Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 27 janvier 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 117f) LDN, un acte de caractère frauduleux.

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 10,000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Martin, 2014 CM 3001

 

Date : 20140127

Dossier : 201333

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

et

 

Capitaine de frégate D.J. Martin, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Capitaine de frégate Martin, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement à la première et seule accusation figurant sur l’acte d’accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de cette infraction.

 

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la peine.


 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les Forces canadiennes s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux Forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes. Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire. Cela renvoie aussi directement à l’obligation pour la Cour de « prononce[r] une sentence proportionnelle à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », tel qu’énoncé à l’alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

 

[5]               Dans l’affaire qui nous occupe, le procureur et l’avocat chargé de la défense du contrevenant ont conjointement recommandé que la Cour vous condamne à un blâme et à une amende de 10 000 $, afin de répondre aux exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons concernent notamment les cas où la peine est inadéquate, déraisonnable, va à l’encontre de l’intérêt public ou a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

 

[6]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Généreux, à la page 293 :

 

[…] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. […]

 

À la même page, la Cour soulignait que, dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au‑delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines qui répondent à au moins l’un des objectifs suivants :

 

a)      protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

 

b)      dénoncer le comportement illégal;

 

c)      dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)     isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e)      réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le juge militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)      la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)      la peine doit être analogue à celles qui ont été infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances;

 

d)     le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e)      finalement, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               J’en suis arrivé à la conclusion que, dans les circonstances de la présente affaire, la peine devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale.

 

[10]           En l’espèce, la Cour a affaire à un acte frauduleux qui n’est pas spécifiquement mentionné aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale. Alors qu’il était posté à Colorado Springs (É.-U.) en 2009, le capitaine de frégate Martin a soumis des renseignements à l’appui de sa demande d’indemnité de service à l’étranger (ISE) pour trois personnes à charge, alors qu’il n’avait le droit de présenter cette demande que pour une seule personne, à un taux auquel il ne pouvait prétendre, privant ainsi Sa Majesté du chef du Canada de la somme de 14 938 $. Les deux enfants de sa seconde épouse, avec laquelle il s’est marié en 2009, étaient censés aller vivre avec eux, mais cela ne s’est pas produit. Avant son affectation, les noms des deux enfants ont été ajoutés comme personnes à sa charge et inscrits dans une école à Colorado Springs, mais l’ex-mari de sa seconde épouse ne lui en a pas cédé la garde. Le capitaine de frégate Martin n’a jamais corrigé les renseignements. Il a également obtenu des ISE plus élevées du fait de sa situation personnelle, mais n’a jamais avisé les autorités concernées que celle-ci avait changé. Les faits ont été découverts et les paiements ont été interrompus en novembre 2012. En fait, il s’agit en soi d’une infraction grave, telle que définie dans la Loi sur la défense nationale.

 

[11]           Comme l’a indiqué le procureur, le juge Létourneau a attiré l’attention sur l’impact des actes frauduleux sur les organismes publics comme les Forces canadiennes dans l’arrêt R c St‑Jean de la Cour d’appel de la cour martiale, publié sous CACM 2000, no 2, une décision rendue en anglais. Il déclarait au paragraphe 22 :

 

Après avoir examiné la peine imposée, les principes applicables et la jurisprudence de notre Cour, je ne peux affirmer que le président a commis une erreur ou a agi de façon déraisonnable quand il a fait valoir la nécessité de mettre l’accent sur l’objectif de dissuasion. Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme d’équipement et de biens de l’État et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l’intégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace qu’elle puisse être, ne peut remplacer l’intégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance. Un abus de confiance tel la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l’institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu’ils s’exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d’activités.

 

[12]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et des facteurs aggravants suivants :

 

a)            la Cour estime que la gravité objective de l’infraction constitue un facteur aggravant. L’accusation dont vous faites l’objet a été portée en vertu de l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale. Cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans;

 

b)            deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction, qui prend trois aspects selon la Cour :

 

i.    le premier facteur aggravant, d’un point de vue subjectif, a trait à l’abus de confiance. Le système de réclamations est fondé sur l’intégrité, la loyauté et le jugement de chaque membre des Forces canadiennes; cependant, vous avez fait exactement le contraire. Il est impossible d’enquêter sur toutes les déclarations de chaque membre ayant une portée financière. Une telle conduite mine également le respect que les membres des Forces canadiennes et le public doivent avoir envers leur institution;

 

                                                ii.      le deuxième facteur aggravant concerne la préméditation et la période couverte par l’infraction. Vous avez délibérément fourni de fausses informations pendant 40 mois pour toucher par des moyens frauduleux et sans aucun droit des fonds publics qui ne vous revenaient aucunement. Cela signifie que vous avez planifié ces actes, ce qui est bien plus grave que d’agir sur le coup de circonstances uniques et inattendues qui vous poussent à faire des choses inhabituelles. De plus, vous avez eu la possibilité de corriger votre conduite et ne l’avez pas fait;

 

                                              iii.      enfin, la somme totale dont vous vous êtes indument emparée est très importante. Nous ne parlons pas ici de quelques centaines de dollars, mais de quelque quatorze mille dollars; ce montant doit être considéré comme un facteur aggravant.

 

[13]           J’ai également tenu compte des circonstances atténuantes suivantes :

 

a)      tout d’abord, votre plaidoyer de culpabilité. Eu égard aux faits présentés en l’espèce, la Cour doit considérer votre aveu de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Ce plaidoyer révèle également que vous assumez la pleine responsabilité de vos actes;

 

b)      les remboursements que vous avez commencé à effectuer après la découverte de la fraude et votre intention de rembourser le montant total;

 

c)      le fait que votre fiche de conduite ne comporte aucune mention et que vous n’ayez pas de casier judiciaire pour des infractions de ce type;

 

d)     le fait que vous ayez eu à comparaître devant cette cour martiale. Je suis certain que cela a déjà eu un effet dissuasif sur vous, mais aussi sur les autres;

 

e)      vos états de service dans les Forces canadiennes. Il ressort de la preuve produite devant la Cour que vos qualités de meneur, vos aptitudes en matière de planification et d’organisation, et votre dévouement sont plus qu’appréciés, et que votre rendement professionnel est excellent malgré ce qui vous est arrivé. Cela révèle que vos problèmes ne sont pas d’ordre professionnel, mais plutôt personnel, et qu’ils peuvent être corrigés si vous y portez une grande attention, eu égard à votre âge et à votre expérience. Tout ceci milite en votre faveur et constitue une circonstance atténuante.

 

[14]           En l’espèce, compte tenu de la nature de l’infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, des principes applicables de détermination de la peine, notamment celui des peines infligées par des tribunaux militaires à des contrevenants similaires pour des infractions comparables commises dans des circonstances analogues, compte tenu enfin des facteurs aggravants et atténuants exposés ci-dessus, je conclus qu’un blâme et qu’une amende de 10 000 $ seraient la sanction minimale nécessaire et appropriée.

 

[15]           Comme je l’ai noté dans la décision Matelot de 1re classe Merriam, 2010 CM 3021, le système financier des Forces canadiennes repose grandement sur l’intégrité de ses membres. Les fonds publics proviennent d’un grand nombre de gens et sont affectés à quelques-uns, comme les membres des Forces canadiennes, pour leur permettre d’accomplir leurs missions. Si de nombreux militaires comme vous commencent à s’arroger plus que leur dû, notre société ira clairement au-devant de graves problèmes.

 

[16]           J’espère que cet incident vous aura appris quelque chose et que vous vous comporterez en conséquence, que vous essayerez de corriger vos éventuels problèmes personnels, et que cette expérience vous sera profitable du point de vue du leadership pour aider ceux qui pourraient se retrouver ou se mettre dans une situation comparable.

 

[17]           La Cour acceptera donc la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à un blâme et à une amende de 10 000 $, attendu que cette peine ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et qu’elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[18]           VOUS DÉCLARE coupable de la première et seule accusation figurant sur l’acte d’accusation relativement à l’infraction prévue à l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale.

 

[19]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 10 000 $, payable en versements mensuels de 100 $, à compter du 1er février 2014 et jusqu’au remboursement complet du montant fraudé. Ceci fait, les paiements mensuels passeront à 800 $ et cesseront une fois l’amende entièrement acquittée.

 


 

Avocats :

 

Major A.-C. Samson, Services canadiens des poursuites judiciaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.D. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du capitaine de frégate D.J. Martin

 

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