Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 31 mars 2014

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, a proféré des menaces (art. 261.1 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 86 LDN, a adressé des propos provocateurs à un justiciable du code de discipline militaire, tendant ainsi à créer une querelle.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 116 LDN, a volontairement détruit un bien des Forces de Sa Majesté.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, méfait n’excédant pas 5000$ (art. 430(4) C. cr.).

Verdict
•Chefs d’accusation 1, 4 : Coupable.
•Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance.
•Chef d’accusation 3 : Non coupable.

Sentence
•Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Thies, 2014 CM 3006

 

Date : 20140404

Dossier : 201360

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 1re classe J.B. Thies, accusé

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le matelot de 1re classe Thies est accusé, en vertu de la Loi sur la défense nationale, de quatre infractions d’ordre militaire concernant deux incidents qui se seraient produits le 24 janvier 2013 à bord du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Preserver.

 

[2]               Ces accusations se rapportent à deux incidents qui seraient survenus à bord du navire peu de temps après qu’un matelot aurait signalé avoir fait l’objet d’attouchements inopportuns de la part d’un autre matelot à bord du navire alors qu’il était en mer et que l’auteur présumé eut été renvoyé chez lui une fois que le navire eut accosté. Essentiellement, le matelot de 1re classe Thies se retrouve devant la présente cour martiale pour avoir tout d’abord intimidé verbalement le matelot de 1re classe Archibald et, en second lieu, pour avoir réduit en pièces son matelas.

 

[3]               Pour ce qui est tout d’abord du premier incident présumé, le matelot de 1re classe Thies est accusé, en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir proféré des menaces contrairement à l’article 264.1 du Code criminel et, à titre subsidiaire, d’avoir adressé à un autre justiciable du code de discipline militaire des propos provocateurs de nature à susciter une querelle.

 

[4]               En ce qui concerne le second incident présumé, le matelot de 1re classe Thies est accusé, en vertu de l’article 116 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir sciemment détruit des biens appartenant aux forces de Sa Majesté, en l’occurrence, un matelas et, à titre subsidiaire, il est accusé, en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’un méfait ne dépassant pas 5 000 $, contrairement au paragraphe 430(4) du Code criminel.

 

[5]               La preuve est constituée des éléments suivants :

 

a)                   dans l’ordre dans lequel ils ont été soumis à la Cour, du témoignage du matelot de 1re classe Archibald, le plaignant dans la présente affaire; du témoignage du matelot de 1re classe Klepy; du témoignage du matelot de 1re classe Thies, accusé devant la Cour; du témoignage du maître de 1re classe Hulan; du témoignage du matelot de 1re classe Dee; du témoignage du sergent Tustin; du témoignage du matelot-chef Ploughman; du témoignage du matelot-chef Moulaison et enfin, du témoignage du matelot-chef Legacy;

 

b)                   La pièce 3, composée de six photos du lit et du matelas du matelot de 1re classe Archibald prises le 24 janvier 2013;

 

c)                   la pièce 4, une copie de la Directive sur la vérification préalable à l’accusation publiée le 1er mars 2000 par le Directeur des poursuites militaires et mise à jour le 18 mars 2009;

 

d)                   la connaissance judiciaire prise par la Cour des faits et questions en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve;

 

e)                   la connaissance judiciaire prise par la Cour de la teneur de la Directive sur la vérification préalable à l’accusation publiée par le Directeur des poursuites militaires, en vertu de l’article 16 des Règles militaires de la preuve;

 

[6]               Le 20 janvier 2013, alors que le NCSM Preserver était en mer, le présumé incident se serait produit au cours duquel un cuisinier, le matelot de 1re classe Moulaison, se serait livré à des attouchements inopportuns sur la personne d’un steward, le matelot de 1re classe Archibald, en lui touchant la jambe et en tentant de lui caresser les parties génitales.

 

[7]               Le matelot de 1re classe Archibald a décidé de parler de cet événement à sa superviseuse immédiate, le matelot-chef Legacy, à qui il a fait promettre de n’en parler à personne. En fait, il voulait prendre le temps de réfléchir avant de décider de porter plainte au sujet de cet incident compte tenu des répercussions que cela pourrait avoir sur lui. Il se considérait comme un marginal, quelqu’un qui ne faisait pas partie du groupe et, pour cette raison, il craignait la réaction de certains de ses camarades.

 

[8]               Le 23 janvier 2013, alors qu’il faisait son quart de surveillance, le matelot de 1re classe Archibald a découvert par inadvertance que sa superviseuse immédiate était en train de discuter avec le matelot de 1re classe Moulaison et deux autres marins. La réaction de sa superviseuse, le matelot-chef Legacy, qui a refermé la porte sur lui en lui disant qu’elle lui parlerait plus tard, a éveillé ses soupçons. Plus tard, sa superviseuse lui a dit de ne pas s’inquiéter du fait qu’elle avait parlé au matelot de 1re classe Moulaison, mais il ne l’a pas crue.

 

[9]               Il a alors décidé de parler de l’incident survenu avec le matelot de 1re classe Moulaison avec l’auxiliaire médical du navire. Il a ensuite été amené au capitaine d’armes et a fait une déclaration écrite à ce sujet.

 

[10]           À bord du navire, le matelot de 1re classe Archibald dormait au mess 51, situé à tribord du navire. À cet endroit, il y avait de 15 à 17 couchettes organisées par groupe de trois composés des stewards, des cuisiniers et de certains marins d’un autre métier.

 

[11]           Le matelot de 1re classe Archibald occupait le premier groupe de couchettes situées à l’entrée. Il occupait la couchette du milieu. Il disposait également d’un casier où il mettait ses effets personnels. Il a expliqué que l’endroit était exigu et encombré parce qu’il n’y avait pas beaucoup de place.

 

[12]           Le matelot de 1re classe Moulaison était la « mère » du mess 51, en ce sens qu’en tant que personne ayant le grade le plus élevé, c’était lui qui réglait les conflits entre les marins qui logeaient à cet endroit. Ainsi, il était intervenu à quelques reprises à l’égard du matelot de 1re classe Archibald lorsque ce dernier s’était plaint d’une ampoule qui avait été enlevée au mess 51 ou encore d’un serpent en caoutchouc qui avait été déposé dans sa couchette pour lui faire une blague.

 

[13]           Après qu’il eut fait sa déclaration écrite au capitaine d’armes, le matelot de 1re classe Archibald a été transféré à l’infirmerie où il dormait désormais. Il a été suspendu de toutes ses fonctions. Il a toutefois laissé ses effets personnels au mess 51.

 

[14]           En très peu de temps, la rumeur s’est répandue à bord du navire que le matelot de 1re classe Archibald avait porté plainte au sujet du matelot de 1re classe Moulaison. Le matelot de 1re classe Moulaison était contrarié et se plaignait de ce qui lui arrivait. Il était surpris, choqué et confus au sujet de la tournure des événements.

 

[15]           Après que le NCSM Preserver eut accosté à Mayport, en Floride, le 24 janvier 2013 vers midi, le matelot de 1re classe Moulaison a été débarqué du navire, envoyé à l’aéroport, puis retourné au Canada.

 

[16]           Le matelot de 1re classe Klepy, un steward qui travaillait à bord du NCSM Preserver, a confirmé que beaucoup de gens étaient en colère au sujet des allégations portées contre le matelot de 1re classe Moulaison. Il a expliqué que ces accusations faisaient beaucoup parler au sein de l’équipage, surtout chez les stewards et les cuisiniers. Il a expliqué à la Cour qu’il avait eu une conversation avec le matelot de 1re classe Thies à la suite de l’incident qui avait été signalé. Le matelot de 1re classe Thies lui avait expliqué à quel point la situation était injuste et qu’il estimait que rien de tout cela n’était vrai compte tenu du fait que la situation concernant le matelot de 1re classe Archibald s’était déjà produite par le passé et que la plupart des gens pensaient qu’on ne faisait que crier au loup. Même le matelot de 1re classe Klepy a expliqué à la Cour qu’il croyait personnellement que le matelot de 1re classe Archibald mentait.

 

[17]           L’après-midi du 24 janvier 2013, un peu après 18 h, alors qu’il n’était pas en service et qu’il se trouvait au bar du mess des matelots et qu’il prenait une bière, le matelot de 1re classe Thies, qui s’y trouvait aussi, lui aurait dit à quel point ce qui était arrivé au matelot de 1re classe Moulaison était injuste et qu’il était temps que justice se fasse « à partir d’en bas ». Il a expliqué que le matelot de 1re classe Thies avait pris quelques verres à ce moment‑là. Il a compris de l’expression que le matelot de 1re classe Thies avait employée qu’il voulait que l’on se fasse justice soi‑même parce que les autorités refusaient d’intervenir.

 

[18]           Ils sont tous les deux sortis du bar pour fumer une cigarette sur le gaillard d’arrière. Ils sont ensuite revenus au bar et le matelot de 1re classe Thies aurait dit au matelot de 1re classe Klepy qu’il allait à la toilette.

 

[19]           En revenant de la toilette, le matelot de 1re classe Thies aurait dit au matelot de 1re classe Klepy des mots qui laissaient entendre que justice avait été faite. Il n’a pas demandé au matelot de 1re classe Thies ce qu’il voulait dire par là et le matelot de 1re classe Thies lui aurait dit qu’il avait fait du grabuge dans les effets personnels du matelot de 1re classe Archibald. Le matelot de 1re classe Klepy n’a pas compris exactement ce que voulaient dire précisément ces paroles.

 

[20]           Le même jour, entre 16 et 18 h, le matelot de 1re classe Archibald a obtenu la permission de se rendre au mess et aurait vu le matelot de 1re classe Thies assis au bar.

 

[21]           Le matelot de 1re classe Archibald a commandé une bière. Le matelot de 1re classe Thies aurait demandé au matelot de 1re classe Archibald ce qu’il faisait là. Il a répondu qu’il avait besoin d’une pause parce que beaucoup de choses étranges arrivaient.

 

[22]           Le matelot de 1re classe Thies lui aurait alors demandé [traduction] « Comment se sent-on quand on est la personne la plus haïe à bord de ce bateau? Il vaudrait mieux pour toi que tu débarques le plus vite possible du bateau. Tes jours sont comptés. »

 

[23]           Le matelot de 1re classe Archibald lui aurait alors demandé : [traduction] « Qu’est‑ce que tu veux dire par mes jours sont comptés? » Le matelot de 1re classe Thies lui aura alors répondu [traduction] « Tu es un homme mort. »

 

[24]           Le matelot de 1re classe Archibald a payé sa bière et le matelot de 1re classe Thies lui aurait dit : [traduction] « Il faut que tu débarques du navire sinon tu ne te rentreras pas vivant chez toi. »

 

[25]           Le matelot de 1re classe Archibald lui aurait alors demandé : [traduction] « Qu’est-ce que tu veux dire par je ne rentrerai pas vivant chez moi? » Le matelot de 1re classe Thies lui aurait alors répondu : [traduction] « Tu ne rentreras pas vivant chez toi, ton temps est compté. Tu ferais mieux de débarquer le plus vite possible du navire. »

 

[26]           Le matelot de 1re classe Archibald lui aurait alors dit : [traduction] « Ouais, c’est ça! » Le matelot de 1re classe Thies lui aurait alors répondu : [traduction] « Parce que tu pourrais te faire blesser. »

 

[27]           Le matelot de 1re classe Archibald lui aurait alors dit : [traduction] « Pour avoir dit la vérité, pour être honnête, pour avoir fait mon travail. » Ce à quoi le matelot de 1re classe Thies lui aurait répondu : [traduction] « Ne me fait pas la morale Archie, je te dis simplement qu’il vaut mieux pour toi de débarquer le plus vite possible du navire. Et, en passant, ne va pas au port ce soir, je fais juste te passer le message ».

 

[28]           Le matelot de 1re classe Thies a expliqué à la Cour qu’il avait eu une conversation avec le matelot de 1re classe Archibald dans la zone du bar réservée à la livraison des repas et qu’il s’était ensuite rendu à sa table. Il a dit à la Cour qu’il avait eu une conversation normale, qu’il n’avait jamais proféré de menaces ou employé des mots menaçants envers le matelot de 1re classe Archibald. À son avis, la conversation avait un ton normal et ils s’étaient ensuite quittés.

 

[29]           Suivant le matelot de 1re classe Archibald, après cette conversation, il était retourné à l’infirmerie et informé le chef au sujet de l’échange qu’il avait eu avec le matelot de 1re classe Thies. Il a été mis en contact avec le chef Bromley et s’est rendu au mess 51 pour récupérer ses effets personnels. Il a ensuite découvert que ses affaires avaient été renversées, que certaines manquaient et que son matelas avait été lacéré.

 

[30]           Le maître de 1re classe Hulan était le capitaine d’armes de service à bord du navire ce jour-là. Il a reçu un appel téléphonique de l’officier marinier Ferguson qui lui demandait de venir avec un appareil-photo. Il s’est rendu au mess 51 muni d’un appareil‑photo et a pris des photos des lieux. Il a ensuite convoqué tous les membres du mess 51 sur les lieux. Lorsqu’ils ont entendu l’appel, les matelots de 1re classe Klepy et Thies ont déposé leur bière et se sont rendus au mess 51. Huit membres du mess 51 se sont rassemblés, y compris les matelots de 1re classe Klepy et Thies, le matelot de 1re classe Archibald s’y trouvant déjà. Ce dernier semblait, aux yeux du maître de 1re classe Hulan, agité, un peu effrayé et stressé au sujet de la situation.

 

[31]           Le matelot de 1re classe Klepy a vu le matelas du matelot de 1re classe Archibald entaillé de haut en bas avec le rembourrage extirpé ainsi que tout son équipement, ses vêtements et ses effets personnels éparpillés sur le plancher et sur le lit. Un peu avant, vers 17 h 30, il se trouvait au mess 51 pour se changer et la couchette du matelot de 1re classe Archibald n’était pas du tout dans cet état. On a montré l’état des lieux à tour de rôle à chacun et demandé s’il était l’auteur de ces actes, ce à quoi chacun a répondu par la négative. Une fois qu’ils ont tous été rassemblés de nouveau, le matelot de 1re classe Klepy a regardé dans la direction du matelot de 1re classe Thies, qui lui aurait adressé un petit sourire suffisant, laissant entendre que c’était lui l’auteur de tout ce grabuge.

 

[32]           Peu de temps après, le matelot de 1re classe Thies aurait dit au matelot de 1re classe Klepy ne rien révéler parce que, s’il gardait le silence, personne ne pourrait rien prouver. Cette conversation aurait eu lieu quand ils fumaient une cigarette sur le gaillard d’arrière. Le matelot de 1re classe Thies semblait vraisemblablement heureux.

 

[33]           Le matelot de 1re classe Thies lui aurait également dit au même moment qu’il avait mentionné au matelot de 1re classe Archibald de surveiller ce qu’il faisait et ce qu’il disait aux autres parce que les gens ne prenaient pas les choses à la légère et qu’il pouvait se faire beaucoup d’ennemis par ses agissements. Il lui aurait également mentionné que si le matelot de 1re classe Archibald ne se surveillait pas, on pourrait retrouver son cadavre flottant à la dérive.

 

[34]           Le matelot de 1re classe a nié avoir dit au matelot de 1re classe Klepy qu’il avait endommagé le matelas du matelot de 1re classe Archibald et fait du grabuge autour de sa couchette. Il a reconnu qu’il avait eu une conversation ce jour-là, mais qu’il ne lui avait jamais dit de telles choses, et nomment qu’il ne lui avait pas dit qu’il ne devait jamais parler de son présumé aveu pour empêcher que quiconque prouve quoi que ce soit à ce sujet.

 

[35]           Plus tard le soir de ce même jour, le matelot de 1re classe Klepy s’est rendu à la chambre d’hôtel du matelot-chef Ploughman au Navy Lodge, où plusieurs matelots s’étaient rassemblés pour une fête de cuisine. Il a expliqué à la Cour qu’à son arrivée, il avait dit au matelot-chef Ploughman que le matelot de 1re classe Thies avait endommagé la couchette du matelot de 1re classe Archibald. Selon le matelot-chef Ploughman, le matelot de 1re classe Klepy lui avait dit que le mess des matelots était fermé parce que le matelas d’Archibald avait été tailladé et que le matelot de 1re classe Thies était interrogé par le capitaine d’armes de service à ce sujet.

 

[36]           Certains des témoins, y compris le matelot de 1re classe Thies, ont confirmé que chaque matelot avait sur lui un couteau à bord du navire pour les pratiques courantes de bon matelotage.

 

[37]           Les accusations ont été portées par le directeur des poursuites militaires le 23 juillet 2013.

 

[38]           Avant que la présente Cour ne formule son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, une norme qui est inextricablement liée au principe fondamental à tous les procès pénaux. Naturellement, ces principes sont bien connus des avocats, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience les connaissent peut-être moins.

 

[39]           On peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue, sans aucun doute, le principe fondamental par excellence de notre droit pénal et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments constitutifs de l’infraction.

 

[40]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé. Le matelot de 1re classe Thies n’a pas à prouver qu’il est innocent. L’accusé n’a rien à prouver.

 

[41]           Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, celui-ci doit être acquitté. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des traditions judiciaires. Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives au sujet du doute raisonnable. Les principes énoncés dans l’arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs arrêts de la Cour suprême et décisions ultérieures de juridictions d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute doit reposer sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal.

 

[42]           Dans l’arrêt R c Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, la Cour suprême du Canada déclare :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités ....

 

[43]           En revanche, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue et que la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le matelot de 1re classe Thies, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[44]           Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant le tribunal par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Cela pourrait être des documents, des photographies, des cartes ou d’autres objets présentés par les témoins. Il peut s’agir aussi de témoignages de témoins experts et, enfin, d’aveux judiciaires sur des questions de fait, soit par la poursuite, soit par la défense, et de faits dont la cour peut prendre connaissance judiciaire.

 

[45]           Il n’est pas rare que certains des éléments de preuve soumis au tribunal se contredisent. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des faits. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[46]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs entrent en jeu lorsqu’il s’agit pour le tribunal d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer et les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt en ce qui concerne l’issue de l’affaire ou une raison de donner un témoignage qui favorise davantage une partie plutôt que l’autre, ou est-ce que le témoin est impartial? Ce dernier facteur s’applique de façon quelque peu différente dans le cas de l’accusé, bien qu’il soit raisonnable de supposer que l’accusé soit intéressé à obtenir son acquittement. La présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira s’il choisit de témoigner.

 

[47]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[48]           De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent innocemment, ne signifient pas nécessairement qu’il y a lieu d’écarter un témoignage. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.

 

[49]           La Cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[50]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il s’agit d’un cas où la méthode d’évaluation de la crédibilité et la fiabilité exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W. (D.) se doit d’être appliquée, car l’accusé, le matelot de 1re classe Thies, a témoigné.

 

[51]           La Cour suprême a établi le critère comme suit à la page 758 de cet arrêt :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[52]           Ce critère a été énoncé principalement pour éviter que le juge des faits ne procède en déterminant quelle preuve il croit : celle produite par l’accusé ou celle présentée par la poursuite. Cependant, il est également clair que la Cour suprême du Canada a réitéré de nombreuses fois que cette formule n’avait pas à être suivie mot à mot comme une sorte d’incantation (voir R. c. S. (W.D.), [1994] 3 R.C.S. 521, à la page 533).

 

[53]           La Cour ne doit pas tomber dans le piège de choisir entre deux versions ou de donner l’impression de l’avoir fait. Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment déclaré dans l’arrêt R c Vuradin, 2013 CSC 38, au paragraphe 21 :

 

La question primordiale qui se pose dans une affaire criminelle est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans l’esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé : W.(D.), p. 758. L’ordre dans lequel le juge du procès énonce des conclusions relatives à la crédibilité des témoins n’a pas de conséquences dès lors que le principe du doute raisonnable demeure la considération primordiale. Un verdict de culpabilité ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public : R. c. C.L.Y., [2008] 1 R.C.S. 5, par. 6‑8. Les juges de première instance n’ont cependant pas l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict : voir R. c. Boucher, [2005] 3 R.C.S. 499, par. 29.

 

[54]           L’article 264.1 du Code criminel dispose notamment ce qui suit :

 

(1)                 Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

 

a)                   de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un ...

 

[55]           Les éléments constitutifs de l’infraction de proférer des menaces sont les suivants :

 

a)                   l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction;

 

b)                   la date et le lieu de l’infraction allégués dans l’acte d’accusation;

 

c)                   le fait que l’accusé a proféré une menace de causer des lésions corporelles;

 

d)                   le fait que l’accusé a proféré cette menace sciemment.

 

[56]           Une menace peut être proférée par des mots ou par des gestes ou d’une autre façon. Elle peut être formulée par des paroles, par écrit ou par une autre façon exprimant l’intention de la communiquer à autrui.

 

[57]           Concernant le fait que l’accusé a proféré une menace, ce qui importe, c’est le sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots employés, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Les mots et les écrits qui tiennent de la plaisanterie ou qui ne peuvent être pris au sérieux par une personne raisonnable dans les circonstances ne constituent pas une menace.

 

[58]           La menace de causer des lésions corporelles à autrui ne doit pas se borner au fait de menacer de causer de légères blessures ou des douleurs passagères. Par lésions corporelles, on entend les blessures ou les sévices, y compris les sévices psychologiques, qui portent atteinte à la santé ou au bien-être d’une personne et qui ne sont pas simplement brèves ou passagères ou mineures.

 

[59]           Pour décider si les mots utilisés correspondent à une menace de causer des lésions corporelles, le juge des faits doit tenir compte des circonstances dans lesquelles ils ont été communiqués, de la façon dont ils ont été communiqués, de la personne à qui ils étaient destinés et de la nature de toute relation antérieure ou existante entre les parties.

 

[60]           « Sciemment » signifie que l’accusé a prononcé les mots dans le but de proférer des menaces, avec l’intention qu’ils soient pris au sérieux et avec l’intention d’intimider ou d’effrayer le plaignant. La poursuite n’a pas à démontrer que l’accusé voulait que les mots soient transmis au plaignant mais que ce dernier s’est effectivement senti menacé ou effrayé par les menaces. Il n’est pas utile de savoir si l’accusé avait l’intention de mettre sa menace à exécution. Pour déterminer si l’accusé a proféré les menaces sciemment, le juge des faits doit prendre en considération les mots utilisés, le contexte dans lequel ils ont été utilisés et l’état d’esprit de l’accusé au moment où ils ont été prononcés.

 

[61]           L’article 86 de la Loi sur la défense nationale dispose notamment ce qui suit :

 

Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans quiconque :

 

[...]

 

b)            adresse à un autre justiciable du code de discipline militaire des propos ou gestes provocateurs de nature à susciter une querelle ou du désordre.

 

[62]           Les éléments constitutifs de l’infraction d’avoir adressé à un autre justiciable du code de discipline militaire des propos provocateurs de nature à susciter une querelle au sens de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale sont les suivants :

 

a)                  l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction;

 

b)                  la date et le lieu de l’infraction;

 

c)                  le fait que l’accusé a adressé des propos provocateurs à l’endroit d’une autre personne;

 

d)                 le fait que ces propos étaient de nature à susciter une querelle;

 

e)                  le fait que la personne à qui ces propos étaient adressés était un autre justiciable du code de discipline militaire.

 

[63]           L’article 116 de la Loi sur la défense nationale dispose notamment ce qui suit :

 

Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans quiconque :

 

a)            volontairement détruit ou endommage, perd par négligence, vend irrégulièrement ou dissipe un bien public, un bien non public ou un bien de l’une des forces de Sa Majesté ou de toute force coopérant avec elles;

 

[…]

 

[64]           Les éléments constitutifs de l’infraction consistant à détruire volontairement des biens de Sa Majesté sont les suivants :

 

a)                  l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction;

 

b)                  la date et le lieu de l’infraction;

 

c)                  le fait que l’accusé a endommagé des biens;

 

d)                 le fait que les biens étaient des biens publics appartenant aux forces de Sa Majesté;

 

e)                  le fait que l’accusé était conscient de ce qu’il faisait, avait l’intention de faire ce qu’il a fait.

 

[65]           Enfin, le paragraphe 430(4) du Code criminel dispose :

 

(1)           Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :

 

a)                   détruit ou détériore un bien;

 

b)                   rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace;

 

c)                   empêche, interrompt ou gêne l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien;

 

d)                   empêche, interrompt ou gêne une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien.

 

(2)           Est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité quiconque commet un méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens.

 

(3)           Quiconque commet un méfait à l’égard d’un bien qui constitue un titre testamentaire ou dont la valeur dépasse cinq mille dollars est coupable :

 

a)                   soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

b)                   soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

(4)           Quiconque commet un méfait à l’égard d’un bien, autre qu’un bien visé au paragraphe (3), est coupable :

 

a)                   soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

 

b)                   soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

[...]

 

[66]           Les éléments constitutifs de l’infraction de méfait sont les suivants :

 

a)                  l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction;

 

b)                  la date et le lieu de l’infraction;

 

c)                  le fait que l’accusé a porté atteinte à des biens;

 

d)                 le fait que la conduite de l’accusé était illégale;

 

e)                  le fait que la conduite de l’accusé était délibérée.

 

[67]           La question de savoir si l’accusé a porté atteinte à des biens a trait à la question de savoir si ses agissements ont gêné un bien ou une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien. Par « bien », il faut entendre des terres, des immeubles, des objets ou des choses qu’on peut voir et toucher.

 

[68]           Il y a plusieurs façons de porter atteinte aux biens d’autrui. La poursuite n’a pas à prouver chaque type d’atteinte prévu par la loi. Une seule suffit, peu importe laquelle.

 

[69]           L’atteinte d’un bien comprend la destruction d’un bien ou les dommages causés à des biens ainsi que le fait de rendre un bien inutile, inopérant ou inefficace. Une personne porte également atteinte à un bien si elle empêche, interrompt ou gêne l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime de ce bien ou empêche, interrompt ou gêne une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien, même si elle n’en est pas le propriétaire.

 

[70]           La jouissance d’un bien ne se limite pas au simple fait d’en avoir la possession, mais comprend le fait d’être présent dans un immeuble pour participer aux activités qui s’y déroulent. En d’autres termes, la jouissance s’entend du fait d’exercer un droit et non seulement la jouissance subjective d’un bien.

 

[71]           La question du comportement illicite de l’accusé a trait à la nature de ses agissements. La poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé ou l’atteinte qu’il a portée aux biens ou aux personnes qui en ont l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime étaient illicites.

 

[72]           La conduite de l’accusé était illicite s’il n’avait aucune justification ou excuse légale ou apparence de droit pour agir comme il l’a fait.

 

[73]           La justification ou l’excuse légitime constitue un motif en vertu duquel la loi considère que la conduite de l’intéressé était justifiée et, par conséquent, licite.

 

[74]           L’apparence de droit est la croyance sincère en un état de fait qui, s’il avait réellement existé, aurait en droit justifié ou excusé la conduite de l’intéressé. Cette croyance doit être sincère, mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit raisonnable. Le caractère raisonnable de la croyance est toutefois un facteur dont la Cour peut tenir compte pour décider si la croyance était sincère.

 

[75]           Il n’appartient pas à l’accusé de démontrer qu’il avait une justification ou une excuse légitime ou une apparence de droit lui permettant de porter atteinte aux biens. Il appartient à la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé était illégitime. En d’autres termes, la poursuite doit démontrer hors de toute raisonnable non seulement que l’accusé n’avait aucune justification ou excuse légitime pour agir comme il l’a fait, mais également qu’il n’avait aucune apparence de droit.

 

[76]           Pour ce qui est du caractère délibéré de la conduite de l’accusé, cette question a trait à l’état d’esprit de l’accusé au moment où il a porté atteinte aux biens. La poursuite peut démontrer de deux manières que la conduite de l’accusé était délibérée : soit en portant atteinte aux biens de la manière que j’ai expliqué, soit en agissant en sachant que sa conduite porterait probablement atteinte à des biens d’une des façons que j’ai mentionnées, mais en agissant quand même et en étant indifférent au fait que sa conduite porterait atteinte à des biens. La poursuite n’a pas à démontrer que cette conduite était délibérée sous ces deux rapports; il suffit qu’elle démontre qu’elle l’était sous l’un ou l’autre.

 

[77]           Pour déterminer l’état d’esprit de l’accusé, ce qu’il entendait faire à l’égard des biens ou des personnes qui en avaient l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime, le tribunal doit se demander ce que l’accusé a fait ou n’a pas fait, comment il l’a fait ou ne l’a pas fait et ce qu’il a dit ou n’a pas dit à ce propos. Le tribunal doit examiner ses paroles et sa conduite tant avant que pendant et après l’atteinte qu’il a portée aux biens. Tous ces éléments, ainsi que les circonstances dans lesquels ces faits se sont produits peuvent jeter un éclairage sur ses intentions au moment où il a porté atteinte aux biens.

 

[78]           Or, en l’espèce, la Cour estime que la poursuite s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer hors de tout doute raisonnable le lieu et la date des faits visés par les quatre chefs d’accusation. En fait, le témoignage de l’accusé et les éléments de preuve présentés par la poursuite appuient sans l’ombre d’un doute cette conclusion.

 

[79]           La Cour applique le critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R c W.(D.) pour déterminer si elle peut déceler dans l’ensemble de la preuve qu’elle a examinée une raison quelconque de ne pas ajouter foi au témoignage de l’accusé.

 

[80]           La Cour analysera donc cette question en premier lieu, en se penchant d’abord sur les deux premiers chefs d’accusation concernant ce que l’accusé aurait dit ou non au matelot de 1re classe Archibald pour ensuite examiner les troisième et quatrième chefs d’accusation relatifs aux dommages causés au matelas du matelot de 1re classe Archibald.

 

[81]           Le matelot de 1re classe Thies a témoigné avec franchise. Il a expliqué à la Cour qu’il s’entendait bien avec le matelot de 1re classe Moulaison, qui n’était pas un ami proche mais que c’était le genre de gars avec qui il serait sorti prendre une bière. Il a dit que la situation l’avait beaucoup contrarié, surtout lorsque le matelot de 1re classe Moulaison avait quitté le navire. Il a également expliqué qu’il était en colère en raison du fait que le matelot de 1re classe Moulaison s’était retrouvé dans une telle situation. Toutefois, malgré le fait qu’il avait donné l’impression à la Cour que cet événement l’avait dérangé, il n’avait pas pu préciser à la Cour si le matelot de 1re classe Moulaison avait quitté avant ou après l’incident des dommages causés au matelas du matelot de 1re classe Archibald.

 

[82]           Il a nié avoir menacé le matelot de 1re classe Archibald, mais a admis l’avoir rencontré ce jour‑là. Il a expliqué qu’il avait pris quelques bières au bar et qu’il était sorti à quelques reprises pour aller aux toilettes ou pour fumer une cigarette. Il a vu le matelot de 1re classe Archibald dans la zone réservée aux repas, juste à côté du bar et s’est assis avec lui quelques instants et qu’il avait quitté les lieux après lui. Il ne se souvient pas de la teneur de la conversation, sinon qu’elle était tout à fait normale. Il a également expliqué à la Cour qu’il était au courant que le matelot de 1re classe Archibald avait été transféré à l’infirmerie.

 

[83]           Il a expliqué à la Cour qu’il avait également rencontré le matelot de 1re classe Klepy sur le pont lorsqu’il était sorti fumer une cigarette, mais il a nié l’avoir rencontré au mess des matelots. Il a également nié avoir avoué au matelot de 1re classe Klepy qu’il avait tailladé le matelas du matelot de 1re classe Archibald. Il a admis qu’il comprenait le sens de l’expression « il est temps que justice se fasse à partir d’en bas » et qu’il savait que les gens des ponts inférieurs prendraient les choses en mains, mais il a nié avoir employé cette expression.

 

[84]           Il a confirmé qu’il avait un couteau de matelot. Il a expliqué à la Cour qu’il avait un problème d’alcool depuis 2011 et qu’il avait suivi une thérapie et a affirmé qu’il avait réglé son problème.

 

[85]           La Cour a constaté certaines contradictions dans la façon dont le matelot de 1re classe Thies a témoigné, ainsi que dans la teneur de son témoignage. Ainsi que les témoignages et notamment celui de l’accusé l’ont confirmé, le matelot de 1re classe Archibald était un marginal qui avait un peu de caractère et qui ne correspondait pas au type de marin qu’on s’attend de voir normalement à bord d’un navire. Il ne comptait essentiellement que sur lui-même et travaillait même seul. Il n’avait pas beaucoup d’interactions avec les autres, mais il était quand même capable de travailler avec les autres.

 

[86]           Même si le matelot de 1re classe Thies a qualifié le renvoi du matelot de 1re classe Moulaison du navire comme un événement digne de mention, en ce sens que cela l’avait personnellement bouleversé, il a également tenté de dépeindre cette journée comme une journée comme les autres. Il se souvient nettement d’avoir rencontré les matelots de 1re classe Archibald et Klepy ce jour‑là, mais n’arrive pas à se rappeler leur sujet de discussion, pas même un seul mot. Il a qualifié sa conversation avec le matelot de 1re classe Archibald d’échange normal, habituel, et a expliqué qu’il s’inquiétait pour lui parce qu’il le sentait quelque peu désorienté. Cette attitude de l’accusé est difficile à concilier avec les sentiments qu’il éprouvait dans les circonstances, c’est‑à‑dire le fait qu’il était fâché contre le matelot de 1re classe Archibald. Il a expliqué à la Cour qu’il aurait fallu beaucoup de temps pour mettre sens dessus dessous la couchette et les effets personnels du matelot de 1re classe Archibald, et de taillader son matelas alors qu’en fait suivant son propre témoignage, confirmé par celui du maître de 1re classe Hulan, il ne semble pas que cette intervention ait pris autant de temps.

 

[87]           Il a expliqué à la Cour qu’il avait réglé son problème d’alcool qui lui avait causé des problèmes dans le passé en 2011 et 2012, alors qu’en janvier 2013 il prenait encore quelques bières au bar.

 

[88]           Il est apparu clairement à la Cour que, par son témoignage, il tentait délibérément de minimiser les répercussions émotionnelles que cette situation avait eues sur lui par suite de la plainte portée par le matelot de 1re classe Archibald contre le matelot de 1re classe Moulaison et du renvoi de ce dernier du navire, ce qui explique probablement sa mémoire sélective en ce qui concerne les événements survenus ce jour‑là. Dans ces conditions, la Cour a du mal à ajouter foi au déni catégorique de l’accusé au sujet des choses qu’il n’aurait pas dites ou faites en ce qui concerne les faits qui lui sont reprochés.

 

[89]           Je tiens à ajouter que les condamnations antérieures de l’accusé qui ont été présentées en preuve n’ont eu aucune incidence sur l’analyse de la Cour en l’espèce. Ces antécédents concernent des problèmes totalement différents de ceux faisant l’objet des accusations soumises à l’examen de la Cour et la Cour ne s’en est pas servie pour se prononcer sur la propension de l’accusé à récidiver ou pour déterminer la moralité de l’accusé. De plus, les antécédents de l’accusé n’ont absolument aucune incidence sur sa fiabilité ou sur sa crédibilité. Du point de vue de la Cour, ces éléments ont en l’espèce un effet neutre en tant que facteur de l’analyse de la crédibilité et de la fiabilité de l’accusé.

 

[90]           Appliquant donc le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W.(D.), et après avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de ne pas ajouter foi au témoignage de l’accusé quant au fait qu’il n’a pas délibérément menacé de causer des lésions corporelles, qu’il n’a pas adressé à un autre justiciable du code de discipline militaire des propos provocateurs de nature à susciter une querelle, qu’il n’a pas délibérément détruit des biens appartenant aux forces de Sa Majesté et qu’il n’a pas porté délibérément atteinte à des biens de façon illicite.

 

[91]           La Cour se penche maintenant sur le second volet du critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W.(D.). Malgré le fait que la Cour a conclu qu’il n’y a pas lieu d’ajouter foi au témoignage du matelot de 1re classe Thies, quel est l’impact de cette conclusion sur l’ensemble de la preuve? Il n’y a rien dans ce témoignage qui laisse subsister dans l’esprit de la Cour des doutes raisonnables au sujet des chefs d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation. La Cour doit donc passer au troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt R c W.(D.).

 

[92]           Essentiellement, le premier et le deuxième chef d’accusation sont fondés sur le témoignage du matelot de 1re classe Archibald. Ce dernier a témoigné sans détour et de façon claire et calme. Il a communiqué des renseignements détaillés d’une façon étonnante et inusitée dans son cas au sujet des événements survenus ce jour‑là. Il a clairement affirmé qu’il était un marginal et sa version des faits était cohérente.

 

[93]           Du point de vue de la Cour, les éléments de preuve incidents présentés par l’accusé au sujet du présumé incident de l’agression sexuelle ne soulèvent aucun doute pour ce qui est de la fiabilité et de la crédibilité du plaignant en l’espèce. Essentiellement, le témoignage du matelot de 1re classe Archibald comportait certaines incohérences, mais rien qui soulèverait dans l’esprit de la Cour des doutes au sujet de sa crédibilité. L’accusé voudrait que la Cour conclue que le plaignant n’est ni fiable ni crédible parce qu’il n’a pas été cru comme le démontre le fait que la poursuite a recommandé à l’enquêteur de ne pas déposer d’accusations. Toutefois, la preuve révèle plutôt qu’une telle recommandation n’a pas été faite et que c’était parce que la preuve était insuffisante pour déposer des accusations qu’aucune suite n’a été donnée au dossier. Il n’y a rien dans la preuve présentée en l’espèce par l’accusé qui permettrait à la Cour de conclure d’une manière ou d’une autre que le fait qu’aucune accusation n’a été portée s’explique par le fait que les autorités n’ont pas cru le matelot de 1re classe Archibald.

 

[94]           De plus, le maître de 1re classe Hulan a confirmé que le matelot de 1re classe Archibald était préoccupé et stressé par tous ces événements, en ce sens que le matelot de 1re classe Moulaison avait confirmé son tempérament et que le matelot‑chef Legacy l’avait informé au sujet des attouchements déplacés de Moulaison et lui avait demandé de ne pas en parler tant qu’il n’aurait pas décidé de la suite qu’il voulait donner à l’incident. Les témoins en question que l’accusé a appelés à la barre ont confirmé certains aspects de son témoignage.

 

[95]           Je tiens à ajouter que la fiabilité et la crédibilité des témoins appelés à la barre par l’accusé au cours du présent procès ne posent pas problème. Ils ont tous témoigné sans détour, ont demandé aux avocats de répéter la question lorsqu’ils ne la saisissaient pas bien et n’ont pas hésité à corriger leur témoignage s’ils estimaient qu’ils devaient le faire.

 

[96]           La Cour estime donc que le témoignage du matelot de 1re classe Archibald est crédible et fiable.

 

[97]           En ce qui concerne le témoignage du matelot de 1re classe Klepy, la Cour en arrive à la même conclusion. Le troisième et le quatrième chef d’accusation reposent essentiellement sur son témoignage. Il a témoigné calmement et sans détour. Confronté au fait qu’il n’avait pas donné une version des faits cohérente aux enquêteurs et qu’il avait nié au départ être au courant de l’affaire, il n’a pas hésité à expliquer que, comme il craignait d’être perçu comme l’auteur de l’infraction, il avait ensuite décidé d’en dire le moins possible, sinon rien du tout. Il avait toutefois changé par la suite d’avis et ne voulait pas être perçu comme quelqu’un qui voulait cacher la vérité ou comme quelqu’un qui voulait protéger quelqu’un d’autre. Ces explications s’accordent avec les faits et avec son tempérament, c’est‑à‑dire en dire le moins possible pour éviter d’être perçu comme un dénonciateur.

 

[98]           Une fois confronté à ses déclarations antérieures, il s’est vite souvenu des faits et il a fait une déclaration cohérente conforme à ses souvenirs actuels. Il se souvient bien des événements et il a fourni à la Cour des observations claires. Lorsqu’il ne comprenait pas bien la question, il n’a pas hésité à demander aux avocats de la répéter. La preuve présentée par l’accusé n’a pas convaincu la Cour qu’elle ne devait pas lui faire confiance. Il semble à la Cour que les témoins en question se fondaient davantage sur leurs sentiments et opinions personnels que sur la logique pour justifier à la Cour à en conclure à un tel avis si général. Or, le matelot-chef Ploughman a confirmé qu’il s’était rendu dans sa chambre d’hôtel, lui avait dit que le matelas du matelot de 1re classe Archibald avait été tailladé et que le matelot de 1re classe Thies était soupçonné d’être impliqué dans l’affaire. D’une façon ou d’une autre, elle a dit qu’il avait clairement laissé entendre que c’était le matelot de 1re classe Thies qui avait commis l’infraction.

 

[99]           La Cour conclut que le témoignage du matelot de 1re classe Klepy est crédible et fiable.

 

[100]       En ce qui concerne le premier chef d’accusation, la Cour conclut que, selon le témoignage du matelot de 1re classe Archibald et, dans une moins grande mesure, celui du matelot de 1re classe Klepy, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé, le fait qu’il a menacé de causer des lésions corporelles et qu’il l’a fait sciemment.

 

[101]       Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction de proférer des menaces.

 

[102]       En ce qui concerne le deuxième chef d’accusation, la Cour conclut que, compte tenu du témoignage du matelot de 1re classe Archibald et, dans une moindre mesure, de celui du matelot de 1re classe Klepy, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé, le fait qu’il a adressé à une autre personne des propos provocateurs, que ces propos provocateurs étaient de nature à susciter une querelle et que la personne à qui ces propos étaient adressés était un autre justiciable du code de discipline militaire.

 

[103]       Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction de querelle.

 

[104]       Concernant le troisième chef d’accusation, la Cour conclut que, compte tenu du témoignage du matelot de 1re classe Klepy et de la pièce 3, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé, le fait qu’il a causé des dommages à des biens, qu’il savait ce qu’il faisait, et qu’il avait l’intention de le faire. Toutefois, la Cour conclut également que la poursuite n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable que les biens étaient la propriété publique des forces de Sa Majesté. Le seul témoignage du maître de 1re classe Hulan et du matelot de 1re classe Archibald ne suffisent pas pour s’acquitter de ce fardeau.

 

[105]       Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction de destruction délibérée de biens des forces de Sa Majesté.

 

[106]       Concernant le quatrième chef d’accusation, la Cour conclut, compte tenu du témoignage du matelot de 1re classe Klepy et de la pièce 3, que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé et le fait qu’il a détruit des biens et que sa conduite était illicite et délibérée.

 

[107]       Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de l’infraction de méfait.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[108]       VOUS DÉCLARE coupable du premier et du quatrième chef d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation, VOUS ACQUITTE du troisième chef d’accusation et ORDONNE une suspension d’instance sur le deuxième chef d’accusation.


Avocats :

 

Capitaine de corvette D.Reeves, Service canadien des poursuites militaires, Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat du matelot de 1re classe Thies

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