Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 507 - Appel rejeté

Date de l'ouverture du procès : 26 novembre 2008

Endroit : Centre Asticou, Bloc 2600, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 125c) LDN, dans l'intention d'induire, altéré un document délivré à des fins militaires.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Caporal J.L. Hentges, 2008 CM 1024

 

Dossier : 200854

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

CENTRE ASTICOU, GATINEAU

 

Date : Le 28 novembre 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M.  DUTIL, J.M.C.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL J.L. HENTGES

(Accusé)

 

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

Introduction

 

[1]                    Le Caporal Hentges est accusé davoir enfreint lalinéa 125c) de la Loi sur la défense nationale en altérant un document délivré à des fins militaires. Linculpation précise que laccusé :

 

[traduction] « [...] le ou vers le 15 octobre 2007, à Ottawa (Ontario), dans lintention dinduire en erreur, a altéré un CF 2018, une fiche de visite médicale, pour y inscrire quil était en repos ».

 

La preuve

 


[2]                    La preuve soumise à la cour comprend le témoignage du Sergent Fulljames, qui a indiqué quil est le superviseur du Caporal Hentges et quil était son superviseur au moment de linfraction alléguée. Dans son bref témoignage, le Sergent Fulljames a déclaré que le 15 octobre 2007, le Caporal Hentges lui a remis une fiche de visite médicale, déposée comme pièce 3 à linstance. À la lecture de ce document, le Sergent Fulljames sest demandé ce que signifiait exactement linscription off duty for seven days [en repos pour sept jours] qui y figurait. Il a affirmé avoir aussi reçu des Services de santé un document qui a été déposé comme pièce 4. Les deux documents diffèrent en ce que lun indique « off duty by seven days » alors que lautre indique « desk duty by seven days » [tâches de bureau pour sept jours].

 

[3]                    La preuve comprend également les admissions de lavocat de laccusé, déposées comme pièce 5, et lexposé conjoint des faits, déposé comme pièce 7, reproduits ci-dessous :

 

Pièce 5

 

[traduction] « Le 15 octobre 2007, Diane Dakers, commis préposée aux services médicaux au Centre des Services de santé des FC, a reçu un appel téléphonique du Sergent Fulljames.

 

Pendant la conversation téléphonique, Diane Dakers sest procurée loriginal de la fiche de visite médicale concernant laccusé, qui se trouvait dans une chemise au bureau de la salle dexamen médical, au service durgence du Centre des Services de santé des FC, et elle en a transmis copie au Sergent Fulljames par télécopieur. La chemise contenait toutes les fiches de visite médicale de la journée.

 

Laccusé a reçu une photocopie de la fiche de visite médicale, parce que les Services de santé, qui étaient à court de formulaires de visite médicale, utilisaient des photocopies.

 

Diane Dakers soccupe des autorisations de congé qui sont délivrées lorsquune fiche de visite médicale ordonne un congé de plus de trois jours. »

 

Lexposé conjoint des faits, pièce 7, énonce ce qui suit :

 

[traduction] « La poursuite et la défense conviennent de ce qui suit :

 

Le 15 octobre 2007, le Caporal Hentges a consulté le Dr Liew, médecin aux Services de santé des FC à Ottawa, pour une blessure à un genou.

 


Le Dr Liew a rempli une fiche de visite médicale qui donnait instruction à la chaîne de commandement dassigner des tâches de bureau au Caporal Hentges pour sept jours, début 15 octobre 2007, défense de conduire.

 

La fiche de visite médicale remise au Caporal Hentges est une photocopie, car le centre de santé était à court de formulaires originaux.

 

En rentrant de la visite médicale, le Caporal Hentges a présenté une fiche de visite médicale photocopiée au Sergent  Fulljames, son superviseur, sur laquelle on pouvait lire : en repos pour sept jours, début 15 octobre 2007, défense de conduire.

 

Le Dr Liew na donné aucune instruction écrite pour quune période de repos soit accordée au Caporal Hentges.

 

La fiche de visite médicale est un document des FC que les autorités médicales utilisent pour informer la chaîne de commandement des restrictions liées à lemploi. En lespèce, elle a été remise par le Dr Liew au Caporal Hentges pour que celui-ci informe sa chaîne de commandement quil devait être affecté à des tâches de bureau pour sept jours. » 

 

Ainsi se termine lexposé conjoint des faits. 

 

Enfin, la preuve comprend aussi la connaissance doffice que prend la cour des faits et questions relevant de larticle 15 des Règles militaires de la preuve, et notamment du contenu du CANFORGEN déposé comme pièce 6, qui consiste en des directives du CEMD à la chaîne de commandement concernant les soins médicaux et les restrictions médicales à lemploi prescrits par le personnel médical à légard de  membres des FC. 

 

 

Le droit applicable et les éléments constitutifs de laccusation

 

[4]                    La cour examinera maintenant le droit applicable et les éléments constitutifs de laccusation. Il sagit dune accusation portée en vertu de lalinéa 125c) de la Loi sur la défense nationale, rédigé comme suit :

 


125.  Commet une infraction [...] quiconque :

 

                                                                                            [...]

 

c) dans lintention de nuire ou dinduire en erreur, altère, dissimule ou fait disparaître un document ou dossier gardé, établi ou délivré à des fins militaires ou ministérielles.

 

 

 

[5]                    La poursuite a correctement décrit les éléments constitutifs de linfraction quelle doit prouver hors de tout doute raisonnable pour que la cour conclue à la culpabilité. Le premier est lidentité de laccusé; le second est la date et le lieu de la perpétration de linfraction alléguée, qui aurait été commise en lespèce le 15 octobre 2007 à Ottawa (Ontario). Le troisième est le fait que le Caporal Hentges a altéré un CF 2018, la fiche de visite médicale [« sick chit »], pour y inscrire quil était en repos; le quatrième est que le document, le CF 2018, constitue un document établi ou délivré à des fins militaires; le dernier est que le Caporal Hentges a altéré le document dans lintention dinduire en erreur.

 

Présomption dinnocence et doute raisonnable

 

[6]                    Avant de procéder à lanalyse juridique, il convient que la cour, quoique je serai très bref sur ce point aujourdhui, traite de la présomption dinnocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Il est juste de dire que la présomption dinnocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre système de droit criminel. Par ailleurs, le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable constitue une partie essentielle de la présomption dinnocence. 

 

[7]                    Dans les affaires traitées en vertu du Code de discipline militaire et dans toute affaire de droit criminel, toute personne accusée dune infraction criminelle est présumée innocente jusquà ce que la poursuite prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé na pas à prouver son innocence. Il appartient à la poursuite détablir le bien-fondé de laccusation relativement à chaque élément constitutif de linfraction, et ce, hors de tout doute raisonnable. Cette norme ne sapplique pas aux différents éléments de preuve mis en avant par la poursuite pour prouver le bien-fondé de laccusation, mais à lensemble de la preuve sur laquelle la poursuite sappuie pour établir la culpabilité de laccusé. Le fardeau de prouver la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable  incombe à la poursuite et nest pas transféré à laccusé. La cour doit déclarer un accusé non coupable si elle entretient un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir examiné toute la preuve.

 


[8]                    Le terme « hors de tout doute raisonnable » est employé depuis longtemps et fait partie de notre histoire et de nos traditions judiciaires. Dans les faits, un doute raisonnable ne consiste pas en un doute utopique ou frivole, ni en un doute fondé sur la sympathie ou sur une idée préconçue. Il consiste en un doute fondé sur la raison et le sens commun. Il consiste en un doute conçu à la fin de linstance et nourri non seulement de ce que la preuve apprend à la cour, mais également de ce que la preuve nindique pas à la cour. Le fait quune personne a été inculpée ne signifie nullement que cette personne est coupable. Jajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur lacte daccusation déposé à la cour. 

 

[9]                    Dans larrêt Starr[1], au paragraphe 242, la Cour suprême du Canada a statué :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer quelle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler quil est pour ainsi dire impossible de prouver quoi que ce soit de manière absolument certaine, et la poursuite nest pas tenue de ce faire. La certitude absolue nest pas une norme de preuve en droit, du moins pas en droit canadien. Le fardeau de la poursuite consiste seulement à prouver la culpabilité de laccusé, le Caporal Hentges, hors de tout doute raisonnable. Pour placer ce fardeau en contexte, si la cour est convaincue que laccusé est probablement ou vraisemblablement coupable, laccusé doit être acquitté parce quune preuve établissant la probabilité ou la vraisemblance de la culpabilité ne constitue pas une preuve hors de tout doute raisonnable. 

 

[10]                  Dans un procès comme celui dont la cour est saisie aujourdhui, la preuve est soit directe, soit circonstancielle, soit à la fois lune et lautre, et les pièces, comme les témoins, peuvent fournir des éléments de preuve directe ou circonstancielle. La preuve peut prendre la forme dadmissions ou dexposés conjoints des faits, comme cest le cas en lespèce. Dans un procès, tous les éléments de preuve comptent, et la loi accorde le même traitement aux éléments de preuve directe et aux éléments de preuve circonstancielle, aucun des deux types de preuve nétant nécessairement supérieur à lautre. Dans tous les cas, la cour doit décider quelles conclusions elle tirera à partir de la preuve, tant directe que circonstancielle, dans son ensemble.

 

Questions en litige

 


[11]                  La poursuite soutient que la preuve établit chacun des éléments hors de tout doute raisonnable; la défense na présenté aucune observation. Compte tenu de lensemble de la preuve, la cour ne trouve pas litigieux les date et lieu de la perpétration de linfraction. La preuve établit également hors de tout doute raisonnable que le formulaire CF 2018, Fiche de visite médicale, est un document établi à des fins militaires. Enfin, la cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que le Caporal Hentges a remis le document déposé comme pièce 3 avec lintention dinduire ses supérieurs en erreur en ce qui concerne les restrictions au travail prescrites par son médecin traitant, la capitaine Liew. Il ne fait aucun doute que le Dr Liew a limité le travail du Caporal Hentges à des tâches de bureau pour une période de sept jours et que ce dernier savait quil ne devait pas être en repos pour sept jours. Cela devrait suffire pour conclure que le Caporal Hentges a agi de façon frauduleuse et avec lintention dinduire en erreur.

 

[12]                  La preuve établit certainement hors de tout doute raisonnable que la fiche de visite médicale qua reçue le Caporal Hentges nest pas la même que celle quil a remise à son supérieur, le Sergent Fulljames. Toutefois, cette preuve suffit-elle à établir hors de tout doute raisonnable que le Caporal Hentges a lui-même altéré le document avant de le remettre au Sergent Fulljames, en labsence de preuve de ce qui sest passé entre la SEM et le retour au travail du Caporal Hentges? La preuve permet-elle à la cour de conclure que le Caporal Hentges est la seule personne susceptible davoir altéré ce document? À la lumière des mêmes éléments de preuve, quelquun aurait-il pu, à la demande du Caporal Hentges, avoir altéré et photocopié le document ou avoir laissé le Caporal Hentges faire la photocopie après que laltération a été faite? Je ne sais pas. Selon toute vraisemblance, le Caporal Hentges a altéré le document; néanmoins, un soupçon, aussi important puisse-t-il être, ne justifie pas une déclaration de culpabilité.

 

[13]                  Daprès la preuve soumise à la cour, laccusé aurait pu être déclaré coupable de plusieurs infractions, et je laisse à la poursuite le soin de déterminer quelles accusations auraient pu aboutir à une déclaration de culpabilité, que ce soit en vertu de la Loi sur la défense nationale ou du Code criminel. Quoi quil en soit, cette question ne présente aucune pertinence au stade actuel de linstance.

 

 

 

Conclusion et décision

 

[14]                  Compte tenu de la preuve, la cour entretient un doute raisonnable quant à savoir si le Caporal Hentges a personnellement altéré le document en cause; or, laccusé ne peut être déclaré coupable en application de lalinéa 125c) que sil a personnellement fait laltération. En conséquence, pour ces motifs, Caporal Hentges, la cour vous déclare non coupable de laccusation.

 

 

 

 

Colonel M.  Dutil, J.M.C.


 

AVOCATS :

 

Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires 3-2

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant(N) B. Desbiens, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal J.L. Hentges

 

 



[1] [2000] 2R.C.S. 144                                                         

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