sa résidence, un appareil de chauffage au propane et deux réservoirs à propane. »
[45] La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à ces infractions :
a) l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;
b) le fait que l’accusé est un fonctionnaire;
c) le fait que l’accusé agissait dans l’exercice de ses fonctions;
d) le manquement, par l’accusé, aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi;
e) le fait que la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé;
f) le fait que l’accusé a agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi publics à des fins autres que l’intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.
[46] L’avocat de la défense n’a pas contesté l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ni les date et lieu de l’infraction relativement aux accusations énoncées ci‑dessus. Les témoignages du Maître de 1re classe Bradt et du Caporal Newton ont établi ces éléments relativement à l’accusation no 2. Il s’agit de la même preuve que pour la première accusation. Les témoignages du Maître de 1re classe Bradt, du Sergent Pernitsky, du Sergent Sawyer et du Caporal Newton ont établi ces éléments relativement à l’accusation no 4. Il s’agit de la même preuve que pour la troisième accusation. Les témoignages du Maître de 1re classe Bradt et du Sergent Pernitsky ont établi ces éléments relativement à l’accusation no 6. Il s’agit de la même preuve que pour l’accusation no 5.
[47] Il ne fait aucun doute que tout membre des FC est considéré comme un fonctionnaire au sens de la définition donnée dans le Code criminel du Canada. Les termes « charge » ou « emploi » s’entendent, selon la définition du Code criminel :
a) d’une charge ou fonction sous l’autorité du gouvernement;
b) d’une commission civile ou militaire;
c) d’un poste ou emploi dans un ministère public.
Bien que les membres des FC puissent n’être jamais considérés comme des employés d’un ministère public comme le sont les fonctionnaires, les FC font néanmoins partie du gouvernement fédéral et les membres des FC travaillent pour le gouvernement du Canada. Ces caractéristiques correspondent à la définition de « charge » ou « emploi » énoncée à l’article 118 du Code criminel du Canada. Par conséquent, tout membre des FC est un fonctionnaire, puisqu’il est une personne qui occupe une charge ou un emploi. Cette conclusion s’applique également à l’élément correspondant des accusations nos 4 et 6.
[48] J’examinerai maintenant le troisième élément de ces infractions, à savoir que l’accusé a agi dans l’exercice de ses fonctions. Le Sergent Pernitsky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton étaient des membres de la section des services alimentaires, et le Maître de 1re classe Bradt était responsable de cette section et détenait le titre d’officier de cuisine.
En ce qui concerne l’accusation no 2, le Maître de 1re classe Bradt agissait en sa qualité d’officier de cuisine lorsqu’il a conduit le camion de la section jusqu’à sa résidence et a ordonné au Caporal Newton de l’accompagner.
En ce qui concerne l’accusation no 4, il est évident que l’accusé agissait dans l’exercice de ses fonctions, du fait qu’il planifiait cet après-midi de sport pour sa section. Il était l’officier de cuisine et il a dit aux membres de sa section des services alimentaires qu’ils auraient un après‑midi de sport.
Quant à l’accusation no 6, l’accusé, en sa qualité d’officier de cuisine, avait le pouvoir d’ordonner au Sergent Pernitsky d’aller acheter un appareil de chauffage au propane et des réservoirs à propane.
[49] J’aborderai maintenant le quatrième élément de l’infraction, à savoir que l’accusé a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi. Le chapitre 5 des ORFC exige que tout militaire du rang connaisse, observe et fasse respecter la Loi sur la défense nationale, la Loi sur la protection de l’information, les ORFC et tous les autres règlements, règles, ordres et directives se rapportant à l’exercice de ses fonctions. Le militaire du rang doit aussi promouvoir le bien‑être, l’efficacité et l’esprit de discipline de tous ses subordonnés, veiller à assurer le soin et l’entretien convenables de tous les biens publics et biens non publics qui relèvent de son autorité et en empêcher le gaspillage. À titre de maître de 1re classe responsable de la section des services alimentaires, l’accusé devait assurer le soin et l’entretien voulus du véhicule et de l’équipement de cette section. Il était aussi responsable du bien‑être et de la discipline de ses subordonnés.
En ce qui concerne l’accusation no 2, la politique concernant l’utilisation des véhicules des FC à des fins personnelles était bien connue au sein du groupe. La norme de responsabilité et de conduite est évidente : l’accusé doit s’acquitter des devoirs et responsabilités énumérés au chapitre 5 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, et des devoirs et responsabilités additionnels qui incombent à tout militaire du rang supérieur qui a la charge de subordonnés. Il devait se conformer à la politique concernant l’utilisation des véhicules des FC et en faire respecter l’application. Il a failli à cette norme de responsabilité lorsqu’il a utilisé un véhicule des FC pour son avantage personnel et qu’il a ordonné à un subordonné de l’accompagner après les heures de travail pour que celui-ci rapporte le véhicule au CEDH.
Quant à l’accusation no 4, chacun sait que les activités réalisées durant les heures de travail doivent profiter à l’organisation qui paie un salaire à la personne en cause pour les heures de travail. Tout membre des FC sait que les heures de travail sont réservées aux devoirs militaires; cela relève du sens commun. À titre de chef de la section des services alimentaires, le Maître de 1re classe Bradt était responsable de l’utilisation efficiente des ressources allouées à sa section pour accomplir les tâches confiées à cette section. Cette responsabilité s’étend au personnel assigné à la section des services alimentaires. Il a manqué à ce devoir en leur faisant couper son bois de chauffage pour son usage personnel durant les heures de travail, le 23 mars 2007.
Quant à l’accusation no 6, la poursuite n’a fourni aucun élément de preuve démontrant la norme exacte à laquelle devait se conformer l’accusé dans les circonstances particulières de cette accusation. Le Sergent Pernitsky, au contraire, a déclaré dans son témoignage qu’il ne voyait rien de répréhensible à laisser l’appareil de chauffage au propane et les réservoirs à la résidence du Maître de 1re classe Bradt, puisque ce dernier souhaitait effectuer une vérification de l’équipement et avait rempli une carte de prêt temporaire. Cet élément de l’infraction n’a pas été établi hors de tout doute raisonnable par la poursuite.
[50] J’examinerai maintenant le cinquième élément de l’infraction, à savoir plus particulièrement que la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé.
Pour ce qui est de l’accusation no 2, chaque témoin à l’exception du Maître de 1re classe Bradt a semblé avoir clairement compris qu’il n’était pas permis de se servir des véhicules des FC pour un usage personnel sans avoir d’abord obtenu une autorisation expresse à cette fin. Une utilisation relevant du sens commun, comme un arrêt à la banque ou un autre arrêt de courte durée pendant un voyage officiel, serait acceptable. L’utilisation d’un véhicule des FC pour se rendre à un cours à Borden serait considérée comme acceptable dans certaines circonstances et avec l’autorisation requise. L’utilisation d’un véhicule des FC pour rentrer à la maison après une journée de travail, sans avoir obtenu l’autorisation de ce faire et sans explication raisonnable, constitue un écart grave et marqué des normes que serait censé observer une personne occupant le poste de l’accusé. Le public doit être confiant que les membres des FC ne se servent des véhicules des FC que pour leurs déplacements officiels et non comme s’ils leur appartenaient.
Quant à l’accusation no 4, le Maître de 1re classe Bradt a déclaré dans son témoignage qu’ils étaient quatre pour effectuer le travail de 10 ou 12 personnes. Le Sergent Pernitsky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton ont tous affirmé qu’ils étaient extrêmement occupés en mars 2007. Dans les circonstances, le Maître de 1re classe Bradt devait s’assurer que son personnel était occupé à s’acquitter de la myriade de tâches qu’il devait terminer durant cette période. Le fait de faire travailler des subordonnés à une tâche comme celle de couper du bois de chauffage durant les heures de travail pour l’avantage personnel du supérieur constitue un écart grave et marqué des normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé. Une fois de plus, le public doit être confiant que les FC utilisent leur personnel uniquement pour les activités officielles et dans l’intérêt public et non à l’avantage personnel des supérieurs.
Quant à l’accusation no 6, la poursuite n’a fourni aucune preuve établissant hors de tout doute raisonnable un écart marqué des normes que serait censé respecter l’accusé. La poursuite n’a soumis aucune preuve sur ce point.
[51] J’examinerai maintenant l’élément de mens rea afférent à chacune des infractions, à savoir que l’accusé a agi avec l’intention d’user de sa charge ou de son emploi publics à des fins autres que l’intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.
Selon la preuve établie par les témoignages du Sergent Pernitsky et du Sergent Sawyer, le Maître de 1re classe Bradt vit dans une ferme à proximité de Arnprior (Ontario), ce qui représente un trajet de 30 à 40 minutes en voiture depuis le CEDH. Le Maître de 1re classe Bradt a déclaré que le trajet en voiture entre sa résidence et le CEDH prend 45 minutes. La cour ne peut conclure à l’existence d’aucune fin d’intérêt public à partir des éléments de preuve qu’elle a acceptés. Le Maître de 1re classe Bradt a usé de sa charge d’officier de cuisine et a choisi d’utiliser un véhicule des FC pour rentrer à la maison après le travail pour favoriser des fins personnelles et non dans l’intérêt public.
En ce qui concerne l’accusation no 4, le Maître de 1re classe Bradt a choisi de faire venir les membres de sa section à sa résidence pour couper son bois de chauffage, le 23 mars 2007. L’Adjudant-maître Hanna a déclaré n’avoir reçu aucune demande d’autorisation pour la tenue de cette activité et affirmé qu’il n’en a rien su avant mai 2007 environ. Le Maître de 1re classe Bradt a été malhonnête en n’informant pas ses supérieurs de cette activité. Il s’est servi de son poste d’officier de cuisine pour faire couper son bois de chauffage par les membres de sa section pendant les heures normales de travail. Lui seul a tiré profit de cette activité; en effet, il appert clairement des témoignages du Sergent Pernitsky, du Sergent Sawyer et du Caporal Newton qu’aucun d’eux n’y a rien gagné et qu’au contraire, ils ont tous réagi très négativement à cette activité. Le Maître de 1re classe Bradt semble être le seul à n’avoir jamais perçu aucun problème relativement à cette activité. Il ressort clairement de la preuve acceptée par la cour que le Maître de 1re classe Bradt a intentionnellement usé de sa charge à une fin autre que l’intérêt public.
Quant à l’accusation no 6, la poursuite n’a produit aucun élément de preuve relativement à cet élément. Au contraire, la preuve établit que le Maître de 1re classe Bradt avait signé une carte de prêt temporaire et l’avait conservée dans la roulotte de la section.
[52] Je traiterai maintenant des accusations nos 3 et 5, soit d’avoir commis un acte de nature frauduleuse qui n’est pas expressément mentionné dans les articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale. Les détails de l’accusation no 3 sont libellés comme suit :
[traduction] « Le 23 mars 2007 ou vers cette date, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, l’accusé a fait couper du bois de chauffage par ses subordonnés à sa résidence durant les heures de travail. »
Les détails de l’accusation no 5 sont libellés comme suit :
[traduction] « Le 16 février 2007 ou vers cette date, à Ottawa (Ontario) ou dans les environs, l’accusé a ordonné à un subordonné d’acheter un appareil de chauffage au propane et deux réservoirs à propane avec les deniers publics et de les lui livrer à sa résidence. »
[53] La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à cette infraction :
a) l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;
b) le fait que l’accusé a frustré quelqu’un d’un bien de valeur;
c) le recours, par l’accusé, à une supercherie, un mensonge ou un autre moyen dolosif qui a causé la privation;
d) l’intention de l’accusé de commettre la fraude.
Pour ce qui est de l’accusation no 3, l’identité de l’accusé n’est pas contestée. Par ailleurs, l’accusé a admis la date et le lieu de l’infraction.
Quant à l’accusation no 5, l’identité de l’accusé n’est pas contestée. Les détails de l’accusation indiquent que l’infraction a été commise le 16 février 2007 ou vers cette date, mais il ressort des éléments de preuve contenus dans les pièces 3 et 4 que l’appareil de chauffage au propane et les deux réservoirs à propane ont été achetés le 23 février 2007.
[54] Je traiterai maintenant du deuxième élément de cette infraction, à savoir que l’accusé a frustré quelqu’un d’un bien de valeur.
En ce qui concerne l’accusation no 3, l’accusé était responsable de la section des services alimentaires et il a ordonné aux membres de cette section de se rendre à sa résidence le vendredi 23 mars 2007 pour couper du bois de chauffage. Il a fait couper son bois de chauffage par du personnel des FC pendant les heures de travail. Même si l’on acceptait que l’accusé n’a pas vendu le bois qui a été coupé ce jour-là, il n’en demeure pas moins que dans la situation, l’accusé a profité personnellement du travail de membres des FC. Le vendredi 23 mars 2007 était une journée de travail normale pour le Maître de 1re classe Bradt, le Sergent Pernitsky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton. Ils ont été payés par la Couronne pour l’après‑midi en cause. Or, la Couronne n’a pas profité du travail effectué par le Sergent Pernitsky, le Sergent Sawyer et le Caporal Newton au cours de cet après-midi; c’est le Maître de 1re classe Bradt qui en a profité. La Couronne a été privée de la valeur d’un après‑midi de travail de chacune de ces personnes. La valeur financière exacte de cette privation équivaudrait au montant cumulatif de leurs salaires respectifs pour la période qu’ils ont dû consacrer à l’activité de coupe de bois.
En ce qui concerne l’accusation no 5, même si les témoignages du Maître de 1re classe Bradt et du Sergent Pernitsky sont diamétralement opposés quant à la séquence des événements relatifs à l’achat de l’appareil de chauffage au propane et des deux réservoirs à propane et quant au mode et à la raison de la livraison de ces articles à la résidence du Maître de 1re classe Bradt, tous deux s’entendent pour dire que l’achat de cet équipement était nécessaire et qu’il a été fait à l’avantage de la section. Au cours de son contre‑interrogatoire, le Sergent Pernitsky a déclaré qu’il ne voyait aucun problème à laisser l’appareil de chauffage à la résidence du Maître de 1re classe Bradt pour que celui‑ci puisse en vérifier le fonctionnement et apprendre comment l’utiliser. Il semble, d’après ces témoignages, que l’appareil de chauffage au propane et les réservoirs à propane soient restés à la résidence du Maître de 1re classe Bradt du 23 février à la mi‑mai 2007. Cet équipement a été apporté à la section par la police militaire. La section a été affectée à un exercice durant le mois d’avril. Le Maître de 1re classe Bradt a bien rempli et signé une carte de prêt temporaire dans laquelle il était précisé que cet équipement se trouvait en sa possession.
[55] La preuve montre clairement que l’appareil de chauffage au propane et les réservoirs à propane ont été achetés pour l’usage de la section. Il appert clairement par ailleurs que cet équipement ne se trouvait pas à la section avant qu’il ne soit rapporté par la police militaire. Ce qui n’est pas clair en l’occurrence est la privation résultant de ces faits. La cour se demande certes pourquoi la vérification de l’appareil de chauffage devait se faire à la résidence du Maître de 1re classe Bradt plutôt qu’au CEDH, mais il semble, d’après la preuve, que le Sergent Pernitsky n’ait pas jugé cette situation anormale. La poursuite n’a présenté aucun élément de preuve précis sur ce point. Il appert que la section a été affectée à un exercice en avril sans cet équipement et il semble que cette situation n’ait eu aucune répercussion négative sur la section. Le Maître de 1re classe Bradt n’était pas en mesure de rapporter l’appareil de chauffage au propane et les réservoirs à propane pendant son affectation à cet exercice. La cour conclut que la poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que les FC ont été privées de l’appareil de chauffage au propane et des deux réservoirs.
[56] Je traiterai maintenant du troisième élément de cette infraction, à savoir que l’accusé a eu recours à une supercherie, un mensonge ou un autre moyen dolosif qui a causé la privation.
L’avocat de la défense affirme que le Maître de 1re classe Bradt n’a forcé personne à venir couper du bois et qu’il n’y a, quant à l’accusation no 3, aucun geste malhonnête. Comme l’a exposé la Cour dans l’arrêt R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, soumis par l’avocat de la défense :
[...] En d’autres termes, suivant le principe traditionnel de droit criminel qui veut que l’état d’esprit nécessaire à l’infraction soit déterminé en fonction des actes externes qui constituent l’actus de l’infraction [...] il convient de se demander, lorsqu’on détermine la mens rea de la fraude, si l’accusé a intentionnellement accompli les actes prohibés (supercherie, mensonge ou autre acte malhonnête) tout en connaissant ou en souhaitant les conséquences visées par l’infraction (soit la privation, y compris le risque de privation). Le sentiment personnel de l’accusé à l’égard du caractère moral ou honnête de l’acte ou de ses conséquences n’est pas plus pertinent quant à l’analyse que ne l’est la conscience de l’accusé que les actes commis constituent une infraction criminelle.
Cela s’applique autant à la troisième catégorie de fraude, soit un « autre moyen dolosif », qu’aux mensonges et à la supercherie. Bien que l’expression « autre moyen dolosif » ait été généralement définie comme un moyen « malhonnête », il n’est pas nécessaire qu’un accusé considère personnellement que ce moyen est malhonnête pour être déclaré coupable de fraude pour y avoir eu recours. Le caractère « malhonnête » du moyen est pertinent pour déterminer si la conduite est du genre de celle visée par l’infraction de fraude; ce qu’une personne raisonnable considère malhonnête aide à déterminer si l’actus reus de l’infraction peut être établi en fonction de certains faits. Une fois cela établi, il suffit de déterminer qu’un accusé a sciemment commis les actes en question et qu’il était conscient que la privation ou le risque de privation représentait une conséquence probable.
Selon le témoignage du Sergent Pernitsky, l’accusé lui avait dit que l’après‑midi de sport avait été approuvé par sa chaîne de commandement. Le Maître de 1re classe Bradt a affirmé avoir envoyé un courriel à l’Adjudant-maître Hanna pour l’informer de l’après‑midi de sport projeté. L’Adjudant‑maître Hanna a déclaré qu’on ne s’est jamais adressé à lui pour obtenir son autorisation et qu’il n’a été informé de la tenue de cet après‑midi de sport qu’après l’exercice en Colombie‑Britannique. La cour n’ajoute pas foi à l’explication fournie par le Maître de 1re classe Bradt. La cour estime que le Maître de 1re classe Bradt a été malhonnête et a tenté de camoufler l’activité de coupe de bois en la présentant comme un après‑midi de sport pour la section en sachant pertinemment qu’il ne l’organisait que pour favoriser ses fins personnelles.
[57] Quant à l’accusation no 5, le Maître de 1re classe Bradt a rempli une carte de prêt temporaire qu’il a signée et conservée dans la roulotte de la section des services alimentaires. Le Sergent Pernitsky connaissait l’existence de cette carte de prêt. Le Sergent Pernitsky et le Maître de 1re classe Bradt ont indiqué qu’il était de pratique courante de signer pour le prêt d’équipement de classe C ou D. Le Maître de 1re classe Bradt n’a pas tenté de dissimuler le fait qu’il avait cet équipement en sa possession. La poursuite n’a pas établi l’existence d’une supercherie.
[58] Enfin, je traiterai de l’intention de frauder.
En ce qui concerne l’accusation no 3, la preuve acceptée par la cour démontre clairement que le Maître de 1re classe Bradt avait en tête un objectif évident : faire venir les membres de sa section pour l’aider à couper du bois de chauffage le vendredi 23 mars 2007 pendant les heures de travail. Il n’a pas informé ses supérieurs de son projet. Son but évident était d’utiliser le personnel des FC pendant les heures de travail pour son avantage personnel sous le couvert d’un après‑midi de sport.
Quant à l’accusation no 5, la poursuite n’a présenté à la cour aucune preuve établissant hors de tout doute raisonnable que le Maître de 1re classe Bradt voulait frauder les FC en gardant l’appareil de chauffage au propane et les réservoirs à sa résidence.
[59] Je me tourne maintenant vers la dernière accusation, l’accusation no 7, soit d’avoir eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Les détails de cette accusation sont libellés comme suit :
[traduction] « Entre septembre 2006 et mai 2007, à Ottawa ou dans les environs, alors qu’il travaillait à titre d’officier de cuisine de son unité, l’accusé a eu recours à des subordonnés pour effectuer des tâches à son avantage personnel. »
[60] La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à cette infraction :
a) l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;
b) le fait que l’accusé travaillait à titre d’officier de cuisine de son unité;
c) le fait que l’accusé a intentionnellement eu recours à ses subordonnés pour effectuer des tâches à son avantage personnel;
d) le préjudice causé au bon ordre et à la discipline du fait de cette conduite.
[61] Pour les motifs exposés au regard des accusations nos 2 et 4, je conclus que l’identité et les date et lieu de l’infraction, de même que le poste d’officier de cuisine de l’accusé et le recours à des subordonnés pour effectuer des tâches à son avantage personnel ont été établis hors de tout doute raisonnable.
[62] Le juge Ewaschuk, dans l’arrêt R. c. Latouche (2000), 147 C.C.C. (3d) 420 (CACM), a qualifié comme suit l’infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline :
[...] « crime lié au résultat », dans la mesure où la conduite en cause de l’accusé doit être préjudiciable au bon ordre et à la discipline [...]
[63] Dans l’arrêt R. c. Jones, [2002] A.C.A.C. no 11, la Cour déclare que si elle comprend bien, le juge Ewaschuk affirme que :
[...] pour que soit établie une infraction au paragraphe 129(1), la preuve doit être établie qu’il y a eu préjudice au bon ordre et à la discipline puisque le paragraphe interdit tout « comportement » préjudiciable.
La preuve du préjudice peut être déduite des circonstances si la preuve révèle clairement un préjudice qui est une conséquence naturelle de l’acte établi. La norme de preuve applicable est la preuve hors de tout doute raisonnable.
[64] Le préjudice n’est défini ni dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes ni dans la Loi sur la défense nationale. Dans un tel cas, les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prescrivent l’emploi du Concise Oxford Dictionary. Le préjudice y est défini comme suit : [traduction] « tort ou dommage qui résulte ou qui peut résulter d’un acte ou d’un jugement ».
[65] La poursuite n’a pas soumis à la cour des éléments de preuve établissant quel préjudice ont causé les actes du Maître de 1re classe Bradt. On a mentionné à la cour que la section était très occupée et que les membres de la section n’ont pas apprécié l’après‑midi consacré à la coupe de bois ni n’en ont tiré avantage. Aucune preuve de quelque préjudice que ce soit causé à la section ou à l’unité par le comportement de l’accusé n’a été présentée à la cour.
[66] Le poursuivant ne peut se contenter de présenter une décision sur sentence consécutive à un plaidoyer de culpabilité inscrit devant une cour martiale permanente et présumer qu’une autre cour martiale peut accepter cette décision comme une preuve de l’existence d’un préjudice ou comme un précédent sur la question du préjudice. La sentence rendue dans une affaire par une cour martiale n’a pas caractère de précédent obligatoire pour une autre cour martiale. La déclaration portant que cette accusation est une [traduction] « accusation fourre-tout » n’aide nullement la présente cour. Une preuve doit être présentée pour établir un élément essentiel d’une infraction.
[67] J’estime que le poursuivant n’a pas fourni à la cour la preuve nécessaire pour conduire la cour à conclure à l’existence d’un préjudice comme conséquence naturelle du comportement établi. Je conclus que le poursuivant n’a pas établi hors de tout doute raisonnable ce dernier élément de l’infraction en cause.
VERDICT
[68] Maître de 1re classe Bradt, veuillez vous lever. Maître de 1re classe Bradt, la cour vous déclare coupable des accusations numéro 2 et numéro 4 et ordonne un sursis de l’instance à l’égard des accusations numéro 1 et numéro 3. La cour vous déclare non coupable des accusations numéros 5, 6 et 7. Vous pouvez vous asseoir.
LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
Avocats :
Major B. McMahon, Poursuites militaires régionales, Région de l’Ouest
Capitaine Drebot, stagiaire, Direction des poursuites militaires
Procureurs de Sa Majesté la Reine
Major A. Litowsky, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Maître de 1re classe Bradt