Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 10 septembre 2012.

Endroit : BFC Kingston, RTIFC, 20 avenue Red Patch, Kingston (ON).

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d'accusation 2 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel établit par lui.
•Chef d'accusation 3 : Art. 116a) LDN, a vendu irrégulièrement un bien public.
•Chef d'accusation 4 : Art. 130 LDN, possession d'un dispositif prohibé (art. 92(2) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de caporal et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Cyr, 2012 CM 3011

 

Date : 20120919

Dossier : 201213

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Kingston

Kingston (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.S.F. Cyr, requérant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR L'ADMISSIBILITÉ

 DE LA DÉCLARATION DE L’ACCUSÉ DU 12 OCTOBRE 2010

 

(Oralement)

LE CONTEXTE

[1]               Le sergent Cyr est accusé de vol contrairement à l'article 114 de la Loi sur la Défense nationale, d'avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel établit par lui contrairement au paragraphe 125a) de la Loi sur la Défense nationale, d'avoir vendu irrégulièrement un bien public contrairement au paragraphe 116a) de la Loi sur la Défense nationale et finalement une dernière infraction aux termes de l'article 130 de la Loi sur la Défense nationale pour possession d'un dispositif prohibé contrairement au paragraphe 92(2) du Code criminel.

[2]               Au début de ce procès par cour martiale permanente, soit le 10 septembre 2012, avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, l'avocat de la défense qui représente le sergent Cyr a présenté une requête pour laquelle un avis écrit avait été reçu par le bureau de l'administrateur de la cour martiale le 25 juillet 2012, et une requête supplémentaire pour laquelle un avis écrit avait été reçu le 24 août 2012, visant à obtenir de la cour martiale une ordonnance en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) afin d'exclure certains éléments de preuve en raison d'une violation alléguée des droits de l'accusé se trouvant aux articles 8, 9 et au paragraphe 10b) de la Charte canadiennes des droits et libertés.

[3]               Cette requête préliminaire est présentée dans le cadre du sous-alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après ORFC) à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranché par le juge militaire qui préside la cour martiale, telle que prévue à l'article 112.07 des ORFC.

[4]               Il est important de rappeler ici qu'en raison de l'étendue des violations alléguées, et qu'en raison de l'intention déclarée de la poursuite d'introduire cinq déclarations de l'accusé, dont deux verbales et trois écrites, considérées comme des aveux non officiels au sens de l'article 42 des Règles militaires de la preuve, j'ai décidé d'entendre l'ensemble de ces arguments dans trois voir dire différents. La présente décision concerne le premier voir dire que j'ai entendu et porte sur le caractère libre et volontaire de la déclaration écrite du sergent Cyr qu'il aurait faite dans une note de service datée du 12 octobre 2012.

[5]               De plus, avec l'accord des parties, j'ai entendu aussi dans le cadre du même voir dire la preuve et les arguments concernant la demande de l'accusé d'exclure cette même déclaration en raison d'une violation alléguée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte.

[6]               La preuve au soutien de cette requête est composée :

a)                  Du témoignage du caporal-chef Duquette, policier militaire, chef de relève à la section des patrouilles au détachement de la police militaire de la garnison Valcartier et responsable de l'enquête qui a mené aux accusations devant cette cour;

b)                  Du témoignage de monsieur Durepos, ancien commandant du peloton de transmission du 5e Bataillon des services du Canada durant la période alléguée de la commission des infractions;

c)                  De la pièce VD1-1, l'avis de requête reçu le 25 juillet 2012;

d)                 De la pièce VD1-2, un ensemble de photos des objets saisis à la résidence du sergent Cyr lors des perquisitions du 1er et 3 novembre 2010;

e)                  De la pièce VD1-3, une note du service du sergent Cyr datée du 12 octobre 2010 ayant pour objet le retour d'équipement du kit DeWalt et adressée au commandant du peloton de transmission;

f)                   La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve, et plus particulièrement en ce qui concerne l'article 24.01 des ORFC portant sur le rapport sur les pertes et le chapitre 24-1 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes intitulé « Pertes – Rapports et mesures administratives ».

[7]               Au mois d'octobre 2012, le capitaine Durepos exerçait à la fois des fonctions au 5e Groupe de soutien de secteur et la fonction de commandant du peloton de transmission du 5e Bataillon des services du Canada. À ce titre, il avait la responsabilité du quartier maître où se trouve l'ensemble de l'équipement utilisé par le peloton de transmission.

[8]               Le capitaine Durepos a expliqué qu'il y avait trois ensembles d'outils DeWalt conservé au quartier maître pour être utilisés dans le cadre des exercices ou opérations du peloton de transmission. Il arrivait de temps à autre que soit toléré l'emprunt de certains outils par des membres de l'unité à des fins personnelles pour de courtes périodes de temps.

[9]               À l'époque, jusqu'à sa mutation à la fin du mois de septembre 2010, le sergent Cyr était le commandant de la section du quartier maître. Il était connu du capitaine Durepos qu'il effectuait des rénovations à sa maison. En effet, lors de discussions liées à la mutation du sergent Cyr sur une autre base, il avait eu des échanges afin de la retarder car il effectuait des rénovations et il allait se marier.

[10]           Au début du mois d'octobre 2010, alors que le sergent Cyr n'était plus membre de la section du quartier maître en raison de sa mutation, le capitaine Durepos a appris par madame Ulloch, membre de la section du quartier maître, que l'ensemble d'outils DeWalt emprunté par le sergent Cyr ne pouvait pas être localisé.

[11]           En effet, il a été rapporté au capitaine Durepos que le sergent Cyr aurait signé un formulaire d'emprunt DND 638 le 21 juillet 2010 suite à l'insistance de madame Ullock. Le capitaine Durepos aurait appris par son personnel du quartier maître que le sergent Cyr prétendait avoir rapporté l'ensemble d'outils lors de ses procédures de départ et les avoir remis au caporal Lachance. Ce dernier aurait nié avoir reçu les outils du sergent Cyr. De plus, il appert que le DND 638 signé par le sergent Cyr n'aurait pas été retrouvé.

[12]           À ce moment, le capitaine Durepos était d'avis qu'une personne de confiance comme le sergent Cyr pouvait commettre parfois des erreurs et que la situation ne lui apparaissait nullement louche dans les circonstances. Par contre, il trouvait inhabituelle le fait que les outils n'avaient pas encore été localisés.

[13]           Le capitaine Durepos a donc décidé d'initier la procédure de rapport de perte qui consiste à obtenir une explication écrite du détenteur des objets perdus afin de soumettre le tout à la chaîne de commandement de l'unité pour faire radier de l'inventaire de l'unité l'équipement perdu. Ainsi, par la suite l'unité peut obtenir un autre équipement. Il est aussi décidé si la personne qui a emprunté l'équipement doit rembourser ou non la perte. À ce moment, le capitaine Durepos croyait qu'il y avait un simple malentendu.

[14]           Dans ce but, le capitaine Durepos a communiqué par téléphone avec le sergent Cyr durant une journée de travail, afin d'obtenir de ce dernier des explications concernant cette perte et d'en recueillir aussi une version écrite. Il a mentionné à la cour que la conversation téléphonique a duré environ de 5 à 10 minutes et qu'elle était cordiale, que le sergent Cyr était sur son lieu de travail à la base de Kingston et qu'il était coopératif.

[15]           Dans les jours suivants cette conversation, le sergent Cyr a fait parvenir par courriel au capitaine Durepos une note de service datée du 12 octobre 2010 dans laquelle il explique les circonstances de l'emprunt et du retour de l'équipement au quartier maître, et pour lequel il déclare en accepté la perte s'il n'est pas retrouvé.

[16]           Le capitaine Durepos a déclaré à la cour que cette note de service reflétait la conversation téléphonique qu'il avait eu avec le sergent Cyr.

[17]           Par la suite, le capitaine Durepos a vérifié si le formulaire de prêt DND 638 pouvait être retrouvé. Le formulaire en question a été retrouvé. Il y était inscrit que l'équipement était retourné mais personne n'avait inscrit ses initiales près de cette mention. De plus, il appert que suite à une comparaison avec des documents remplis par le sergent Cyr, cette mention semblait avoir été inscrite par ce dernier, contrairement à la pratique habituelle et autorisée.

[18]           En conséquence, à ce moment un soupçon a germé dans l'esprit du capitaine Durepos quant à la véracité de la version fournie par le sergent Cyr concernant les circonstances de la perte de l'ensemble d'outils. Il a conclu qu'il existait une possibilité à l'effet que l'ensemble d'outils DeWalt ait été volé par le sergent Cyr. Il a donc décidé de référer la situation à la police militaire pour des fins d'enquête disciplinaire et de suspendre l'enquête administrative qu'il faisait concernant le rapport de perte.

[19]           La poursuite est d'avis que la démarche, qui a résulté en une transmission de la note de service du sergent Cyr au capitaine Durepos, constitue une simple procédure administrative qui avait pour but d'établir un rapport de perte. Ceci explique d'ailleurs pourquoi il n'y avait pas lieu pour le capitaine Durepos d'aviser le sergent Cyr de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte.

[20]           Au surplus, la poursuite soumet que le capitaine Durepos n'était pas une personne en autorité et qu'en conséquence, il n'y aurait pas lieu pour la cour, de procéder à une analyse du caractère libre et volontaire d'un aveu non officiel fait par le sergent Cyr. Par contre, si la cour procédait à une telle analyse, elle soumet qu'il s'agit d'un aveu non officiel qui a été fait librement et volontairement par le sergent Cyr.

[21]           La défense soumet qu'en raison de son grade et des fonctions du capitaine Durepos, ce dernier était une personne en autorité, et par le fait même cette situation exige de la part de la cour de décider si la déclaration du sergent Cyr en date du 12 octobre 2010 a été faite librement et volontairement.

[22]           De plus, la défense affirme que puisqu'il était une personne en autorité et qu'il cherchait à obtenir une déclaration incriminante de la part du sergent Cyr, le capitaine Durepos aurait dû aviser ce dernier de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte, ce qu'il n'a pas fait.

[23]           Dans sa décision de R c S.G.T., 2010 CSC 20, la Cour suprême du Canada a défini ce que représentait une personne en autorité afin d'obliger la poursuite a démontré le caractère volontaire de la déclaration d'un accusé afin qu'elle soit admise en preuve.  Au paragraphe 22 de la décision, la juge Charron, au nom de la majorité, s'exprime ainsi :

Une personne en autorité est habituellement quelqu'un qui « particip[e] officiellement à [page700] l'arrestation, à la détention, à l'interrogatoire ou à la poursuite de l'accusé » : Hodgson, par. 32. Détail important, nul n'est automatiquement considéré comme une personne en autorité du seul fait de son statut. C'est du point de vue de l'accusé que s'examine la question de savoir qui est une personne en autorité. Pour que la personne qui reçoit la déclaration de l'accusé soit considérée comme personne en autorité, il faut que l'accusé croie qu'elle a pouvoir ou influence sur l'instance et il faut que cette croyance soit raisonnable. Comme la preuve nécessaire à l'établissement du statut de personne en autorité relève essentiellement de l'accusé, l'exigence relative à la personne en autorité impose à ce dernier une charge de présentation. Certes, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire d'une confession, mais il incombe à l'accusé d'établir qu'il y a au dossier des éléments de preuve à l'appui de son affirmation que la personne à qui il a fait une déclaration est une personne en autorité.

[24]           Dans le monde militaire, tel que je l'ai exprimé dans la cour martiale permanente du Caporal Wilcox concernant une question identique, une personne en autorité est une personne autorisée à exercer son autorité sur d'autres membres des Forces canadiennes en raison de son grade, sa fonction ou position afin d'accomplir toute tâche ou mission. Les paragraphes 42(3) et (5) des Règles militaires de la preuve reprennent d'ailleurs essentiellement la définition fournie par la jurisprudence. Ainsi, le seul fait de détenir un grade supérieur à une autre personne ne fait pas automatiquement en soi de la personne la plus haute gradée une personne en autorité.

[25]           En conséquence, est-ce que le sergent Cyr a établi qu'il y a des éléments de preuve à l'effet que le capitaine Durepos était une personne en autorité lorsqu'il lui a déclaré et fourni par écrit sa version des faits dans sa note de service du 12 octobre 2010?

[26]           Au moment de faire sa déclaration, le sergent Cyr n'était plus dans la chaîne de commandement du peloton de transmission du 5e Bataillon des Services du Canada, et le capitaine Durepos n'était donc plus son supérieur en raison de la fonction qu'il occupait. Dans les faits, il a été démontré que le capitaine Durepos ne cherchait qu'à initier le processus administratif concernant la perte présumée de l'ensemble d'outils qui avaient été emprunté par le sergent Cyr et présumément retourné par ce dernier.

[27]           Il n'a pas été établi par le sergent Cyr qu'il avait une croyance raisonnable que le capitaine Durepos pourrait contrôler ou influencer d'une quelconque manière des procédures disciplinaires à son égard. La preuve démontre plutôt que le capitaine Durepos n'agissait pas à titre d'enquêteur concernant une infraction à la discipline militaire et il n'a pas été démontré qu'il avait l'autorité de porter des accusations ou de faire en sorte qu'il en soit ainsi à l'égard du sergent Cyr. Il est vrai qu'il menait une sorte d'enquête, mais elle était strictement de nature administrative et elle ne visait nullement à déterminer si le sergent Cyr devait faire l'objet d'une accusation en vertu du Code de discipline militaire.

[28]           Puisqu'il n'a pas été en mesure de se décharger de son fardeau de preuve afin d'établir que le capitaine Durepos était une personne en autorité lorsqu'il a fait sa déclaration écrite du 12 octobre 2010, la poursuite n'avait donc pas à prouver à la cour le caractère libre et volontaire d'une telle déclaration.

[29]           Quant à l'admissibilité d'une telle déclaration dans le cadre du présent procès, la cour se prononcera seulement si la poursuite tente de l'introduire et que l'accusé s'y oppose en raison de la non-conformité aux règles de la preuve applicables.

[30]           Finalement, quant à la violation alléguée du droit du sergent Cyr d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte, je me dois de constater, comme l'a si bien mentionné le procureur de la poursuite, que le sergent Cyr n'était pas en état d'arrestation et qu'il n'était nullement détenu au moment où il a fait sa déclaration. Au contraire, il était situé géographiquement dans un autre lieu que la personne avec qui il discutait, il a répondu à son téléphone volontairement, il a discuté du sujet librement et sans aucune contrainte.

[31]           Ce qui déclenche le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte est le fait d'être arrêté ou détenu par une autorité tel que le spécifie cet article qui se lit en partie comme suite:

Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

a)            d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

b)            d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

[32]           Puisque le sergent Cyr n'a pas démontré qu'il faisait l'objet d'une arrestation ou d'une détention, le capitaine Durepos n'avait donc pas l'obligation de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat.

[33]           En conséquence, sur cet aspect, la requête du sergent Cyr est rejetée.

POUR CES RAISONS, LA COUR

[34]           DÉCLARE que le requérant n'a pas démontré qu'il était en présence d'une personne en autorité lors de sa déclaration écrite du 12 octobre 2010 et qu'en conséquence la cour n'a pas à tenir un voir dire afin de déterminer le caractère libre et volontaire de cette déclaration.

[35]           DÉCLARE que le requérant n'a pas démontré qu'il faisait l'objet d'une arrestation ou d'une détention qui donnait ouverture à un examen d'une violation alléguée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit en conformité avec le paragraphe 10b) de la Charte au moment où il a fait sa déclaration verbale et écrite du 12 octobre 2010 au capitaine Durepos.

[36]           REJETTE la requête sur cet aspect en conséquence.


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major E. Thomas, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le sergent J.S.F. Cyr

 

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