Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 avril 2007.

Endroit : 17e Escadre Winnipeg, édifice 66, Winnipeg (MB).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Capitaine M.D. Rafuse, 2007 CM 1008

 

Dossier : 200690

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

MANITOBA

17e ESCADRE WINNIPEG

 

Date : 3 avril 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, JMC

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPITAINE M.D. RAFUSE

(Accusé)

 

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

INTRODUCTION

 

[1]                    Le Capitaine Rafuse est accusé, aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Dans les détails de l’accusation, il est allégué que, le 14 mars 2006 ou vers cette date, au Rock Bottom Café, à Dubai, dans les Émirats arabes unis, le Capitaine Rafuse a consommé de l’alcool qui n’était ni du vin, ni de la bière, contrevenant ainsi à l'Ordre permanent 206.10 - Élément de soutien du théâtre.

 

LA PREUVE

 


[2]                   La preuve produite devant la présente cour se compose des témoignages du Capitaine Phillips, de l’Adjudant-maître Hicks, du Capitaine Dubé, du Caporal Clemens et du Sergent Neil. Elle comprend en outre la pièce 4, l'Ordre permanent 206.10 - Élément de soutien du théâtre et la pièce 3, un document intitulé Camp Mirage / Élément de soutien du théâtre / FOIASO - Conduite personnelle dans les pays hôtes et directive locale - 6 janvier 2006. Ce dernier document contient une déclaration d’adhésion à l’enrôlement qui mentionne le numéro matricule du Capitaine Rafuse ainsi que son unité, et qui comprend sa signature apposée le 17 janvier 2006, laquelle atteste que la personne qui signe a lu et a compris les ordres qui sont mentionnés dans le document et qu’elle sait qu’elle sera assujettie à ces directives pendant toute la durée de son séjour dans le pays hôte. La preuve est complétée par la prise de connaissance d’office par la cour des questions et faits prévus à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

[3]                   Les faits entourant la présente affaire se sont produits lorsque le Capitaine Rafuse a d’abord été vu par l’Adjudant-maître Hicks au Rock Bottom Café, qui se trouve à Dubai, dans les Émirats arabes unis, au cours de la soirée du 14 mars 2006. Deux femmes militaires, qui ont été identifiées par la suite comme étant le Caporal Clemens et le Sergent Neil, accompagnaient le Capitaine Rafuse. L’Adjudant-maître Hicks, qui était assis à environ dix pieds du Capitaine Rafuse, a remarqué que celui-ci l’avait regardé dans les yeux et avait fait un geste dans sa direction. Il ajoute avoir remarqué que, durant cette soirée, des verres à whisky et des verres à cocktail avaient été servis à la table du Capitaine Rafuse. L’Adjudant-maître Hicks a fait part de ses observations au Capitaine Phillips, qui se trouvait également au Rock Bottom Café avec leurs invités. À leur retour, ils se sont informés rapidement pour savoir si les actes du Capitaine Rafuse contrevenaient à la politique sur la consommation d’alcool applicable au personnel militaire du Camp Mirage.

 

[4]                    Il n’y a aucune preuve directe établissant que le contenu des verres était bien ce qui a été décrit comme du martini. La preuve circonstancielle vient des témoignages du Caporal Clemens et du Sergent Neil. Pour résumer brièvement, mentionnons que ces personnes avaient passé toute la journée à Dubai, à un spa. Elles ont décidé plus tard d’aller souper au Rock Bottom Café. Elles sont arrivées avant 19 h 30. Elles ont demandé la table d’hôte qui incluait un pichet de vin rouge. Le Caporal Clemens a précisé qu’elle n’avait pris qu’une ou deux gorgées de ce vin parce qu’il était trop sec. Le Sergent Neil a précisé que le repas qu’elle avait choisi ne comprenait pas de vin. Le Capitaine Rafuse, qui d’après le témoignage du Sergent Neil était son invité, les a rejointes plus tard ce soir-là. Ni le Caporal Clemens, ni le Sergent Neil, ni le Capitaine Rafuse n’ont bu de bière ce soir-là. Le Caporal Clemens a mentionné qu’elle avait quitté la table pour aller à la salle de bain et que, lorsqu’elle est revenue, quelqu’un avait apporté des verres à la table. On lui a dit qu’il s’agissait de martinis. Elle a décrit les verres et a ajouté qu’ils contenaient un liquide clair qui, à sa connaissance, n’avait pas l’air d’être ni du vin rouge, ni du vin blanc ni de la bière. Elle a affirmé ne boire que du vin et ne pas tolérer la bière. Elle a ajouté qu’elle et le Sergent Neil avaient eu deux de ces martinis et que le Capitaine Rafuse en avait eu un ou deux.

 


[5]                    Le Sergent Neil corrobore ce témoignage, mais elle a affirmé qu’ils ont tous eu deux verres. Le Sergent Neil, qui a davantage l’habitude de boire, a décrit les verres comme des verres à cocktail avec une jambe, un calice de forme triangulaire, qui correspond à la description fournie par les autres témoins. Elle a indiqué qu’elle n’était pas certaine de connaître les ingrédients qui entrent dans la composition d’un martini, mais elle sait que le liquide est clair. Elle a dit qu’il n’y avait ni vin ni bière dans la boisson, mais qu’elle avait un goût d’alcool. En contre-interrogatoire, on lui a demandé si la boisson pouvait être à base de fruit fermenté. Elle a simplement répondu qu’elle était de couleur claire. Voici qui termine le résumé des faits entourant la présente affaire.

 

DROIT APPLICABLE ET ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LACCUSATION

 

[6]                    Dans l’accusation, il est reproché au Capitaine Rafuse d’avoir contrevenu à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, pour avoir, le 14 mars 2006 ou vers cette date, eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline parce qu’il a consommé de l’alcool qui n’était ni du vin, ni de la bière, au Rock Bottom Café, à Dubai, dans les Émirats arabes unis, contrairement à l'Ordre permanent 206.10 - Élément du soutien du théâtre.Les éléments de cette infraction sont les suivants :

 

a. L’identité de l’accusé, le Capitaine Rafuse;

 

b. La date et le lieu, à savoir le 14 mars 2006 ou vers cette date, au Rock Bottom Café, à Dubai, dans les Émirats arabes unis;

 

c. L’acte reproché à l’accusé, plus précisément, la consommation d’alcool qui n’était ni du vin ni de la bière;

 

d. La conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline résultant de l’acte reproché;

 

e. L’état d’esprit répréhensible de l’accusé au moment de l’acte reproché.

 

PRÉSOMPTION DINNOCENCE ET DOUTE RAISONNABLE

 

[7]                    Commençons d’abord par traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès en matière criminelle. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes présentes dans cette salle.

 


[8]                    Les tribunaux ont maintes fois répété que la présomption d’innocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit criminel, et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire, comme dans celles qui relèvent du droit criminel, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la partie poursuivante n’établit pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la partie poursuivante qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction.

 

[9]                    La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ni aux différentes parties de la preuve présentées par la partie poursuivante, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un accusé incombe à la partie poursuivante, jamais à l’accusé.

 

[10]                  Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable, et j’ajouterai que les seules accusations dont un accusé doit répondre sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation présenté à la cour.

 

[11]                  Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué qu’une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La partie poursuivante n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La partie poursuivante doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Capitaine Rafuse, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 


[12]                  Qu’entend‑on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en documents, en photographies, en cartes ou en d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en témoignages d’experts, en aveux judiciaires quant aux faits par la partie poursuivante ou la défense ou en des éléments dont la cour prend connaissance d’office.

 

[13]                  Il n’est pas rare que certains éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles. De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent innocemment, ne signifient pas nécessairement qu’un témoignage devrait être écarté. Toutefois, il en va tout autrement d’une fausse information donnée délibérément. Cette question est toujours grave et pourrait bien vicier toute la déposition du témoin. La cour se doit d’ajouter que ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[14]                  La cour n’est tenue d’accepter le témoignage de personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse plausible. Cependant, un témoignage sera jugé digne de foi, sauf s’il y a une raison de ne pas y croire. Comme la règle du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n’a pas à décider de manière catégorique de la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins et elle n’est pas non plus tenue de croire que tout ce que dit un témoin ou un groupe de témoins est vrai ni que tout est faux.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[15]                  L’avocat de la défense laisse entendre que la seule question à trancher est le caractère suffisant de la preuve produite par la partie poursuivante au sujet du contenu de la boisson ou des deux boissons décrites comme du martini par le Caporal Clemens et le Sergent Neil, que le Capitaine Rafuse aurait bues au Rock Bottom Café, à Dubai le 14 mars 2006, et si cette preuve est suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable la violation de l'Ordre permanent 206.10 - EST. La cour souscrit à l’énoncé de la question en litige qui a été donné au procès et elle formulera la question de la manière suivante : La preuve soulève-t-elle un doute raisonnable quant à la nature de la substance bue par l’accusé et l’acte de l’accusé qui a été établi par la preuve prouve-t-il hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu violation de l'Ordre permanent 206.10 - EST?

 

[16]                  La partie poursuivante a établi hors de tout doute raisonnable les éléments de l’infraction qui se rapportent à l’identité de l’accusé et à la date et au lieu de l’infraction. En ce qui concerne le troisième élément, à savoir l’acte de l’accusé décrit comme la consommation d’alcool qui n’était ni du vin, ni de la bière, le témoignage du Caporal Clemens et celui du Sergent Neil indiquent que le Capitaine Rafuse et elles‑mêmes ont bu des martinis. Il ressort sans aucun doute de leur témoignage que ces boissons ne contenaient ni bière ni ce qui leur aurait paru être du vin, mais qu’elles contenaient de l’alcool. Aucune preuve n’a été présentée, cependant, sur les ingrédients ou les substances utilisés, en règle générale, pour préparer cette boisson ni sur ce que ces martinis auraient contenu le soir en question.


[17]                  Pour ce qui est du quatrième élément, la conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, il est allégué, dans l’accusation, qu’il y a eu contravention à un ordre, plus précisément l'Ordre permanent 206.10 - ETS. Par conséquent, les dispositions du paragraphe 129 (2) de la Loi sur la défense nationale s’appliquent et la contravention à un ordre est automatiquement réputée être une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La nature et l’existence de cet Ordre ne sont pas contestées et l’Ordre a été accepté en tant que pièce 4. N’est pas contestée non plus a façon dont l’accusé a été informé de cet Ordre. L’avocat de la défense a admis que beaucoup d’éléments de preuve établissaient que l'Ordre permanent 206.10 - EST avait été publié et régulièrement notifié aux personnes en poste au Camp Mirage, y compris le Capitaine Rafuse.

 

DÉCISION

 

[18]                  La partie poursuivante soutient que, pour s’acquitter du fardeau de la preuve, elle n’a qu’à prouver que les boissons bues par le Capitaine Rafuse n’étaient ni du vin, ni de la bière, puisque que l'Ordre permanent 206.10 - EST exclut tous les autres types de boissons alcoolisées. Une telle interprétation est compatible, selon la partie poursuivante, avec la pièce 3 intitulée, Camp Mirage / Élément de soutien du théâtre / FOIASO - Conduite personnelle dans les pays hôtes et directive locale - 6 janvier 2006, qui prévoit notamment, à la page 3 [TRADUCTION]: « Consommation d’alcool : maximum deux verres par personne par période de 24 heures. Seuls la bière et le vin sont autorisés ».

 

[19]                  La partie poursuivante soutient que, non seulement la pièce 3 donne une directive claire quant à la politique énoncée dans l'Ordre permanent 206.10 -EST, mais qu’en plus elle précise cet Ordre qui prévoit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

OP 206.10 - EST Politique concernant la consommation d’alcool.

 

1. L’alcool n’est pas autorisé sur la base du pays hôte comme telle. Il est totalement interdit d’avoir des boissons alcoolisées dans les limites du Camp Mirage.

 


2. L’état d’ébriété est un crime dans le pays hôte. Les boissons alcoolisées y sont des substances réglementées. Les lois locales prévoient que nul ne peut acheter de l’alcool sans un permis du gouvernement. Les membres du personnel ne sont pas autorisés à acquérir des permis d’alcool dans le pays hôte, mais ils peuvent consommer de l’alcool dans les établissements autorisés de ce pays. Les policiers appliquent la tolérance zéro à l’égard des personnes qui présentent des signes d’ébriété, surtout si elles se trouvent dans des véhicules à moteur (conducteur ou passager). Si les policiers perçoivent la moindre odeur d’alcool dans l’haleine d’un conducteur, celui-ci sera arrêté. Il est arrivé que les agents de police demandent des échantillons de sang. Les lois du pays hôte sont très strictes et les peines dont sont passibles les conducteurs dont les échantillons révèlent la présence d’alcool dans le sang sont très sévères; par conséquent, il est interdit à tout le personnel EST de consommer de l’alcool dans un délai inférieur à douze heures avant de conduire.

 

3. Au cours de leurs sorties récréatives à l’extérieur du Camp Mirage, les membres du personnel sont autorisés à prendre deux verres de boisson par personne, par jour. Un verre représente douze onces de bière (355 ml ou une cannette canadienne ordinaire) ou cinq onces de vin. Les boissons fortement alcoolisées, les pousse-café (shooters) ou les panachés (coolers) de toute sorte sont expressément interdits. Il est permis de prendre un verre uniquement dans les établissements autorisés du pays hôte. Il est interdit aux membres du personnel non naviguant de consommer de l’alcool dans un délai inférieur à huit heures avant le début de leur service. En ce qui concerne le personnel des opérations aériennes, ce délai est de douze heures.

 

[20]                  La cour fait remarquer que la politique ne définit pas ce qu’est de la bière ou du vin. Cette politique indique clairement que le personnel ne peut consommer que deux verres par jour. Elle précise qu’un verre correspond à douze onces de bière ou à cinq onces de vin. La simple lecture de cet énoncé permet à une personne d’établir la quantité de boisson que représente un verre autorisé. La partie poursuivante prétend, en outre, que cette politique limite les sortes de boisson alcoolisée permises à du vin et à de la bière parce qu’il est indiqué ce qui suit : [TRADUCTION] « Les boissons fortement alcoolisées, les pousse-cafés (shooters) ou les panachés (coolers) de toute sorte sont expressément interdits ».

 

[21]                  Bien que l’éloquence du poursuivant sur cette question ait fort impressionné la cour, la preuve n’étaye pas une telle interprétation et, par conséquent, celle-ci est rejetée sur le fond. Premièrement, la politique ne donne pas de définition de ce qui constitue de la bière ou du vin. Dans le contexte de l’espèce, cette lacune est irrémédiable. À titre d’illustration, mentionnons que le poursuivant a admis que la politique permettait la consommation de porto puisqu’il s’agit de vin. Une telle analyse pose énormément de problèmes. En effet, voici la définition de porto que l’on trouve dans le Concise Oxford Dictionary : « A sweet dark red (occasionally brown or white) fortified wine, originally from Portugal » (Vin fortifié doux, d’un rouge foncé - parfois brun ou blanc - provenant à l’origine du Portugal). Le Petit Robert, quant à lui, définit le porto ainsi : « Vin de liqueur portugais ». Il appert donc, à la lecture de ces définitions, que le porto est un vin fortifié par une autre sorte de boisson alcoolisée, même s’il conserve son appellation de vin.


[22]                  Les problèmes que suscite cette interprétation sont encore plus criants lorsqu’on utilise le sens ordinaire de mots simples comme la définition du mot « vin ». L’avocat de la défense a fourni à la cour la définition de « martini », de « vermouth » et de « vin » que l’on trouve dans l’Oxford Dictionary. Le « vermouth » est « [a] red or white wine flavoured with aromatic herbs, chiefly drunk mixed with gin » (Vin rouge ou blanc aromatisé de plantes, consommé principalement avec du gin). Le « vin », lui, toujours selon ce dictionnaire est : « An alcoholic drink made from fermented grape juice. A fermented alcoholic drink made from other fruits or plants » (Boisson alcoolisée faite de jus de raisin fermenté. Boisson alcoolisée fermentée faite à partir d’autres fruits ou plantes).

 

[23]                  La cour a également vérifié la définition des mêmes mots dans Le Petit Robert cette fois-ci. Pour commencer, « martini » est défini ainsi : « Vermouth produit pas la firme Martini et Rossi ». Toujours dans Le Petit Robert, le « vermouth » est défini ainsi : « Apéritif à base de vin aromatisé de plantes amères et toniques (absinthe, gentiane, écorce d’oranges, quinquina, genièvre) ».

 

[24]                  Ce qui compte le plus, c’est qu’il importe de remarquer que la définition du mot « vin » que donne Le Petit Robert est très étoffée. En effet, on indique notamment que le mot « vin » est une « [b]oisson alcoolisée provenant de la fermentation du raisin ». On ajoute que le vin comprend ce qu’on appelle des « [v]ins doux naturels et vins de liqueur : vins très chargés en sucre, auxquels on ajoute de l’alcool de raisin en cours de fermentation (muscat, porto) ». De plus, la définition mentionne aussi des « [v]ins aromatisés, utilisés comme apéritifs », comme le vermouth.

 

[25]                  La cour estime qu’il ressort nettement de ces définitions que ce qu’on peut considérer comme étant du vin ne se limite pas à la boisson que la personne moyenne décrirait normalement ou ordinairement comme étant rouge, blanc ou même rosé, mousseux ou non. Il est bien possible que la rédaction d’une politique limitant la consommation des boissons alcoolisées à de la bière ou du vin soit justifiable, mais la présente cour n’a pas à trancher cette question. En revanche, si l’objet de la politique est de restreindre ou de limiter le sens de ce qui est acceptable, bière ou vin, pour les besoins de cette politique, elle doit le faire expressément. Sinon, on ne peut se fier qu’au sens que l’auteur de la politique a privilégié sans l’exprimer ou laisser simplement l’interprétation à la personne assujettie à la politique.

 


[26]                  En l’espèce, si la politique, précisée ou non par d’autres instruments, avait définit ces mots comme il se doit, la cour aurait été plus réceptive à la théorie de poursuivante selon laquelle elle n’avait qu’à prouver que le Capitaine Rafuse avait bu quelque chose qui n’était ni de la bière ni du vin. En l’absence d’une preuve plus précise quant à ce que contenait cette boisson, le fait que le Capitaine Rafuse ait bu un martini, qui goûtait l’alcool selon le Sergent Neil, n’établit pas que le Capitaine Rafuse a contrevenu à la politique relative à la consommation d’alcool. Il est évident que la principale caractéristique d’une boisson alcoolisée est de goûter l’alcool. Le fait que le mot « martini » puisse s’entendre d’un verre de vermouth soulève un doute raisonnable parce que le vermouth est une sorte de vin normalement servi comme apéritif. La cour ignore si le Sergent Neil savait ce que goûte le vermouth ou savait que le vermouth est une sorte de vin. Elle ignore aussi si le Sergent Neil savait si la boisson contenait une autre substance alcoolisée.

 

[27]                  Quoi qu’il en soit, il n’incombe pas à l’accusé d’établir que ce qu’il a bu était du vin ou de la bière. Il n’avait qu’à soulever un doute raisonnable. Sur le fondement de la preuve qui lui a été présentée, la cour conclut que la partie poursuivante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait. Par conséquent, le Capitaine Rafuse doit être acquitté. La cour en serait arrivée à cette conclusion même si elle avait accepté la thèse de la partie poursuivante voulant que la politique limite la consommation d’alcool à la bière et au vin. Toutefois, la cour est loin d’être persuadée que l'Ordre permanent 206.10 - EST étaye une telle affirmation et elle irait jusqu’à dire qu’une politique aussi restrictive poserait encore plus de problèmes en cas de contestation. Pour l’instant, la cour laissera ces questions aux rédacteurs de la politique.

 

[28]                  L’élaboration des politiques et la rédaction des règlements et des ordres ou ordonnances sont des tâches complexes. Elles exigent beaucoup de compétence et de conscience professionnelle. Il convient de préciser qu’il n’est pas nécessaire, pour rédiger les ordres ou les ordonnances, de faire preuve d’autant de compétence rédactionnelle et de minutie que pour rédiger les lois et les règlements. Cependant, si, en contrevenant à un règlement, à un ordre (ou une ordonnance) ou à une directive, une personne s’expose à des accusations criminelles ou à des accusations d’infraction disciplinaire, il faut que l’instrument en question (règlement, ordre, ordonnance ou directive) soit formulé avec clarté et précision. Sinon, non seulement la politique est‑elle difficile à appliquer et à exécuter, mais, en outre, elle ne donne pas suffisamment d’indications aux intéressés pour leur permettre de s’y conformer.

                       

CONCLUSION ET DISPOSITIF

 

[29]                  Capitaine Rafuse, veuillez vous lever. Pour tous ces motifs, la cour vous déclare non coupable de l’accusation. Officier de la cour, veuillez remettre sa coiffure militaire au Capitaine Rafuse.

 

[30]                  Capitaine Rafuse, veuillez faire un pas en avant et présenter vos respects à la cour. Vous pouvez disposer et quitter la salle.

 

[31]                  Le procès en cour martiale du Capitaine Rafuse est terminé. Merci.

 

 

 


 

 COLONEL M. DUTIL, J. M. C.

 

Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Procureur militaire régional, région du Centre

Procureur de Sa Majesté la Reine

Capitaine de corvette J.C.P. Lévesque, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Capitaine M.D. Rafuse

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