Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 18 septembre 2007.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 : Art. 118(2)e) LDN, a perturbé le déroulement des audiences d’une personne présidant un procès sommaire.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Non coupable.
•SENTENCE : Une réprimande, une amende au montant de 500$ et consigné aux quartiers pour une période de 14 jours.

Contenu de la décision

Référence : R.  c. Caporal T.M. Khadr, 2007 CM 2026

 

Dossier : 200707

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

BASE DES FORCES CANADIENNES PETAWAWA

 

 

Date : le 21 septembre 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL T.M. KHADR

(Accusé)

 

Décision relative à une demande présentée au titre de larticle 7 et de lalinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés -

(Crainte raisonnable de partialité)

(Prononcée de vive voix)

 

 

                               TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    À son procès devant la cour martiale permanente pour deux accusations déposées en vertu de la Loi sur la défense nationale, le caporal Khadr a déposé, par l’entremise de son avocat à l’ouverture du procès et avant d’inscrire son plaidoyer, au moyen d’une fin de non-recevoir, un avis demandant larrêt des procédures au motif que les droits qui lui sont garantis à larticle 7 et à lalinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés.

 

[2]                    À la fin des arguments des deux avocats, la cour a décidé de rejeter la fin de non-recevoir pour les motifs que la cour donnera plus loin. Voici donc ces motifs. 

 


[3]                    Les chefs d’accusation découlent de la conduite présumée du demandeur lors de la tenue de son procès sommaire devant le commandant de sa compagnie, le major Scott, pour des infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qu’il ne m’appartient pas de trancher, ou vers cette date. Le sergent-major de compagnie, l’adjudant-maître Brander, a assisté au procès sommaire devant le major Scott. Dans le premier chef d’accusation présenté devant la cour, le caporal Khadr est accusé d’avoir eu une conduite méprisante envers un supérieur; en ce que, le 1er août 2006, à la Base des Forces canadiennes Petawawa, il a pointé du doigt l’adjudant-maître Brander et lui a dit, « Ne me cherchez pas », ou quelque chose du genre. Dans le deuxième chef d’accusation, le caporal Khadr a été accusé d’une infraction d’avoir perturbé le déroulement d’une audience d’une personne présidant un procès sommaire, parce que, à la même date et dans le même lieu, au cours d’un procès sommaire présidé par le major Scott, il a continué de parler après que le major Scott lui eut dit de se taire.

 

[4]                    Le demandeur attire l’attention sur les rôles et les actes de l’adjudant-maître Brander et du major Scott en ce qui concerne le traitement des chefs d’accusation au niveau de l’unité avant qu’ils me soient présentés à la cour martiale, et il fait valoir qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l’adjudant-maître Brander ou du major Scott, ou des deux, à son endroit, du fait qu’ils ont décidé d’aller de l’avant avec les accusations et n’ont pas traité les chefs d’accusation de façon indépendante et impartiale comme l’exigent les principes de justice fondamentale.

 

[5]                    Il est fait valoir que ces lacunes équivalent à des violations des droits garantis à l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La preuve déposée relativement à cette demande et qui m’a été présentée a consisté en un certain nombre d’admissions de faits dont l’avocat a convenu. La plupart des admissions ont été faites par écrit et présentées devant la cour. Le reste de la preuve était également sous forme documentaire. Selon la preuve, l’adjudant-maître Brander participait à l’enquête sur les infractions qui sont maintenant devant la cour en prenant des déclarations auprès des témoins. Il a ensuite envoyé les déclarations  au juge-avocat adjoint afin d’obtenir l’avis d’un avocat militaire, conformément à l’article 107.03 des ORFC.

 

[6]                    L’adjudant-maître Brander a également signé le procès-verbal de procédure disciplinaire qui a introduit ces chefs d’accusation le 15 août 2006, et en le faisant, il a suivi l’avis d’un avocat militaire du juge-avocat adjoint.  L’adjudant-maître Brander a également été témoin des événements énoncés au deuxième chef d’accusation devant la cour et, en plus, il était le plaignant nommé dans le premier chef d’accusation  devant la cour. À un moment donné, en ce qui concerne les allégations du 1er août 2006, il a souhaité faire arrêter le demandeur par la police militaire afin de s’assurer que le demandeur soit en sécurité.

 


[7]                    Le major Scott était le commandant de la compagnie du demandeur et l’officier délégué présidant au procès sommaire tenu le 1er août 2006. À ce titre, il est devenu un témoin des événements dont est accusé le demandeur dans le deuxième chef d’accusation. Au moment où les chefs d’accusation ont été présentés, le 15 août 2006, le major Scott était devenu le commandant par intérim de l’unité du demandeur. À ce titre, il a examiné les chefs d’accusation qui ont été présentés par l’adjudant-maître Brander et a renvoyé les chefs d’accusation à l’extérieur de l’unité pour qu’ils soient traités par un autre commandant. Après que le demandeur a choisi d’être jugé par une cour martiale, les chefs d’accusation ont été renvoyés de nouveau au major Scott qui a   demandé à l’autorité de renvoi de connaître des accusations, recommandant que l’accusé soit jugé par une cour martiale.

 

[8]                    En tant que commandant de l’unité, le major Scott a également eu affaire au demandeur sur le plan administratif en le mettant en garde et surveillance pendant six mois à compter du 9 août 2006. Il est important de noter, de l’avis de la cour, que le demandeur ne prétend pas qu’il existe une crainte raisonnable de partialité réelle de la part de l’adjudant-maître Brander ou du major Scott, ou des deux, envers le demandeur.  Plutôt, il est prétendu que soit l’un ou l’autre, soit les deux, peuvent être raisonnablement perçus par un observateur objectif comme ayant un parti pris contre le demandeur .

 

[9]                    Le critère permettant de conclure à une crainte raisonnable de partialité est bien établi dans notre droit et il a été réitéré par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. S.(R.D.)  118 C.C.C. (3d) 353, au paragraphe 111, et je cite :

 

Dans ses motifs de dissidence dans larrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de lénergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, le juge de Grandpré a exposé avec beaucoup de clarté la façon dont il convient dappliquer le critère de la partialité [...]

 

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait dune personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [. . .] [C]e critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. . .»

 

Je poursuis avec la citation du juge Cory :

 

Cest ce critère qui a été adopté et appliqué au cours des deux dernières décennies. Il comporte un double élément objectif: la personne examinant lallégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de laffaire [jurisprudence citée].  La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de lensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] «des traditions historiques dintégrité et dimpartialité, et consciente aussi du fait que limpartialité est lune des obligations que les juges ont fait le serment de respecter» [jurisprudence citée]. À ceci jajouterais que la personne raisonnable est également censée connaître la réalité sociale sous-jacente à une affaire donnée, et être sensible par exemple à lampleur du racisme ou des préjugés fondés sur le sexe dans une collectivité donnée.

 


[10]                  Le demandeur prétend que le major Scott et l’adjudant-maître Brander ne devraient pas participer à la présentation ou au traitement de ces accusations du fait d’une crainte raisonnable de partialité de leur part envers le demandeur. La cour comprend la proposition du demandeur comme signifiant que cette crainte raisonnable de partialité découle, dans le cas de l’adjudant-maître Brander, du fait qu’il est un témoin eu égard aux deux chefs d’accusation, ainsi que le plaignant eu égard au premier chef d’accusation lorsqu’il a présenté les chefs d’accusation dont la cour est saisie.

 

[11]                  En appliquant le critère de la façon établie par le juge Cory, la cour ne  peut conclure qu’un observateur raisonnable estimerait que l’adjudant-maître Brander ait un parti pris contre le demandeur. Un observateur informé saurait qu’en tant que sergent-major de compagnie,  l’adjudant-maître Brander avait des responsabilités disciplinaires très strictes envers tous les militaires du rang de la  compagnie. Rien ne porte à croire que l’adjudant-maître Brander avait intérêt à déposer des accusations contre le demandeur, si ce n’est de traiter de façon appropriée un incident d’insubordination présumée d’un membre moins « gradé ». 

 

[12]                  La preuve ne permet pas de conclure que l’adjudant-maître Brander ait eu d’autres motifs pour déposer des accusations que le meilleur intérêt de la discipline de l’unité, pour laquelle il assumait une grande responsabilité. La cour rejette la proposition selon laquelle l’adjudant-maître Brander pourrait raisonnablement être perçu comme ayant un parti pris dans toute mesure qu’il ait prise dans cette affaire. Il n’existe tout simplement aucune preuve pour appuyer la proposition de l’avocat selon laquelle l’adjudant-maître Brander a présenté les chefs d’accusation en guise de représailles ou pour régler des comptes avec le demandeur. Il ne serait pas raisonnable pour une personne de tirer une telle conclusion des témoignages que la cour a entendus au cours de la demande.

 

[13]                  De la même manière, la cour rejette la proposition selon laquelle le major Scott pourrait être perçu comme ayant un parti pris raisonnable contre le demandeur. Il est vrai que les observations qu’il a faites à propos de la conduite et du comportement du demandeur, tant dans le document par lequel il a mis le demandeur en garde et surveillance que dans la lettre qu’il a signée et qui renvoyait les chefs d’accusation à la cour martiale, n’étaient pas élogieuses à l’endroit du demandeur.  En effet, ces documents décrivaient en détail les gestes d’inconduite du demandeur qui, de l’avis de la cour, justifiaient pleinement les deux mesures prises par le major Scott. Rien dans la preuve ou les arguments n’indique que ces observations aient été incorrectes sur un point important, voire même exagérées au détriment du demandeur. 

 

[14]                  Les documents que le major Scott a produits et signés devaient être signés par une personne de son grade si les accusations devaient être traitées par cour martiale ou si le membre devait être mis en garde et surveillance. Le contenu de ces documents a été imposé par les conditions des Ordres et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes que suivait le major Scott. La cour ne trouve aucun fondement dans la preuve qui permette de conclure que le major Scott ait eu un parti pris contre le demandeur.


[15]                  Ces conclusions de fait suffisent pour traiter la demande et exiger qu’elle soit rejetée. Il n’est, par conséquent, pas nécessaire de trancher si, conformément au droit, une autorité pouvant porter des accusations doit agir de façon impartiale lorsqu’elle dépose des accusations qui seront par la suite entendues par une cour. Au vu de l’extrait du jugement rendu par le juge en chef Mahoney de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R. c. Lunn (1993), 5 C.M.A.R. 157, au paragraphe 12, auquel j’ai été renvoyé par l’avocat dans son argumentation, la cour doute que cette proposition soit correcte en droit. Mais, ayant décidé qu’il n’existe pas de crainte raisonnable de partialité, la cour conclut qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question.

 

[16]                  La cour n’a également pas examiné la question de savoir si, à supposer qu’une crainte raisonnable de partialité soit établie, alors une violation de l’article 7 ou de l’alinéa 11d) de la Charte a été établie. Cette question devra attendre une affaire dans laquelle l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est établie. La demande qui est présentée en tant que fin de non-recevoir a, par conséquent été rejetée. 

 

 

 

                                                            CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

AVOCATS

 

Major A.M. Tamburro, Direction des poursuites militaires, Région du Centre

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major G.K. Duncan, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal T.M. Khadr

 

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