Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 12 janvier 2007.
Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait graves (art. 268 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, lésions corporelles (art. 269 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 86 LDN, s’est battu avec une personne justiciable du code de discipline militaire.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait. Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance. Chef d’accusation 3 : Coupable.
• SENTENCE : Détention pour une période de 14 jours. L’exécution de la peine de détention a été suspendue.
Contenu de la décision
Référence : R.c. Matelot-chef R.E. Leblanc, 2007 CM 2001
Dossier : 200657
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
NOUVELLE-ÉCOSSE
HALIFAX
Date : le 12 janvier 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
v.
MATELOT-CHEF R.E. LEBLANC
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Matelot-chef Leblanc, la cour ayant accepté et enregistré vos plaidoyers de culpabilité à une accusation connexe et moindre de voies de fait simples relativement au premier chef d’accusation et à une accusation de s’être bagarré avec une personne assujettie au Code de discipline militaire relativement au troisième chef d’accusation, vous déclare maintenant coupable de ces infractions et ordonne la suspension de l’instance relativement au deuxième chef d’accusation.
[2] Il m’incombe maintenant de déterminer et de prononcer votre peine. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la peine qu’appliquent les cours ordinaires de juridiction criminelle du Canada ainsi que les cours martiales. J’ai également pris en compte les faits de l’espèce, qui sont indiqués dans le sommaire des circonstances (pièce 6), les témoignages que j’ai entendus et les éléments de preuve que j’ai reçus au cours de la présente procédure, ainsi que les plaidoiries du poursuivant et de l’avocat de la défense.
[3] Les principes de la détermination de la peine guident la cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue de décider d’une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l’infraction, au degré de responsabilité de son auteur et à son caractère. Dans cet exercice, la cour se fonde également sur les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu’elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que son sens commun de la justice veut qu’elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu’elle détermine la peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, aussi bien des circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus lourde que des circonstances atténuantes susceptibles d’en diminuer la sévérité.
[4] Les buts et les objectifs recherchés lorsque l’on détermine la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En général, ils visent à protéger la société, y compris bien entendu les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien, au sein de cette société, d’un climat de justice, de paix, de sécurité et de respect des lois. Fait important dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, cette habitude d’obéir si nécessaire à l’efficacité d’une force armée. Ces buts et objectifs comprennent aussi un volet dissuasion individuelle, pour éviter toute récidive du contrevenant, et un volet dissuasion générale, pour éviter que d’autres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine a aussi pour objet d’assurer la réinsertion du contrevenant, de promouvoir son sens des responsabilités et de dénoncer les comportements illégaux.
[5] Il est normal qu’au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs l’emportent sur d’autres. Toutefois, il incombe à la cour chargée de déterminer la peine de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une sage combinaison de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.
[6] Comme je vous l’ai expliqué lorsque vous avez plaidé coupable, l’article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines qu’une cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la Loi qui crée l’infraction et qui prévoit une peine maximale et aussi par la compétence que peut exercer la présente cour. Un contrevenant reçoit une seule sentence, qu’il ait été déclaré coupable d’une ou de plusieurs infractions, mais cette sentence peut prévoir plusieurs peines. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline. Pour déterminer la peine, dans la présente affaire, la cour a tenu compte des conséquences directes et indirectes qu’auront la déclaration de culpabilité et la peine qu’elle s’apprête à infliger.
[7] Les faits de l’espèce se trouvent exposés à la pièce 6. Pour résumer, très tôt le matin du 20 novembre 2004, le contrevenant a eu une altercation avec un cuisinier, le matelot-chef Martin, dans le mess des caporaux et des soldats à bord du NCSM HALIFAX, près de Norfolk, dans le Virginia, aux É.-U. L’altercation a débuté par une dispute verbale, mais semble avoir dégénéré jusqu’au point où le contrevenant a saisi une canette de bière pleine et l’a lancée en direction du matelot-chef Martin. La canette a atteint une autre personne se trouvant dans le mess, le matelot de 1re classe Lindhorst, au visage, lui causant une blessure grave à l’œil. Le contrevenant et le matelot-chef Martin ont ensuite commencé à se bagarrer jusqu’à ce qu’interviennent d’autres personnes présentes dans le mess.
[8] La cour accepte le témoignage du contrevenant selon lequel il n’a pas cherché à blesser le matelot de 1re classe Lindhorst et accepte également l’argument de l’avocat du contrevenant selon lequel le contrevenant ne voulait atteindre, ni le matelot-chef Martin, ni le matelot de 1re classe Lindhorst, lorsqu’il a lancé la canette de bière. Aucune preuve n’indique que la bagarre a causé un préjudice quelconque au Matelot-chef Martin. Les deux avocats estiment que, dans les circonstances, une période de détention de 14 jours avec sursis constituerait une peine appropriée. De plus, le poursuivant demande l’imposition d’une amende de 2 000 $.
[9] Il appartient évidemment à la cour de décider de la peine à prononcer, mais lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les deux avocats se mettent d’accord pour recommander une peine, la cour attache beaucoup d’importance à cette recommandation conjointe. Les cours d’appel du Canada, y compris la Cour d’appel de la cour martiale, ont statué qu’à moins que la recommandation conjointe des avocats soit manifestement inadéquate ou contraire à l’intérêt public, celle-ci devrait être acceptée par la cour.
[10] L’affaire instruite par la cour est une de celles où les conséquences d’un crime ne sont aucunement proportionnelles au caractère moralement reprochable de l’acte. La cour accepte, sur la base de la preuve qui lui a été soumise, que le comportement violent du contrevenant était complètement inusité. Il s’agit d’un manque momentané d’autodiscipline et de jugement qui a eu de très graves conséquences pour la santé du Matelot de 1re classe Lindhorst et qui risque de nuire grandement à ses perspectives de carrière dans la marine.
[11] La poursuite met l’accent sur ces conséquences à l’appui de sa position relativement à la sentence et se fonde sur plusieurs décisions antérieures rendues par des cours martiales dans des affaires concernant différents types de préjudices découlant d’un comportement violent. La cour avoue qu’il lui est un peu difficile d’accepter cette approche. Selon elle, il est incohérent d’accepter un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre de voies de fait simple et de se fonder sur la gravité du préjudice corporel causé par les voies de fait à titre de facteur qui aggrave la peine à infliger. La cour demeure consciente du fait que ce contrevenant n’a plaidé coupable qu’à des accusations de voies de faits simples contre le matelot de 1re classe Lindhorst et de bagarre avec le matelot-chef Martin.
[12] La cour accepte l’argument conjoint des avocats selon lequel il faut infliger une peine de détention. L’autodiscipline des membres de l’équipage d’un navire de guerre est essentielle à la sécurité de tous et à la réussite de leurs missions. Comme le montrent les faits présentés dans cette affaire, le manque de discipline de la part d’une personne peut entraîner pour les autres des conséquences qui dépassent largement ses intentions. La cour a également tenu compte de la situation personnelle du contrevenant. Il est un homme mature très estimé par ses supérieurs et dont les états de service étaient sans tache jusqu’à cet incident. Il a effectué ses tâches de façon exemplaire et connaîtra sans doute une belle carrière dans la marine. Ces circonstances ont convaincu la cour que la demande conjointe des avocats de suspendre la peine de détention n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public. Ainsi, la recommandation conjointe des avocats est acceptée.
[13] Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, tant celles relatives à l’infraction que celles relatives à l’accusé, la cour n’est pas convaincue que la peine devrait comprendre une sanction pécuniaire en plus d’une période de détention.
[14] La poursuite n’a pas cherché à obtenir une ordonnance d’interdiction d’armes conformément à l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. La cour a envisagé la possibilité de rendre une telle ordonnance et, en l’absence d’une demande de la poursuite, refuse de le faire. De même, la cour a envisagé la possibilité de rendre une ordonnance de prélèvement des empreintes génétiques prévue par l’alinéa 196.14(1)b) de la Loi sur la défense nationale. Encore une fois, en l’absence d’une demande de la poursuite, la cour n’est pas convaincue qu’une telle ordonnance est dans le meilleur intérêt de l’administration de la justice.
[15] Levez-vous Matelot-chef Leblanc! Vous êtes condamné à 14 jours de détention. Conformément à l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, l’exécution de votre peine de détention est suspendue.
[16] L’instance de la présente cour martiale relative au matelot-chef Leblanc est maintenant terminée.
LE CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
Avocats:
Le Major S.D. Richards, procureur militaire régional, région Atlantique
Procureur de Sa Majesté la Reine
Me David Bright, Avocat, Me Boyne et Clarke, Avocats, 33, promenade Alderney, pièce 700, Dartmouth, Nouvelle-Écosse
Avocat du matelot-chef R.E. Leblanc