Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 507 - Appel rejeté
Date de l’ouverture du procès : 26 juin 2007.
Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d’accusation 2 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement ou avec négligence une fausse inscription dans un document officiel établi par lui.
•Chefs d’accusation 3, 4, 5, 6, 8, 10, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établi par lui.
•Chefs d’accusation 7, 9, 11, 12 : Art. 130 LDN, un faux (art. 367 C. cr.).
•Chefs d’accusation 13, 14 : Art. 130 LDN, obtient une chose par faux semblant (art. 362(1)a) C. cr.).
•Chefs d’accusation 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d’accusation 20 (subsidiaire au chef d’accusation 21) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d’accusation 21 (subsidiaire au chef d’accusation 20) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établi par lui.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 21, 23, 25, 27, 28, 30, 31, 32 : Retirés. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5, 6, 10, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 24, 26, 29, 33 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal J.L. Hentges, 2007CM2019
Dossier : 2006103
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
QUÉBEC
CENTRE ASTICOU, GATINEAU
Date : Le 2 novembre 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL J.L. HENTGES
(Accusé)
DÉCISION À L’ÉGARD D’UNE DEMANDE FONDÉE SUR
L’ALINÉA 112.05(5)e) DES ORDONNANCES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES ARMÉES CONCERNANT UNE VIOLATION DE L’ARTICLE 7 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS - ATTEINTE AUX DROITS DE L’ACCUSÉ - PERTE POUR L’ACCUSÉ DE LA POSSIBILITÉ DE CHOISIR D’ÊTRE JUGÉ PAR SON COMMANDANT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 69 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE (LE « CHOIX »).
(Prononcée oralement)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] À son procès devant la cour martiale permanente sur 33 accusations portées en vertu de la Loi sur la défense nationale, l’accusé, le caporal Hentges, avant d’inscrire son plaidoyer, a présenté une demande de suspension des procédures fondée sur l’atteinte à ses droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 27 juin 2007, j’ai rendu une décision rejetant la demande et précisé que les motifs seraient formulés en temps utiles. Les voici maintenant.
[2] Les moyens sur lesquels se fondait la demande sont exposés sous forme de résumé dans l’avis de présentation produit sous la cote M1-1 et l’avocat du demandeur les a fait valoir de façon plus exhaustive pour le compte de son client. Pour l’essentiel, le demandeur soutient qu’en raison du retard dans la conduite de l’enquête policière concernant les infractions dont la cour est saisie, il a perdu l’occasion d’opter pour un procès sommaire devant son commandant plutôt que pour un procès devant la cour martiale. Le demandeur soutient qu’il a été victime d’une injustice et qu’il y aurait lieu d’y remédier par un arrêt des procédures. Il s’appuie sur la décision de la Cour d’appel de la cour martiale rendue dans l’affaire R. c. Grant, à laquelle je me référerai plus loin.
[3] Dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a modifié sa position sur deux points importants. En premier lieu, il est maintenant admis que la majorité des chefs d’accusation dont la cour est saisie ne peuvent faire l’objet d’un procès suivant une procédure sommaire en vertu de l’article 108.07 des ordonnances et règlements royaux. Ils ne peuvent donc pas être visés par le choix prévu à l’article 108.17 des ordonnances et règlements royaux, et en conséquence, la cour martiale doit en être saisie, le cas échéant. Il s’agit de 19 accusations de fausse inscription dans un document officiel en contravention de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale, les chefs 2, 3, 4, 5, 6, 8, 10, 21, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 et 33, de quatre accusations de faux en contravention de l’article 367 du Code criminel, les chefs 7, 9, 11 et 12, et de deux accusations de faux semblant en contravention de l’alinéa 362(1)a) du Code criminel, les chefs 13 et 14.
[4] Ainsi, la demande de suspension des procédures ne vise plus maintenant que le chef d’accusation numéro 1, soit une accusation de vol en contravention de
l’article 114 de la Loi sur la défense nationale, et les chefs d’accusation 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 22, soit des accusations d’acte frauduleux en contravention de l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale.
[5] Deuxièmement, dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a refusé d’invoquer l’article 7 de la Charte mais il a soutenu que les autorités ont contrevenu à l’article 162 de la Loi sur la défense nationale et que pour cette raison la demande de suspension des procédures devrait être accueillie.
[6] Dans R. c. Grant, [2007] CACM 2, la Cour d’appel de la cour martiale a annulé le verdict de culpabilité prononcé au procès à l’égard d’une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. Dans cette affaire, l’accusation avait été portée par la signature d’un procès-verbal de procédure disciplinaire, un peu plus d’un an après la commission de l’infraction reprochée. Tel que prévu à l’alinéa 69b) de la Loi sur la défense nationale, la procédure de procès sommaire doit être instituée dans un délai imparti, soit dans l’année qui suit la perpétration de l’infraction. La Cour a conclu que Grant avait été privé de la possibilité de choisir d’être jugé sommairement par son commandant en raison du « retard excessif dans le traitement de l’accusation ». L’affaire a donc été instruite par la cour martiale malgré les efforts de l’unité pour qu’elle soit soumise à la procédure sommaire avant l’expiration du délai d’un an.
[7] En l’espèce, la première accusation, celle de vol commis le ou vers
le 13 avril 2005, a été portée à l’intérieur du délai d’un an de la date de perpétration de la prétendue infraction par la signature d’un procès-verbal de procédures disciplinaires en date du 28 mars 2006. Le procès-verbal en question m’a été présenté sous la cote M1-2. Il contient également une accusation d’avoir fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel. Rien ne démontre que l’unité souhaitait que l’accusation de vol fasse l’objet d’un procès sommaire. Le fait que le procès-verbal a été signé dans le délai prescrit par l’alinéa 69b) et le fait qu’une accusation (sans choix de type de procès) de faux document a été portée simultanément militent fortement contre une telle conclusion en l’espèce et distinguent la présente affaire de l’affaire Grant.
[8] J’ai également été saisi d’un procès-verbal daté du 11 septembre 2006 et produit sous la cote M1-2. Le premier chef d’accusation y figurant porte sur un acte frauduleux, soit l’utilisation d’une carte de crédit émise au nom du MDN à des fins personnelles entre le 11 mai et le 8 septembre 2004. Il semble que cet acte sous-tende les sept chefs d’accusation relatifs à un acte de nature frauduleuse figurant dans l’acte d’accusation dont je suis saisi. Je conclus donc qu’à l’origine ces chefs d’accusation n’ont été portés que quelque deux ans ou plus après la date des infractions reprochées. En conséquence, comme dans l’affaire Grant, le demandeur fait l’objet de sept chefs d’accusation qui n’ont pas été déposés avant l’expiration du délai prévu à l’alinéa 69b) de la Loi sur la défense nationale. Si ces accusations avaient été portées dans un délai d’un an, elles auraient pu être traitées par l’unité plutôt que par la cour martiale.
[9] Selon certains éléments de preuve qui m’ont été présentés sous forme d’une note de service signée par le Colonel J.C. Rochette renvoyant ces accusations devant la cour martiale, la pièce M1-3, l’unité estimait que le retard excessif inexpliqué dans l’enquête policière concernant les accusations de fraude compromettait [traduction] « toute chance de voir cette affaire tranchée par voie de procès sommaire ». Je signale toutefois que, dans le même document, le Colonel Rochette a déclaré : [traduction] « Compte tenu de la nature des accusations, l’affaire ne peut être instruite par voie de procès sommaire. » En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je suis incapable de conclure que l’unité aurait procédé par voie de procès sommaire en ce qui concerne ces accusations si cela avait été possible et que le demandeur avait choisi cette voie.
[10] En ce qui concerne la question de la réparation, voici ce que prévoit l’article 162 de la Loi sur la défense nationale, et je cite :
162. Une accusation aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances permettent.
Dans l’affaire R. c. Grant, la Cour d’appel de la cour martiale a conclu que cette disposition s’applique au stade de l’enquête avant qu’une accusation soit consignée par écrit au procès-verbal de procédure disciplinaire. La Cour a conclu que le demandeur avait une attente légitime que l’affaire serait tranchée par voie de procès sommaire. En raison d’une privation injustifiée de l’avantage d’un procès sommaire, il y a eu violation de l’article 162. La Cour a conclu que la suspension des procédures ne constituait pas une réparation appropriée au retard antérieur au dépôt de l’accusation dans les circonstances. La Cour a ensuite plutôt décidé de renvoyer l’affaire au commandant pour qu’elle soit instruite par voie de procès sommaire.
[11] Dans la présente affaire, le demandeur se fonde sur Grant pour conclure que le délai préalable au procès peut causer une violation de l’article 162 de la Loi sur la défense nationale, mais il ne demande que la suspension des procédures. Son avocat a déclaré qu’il ne recherchait pas la réparation ordonnée dans l’affaire Grant. En effet, l’avocat du demandeur laisse entendre que notre cour n’a pas compétence pour ordonner la réparation qui a été accordée dans l’affaire Grant. Je n’ai pas à déterminer si cet argument est fondé en droit, mais je dois déterminer s’il convient d’ordonner l’arrêt des procédures.
[12] Le critère d’octroi d’une suspension des procédures est bien établi en matière de violation ou de manquement aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Exception faite des cas de délai inconstitutionnel fondés sur l’alinéa 11b), ce remède ne doit être accordé que dans les situations les plus manifestes lorsqu’aucune autre réparation moindre ne convient pour remédier au préjudice.
[13] En l’espèce, le demandeur ne prétend pas qu’il y a eu violation d’un droit garanti par la Charte, mais le tribunal peut néanmoins ordonner la suspension des procédures lorsque la situation l’exige. C’est ce qu’on appelle les cas de la catégorie résiduelle d’abus de procédures. La nature des cas de la catégorie résiduelle et l’analyse qu’il convient d’effectuer dans le cadre d’une demande comme celle en l’espèce ont été examinées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 89 et suivants, que je cite :
89. Le plus souvent, on demande la suspension des procédures pour corriger l’injustice dont est victime un particulier en raison de la conduite répréhensible de l’État. Toutefois, il existe une « catégorie résiduelle » de cas où une telle suspension peut être justifiée. Le juge L’Heureux‑Dubé l’a décrite de cette façon dans l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, au par. 73 :
Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l’équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d’autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l’ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du processus judiciaire.
Je continue avec l’extrait suivant de l’arrêt Tobiass :
Cette catégorie résiduelle, il faut le noter, est une petite catégorie. Dans la grande majorité des cas, l’accent sera mis sur le caractère équitable du procès.
90. S’il appert que l’État a mené une poursuite de façon à rendre les procédures inéquitables ou qu’il a porté par ailleurs atteinte à l’intégrité du système judiciaire, il faut satisfaire à deux critères pour que la suspension constitue une réparation convenable. Les voici:
(1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;
(2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.
(O’Connor, précité, au par. 75.)
91. Le premier critère est d’une importance capitale. Il reflète le caractère prospectif de cette réparation. La suspension des procédures ne corrige pas le préjudice causé, elle vise à empêcher que ne se perpétue une atteinte qui, faute d’intervention, continuera à perturber les parties et la société dans son ensemble à l’avenir. Voir l’arrêt O’Connor, au par. 82. Pour cette raison, il faut satisfaire au premier critère même s’il s’agit d’un cas visé par la catégorie résiduelle. Voir l’arrêt O’Connor, au par. 75. Le simple fait que l’État se soit mal conduit à l’égard d’un individu par le passé ne suffit pas à justifier la suspension des procédures. Pour que la suspension des procédures soit appropriée dans un cas visé par la catégorie résiduelle, il doit ressortir que la conduite répréhensible de l’État risque de continuer à l’avenir ou que la poursuite des procédures choquera le sens de la justice de la société. Ordinairement, la dernière condition ne sera pas remplie à moins que la première ne le soit aussi ‑‑ la société ne s’offusquera pas de la poursuite des procédures à moins qu’une forme de conduite répréhensible soit susceptible de persister. Il peut y avoir des cas exceptionnels où la conduite reprochée est si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant. Mais de tels cas devraient être relativement très rares.
92. Après avoir exprimé ces deux exigences, la cour peut encore estimer nécessaire de tenir compte d’un troisième facteur. Comme l’a dit le juge L’Heureux‑Dubé, « lorsque l’atteinte au franc‑jeu et à la décence est disproportionnée à l’intérêt de la société d’assurer que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies, l’administration de la justice est mieux servie par l’arrêt des procédures »: R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, à la p. 1667. Selon nous, cela veut dire qu’il peut y avoir des cas où il sera approprié de mettre en balance les intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond. Naturellement, cela ne signifie pas qu’une préoccupation publique passagère puisse jamais l’emporter sur un acte apparenté à une conduite répréhensible grave. Au contraire, ce facteur ne fait que reconnaître que, dans certains cas, lorsqu’il n’est pas sûr que l’abus justifie la suspension des procédures, l’intérêt irrésistible de la société à ce qu’il y ait un débat sur le fond pourrait faire pencher la balance en faveur de la poursuite des procédures.
Voir également R. c. Reagan, [2002] 1 R.C.S.
[14] À mon avis, si le retard dans l’enquête sur les allégations d’actes frauduleux dont il est fait état dans les chefs d’accusations 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 22 a causé un quelconque préjudice au demandeur en le privant de la possibilité d’opter pour un procès sommaire, on ne saurait dire que ce préjudice serait révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du présent procès ou par son issue. Je ne crois pas non plus que la poursuite du procès relatif à ces accusations de vol et de fraude choquerait le sens de justice de la société ou serait incompatible avec la dignité humaine. La suspension des procédures est une réparation totalement disproportionnée par rapport au préjudice dont on se plaint en l’espèce. Pour ces motifs, la demande a été rejetée.
LE CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
Avocats :
Le Major S.A. MacLeod, procureur militaire régional, région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Major L. D'Urbano, Direction du service d'avocats de la défense
Le Lieutenant (N) P. Desbiens, Direction du service d'avocats de la défense
Avocats du Caporal J.L. Hentges