Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 31 mars 2014

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, a proféré des menaces (art. 261.1 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 86 LDN, a adressé des propos provocateurs à un justiciable du code de discipline militaire, tendant ainsi à créer une querelle.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 116 LDN, a volontairement détruit un bien des Forces de Sa Majesté.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, méfait n’excédant pas 5000$ (art. 430(4) C. cr.).

Verdict
•Chefs d’accusation 1, 4 : Coupable.
•Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance.
•Chef d’accusation 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Thies, 2014 CM 3007

 

Date : 20140404

Dossier : 201360

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 1re classe J.B. Thies, contrevenant

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]         Le matelot de 1re classe Thies a été jugé coupable par cette Cour de deux infractions à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale : la première d’avoir proféré des menaces au sens de l’article 264.1 du Code criminel et, la seconde, de méfait au sens du paragraphe 430(4) du Code criminel.

 

[2]               Ces infractions ont été commises en rapport avec deux incidents différents survenus le même jour, le 24 janvier 2013, après qu’un matelot qui aurait agressé sexuellement un autre matelot eut été renvoyé du navire.

 

[3]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

 

[4]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, de manière fiable et confiante. Le système de justice militaire veille aussi au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]               Il est depuis longtemps reconnu que le but d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux Forces armées de régler les affaires qui portent sur le respect du code de discipline militaire et d’assurer le maintien du rendement et du moral au sein des Forces canadiennes (R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la p. 293). La Cour suprême du Canada a également reconnu ce qui suit au paragraphe 31 du même arrêt :

 

Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

 

[6]               Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire.

 

[7]               En l’espèce, le procureur recommande à la Cour d’imposer une peine d’emprisonnement d’une période de 30 à 60 jours. D’un autre côté, l’avocat de la défense recommande à la Cour d’imposer un blâme et une amende de 1 000 $.

 

[8]               La détermination de la peine est une des tâches les plus difficiles du juge. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Généreux à la page 293 :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

La Cour souligne que, dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

Toutefois, la loi n’autorise pas une cour militaire à infliger une peine qui serait au-delà de ce que les circonstances requièrent. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et doit constituer l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[9]        L’objectif essentiel de la détermination de la peine par la cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  la protection du public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  la dénonciation du comportement illégal;

 

c)                  la dissuasion du contrevenant et de quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  la nécessité d’isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  la réadaptation et la réforme du contrevenant.

 

[10]      Le tribunal militaire détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

 

a)                  la peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b)                  la peine est proportionnelle au degré de responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

c)                  l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

d)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, si applicable en l’espèce, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme ont été bien établi dans des décisions de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et de la Cour suprême du Canada;

e)                  finalement, la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. 

[11]      La Cour est d’avis qu’en l’espèce, la peine devrait être axée sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. Il est important de retenir que le principe de la dissuasion générale implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[12]      En l’espèce, la Cour doit se prononcer sur deux infractions qui concernent une question de respect : le respect de la loi et le respect d’autrui. Comme le procureur l’a mentionné, le fait de vivre dans un milieu clos avec d’autres camarades de bord représente un défi comme dans le cas de tout autre environnement au sein des Forces canadiennes et le succès de toute mission dépend notamment de ce facteur.

 

[13]      Le moral et la cohésion au sein de l’équipage ou de l’unité seraient optimaux si les membres des Forces canadiennes se reconnaissaient et se respectaient mutuellement. En tentant d’intimider l’un de vos camarades par des menaces et par la destruction de son matelas, vous êtes allé beaucoup plus loin qu’un simple échange de points de vue pour exprimer votre désapprobation personnelle de la situation. Par vos gestes, vous avez compromis la relation de confiance qui doit toujours exister parmi les matelots.

 

[14]      Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes suivantes.

 

[15]      La Cour considère comme des circonstances aggravantes :

 

                  a)            la gravité objective des infractions. Vous avez été déclaré coupable par cette Cour de deux infractions portées en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale : la première d’avoir proféré des menaces contrairement à l’article 264.1 du Code criminel pour laquelle la peine maximale prévue est un emprisonnement de cinq ans et, la seconde, pour un méfait dont la peine maximale prévue au paragraphe 430(4) du Code criminel est un emprisonnement de deux ans;

 

                  b)            Il y a également la gravité subjective des infractions;

 

                                             i.            le manque de respect révélé par vos agissements. Vous avez de toute évidence laissé vos émotions guider votre jugement et l’alcool n’est pas une excuse en l’occurrence. Le respect pour la dignité et l’intégrité physique et psychologique d’autrui, y compris de vos camarades de bord est important non seulement à bord, mais également au sein de la société canadienne et doit en tout temps être imposé. Vous avez de toute évidence manqué à ce devoir dans cette situation;

 

                                           ii.            j’ai également tenu compte, comme autre facteur, votre rang et votre expérience. À l’époque, en 2013, vous comptiez une douzaine d’années d’expérience au sein des Forces canadiennes. En raison de ce facteur et compte tenu du rang que vous occupiez, vous auriez dû montrer un peu plus de discernement et, par vos actes, témoigner de l’expérience que vous aviez à bord d’un navire et du rang que vous occupiez;

 

                                          iii.                        il y a également votre fiche de conduite. Comme les deux parties l’ont fait ressortir, on ne trouve aucune infraction semblable sur votre fiche de conduite soumise à la Cour; toutefois, on constate qu’au cours des dernières années, vous avez eu certaines difficultés à respecter les exigences du service.

 

[16]      J’ai également tenu compte des circonstances atténuantes suivantes :

 

a)                  votre âge et vos perspectives de carrière. Suivant la preuve, je crois comprendre que vous êtes âgé de 31 ans. Vous venez de commencer votre vie comme civil. Vous tentez de vous reprendre en main et de vous réorganiser et je dois tenir compte de ce facteur. Vous avez beaucoup de choses à régler sur le plan financier en plus de fréquenter une nouvelle personne, de fonder une famille, de vous occuper d’un nouveau travail et d’améliorer votre situation. Je crois qu’il ressort à l’évidence de votre témoignage que c’est un facteur dont la Cour doit tenir compte;

 

b)                  il y a aussi le fait que vous avez dû vous présenter devant la Cour, ce qui a certainement eu un effet dissuasif sur vous et sur d’autres. La Cour est convaincue que vous avez compris le message et que vous le ferez passer à d’autres, et la Cour doit tenir compte de ce facteur dissuasif.

 

[17]      Concernant le fait que la cour inflige une peine d’incarcération au matelot de 1re classe Thies, je dois tout d’abord rappeler, comme la Cour suprême du Canada a bien établi dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 RCS 688, et que la Cour d’appel de la cour martiale a réitéré dans l’arrêt R. c. Baptista, 2006 CACM 1, que l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier ressort.

 

[18]      En l’espèce, j’ai tenu compte de la nature des infractions, qui sont des actes criminels en soi. J’ai également tenu compte des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes de détermination de la peine applicables, notamment des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes précédemment mentionnées, de la jurisprudence portant sur des infractions semblables qui illustrent le principe de la constance des peines et je conclus qu’il existe d’autres sanctions ou combinaisons de sanctions autre que l’emprisonnement qui sembleraient une peine appropriée en l’espèce. En termes clairs, je ne crois pas que l’incarcération devrait être infligée en dernier ressort dans les circonstances.

 

[19]      Je tiens à dire que je suis d’accord avec l’avocat de la défense pour dire que, dans les circonstances, une reprimande et une amende semblent constituer une sanction juste et appropriée. J’accepte donc la suggestion de l’avocat de la défense de vous imposer un blâme et de vous condamner à une amende comme il le suggère.

 

[20]      J’ai envisagé la possibilité de prononcer une ordonnance d’interdiction de possession d’armes conformément à la demande de l’avocat de la poursuite. À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable ni nécessaire pour votre sécurité et celle d’autrui compte tenu des circonstances du présent procès, d’autant plus que le degré de violence n’est pas très élevé, que vous avez usé de violence non pas envers une personne, mais envers des biens et, que, de mon point de vue, devrait être considéré comme hors de caractère, que vous n’avez aucun antécédent en la matière et que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, cette mesure ne conviendrait pas en l’espèce.

 

[21]      De mon point de vue, le présent procès constitue le terme de votre carrière au sein des Forces canadiennes. Certes, vous avez encore des liens avec le ministère des Anciens combattants, mais il s’agit d’une question tout à fait différente, d’une question purement personnelle. Pour ce qui est par contre de vos liens avec les Forces canadiennes, vos liens sont essentiellement rompus. J’espère que vous serez en mesure de tourner la page et de passer à autre chose. Vous avez consacré beaucoup d’efforts pour vous reprendre en main et pour vous occuper de vous-même et de votre famille et j’ai notamment constaté que vous avez l’intention de donner l’exemple à votre belle‑fille en vous mariant et je crois que vous devriez surtout tirer une leçon de tous ces événements. À mon sens, il y a plusieurs façons d’exprimer son opinion; on peut désapprouver certains gestes ou certaines façons de faire des autres et on a le droit de l’exprimer, mais il y a des limites à le faire et menacer les gens, et j’estime que de tenter de les intimider ou de les impressionner n’est pas la façon de faire, et je crois que vous pouvez vous servir de votre expérience pour montrer aux autres à faire les choses différemment. Et, pour autant, je souhaite que tout se passe bien pour vous. Même si vous n’êtes plus membre des Forces canadiennes, vous demeurez un citoyen canadien et je souhaite que votre santé et votre vie s’amélioreront. Vous avez pris une décision pour vous-même en quittant les Forces armées et je crois que c’est car vous saviez que c’était la meilleure décision pour vous à ce moment‑là. Je vous souhaite le meilleur succès possible dans vos entreprises.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]      VOUS IMPOSE un blâme et VOUS CONDAMNE à une amende de 1 000 $, qui devra être acquittée par le versement d’un montant de 500 $ le 1er mai 2014, suivi d’un dernier versement mensuel le mois suivant.

 

[23]      ESTIME, eu égard aux circonstances dans lesquelles le contrevenant a commis les infractions, que sa sécurité et celle de toute autre personne ne commandent pas qu’une ordonnance d’interdiction soit rendue en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Major D. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 1re classe Thies

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