Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 21 août 2012.

Endroit : Garnison Saint-Jean, 25 rue Grand Bernier, pièce B-134, Saint-Jean-sur-Richelieu (QC).

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
•Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 130 LDN, voies de fait art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

Résultats
•VERDICT : Chefs d’accusation 1, 3, 5 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 4, 6 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 200 $.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

 

Référence : R c Lewis, 2012 CM 3010

 

Date : 20120822

Dossier : 201209

 

Cour martiale permanente

 

Garnison de St-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef D. Lewis, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Caporal-chef Lewis, ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard des deuxième, quatrième et sixième chefs d’accusation figurant sur l’acte d’accusation, la cour vous déclare maintenant coupable de ces accusations. Étant donné que les première, troisième et cinquième accusations sont des accusations subsidiaires par rapport à celles dont la cour vous a déclaré coupable après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité et que le procureur de la poursuite a approuvé l’acceptation de votre plaidoyer de culpabilité à l’égard de ces accusations subsidiaires, qui sont moins graves que les autres et en raison desquelles vous avez plaidé non coupable aux accusations subsidiaires plus graves, la cour ordonne la suspension de l’instance dans les cas des première, troisième et cinquième accusations.

 

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la peine à infliger.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]         Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer 1’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières.

 

[5]               Dans la présente affaire, le procureur de la poursuite a fait valoir qu’une peine composée d’une réprimande et d’une amende de 1 000 $ répondrait aux exigences de la justice. Votre avocat a proposé à la cour de vous infliger la peine la moins sévère du barème de peines et la peine la plus légère des peines mineures que les tribunaux militaires peuvent infliger, soit un avertissement.

 

[6]               L’imposition d’une peine est la tâche la plus difficile d’un juge. Dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.S.C. 259, la Cour suprême du Canada a reconnu ce qui suit : « [P]our que les forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle a souligné que, dans le contexte particulier de la justice militaire, « les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une peine qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par le tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l’infliction de peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  dénoncer le comportement illégal;

 

c.                   dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Lorsqu’i1 détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.                   la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.                   la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui-ci;

 

c.                   la peine doit être semblable à celles qui sont infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

d.                  le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e.                   enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

 

[9]               Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit viser surtout les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Contrairement à ce que l’avocat de la défense a soutenu, je ne crois pas que l’objectif de la réadaptation soit un facteur prépondérant en l’espèce. Cependant, une certaine importance doit lui être accordée.

 

[10]            La présente affaire concerne l’infraction militaire prévue à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, soit l’infliction de mauvais traitements à trois moments différents la même journée à l’encontre de trois personnes différentes qui étaient des subordonnés du contrevenant en raison de leur grade. Selon un principe d’éthique fondamental, chaque membre des Forces canadiennes doit respecter en tout temps la dignité de toute personne, y compris ses subordonnés.

 

[11]           Cette infraction vise essentiellement à éviter les situations d’abus d’autorité au sein des Forces canadiennes, lequel abus pourrait miner la confiance et le moral qui doivent habiter les soldats appelés à accomplir une mission.

 

[12]           Lors des événements, le caporal-chef Lewis était instructeur du cours de Qualification militaire de base (QMB), donné à l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC) à Saint-Jean-sur-Richelieu.

 

[13]           Vers le 2 septembre 2011, les stagiaires du cours QMB qui faisaient partie du peloton R24 devaient suivre une instruction en rotation sur le nettoyage et l’entretien de l’équipement et des quartiers militaires.

 

[14]           Lorsque le personnel du cours est arrivé sur le lieu, il est devenu évident que les membres du peloton R24 ne suivaient pas ou n’avaient pas reçu de directives, qui devaient être transmises par le stagiaire-chef. Les vêtements civils étaient empilés dans leur cubicule, l’équipement militaire n’était pas suspendu ou plié correctement, les lits n’étaient pas faits et les ordures étaient encore dans les poubelles. De façon générale, il y avait un manque de propreté qui allait à l’encontre des directives données.

 

[15]           Le caporal-chef Lewis, membre du personnel instructeur des stagiaires du peloton R24, a été informé de la situation par le premier maître de 2e classe Tribble et a ensuite pris les choses en main en donnant des directives aux candidats sur le soin à donner à leur équipement et à leurs quartiers.

 

[16]           La soldate Brophy et le soldat Barbeau se trouvaient dans la buanderie et le matelot de 3e classe Chambers, juste à l’extérieur de celle-ci. Ils avaient reçu l’ordre de se placer dans la position de la planche, qui est semblable à la position « push-up », mais avec appui sur les avant-bras.

 

[17]           Le premier incident mettait en cause la soldate Brophy. Le caporal-chef Lewis a été entendu alors qu’il réprimandait sévèrement celle-ci, dont le cubicule était particulièrement en désordre. Le caporal-chef Lewis a ordonné à la soldate Brophy de se lever. Il a tenu la poubelle de celle-ci dans les airs, puis l’a laissée tomber, de sorte que la soldate Brophy a reçu une partie du contenu sur la tête.

 

[18]           Le deuxième incident concernait le soldat Barbeau. Alors que le caporal‑chef Lewis s’approchait, le soldat Barbeau se trouvait dans la buanderie, dans la position de la planche, comme il en avait reçu l’ordre. La buanderie comportait un mur en bloc de béton d’escarbilles ainsi qu’un demi-mur à un endroit de la pièce. Le caporal‑chef Lewis se trouvait de l’autre côté du demi-mur et a lancé une chaise contre le mur. La chaise a franchi le demi-mur et a atteint le soldat Barbeau sur le dos et sur les jambes. Après avoir donné l’avertissement tardif « move » (bouge), le caporal‑chef Lewis s’est dirigé vers le cubicule du soldat Barbeau; il a ordonné à celui-ci de se lever et a saccagé son cubicule.

 

[19]           Le troisième incident mettait en cause le matelot de 3e classe Chambers. Lorsque le caporal-chef Lewis s’est rendu au cubicule de celui-ci, il lui a ordonné de se lever et de rester au garde‑à-vous dans le couloir. Pendant que son cubicule était démantelé, le matelot de 3e classe Chambers a été frappé à la tête par un cartable lancé par le caporal‑chef Lewis. Il s’est ensuite fait dire de s’éloigner. Des articles de Canex et des vêtements ont également été éjectés des armoires-vestiaires.

 

[20]           Pour arriver à ce qu’elle estime être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs aggravants suivants :

 

a.       En premier lieu, la gravité objective des infractions. Les accusations portées contre vous ont été déposées conformément à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale et concernent les mauvais traitements que vous avez infligés à trois moments différents de la même journée à trois personnes différentes qui étaient vos subordonnés en raison de leur grade. Ce type d’infraction est passible d’un emprisonnement minimal de deux ans.

 

b.      En deuxième lieu, la gravité subjective des infractions, qui couvre les deux aspects suivants :

 

                                                  i.      Le premier élément aggravant d’un point de vue subjectif réside dans le manque de respect que vous avez affiché à l’endroit de vos subordonnés. En raison de votre fonction d’instructeur, de votre poste de CmdtA de section et de votre nomination de caporal-chef, il vous incombait de diriger et d’évaluer ces stagiaires, de leur fournir de la formation et d’exercer votre autorité à leur endroit d’une façon appropriée, ce que vous avez omis de faire pendant un bref moment. Votre longue expérience militaire et vos aptitudes personnelles auraient dû vous inciter à mieux vous comporter.

 

                                                ii.      Le deuxième élément aggravant réside dans le fait que vous n’avez pas hésité à abuser de votre autorité pour régler le problème d’une façon qui, vous le saviez, était entièrement inappropriée. Les nouveaux stagiaires qui suivent un cours de base sont très vulnérables et ont besoin de vous pour comprendre ce qui est correct ou ce qu’il ne faut pas faire. En exprimant comme vous l’avez fait votre colère et votre frustration personnelle au sujet de ce qui s’est passé, vous n’avez pas vraiment aidé qui que ce soit à comprendre la situation et à déterminer les mesures à prendre pour la corriger, et vous le saviez.

 

[21]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

a.                   D’abord, votre plaidoyer de culpabilité. Vu les faits présentés en l’espèce, la cour ne peut que considérer votre aveu de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Ce plaidoyer révèle également que vous assumez la pleine responsabilité des actes que vous avez commis.

 

b.                  Votre âge et vos perspectives professionnelles en tant que membre des Forces canadiennes : comme vous venez d’avoir 34 ans, vous disposez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement aux Forces canadiennes et à la société canadienne.

 

c.                   Le fait que vous avez eu à vous présenter devant la présente cour martiale, dans le cadre d’une audience annoncée et ouverte au public qui s’est déroulée en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Une telle situation laisse savoir que la conduite que vous avez affichée en ce qui a trait au respect qui doit exister entre les instructeurs et les recrues de l’ELRFC ne sera tolérée d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

 

d.                  Le fait que vous n’avez aucun casier judiciaire ou fiche de conduite pour des infractions de nature semblable.

 

e.                   Votre rendement professionnel remarquable dans le milieu de la formation et des opérations militaires. Tous les rapports d’appréciation du rendement, le rapport de cours et la revue de développement du personnel ainsi que l’octroi de la médaille du service méritoire en reconnaissance de la manière hautement professionnelle dont vous avez géré les événements du 3 septembre 2006 montrent clairement votre dévouement envers les Forces canadiennes et tous vos camarades, y compris vos frères d’armes. Vous faites définitivement passer les intérêts de votre pays avant les vôtres et cette attitude vous honore.

 

f.                   Les symptômes associés au trouble de stress post-traumatique (TSPT) diagnostiqué à votre égard. En raison de votre irritabilité dominante, de vos problèmes de sommeil et de votre hypervigilance, vous étiez davantage enclin à agir comme vous l’avez fait. Ces symptômes n’excusent pas vos gestes, mais ils ne vous ont manifestement pas aidé à gérer correctement les sentiments de honte et de colère que vous avez alors éprouvés. Ils expliquent pourquoi vous avez fait preuve d’une grande intolérance ce jour-là à l’égard des erreurs et de l’incompétence. De plus, la douleur physique que vous éprouviez, vos idées suicidaires et votre solitude ne vous aidaient pas non plus.

 

g.                  Le fait que vous avez accepté de l’aide médicale, que vous suivez actuellement des traitements médicaux et psychologiques et que vous avez pleinement collaboré depuis que vous avez sérieusement entrepris vos traitements démontre que la situation s’améliore au point où on vous fait confiance pour enseigner à des recrues; tout porte à croire qu’il est peu probable que vous commettiez à nouveau une infraction similaire.

 

h.                  Le fait qu’il s’agit d’un incident isolé et que les actes en cause ne vous ressemblent pas.

 

[22]           Quelle serait la peine appropriée à infliger dans les circonstances de la présente affaire? Comme l’a souligné le procureur de la poursuite, la peine se compose habituellement d’un blâme, d’une réprimande assortie d’une amende ou uniquement d’une amende. Le blâme et la réprimande doivent être considérés comme des peines sévères dans le contexte militaire. Ils sont plus sévères dans l’échelle des peines que l’amende, indépendamment du montant de celle-ci. Ils montrent qu’il existe des raisons de douter de l’engagement de la personne concernée lors de l’infraction et tiennent compte de la gravité de celle-ci, mais ils signifient également qu’il est permis d’espérer la réadaptation.

 

[23]           Dans la présente affaire, compte tenu du contexte, il n’y a aucune raison de douter de votre engagement lors de l’infraction, eu égard à l’ensemble des circonstances présentées en preuve. En conséquence, je ne vois pas en quoi le blâme ou la réprimande conviendrait en l’espèce.

 

[24]           Cependant, j’estime également que, eu égard à la gravité des infractions et aux circonstances dans lesquelles elles ont été commises, aux objectifs et principes applicables en matière de détermination de la peine ainsi qu’aux facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, une amende répondrait aux exigences de la justice en l’espèce.

 

[25]           Quel devrait être le montant de l’amende? Je suis d’avis que ce montant doit tenir compte des principaux principes liés à la gravité de l’infraction ainsi que de la responsabilité et du caractère du contrevenant. Il doit s’agir aussi d’une sanction qui peut être supprimée de la fiche de conduite. C’est pourquoi j’estime qu’une amende de 200 $ serait suffisante pour tenir compte de ces éléments.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[26]           Vous DÉCLARE coupable des deuxième, quatrième et sixième chefs d’accusation inscrits sur la fiche de conduite relativement à une infraction prévue à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, soit l’infliction de mauvais traitements à trois moments distincts de la même journée à l’encontre de trois personnes différentes qui étaient vos subordonnés en raison de leur grade.

 

[27]           ORDONNE la suspension de l’instance relativement aux premier, troisième et cinquième chefs d’accusation.

 

[28]           Vous CONDAMNE à une amende de 200 $, à payer immédiatement.

 


 

Avocats :

 

Major P. Doucet, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal-chef D. Lewis

 

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