Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 10 novembre 2008

Endroit : Peterson Air Force Base, the Staff Judge Advocate courtroom, Colorado Springs, Colorado

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.
•Chef d'accusation 3 : Art. 90 LDN, s'est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Contenu de la décision

Référence :  R. c. Matelot-chef R.J. Middlemiss, 2008 CM 1025

 

Dossier : 200857

 

 

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

CANADA

QUÉBEC

CENTRE ASTICOU, GATINEAU

 

Date : 15 décembre 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

MATELOT‑CHEF R.J. MIDDLEMISS

(demandeur)

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

(défenderesse)

 

DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE TENDANT À FAIRE ÉTABLIR QUE LA COUR MARTIALE GÉNÉRALE NEST PAS UN TRIBUNAL INDÉPENDANT ET IMPARTIAL, FORMÉE SOUS LE RÉGIME DE LARTICLE 7 ET DE LALINÉA 11d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

(prononcée de vive voix)

 

 

INTRODUCTION

 


[1]     Par avis de demande déposé le 23 octobre 2008, le demandeur a informé la cour de son intention de former une demande relative à une question de droit, tendant à faire établir que les cours martiales générales constituées en vertu des articles 166 à 168 de la Loi sur la défense nationale ne sont pas des tribunaux indépendants et impartiaux sous le régime de larticle 7 et de lalinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Le demandeur priait la cour de prononcer une suspension dinstance et toutes autres mesures de réparation quelle estimerait justes et appropriées. Il précisait quil invoquerait ce motif pour présenter une fin de non-recevoir en vertu de lalinéa 112.05(5)b) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). La cour a entendu cette demande les 10 et 12 novembre 2008. Au cours de cette audience, elle a refusé dinstruire la demande en tant que fin de non‑recevoir sous le régime de lalinéa 112.05(5)b) et de larticle 112.24 des ORFC, et a accepté de lexaminer dans le cadre de leur alinéa 112.05(5)e) et de leur article 112.07 en tant que demande relative à une question de droit ou à une question mixte de droit et de fait. Selon le demandeur, la question de lindépendance et de limpartialité des juges militaires présidant les procès en cour martiale et dautres procédures judiciaires, qui avait été examinée il y a près de trois ans dans une série de décisions de cours martiales à savoir R. c. Nguyen, R. c. Ex‑matelot de 1re classe Lasalle et R. Caporal Joseph[1], a été rouverte par lévolution récente de la jurisprudence, notamment par larrêt qua rendu la Cour dappel de la cour martiale sur les appels R. c. Dunphy et R. c. Parsons[2]. Le demandeur soutient en outre que le nouveau dispositif réglementaire adopté par le gouverneur en conseil le 11 mars 2008 concernant la procédure de renouvellement du mandat des juges militaires est encore insuffisant pour remplir les conditions de lindépendance judiciaire.

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 

Le demandeur

 

[2]     Jexaminerai maintenant les prétentions et moyens des parties. Dans ses conclusions orales aussi bien quécrites, le demandeur soutient que les cours martiales générales, telles quelles sont actuellement constituées en vertu des articles 166 à 168 de la Loi sur la défense nationale, ne sont pas des tribunaux indépendants et impartiaux sous le régime de larticle 7 et de lalinéa 11d) de la Charte, au motif que les juges militaires qui président ces cours ne présentent pas de garanties suffisantes dindépendance judiciaire. La justification de cette restriction des droits prévus par la Charte, selon le demandeur, ne peut se démontrer au titre de larticle premier de celle‑ci dans le cadre dune société libre et démocratique. Par conséquent, le demandeur prie la cour de déclarer les dispositions législatives concernées nulles et de nul effet en vertu de larticle 52 de la Loi constitutionnelle.

 


[3]     Le demandeur fait valoir que la question de lindépendance et de limpartialité judiciaires des juges militaires présidant les procès en cour martiale et dautres procédures judiciaires, examinée il y a près de trois ans dans une série de décisions, a été rouverte par lévolution récente de la jurisprudence, notamment larrêt de la CACM sur les appels R. c. Dunphy et R. c. Parsons. Il ajoute que le nouveau dispositif réglementaire adopté par le gouverneur en conseil le 11 mars 2008 touchant la procédure de renouvellement du mandat des juges militaires ne suffit pas à remplir les conditions de lindépendance judiciaire. Cette nouvelle procédure de renouvellement serait insuffisante au motif que le comité dexamen ne peut formuler que des recommandations, qui ne lient pas lexécutif. Le demandeur fait en outre valoir que cette procédure nest ni publique ni transparente, et que le public na aucun moyen dexaminer les motifs des recommandations du comité dexamen ni des décisions de lexécutif concernant le renouvellement des mandats. Enfin, soutient le demandeur, la liste des facteurs à prendre en considération est inadéquate parce quelle nest pas exhaustive et peut être changée au gré de lexécutif, tandis que le facteur « toute exigence militaire impérieuse » que prévoit lalinéa 101.17(2)b) des ORFC est si peu contraignant, si général et si vague quon pourrait sur son fondement refuser de renouveler les mandats des juges militaires pour des motifs occultes et illégitimes. 

 

[4]     Le demandeur conclut en déclarant que la logique suivie dans les décisions Nguyen, Lasalle et Joseph est convaincante, pertinente et juste. Selon lui, larrêt rendu par la Cour dappel de la cour martiale sur les appels Dunphy et Parsons confirme le raisonnement des trois décisions susdites, encore quon puisse soutenir que cette confirmation se trouve exprimée dans des remarques incidentes. Le seul point sur lequel le demandeur sécarte du raisonnement adopté par les cours martiales dans les décisions  Nguyen, Lasalle et Joseph est la question de la réparation appropriée. Sil est daccord pour dire que le législateur adoptera vraisemblablement, et quil est légitime quil adopte, la solution consistant à nommer les juges militaires à titre inamovible jusquà la retraite, on ne peut tout simplement présumer cette intention, étant donné que ce nest pas là le seul choix possible du Parlement. Par conséquent, le demandeur sollicite comme mesure corrective une déclaration dinvalidité sous le régime du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle.

 

La défenderesse

 


[5]     La défenderesse soutient que la nomination des juges militaires pour un mandat de cinq ans nenfreint pas lalinéa 11d) de la Charte. Selon elle, les modifications apportées le 11 mars 2008 aux dispositions des ORFC concernant le renouvellement du mandat des juges militaires, en réponse à larrêt rendu par la Cour dappel de la cour martiale sur les appels Dunphy et Parsons, remplissent la condition dinamovibilité que suppose lalinéa 11d). Il convient de présumer, explique la défenderesse, que le juge en chef de la Cour dappel de la cour martiale, qui constitue à lui seul le comité dexamen, remplira sa tâche dans les règles, de sorte que la procédure de renouvellement nexige pas dautres garanties. La défenderesse concède que la question générale de savoir si la nomination des juges militaires pour un terme fixe de cinq ans que prévoit le paragraphe165.21(2) de la Loi sur la défense nationale enfreint lalinéa 11d) de la Charte na été ni examinée par la CACM ni débattue devant elle, et que celle­‑ci navait à décider que la question plus étroite de la constitutionnalité de la procédure de renouvellement du mandat, en particulier celle du caractère suffisant ou non des dispositions réglementaires prises sous le régime du paragraphe 165.21(3) de la Loi qui étaient applicables au moment des décisions prononcées par le juge militaire Lamont. Interrogée par la cour concernant la série de décisions Nguyen, Lasalle et Joseph, et leur effet juridique, la défenderesse a expliqué que la poursuite naurait pu contester devant la Cour dappel de la cour martiale la déclaration dinvalidité des paragraphes 165.21(2) et 165.21(3) prononcée par les cours martiales, étant donné que ces affaires avaient toutes les trois donné lieu à des verdicts de culpabilité.

 

[6]     La défenderesse soutient que la constitutionnalité des cours martiales générales ne peut être mise en question que si le juge militaire ne présente pas de garanties substantielles et suffisantes dindépendance judiciaire. Par conséquent, si la présente cour martiale concluait que le paragraphe 165.21(2) de la Loi, qui dispose que les juges militaires sont nommés pour un mandat de cinq ans, enfreint lalinéa 11d) de la Charte,  il conviendrait selon la défenderesse de suivre lapproche adoptée dans les décisions Nguyen, Lasalle, Joseph et Hoddinott : les termes « pour un mandat de cinq ans » devraient être dissociés du texte des paragraphes 165.21(2) et 165.21(3), invalidés et déclarés inopérants. Bien quaient expiré au Feuilleton les projets de loi C­‑7 et C‑45, qui auraient prévu linamovibilité des juges militaires jusquà lâge de la retraite, le législateur, selon la défenderesse, nen souscrirait vraisemblablement pas moins à une telle démarche.

 

LE CONTEXTE

 

[7]     Il est important, si lon veut donner de la présente demande une analyse claire et concise, den exposer suffisamment dès labord le contexte général et juridique. Dans les décisions Nguyen, Lasalle et Joseph, les cours martiales, que je présidais moi-même, ont statué quune cour martiale permanente présidée par un juge militaire nommé en vertu du paragraphe 165.21(2) ne constituait pas un tribunal indépendant et impartial sous le régime de lalinéa 11d) de la Charte. À lissue dun examen approfondi de la preuve produite devant la cour et de lévolution de la charge de juge militaire, jai conclu que la nomination dun juge militaire pour un mandat renouvelable de cinq ans ne constituait pas une atteinte minimale au droit garanti par la Charte dêtre jugé par un tribunal indépendant et impartial dans le contexte de la justice militaire tel que le définit la Loi sur la défense nationale. Bien que les cours aient déclaré parfaitement acceptable que des officiers puissent être nommés juges militaires strictement pour remplir des fonctions judiciaires ou des fonctions non incompatibles avec celles‑ci, elles ont aussi posé que la justification dun système de tribunaux militaires prévoyant, dune part, le jugement des infractions mineures par un officier de la chaîne de commandement dans le cadre de procès sommaires, et dautre part la constitution de cours martiales ne pouvant être présidées que par des juges militaires, lesquels jouent un important rôle constitutionnel, exigeait que les cours martiales soient conformes aux normes le plus rigoureuses possible dindépendance judiciaire. Les cours ont établi que la nomination des juges militaires pour un mandat fixe renouvelable ne tenait pas suffisamment compte de lévolution de la charge de juge militaire, ni de lextension du rôle et des fonctions de ces juges sous le régime applicable, dans le contexte de la société canadienne contemporaine.

 


[8]     Je nai pas considéré comme décisoire le fait que la nomination des juges militaires pour un mandat fixe et renouvelable nait pas été déclarée inconstitutionnelle dans le cadre des dispositions législatives antérieures. Le dispositif législatif actuel et lévolution récente du concept dindépendance judiciaire exigeaient à mon avis, pour que soient remplies les exigences constitutionnelles minimales, que le juge militaire soit nommé jusquà lâge de la retraire correspondant à son grade, par opposition à lâge de la retraite applicable aux autres juges désignés par le gouvernement fédéral. Par conséquent, la justification du paragraphe 165.21(2) ne pouvait pas se démontrer sous le régime de larticle premier de la Charte. Dans ces décisions, les cours martiales ont estimé que la réparation appropriée était à chercher dans lapplication de larticle 52 de la Loi constitutionnelle, mais que les circonstances ne justifiaient pas que soient prononcées des mesures de réparation individuelles sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. Le juge présidant ces cours martiales a rappelé limportance pour lui duser de retenue judiciaire dans le choix de sa ligne de conduite, compte tenu de la nature de la violation et du contexte des dispositions législatives examinées. Dans Nguyen, Lasalle et Joseph, les cours ont opté pour une solution de rechange à linvalidation complète, soit la formule de la dissociation, en retranchant les termes « pour un mandat de cinq ans » du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale. Par suite, le paragraphe 165.21(3) a été invalidé, puisque la procédure de renouvellement du mandat ne se trouvait plus nécessaire.

 


[9]     Dans les procès en cour martiale permanente qui ont donné lieu aux décisions Caporal-chef Dunphy[3] et Caporal Parsons[4], mon collègue, le juge militaire Lamont, avait à examiner des demandes identiques. Se fondant sur des éléments de preuve à peu près semblables, il a conclu que le caractère renouvelable du mandat des juges militaires ne portait pas atteinte, en soi, à la garantie dindépendance de ces juges. Plutôt que dexaminer de manière approfondie lévolution des rôles et des fonctions du juge militaire à la lumière de la jurisprudence et des dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que de lévolution récente de la notion dindépendance judiciaire, le juge Lamont a adopté une approche plus étroitement définie. Il a plutôt décidé danalyser la procédure de renouvellement du mandat des juges militaires, notamment la structure du comité dexamen et les facteurs que ce dernier pouvait prendre en considération selon les articles 101.15 à 101.17 des ORFC. Il a conclu que les dispositions réglementaires applicables ne respectaient pas lindépendance de la magistrature militaire quexige lalinéa 11d) de la Charte, et que les paragraphes 101.15(2), 101.15(3) et 101.17(2) des ORFC, étant incompatibles avec lalinéa 11d) de la Charte, devaient être déclarés inopérants sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle. Il est ensuite passé à lexamen de la procédure de renouvellement pour établir si elle remplissait la norme constitutionnelle de lindépendance judiciaire. Je souscris entièrement à sa conclusion selon laquelle le caractère renouvelable du mandat des juges militaires ne portait pas atteinte en soi à la garantie de leur indépendance. La cour martiale permanente formulait à ce propos les observations suivantes dans la décision Caporal Joseph :

 

[56] Comme lindiquait lancien juge en chef Lamer en 1992 dans larrêt Généreux, il est vrai que la Constitution nexige pas daccorder aux juges militaires linamovibilité jusquà la retraite équivalente à celle dont bénéficient les juges des cours criminelles ordinaires. Il est tout aussi vrai que la nomination des juges militaires pour un mandat fixe et renouvelable nest pas en soi inconstitutionnelle, ce que la Cour dappel de la cour martiale a clairement indiqué. Cette question complexe peut exister ailleurs dans dautres contextes. Par exemple, la question de la nomination de juges à temps partiel, choisis parmi les juges à la retraite, pour des mandats fixes et renouvelables a été examinée par dautres cours et cette situation, quoique différente, nest pas non plus en elle-même inconstitutionnelle.

 

[57] Lexamen de ces questions doit toutefois prendre en compte les dispositions législatives et réglementaires précises qui régissent la constitution et les procédures de la cour ou du tribunal au moment du procès. Cet examen doit aussi prendre en compte le contexte de lindépendance judiciaire, lequel évolue dans le temps.

 

[58] La nature des fonctions et le rôle accru du juge militaire dans le système de justice militaire depuis larrêt Lauzon est, selon la cour, la pierre angulaire de la modernisation ou de lévolution de ce système tel quil ressort de la Loi sur la défense nationale après ladoption du projet de loi C‑25. Selon la cour, cet élément ne fait pas seulement partie du contexte moderne des tribunaux militaires et de leur historique au Canada. La cour croit quils témoignent de la volonté manifeste du législateur de rapprocher davantage le système de justice militaire non seulement des tribunaux civils mais aussi des valeurs et des critères juridiques canadiens fondamentaux actuels tout en essayant de préserver les caractéristiques du système qui semblaient nécessaires dans le contexte singulier de larmée.

 

[10]   Aucune des décisions de cours martiales permanentes Nguyen, Lasalle et Joseph na été portée devant la Cour dappel de la cour martiale. Cependant, le caporal Parsons et le caporal-chef Dunphy ont tous deux interjeté appel de leurs déclarations de culpabilité. La Cour dappel de la cour martiale a rendu son arrêt sur ces deux appels le 29 janvier 2007[5]. Son exposé des motifs comporte les remarques liminaires suivantes :

 


[1] Les appels en lespèce ne sont pas connexes sur le plan factuel, mais ils soulèvent une question commune au sujet de lalinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte) : lindépendance du tribunal qui a instruit le procès. Le même juge militaire a instruit les deux affaires et a incorporé à la décision Dunphy les motifs quil avait rendus dans laffaire Parsons au sujet de la requête portant sur lalinéa 11d). Bien que le juge militaire eût déclaré que les dispositions portant sur le renouvellement des nominations des juges militaires violaient lalinéa 11d) de la Charte, il a refusé daccorder une réparation individuelle aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte. Parsons et Dunphy ont tous deux été déclarés coupables dun chef daccusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sens de larticle 129 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C., ch. N‑4. Ils interjettent appel de leur déclaration de culpabilité. Dans un appel incident, la Couronne conteste leur déclaration selon laquelle il y a eu violation de lalinéa 11d) et la déclaration dinvalidité prononcée en vertu de larticle 52 de la Charte. Pour les motifs suivants, nous souscrivons pour lessentiel aux conclusions du juge militaire selon lesquelles les articles en question violent la Charte et à sa décision selon laquelle aucune réparation individuelle ne devrait être accordée.

 

[11]   La Cour dappel de la cour martiale a décidé lappel Parsons sur le fondement dun autre motif avant dexaminer lappel Dunphy. Elle estimait que la seule question en litige dans celui‑ci était celle de savoir si le juge militaire avait commis une erreur en naccordant pas à Dunphy la réparation demandée sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. À la phase des plaidoiries de laudience de lappel, lavocat de lappelant a concédé que ce dernier navait pas droit à une réparation individuelle et que la mesure de réparation appropriée était une déclaration dinvalidité sous le régime du paragraphe 52(1). La Cour dappel de la cour martiale a en conséquence rejeté lappel.  Elle a examiné de manière plus approfondie les appels incidents de la Couronne aux paragraphes 13 à 24 de son exposé des motifs :

 

13.  Nous nous proposons maintenant de traiter de l'appel incident de la Couronne. Le juge militaire a déclaré que certains articles des O.R.R. portant sur le renouvellement des nominations des juges militaires étaient inopérants. Il a conclu que les paragraphes 101.15(2), 101.15(3) et 101.17(2) des O.R.R., qui prévoient la composition du comité d'examen, les facteurs dont ce comité doit tenir compte et les facteurs quil doit écarter lors de la formulation dune recommandation quant au renouvellement de la nomination d'un juge, donnaient lieu à une crainte raisonnable que le juge militaire ne puisse pas trancher l'affaire sans quil y ait ingérence d'acteurs externes [...]

 

14.  À supposer que notre décision quant aux appels n'ait pas rendu théorique l'appel incident et que nous en soyons régulièrement saisis, nous offrons les observations suivantes.

 

15.  Le critère quil faut appliquer pour déterminer sil y a inamovibilité dun juge militaire est objectif. Une personne sensée et raisonnable, informée des dispositions légales pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après lavoir étudiée en profondeur conclurait‑elle que le juge militaire qui préside une cour martiale est en mesure de statuer sur le fond de l'affaire qui lui est présentée sans interférence externe quant à la façon dont il mène l'affaire et rend sa décision? Voir R. c. Valente, [1985] 2 R.C.S. 673, aux paragraphes 12, 13 et 22; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, au paragraphe 57.

 

16.  Dans larrêt R. c. Généreux, [1992]  1 R.C.S. 259, au paragraphe 86, le juge en chef Lamer a déclaré :

 

Les officiers qui occupent la charge de juge militaire font partie des Forces armées et ne voudront probablement pas voir compromises leurs chances davancement dans le service. Il ne serait donc pas raisonnable dexiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusquà lâge de la retraite.

 


17.  Par la suite, dans larrêt R. c. Lauzon, [1998] A.C.A.C. no 5, au paragraphe 27, la Cour a conclu :

 

À notre avis, le fait que l'affectation d'un officier à un poste de juge militaire soit renouvelable ne conduit pas nécessairement à une conclusion d'absence d'indépendance institutionnelle si ce processus de renouvellement est assorti de garanties importantes et suffisantes pour assurer que la cour et le juge militaire en question soient à l'abri de pressions du pouvoir exécutif pouvant influer sur le sort des décisions à venir.

 

18.  Il est temps de réexaminer cette décision.

 

19.  La preuve présentée au juge militaire démontre que la raison d'être des arrêts Généreux, précité, et Lauzon, précité, n'existe plus. Il n'est plus vrai quune affectation à un poste de juge militaire n'est qu'une simple étape dans la carrière d'un avocat militaire, ni que les juges militaires veulent nécessairement maintenir leurs liens avec les Forces canadiennes pour conserver leurs chances d'avancement. Un juge militaire ne reçoit pas de Rapport d'évaluation de rendement, qui est nécessaire pour l'avancement professionnel. De plus, un juge militaire pourrait retourner à la chaîne de commandement et se trouver sous les ordres d'une personne contre qui il a déjà rendu un jugement. Le retour au service militaire régulier entraînerait aussi une importante perte financière.

 

20.  Avec les années, la cour martiale, quelles que soient ses différentes appellations, a  beaucoup changé. Pour la cour martiale générale, le juge militaire n'est plus un conseiller; il a maintenant un rôle semblable à celui d'un juge d'un tribunal civil; c'est encore plus le cas pour la cour martiale permanente comme celles qui ont rendu les décisions faisant l'objet du présent appel.

 

 

21.  Même si les O.R.R. prévoient certains facteurs dont le comité dexamen doit tenir compte, et d'autres qu'il doit écarter, il est clair que la décision du comité ne se limite pas à ces facteurs. Indépendamment du manque de transparence qui en découle, les articles en question ne constituent pas des contraintes réglementaires suffisantes qui puissent éliminer les préoccupations au sujet de l'inamovibilité. Comme l'ancien juge en chef Lamer l'a fait remarquer dans son dernier rapport, à la page 1406 du dossier d'appel, volume VII : « [...] il n'existe pas actuellement de garanties institutionnelles protégeant un juge militaire dont le mandat ne sera pas renouvelé contre une crainte raisonnable de partialité ».

 

22.  Il a conclu son rapport en recommandant que les juges militaires soient nommés à titre inamovible jusqu'à leur retraite des Forces canadiennes, sous réserve uniquement de révocation motivée sur recommandation d'un comité d'enquête.

 

23.  Nous souscrivons à sa recommandation que les juges militaires soient nommés à titre inamovible jusqu'à leur retraite, sous réserve uniquement de révocation motivée. Les lacunes que le juge militaire a dénoncées dans les jugements faisant l'objet du présent appel cesseraient de poser un problème si ces recommandations étaient suivies. Nous faisons aussi remarquer que les dispositions actuelles deviendront lettre morte si le projet de loi C‑7 est adopté.

 

24.  Par conséquent, nous souscrivons pour l'essentiel à la conclusion du juge militaire et ordonnons que l'appel incident soit rejeté.


Voilà donc délimités les contextes général et juridique de la présente demande.

 

DÉCISION

 

[12]   Dans Nguyen, Lasalle et Joseph, les cours martiales ont statué que le paragraphe 165.21(2) de la Loi enfreignait lalinéa 11d) de la Charte et que la justification de cette infraction ne pouvait se démontrer sous le régime de larticle premier de ladite Charte. La réparation prononcée par ces cours martiales revêtait la forme dune déclaration dinvalidité sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle, ayant pour effets le retranchement des  termes « pour un mandat de cinq ans » du paragraphe 165.21(2) de la Loi, ainsi que lannulation de son paragraphe 165.21(3) et de diverses dispositions réglementaires. Ces décisions sont encore en vigueur. Comme l’écrivait le juge Gauthier au nom de la Cour suprême du Canada à la page 528 de larrêt Nouvelle-Écosse (Workers Compensation Board) c. Martin[6] :

 

Linvalidité dune disposition législative incompatible avec la Charte découle non pas dune déclaration dinconstitutionnalité par une cour de justice, mais plutôt de lapplication du par. 52(1). Donc, en principe, une telle disposition est invalide dès son adoption, et lobtention dun jugement déclaratoire à cet effet nest quun moyen parmi dautres de protéger ceux et celles qui en souffrent préjudice. En ce sens, la question de la constitutionnalité est inhérente à tout texte législatif en raison du par. 52(1). Les tribunaux judiciaires ne doivent pas appliquer des règles de droit invalides, et il en va de même pour tout niveau ou organe de gouvernement, y compris un organe administratif de lÉtat.

 

[13]   Ni la présente espèce ni les autres affaires portées devant des cours martiales ces dernières années nont mis en discussion la question de la compétence de telles cours pour prononcer des mesures de réparation sous le régime de la Charte et de larticle 52 de la Loi constitutionnelle. Dans Nguyen, Lasalle et Joseph, les cours martiales ont prononcé des mesures de réparation identiques sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle, et elles nont pas suspendu la déclaration dinvalidité. Le fait quune cour martiale soit un tribunal ad hoc ninflue pas sur la légalité ni leffet de sa décision. Les décisions des cours martiales, y compris les déclarations dinvalidité, ont le même effet juridique que toute décision dun tribunal judiciaire compétent. Peter Hogg formule des observations claires sur leffet des dispositions législatives inconstitutionnelles aux pages 58‑4.2 et 58‑4.3 de son ouvrage Constitutional Law in Canada[7] :

 


    [TRADUCTION] Existe‑t‑il une obligation dobéissance à une loi inconstitutionnelle? Si la loi a fait lobjet dune déclaration dinvalidité suspendue, il y a obligation dobéir à la loi inconstitutionnelle pour la durée de la suspension ou jusquà ce quun texte correctif lait remplacée. Mis à part ce cas inhabituel, une fois que la Cour suprême du Canada a statué quune loi est inconstitutionnelle, il ne peut y avoir aucun doute sur la situation de cette loi : elle est invalide, et lon na pas à y obéir. Une décision dinvalidité prononcée par un tribunal judiciaire inférieur a le même effet. En outre, il est peu probable que le gouvernement réussirait à obtenir un sursis à statuer ou une injonction ordonnant dobéir à la loi en question en attendant lissue dun appel. Évidemment, la décision dinconstitutionnalité pourrait être infirmée en appel, auquel cas le principe à appliquer serait quelle a toujours été constitutionnelle. Quiconque désobéit à une loi sur la foi du jugement dun tribunal inférieur comme quoi cette loi est inconstitutionnelle prend le risque de voir celle‑ci déclarée en fin de compte constitutionnelle. Cependant, il est peu probable quune telle personne encourrait une responsabilité pénale par leffet rétroactif de linfirmation en appel de la décision dinconstitutionnalité.

 

[14]   Dans sa version actuelle, le paragraphe 165.21(2) est libellé comme suit :

 

165.21(2) Un juge militaire est nommé à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation dun comité denquête établi par règlement du gouverneur en conseil.

 

[15]   Pour ce qui concerne la situation du paragraphe 165.21(3), la déclaration dinvalidité prononcée dans Nguyen, Lasalle et Joseph na pas été suspendue parce que ce paragraphe se trouvait privé dobjet par suite des décisions des cours martiales et du moyen choisi pour rendre le paragraphe 165.21(2) conforme à la Charte.

 

[16]   La Cour dappel de la cour martiale na pas examiné la constitutionnalité des paragraphes 165.21(2) et (3) de la Loi sur la défense nationale dans R. c. Dunphy et R. c. Parsons[8], et navait pas non plus à le faire. Cependant, elle a formulé les observations suivantes aux paragraphes 18 à 23 :  

 

[18] Il est temps de réexaminer cette décision.

 

Jai déjà cité les paragraphes 19 à 23 de cet arrêt au paragraphe 11 de la présente décision, auquel je prie les avocats de se reporter.

 


[17]   Que la CACM, par les remarques précitées, ait adopté le raisonnement suivi par les cours martiales dans Nguyen, Lasalle et Joseph, ou ait tout simplement exprimé son adhésion à lopinion du juge en chef Lamer et au contenu du projet de loi C‑7, il reste quelle sest abstenue de formuler toute déclaration dinvalidité, étant donné quelle ny était pas obligée et quil n’était pas nécessaire de le faire pour décider la question plus étroite soulevée dans les affaires Dunphy et Parsons. Cependant, il ne fait aucun doute que ces remarques de la CACM seront prises très au sérieux, voire considérées comme faisant autorité. Le juge Binnie, prononçant larrêt R. c. Henry[9] au nom de la Cour suprême du Canada, a formulé à son paragraphe 57 les observations suivantes sur le poids à attribuer aux remarques incidentes :

 

57.  Pour reprendre la formulation du comte Halsbury, il faut se demander chaque fois quelles questions ont été effectivement tranchées. Au‑delà de la ratio decidendi qui est généralement ancrée dans les faits, comme la signalé le comte Halsbury, le point de droit tranché par la Cour peut être aussi étroit que la directive au jury en cause dans Sellars ou aussi large que le test établi par larrêt Oakes. Les remarques incidentes nont pas et ne sont pas censées avoir toutes la même importance. Leur poids diminue lorsquelles séloignent de la stricte ratio decidendi pour sinscrire dans un cadre danalyse plus large dont le but est manifestement de fournir des balises et qui devrait être accepté comme faisant autorité. Au‑delà, il sagira de commentaires, dexemples ou dexposés qui se veulent utiles et peuvent être jugés convaincants, mais qui ne sont certainement pas « contraignants « comme le voudrait le principe Sellars dans son expression la plus extrême.

 

[18]   Les parties ont souscrit dans le cadre de la présente demande au contenu des projets de loi C‑7 et C‑45, soumis en première lecture en mars 2008. Ces projets de loi contenaient des modifications de la Loi sur la défense nationale qui auraient supprimé la nomination des juges militaires pour un mandat fixe et auraient disposé que leur fonction prenait fin au moment de leur libération des Forces canadiennes sur demande ou une fois atteint l’âge de la retraite. Or ces projets de loi ont expiré au Feuilleton. On ignore si le Parlement essaiera dintroduire des dispositions semblables dans un avenir prochain, mais il paraît acquis que de tels projets de modifications témoignaient de lintention des gouvernements récents de faire adopter des dispositions prévoyant bel et bien la nomination des juges militaires jusqu’à l’âge de la retraite. On ne sait pas non plus si les dispositions du projet de loi C‑45 portant sur linamovibilité des juges militaires se voulaient, en tout ou partie, une réponse aux décisions de cours martiales Ngyuen, Lasalle et Joseph, à larrêt rendu par la Cour dappel de la cour martiale sur les affaires Dunphy et Parsons, et au rapport Lamer. Cependant, cela ninflue pas sur la légalité et leffet des déclarations dinvalidité prononcées dans Ngyuen, Lasalle et Joseph. Autrement dit, cela na pas pour effet de les annuler ou de les infirmer. Les décisions judiciaires ne sont pas des avis juridiques et doivent être respectées en conséquence. Or la promulgation par le gouverneur en conseil, en mars 2008, des nouvelles dispositions réglementaires régissant la procédure de renouvellement du mandat des juges militaires est fondée sur les dispositions législatives attaquées, plus précisément le paragraphe 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale, qui a été déclaré nul et de nul effet sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle.

 


[19]   Il est intéressant de noter que, malgré les occasions que le Parlement a manquées de voter les projets de loi C‑7 et C‑45, la Loi sur la défense nationale a subi des modifications notables en 2008. Premièrement, la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une autre loi en conséquence, 2008, ch. 29, a reçu la sanction royale le 18 juin 2008. Parmi les modifications importantes ainsi apportées à la Loi sur la défense nationale, notons la réduction à deux du nombre des catégories de cours martiales (qui était de quatre) et le droit accordé à laccusé, dans certains cas, de choisir la catégorie de la cour martiale qui sera convoquée. Cette loi modificative dispose aussi que certaines décisions du comité dune cour martiale générale doivent être unanimes. Si on les considère dun point de vue objectif, ces mesures ne peuvent quaccroître l’équité du système de justice militaire en permettant aux membres des Forces canadiennes de choisir la manière dont ils seront jugés, leur conférant ainsi un droit équivalent à ceux que garantit actuellement au Canada le système civil de justice pénale. Deuxièmement, la Loi sur la défense nationale a été aussi modifiée par lentrée en vigueur le 12 septembre 2008 de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, le Code criminel, la Loi sur lenregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le casier judiciaire, 2005, ch. 5 (qui avait reçu la sanction royale le 29 mars 2007), ainsi que de ses dispositions réglementaires dapplication. La nouvelle section 8.1, intitulée « Renseignements sur les délinquants sexuels », crée un régime parallèle à celui du Code criminel, qui oblige les délinquants ayant commis des infractions sexuelles dordre militaire à fournir des renseignements aux fins denregistrement dans une base nationale de données sous le régime de la Loi sur lenregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels. Ces toutes récentes améliorations apportées au système de justice militaire montrent clairement que les cours martiales continuent d’évoluer avec le temps, et cette constante évolution législative et jurisprudentielle confirme que le rôle, le statut, la compétence et les fonctions des juges militaires ressemblent de plus en plus à ceux de leurs homologues du système civil. Contrairement aux juges de paix, qui remplissent des fonctions judiciaires limitées pour seconder les juges des cours provinciales et supérieures, les juges militaires président des tribunaux sui generis, tout comme ils exercent en matière criminelle et pénale une compétence très large, qui les habilite seule, dans le cadre du système de justice militaire, à prononcer les peines les plus sévères que permet le droit canadien.  

 


[20]   Les deux parties font valoir que la cour devrait agir avec retenue et sabstenir dusurper le rôle du législateur dans la détermination dune réparation appropriée dépassant la simple déclaration dinvalidité sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle. Sil est vrai que la Charte nexige pas quon accorde aux juges militaires une inamovibilité équivalente à celles dont jouissent les juges des tribunaux pénaux ordinaires, il reste que la nature des fonctions du juge militaire et lextension de son rôle dans le système de justice militaire depuis Lauzon constituent l’élément moteur de la modernisation ou de l’évolution de ce système tel quil se dégage de la Loi sur la défense nationale. Les modifications les plus récentes de celle‑ci forment autant de nouvelles manifestations de lintention résolue du législateur daligner le système de justice militaire sur les valeurs et critères de justice fondamentaux qui sont actuellement ceux de la société canadienne. Comme il est dit dans les décisions Nguyen, Lasalle et Joseph, il ny a pas de règle juridique impérative qui exigerait que l’âge de la retraite du juge militaire nommé à titre inamovible soit semblable à celui des autres juges nommés par le gouvernement fédéral ou des juges des cours provinciales. Mais le rôle et la fonction des juges militaires ont évolué de telle sorte que les cours martiales quils président puissent jouer aujourdhui le rôle essentiel et exclusif de défendre le principe de la légalité et de protéger les droits constitutionnels des justiciables du code de discipline militaire dans le cadre du système canadien de justice militaire. Je suis on ne peut plus convaincu que lexigence constitutionnelle minimale en matière dindépendance judiciaire dans le contexte du système canadien de justice militaire implique que le juge militaire soit nommé à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite, pour le bien de tous les justiciables du code de discipline militaire. Cest là lexigence constitutionnelle minimale eu égard aux circonstances. Voilà pourquoi les cours martiales saisies des affaires Nguyen, Lasalle et Joseph ont choisi la solution de rechange à linvalidation complète que constitue la dissociation en retranchant les termes « pour un mandat de cinq ans » du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale, annulant en conséquence son paragraphe 165.21(3), puisque la procédure de renouvellement du mandat perdait ainsi sa nécessité.

 

CONCLUSION

 

[21]   La question nest pas ici d’établir si notre cour devrait arriver à la même conclusion que celles saisies des affaires Nguyen, Lasalle et Joseph, et prononcer des mesures de réparation identiques aux leurs. La cour devrait-elle se demander si une démarche semblable serait appropriée dans la présente espèce, ou si elle devrait limiter son intervention à une déclaration comme quoi les paragraphes 165.212) et (3), ainsi que leurs dispositions réglementaires dapplication, sont inopérants sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle? La réponse est non. Comme je lai déjà rappelé plus haut, le texte du paragraphe 165.21(2) est maintenant le suivant :

 

165.21(2) Un juge militaire est nommé à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation dun comité denquête établi par règlement du gouverneur en conseil.

 

[22]   Ce paragraphe, dans sa version actuelle, nenfreint pas lalinéa 11d) de la Charte. Étant donné la preuve produite devant la cour, le demandeur na pas établi que le dispositif législatif qui prévoit linamovibilité du juge militaire, sous réserve de révocation motivée sur recommandation dun comité denquête, ou jusqu’à ce quil cesse doccuper sa charge une fois quil a atteint l’âge fixé par règlement du gouverneur en conseil pour la retraite[10], porte atteinte à son droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial.

 


[23]   Bien que cela ne soit pas nécessaire pour décider la présente demande, comme je viens de le dire, jaimerais néanmoins proposer les remarques suivantes. La juge en chef McLachlin a formulé aux pages 119 et 120 de larrêt récent de la Cour suprême du Canada intitulé R. c. Ferguson[11] les observations ci‑dessous concernant les mesures de réparation possibles sous le régime de larticle 52 de la Loi constitutionnelle et lusurpation du rôle du législateur :

 

[49]  Le paragraphe 52(1) confère aux tribunaux le pouvoir de déclarer inopérantes les « dispositions incompatibles » avec la Constitution.  Par conséquent, sil est possible de corriger linconstitutionnalité dune disposition sans linvalider complètement, le tribunal doit examiner les solutions de rechange à linvalidation.  Parmi les solutions auxquelles lart. 52 donne ouverture, on trouve la dissociation, linterprétation large et linterprétation atténuée.  Le gendarme Ferguson propose une exemption constitutionnelle en application du par. 24(1) à titre de mesure additionnelle permettant de réduire lempiétement sur le rôle législatif du Parlement lorsquun tribunal doit accorder une réparation à légard dune disposition inconstitutionnelle.

 

[50]  Par ailleurs, il est reconnu depuis longtemps que les tribunaux, en accordant dautres réparations telles la dissociation et linterprétation large, risquent dempiéter à tort sur le domaine législatif.  Une réparation autre que linvalidation peut sembler à première vue usurper à un moindre degré le rôle du législateur, mais constituer en réalité un empiétement injustifié.  Notre Cour a ainsi souligné que, lorsquils examinent les solutions de rechange à linvalidation, les tribunaux doivent vérifier attentivement si elles représentent un empiétement moins grave que linvalidation sur les fonctions du législateur.  Dans le choix de la réparation, les tribunaux seront donc guidés par le respect du rôle du législateur et des objectifs de la Charte : Schachter; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2.  Ces principes sappliquent de la même façon à lexemption constitutionnelle, la réparation proposée comme solution de rechange.  En lespèce, loctroi dune exemption constitutionnelle aurait pour effet de modifier la loi à tel point quelle serait dune tout autre nature que celle voulue par le législateur.  Il sensuit quune exemption constitutionnelle ne devrait pas être accordée.

 

[51]  Lorsquun tribunal choisit la dissociation ou linterprétation large plutôt que linvalidation, il part du principe que, si le législateur avait su que la disposition était entachée dun vice sur le plan constitutionnel, il laurait probablement édictée sous la forme modifiée que lui donne maintenant le tribunal en ayant recours à la dissociation ou à linterprétation large.  Par exemple, ainsi que notre Cour la fait remarquer dans Schachter, le critère applicable en cas de dissociation reconnaît que « lobjet apparemment louable du maintien des parties constitutionnelles de la loi repose sur la supposition que le législateur aurait adopté la partie constitutionnelle de la loi en question sans la partie inconstitutionnelle » (p. 697). Sil nest pas clair que le législateur aurait édicté la disposition avec les modifications envisagées par le tribunal ou sil est probable quil ne laurait pas fait , le tribunal empiéterait de façon injustifiée sur le domaine législatif en les introduisant.  En pareil cas, la réparation qui constitue lempiétement le moins grave consiste à invalider la disposition législative inconstitutionnelle, en application de lart. 52.  Il revient alors au législateur de décider quelle doit être la solution législative appropriée, le cas échéant.

 

 


[24]   Se fondant sur la preuve produite devant elle, notamment le contenu des projets de loi C‑7 et C‑45, la cour estime que le législateur suivrait très vraisemblablement la démarche adoptée par les cours martiales dans les affaires Nguyen, Lasalle et Joseph, consistant à retrancher des termes du paragraphe 165.21(2) avec les modifications qui sensuivent, afin d’établir par de nouvelles dispositions linamovibilité des juges militaires jusqu’à l’âge de la retraite

 

[25]   Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande est rejetée.

 

     

 

 

 

                                                                                             COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Poursuites militaires régionales, région du Centre

Major S.A. MacLeod, Poursuites militaires régionales, région du Centre

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Turner, Direction du service davocats de la défense

Capitaine de corvette P. Lévesque, Direction du service davocats de la défense

Avocats du matelot-chef Middlemiss



[1]2005 CM 57, 19 décembre 2005; 2005 CM 46, 21 décembre  2005; et 2005 CM 41, 10 janvier  2006.

[2]2007 CACM 1, 29 janvier 2007.

[3]2005 CM 33, 14 février 2006.

[4]2005 CM 16, 31 janvier 2006.

[5]Supra, note 2.

[6][2003] 2 R.C.S. 504.

[7]5e édition, avec suppléments (feuilles mobiles), volume 2, Toronto, Thomson Carswell, 2007.

[8]Supra, note 2.

[9](2005) 202 C.C.C. (3d) 449.

[10]Voir le paragraphe 165.21(4) de la Loi sur la défense nationale.

[11][2008] 1 R.C.S.  96.

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