Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 24 novembre 2008
Endroit : Le manège militaire Debney, 8403 chemin Roper, Edmonton (AB)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargé de la garde ou de la distribution de l'objet volé ou d'en avoir la responsabilité.
Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de soldat et une amende au montant de 750$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal S.L. Rose, 2008 CM 1022
Dossier : 200848
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
MANÈGE MILITAIRE DEBNEY, EDMONTON
Date : Le 24 novembre 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL S.L. ROSE
(Contrevenante)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Caporal Rose, la cour, ayant accepté et inscrit votre aveu de culpabilité relativement au premier chef d’accusation, punissable en application de l’article 114 de la Loi sur la défense nationale (LDN), soit l’infraction de vol, vous déclare aujourd’hui coupable de ce chef d’accusation.
[2] Les avocats de la poursuite et de la défense ont présenté une recommandation commune quant à la peine. Ils recommandent que la cour vous condamne à un emprisonnement de sept jours et à une amende de 1 000 $. Ils recommandent également que la cour sursoie à l’application de la peine d’emprisonnement. Bien que la cour ne soit pas liée par la recommandation commune, il est généralement reconnu qu’elle ne devrait déroger à une recommandation commune que si le fait d’y donner suite serait contraire à l’intérêt public et déconsidérerait l’administration de la justice.
[3] Après avoir entendu les observations des avocats quant à la peine, la cour a demandé à ceux-ci de soumettre des observations additionnelles sur l’opportunité de surseoir à l’emprisonnement, compte tenu de la preuve dont la cour était alors saisie. La cour avait déjà convenu que la partie de la recommandation concernant l’incarcération sous forme d’emprisonnement pour une période de sept jours s’inscrivait dans la fourchette des peines possibles dans ce genre de cas. Par conséquent, la cour a accepté de rouvrir l’instance et de rappeler le psychiatre traitant de la Caporal Rose, le Dr Elwell. Ce dernier, dans son témoignage, a déclaré que l’incarcération, même la plus brève, aurait des répercussions défavorables marquées sur la contrevenante en raison de sa fragilité dans le cadre du combat qu’elle mène contre une dépression grave et un trouble de la personnalité limite. Selon le Dr Elwell, non seulement une peine de détention occasionnerait-elle un risque de réactions néfastes sous forme de graves crises de panique et d’anxiété, elle causerait aussi très certainement un recul important dans le traitement du trouble de la personnalité et des dépendances de la contrevenante.
[4] Cependant, la cour doit décider si la peine proposée constitue aussi l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances. En examinant la recommandation commune quant à la peine, la cour a tenu compte de toutes les circonstances de la perpétration de l’infraction exposées pendant la procédure de détermination de la peine, ainsi que de la volumineuse preuve documentaire qui lui a été soumise. La cour a également tenu compte des témoignages de M. Denis Strilchuck, intervenant adjoint de la base en matière de dépendance, du Dr Leo Elwell, psychiatre traitant de la contrevenante, et de la Caporal Rose elle-même. Enfin, la cour a écouté les observations des avocats et examiné les conséquences directes et indirectes que le verdict et la peine auront sur la Caporal Rose.
[5] Le sommaire des circonstances produit par la poursuite comme pièce 7 et l’exposé conjoint des faits produit comme pièce 13, révèlent les faits suivants :
Entre le 1er mars 2007 et le 31 juillet 2007, la Caporal Rose était la représentante du fonds de la cantine du 742 Signals Squadron, désigné comme le Club 742. Elle était chargée des opérations quotidiennes du fonds, notamment de l’approvisionnement de la cantine, de la collecte des coupons et de l’argent, et du paiement des factures.
Le 17 août 2007, le président du comité social du 742 Signals Squadron lui a demandé si elle savait que certaines factures n’avaient pas été payées. Elle a demandé à lui parler en privé et lui a avoué qu’elle volait de l’argent du fonds pour satisfaire sa dépendance au jeu. Elle a pris environ 2 338 $ dans le fonds, lequel appartient à ses compagnons de travail. Elle a fait des aveux immédiats aux autorités policières et a informé les autorités de son intention de reconnaître sa culpabilité aussi tôt que possible. Son témoignage révèle clairement les remords et la honte qu’elle éprouve, et elle a adressé des excuses sincères à la cour, mais surtout à ses compagnons de travail, pour avoir trahi leur confiance. Elle s’est aussi engagée à rembourser le fonds social lorsqu’elle sera libérée de sa faillite. Elle reconnaît sa pleine responsabilité.
M. Strilchuck a indiqué dans son témoignage que la Caporal Rose souffre d’une sérieuse dépendance au jeu, mais le Dr Elwell affirme que son état pathologique est plus grave et plus complexe. Sa dépendance au jeu date d’au moins six ans, mais selon le Dr Elwell, la contrevenante souffre depuis au moins dix ans de problèmes de santé mentale dont la gravité varie de moyenne à sévère. Elle souffre aussi d’alcoolisme. Enfin, elle souffre du trouble de la personnalité limite.
Bien qu’elle ait suivi, en septembre 2007, un programme de 21 jours destiné à traiter la dépendance au jeu, ce traitement n’a pas réglé ses autres problèmes de santé mentale.
En septembre 2008, la contrevenante a fait faillite et a fait une rechute en jouant et en consommant de l’alcool à un casino local. Plusieurs jours plus tard, elle a reçu un avis d’intention de recommander sa libération pour consommation excessive d’alcool à l’occasion du dernier incident.
Le 25 septembre, elle a été admise à l’hôpital après avoir tenté de se suicider en absorbant une surdose de médicaments, événement que le Dr Elwell décrit comme un appel à l’aide. Aujourd’hui, des médicaments de force moyenne lui sont prescrits pour ses problèmes de santé mentale, et elle est suivie par le personnel médical et des conseillers médicaux.
[6] Dans l’arrêt R. c. Généreux[1], la Cour suprême du Canada a déclaré : « Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » La Cour suprême a statué que « [l]es manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Cependant, même élevés au rang de principe, ces énoncés ne peuvent avoir pour effet de suggérer ou de permettre aux tribunaux militaires d’imposer une sentence constituée d’une peine ou de peines plus sévères que ce qu’exigent les circonstances. Autrement dit, toute peine infligée par le tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit toujours correspondre à l’intervention minimale requise.
[7] Il est reconnu que l’infliction à un accusé d’une peine appropriée aux actes fautifs qu’il a commis et compatible avec les infractions dont il ou elle est coupable, doit respecter certains objectifs eu égard aux principes de détermination de la peine. Il est également établi que lesdits principes varient d’un cas à l’autre, et le poids qu’il convient de leur attribuer doit être adapté aux circonstances de l’affaire et au contrevenant même.
[8] Pour contribuer à l’un des objectifs fondamentaux de la discipline militaire, ces objectifs et principes peuvent être définis comme suit : premièrement, la protection du public, le public incluant les Forces canadiennes; deuxièmement, le châtiment et la dénonciation du contrevenant; troisièmement, la dissuasion du contrevenant et de quiconque de commettre la même infraction; quatrièmement, la réinsertion et l’amendement du contrevenant; cinquièmement, la proportionnalité à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant; également, l’infliction d’une peine de détention, dans les seuls cas toutefois où la cour est convaincue que cette peine est nécessaire et constitue le châtiment de dernier recours; enfin, la cour tient compte des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes afférentes à la situation du contrevenant.
[9] En l’espèce, la cour estime que le genre d’infraction en cause justifie certainement que l’on insiste sur les principes de dénonciation et de dissuasion générale, comme il convient lorsque l’infraction est commise par une personne qui trahit ses compagnons de travail et la confiance que ces derniers ont mis en elle, et lorsque, comme dans la présente instance, les fonds avaient été amassés pour tenir des activités sociales qui visent à renforcer le moral et à créer la cohésion et, ajouterai‑je, l’esprit de corps. Toutefois, pour grave que soit l’infraction en l’espèce, il ne s’agit pas d’une fraude ou d’un vol contre l’employeur comme dans les affaires Poirier, Roche ou Anderson[2]. Cela dit, voler ses compagnons, je le répète, est une des infractions les plus graves en contexte militaire. Si l’on ne peut faire confiance à ses frères et ses soeurs d’armes, à qui peut-on faire confiance?
[10] Dans la présente affaire, les facteurs suivants constituent des circonstances aggravantes dans la détermination de la peine :
En premier lieu, la nature de l’infraction et la peine maximale prévue par le législateur. Aux termes de la LDN, le vol constitue une infraction passible au maximum d’un emprisonnement de quatorze ans si l’auteur était chargé de la garde de l’objet volé. Objectivement, il s’agit d’une infraction très grave.
Deuxièmement, la nature et l’ampleur du vol. Durant cinq mois, la contrevenante a pris des montants totalisant plus de 2 300 $ dans le fonds social qu’elle avait de plein gré accepté d’administrer pour le compte et dans l’intérêt de ses collègues.
Troisièmement, le degré d’autorité et de confiance qui caractérise la relation entre la contrevenante et les victimes. Dans le cas présent, l’abus de confiance constitue un facteur particulièrement aggravant lorsque la cour s’arrête au fait que les victimes du vol sont vos collègues.
Quatrièmement, enfin, le gain personnel réalisé par la contrevenante. Vous avez utilisé les fonds pour satisfaire votre dépendance au jeu. Souffrir d’une dépendance, qu’il s’agisse de dépendance au jeu ou d’une autre dépendance, n’est pas une excuse pour voler ses compagnons.
[11] Par ailleurs, la cour est d’avis que les facteurs suivants constituent des circonstances atténuantes :
La conduite de la contrevenante après la perpétration de l’infraction. La cour tient compte des aveux de culpabilité que vous avez faits à la cour et des remords que vous avez exprimés, y compris vos excuses publiques pour le tort causé aux victimes de votre vol. La cour est d’avis qu’il s’agit là de l’expression de remords véritables.
Deuxièmement, votre dossier criminel et disciplinaire, ou plutôt le fait que vous n’en avez aucun. Bien que vous ayez une fiche de conduite relativement à un incident d’abus d’alcool, cette fiche en l’occurrence ne constitue pas un facteur aggravant, mais sert à expliquer et à préciser le contexte de vos récentes rechutes en septembre 2008. Si ce n’est de cette fiche, vous n’avez aucun dossier criminel ou disciplinaire antérieur.
En dernier lieu, votre situation personnelle et économique. Par suite de votre dépendance chronique au jeu, vous avez récemment fait une faillite dont vous n’avez pas encore été libérée. Mais il ne s’agit là que d’un aspect bien fragmentaire de votre situation. Selon votre médecin, vous souffrez de graves problèmes de santé mentale, et à son avis, vous avez encore un long chemin à parcourir avant la guérison. Quant à votre santé mentale actuelle, elle est très fragile; néanmoins, vous faites de légers progrès, et le processus sera long. Il est aussi très probable, à la lumière de la preuve dont dispose la cour, que vous serez libérée des Forces canadiennes en raison de votre abus d’alcool et autres problèmes de comportement.
[12] Le fait de souffrir d’une grave dépendance au jeu ne peut contribuer à atténuer la peine elle-même, même si ce facteur diminue le degré de responsabilité de la Caporal Rose, comme le fait valoir son avocat. La Caporal Rose s’est engagée à rembourser intégralement le montant du vol. Le remboursement complet avant la tenue du procès aurait eu plus de poids, mais l’engagement pris constitue néanmoins une démarche positive. Dans Roche[3], la cour a fait remarquer que dans le Code criminel, « la question du dédommagement fait partie du processus sentenciel et elle peut influencer le quantum de la période d’incarcération. D’ailleurs, un tribunal civil siégeant en matière criminelle peut émettre une ordonnance de dédommagement aux termes de l’article 738 du Code criminel. Cette disposition fait partie du processus de détermination de la peine en vertu du Code criminel. » Encore une fois, « [i]l s’agit là d’une autre lacune importante quant aux pouvoirs de la cour martiale qui, elle, ne peut émettre une telle ordonnance lorsqu’elle traite d’une infraction similaire ».
[13] Dans la décision Roche, la cour a exposé, au paragraphe 21 :
La Cour a porté une attention particulière à la recommandation de la défense relativement à l’imposition d’une ou plusieurs peines qui ne comporteraient pas l’incarcération sous la forme d’emprisonnement qui constitue généralement la peine de dernier ressort. Or, l’évolution législative et jurisprudentielle ne supporte pas une telle approche dans les cas de fraude commise par une personne qui fraude son employeur lorsqu’elle utilise un poste de confiance liée directement à la gestion ou au contrôle des fonds ou du matériel qui font l’objet de la fraude. Une peine privative de liberté s’impose pour promouvoir la dénonciation et la dissuasion.
Cette approche est utile dans les cas où le vol ou la fraude sont perpétrés au dépens de compagnons ou au dépens de fonds sociaux ou de fonds de secours administrés par le contrevenant, qui commet un abus de confiance.
[14] Toutefois, compte tenu de la preuve versée au dossier de la cour et des principes directeurs concernant la dissuasion générale et la dénonciation, je ne puis souscrire à l’approche proposée par les avocats dans leur recommandation commune quant à la peine. À mon avis, la peine proposée ne servirait pas les intérêts de la justice. La présente affaire ressemble davantage à celle du Caporal Gamache[4], qui travaillait à titre bénévole à son mess et était chargé de l’inventaire et des marchandises au mess du régiment. Bien que le Caporal Gamache ait été un réserviste inexpérimenté dans les Forces canadiennes, la conduite tenait de la même nature, soit un vol au dépens de compagnons et un abus de leur confiance.
[15] Caporal Rose, dans les circonstances de l’espèce, je ne crois pas que la peine de dernier recours soit nécessaire pour réaliser la dissuasion générale et la dénonciation alors que cette peine n’a pas d’incidence sur votre réinsertion; aussi la question du sursis ne se pose-t-elle pas.
[14] La cour estime qu’il est possible d’assurer le maintien de la discipline et le respect de l’intérêt public en imposant une autre combinaison de peines qui entraînera de très lourdes conséquences, surtout si vous êtes libérée des Forces canadiennes. En conséquence, la cour vous condamne à être rétrogradée au rang de soldat et à payer une amende de 750 $. L’amende devra être acquittée au cours des six prochains mois, à raison de 125 $ par mois. Naturellement, si vous êtes libérée des Forces canadiennes avant le paiement complet de l’amende, le solde dû sera exigible le jour précédant immédiatement la date de prise d’effet de votre libération.
Colonel M. Dutil, J.M.C.
AVOCATS
Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires 3-2
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine B. Tremblay, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de la Caporal S.L. Rose