Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 septembre 2012.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation

•Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.


Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable. Chef d’accusation 3 : Retiré.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2400$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Menard, 2012 CM 3016

 

Date :  20120913

Dossier :  201220

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Oromocto (Nouveau‑Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

ex-Caporal J.P. Menard, contrevenant

 

 

Devant :  Lieutenant‑colonel L.-V d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Caporal Menard, ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard des premier et deuxième chefs de l’acte d’accusation, la cour vous déclare maintenant coupable de ces chefs d’accusation. Étant donné que le troisième chef d’accusation a été retiré par la poursuite au début du procès, la cour n’a pas d’autre chef d’accusation à examiner.

 

[2]        Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la Cour martiale permanente, de déterminer la peine. 

 

[3]        Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. 

 

[4]        C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]        Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes (R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

[6]        En l’espèce, les procureurs de la poursuite et les avocats du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée. Ils ont recommandé que la présente cour vous condamne à un blâme et à une amende de 2 400 $ afin de satisfaire aux exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge chargé de la détermination de la peine ne doit aller à l’encontre de la recommandation conjointe que s’il existe des motifs impérieux de le faire, notamment lorsque la peine est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public (R c Taylor, 2008 CMAC 1, au paragraphe 21).

 

[7]        Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Généreux, à la page 293 :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

La Cour a souligné que dans le contexte particulier de la justice militaire,

 

Les manquements à la justice militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[8]        Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au‑delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[9]        L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

            a)         protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

            b)         dénoncer le comportement illégal;

 

            c)         dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

            d)         isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

            e)         réadapter et réformer les contrevenants.

 

[10]      Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

            a)         la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

            b)         la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui‑ci;

 

            c)         la peine doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant une situation semblable et ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

            d)         le cas échéant, les contrevenants ne doivent pas être privés de liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances.  En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

            e)         enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

 

[11]      J’arrive à la conclusion que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

 

[12]      En l’espèce, la cour est appelée à statuer sur deux infractions militaires pour conduite de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur, contrairement à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale. Cette disposition législative vise à garantir l’existence d’un respect minimal en contexte militaire entre subordonnés et supérieurs, devant les membres ou en privé, et à éviter tout comportement qui entraînerait en dernier ressort la désobéissance d’un subordonné pouvant toucher à la cohésion et au moral des membres des Forces canadiennes de tous les échelons.

 

[13]      En bref, le Caporal Menard a adopté, pour ces deux incidents différents, un langage agressif et une conduite qui aurait pu entraîner une confrontation physique. Dans les deux cas, il n’a pas hésité à exprimer son insatisfaction à l’égard des supérieurs, d’une voix forte, en recourant à tous les moyens possibles pour attirer l’attention sur sa colère.

 

[14]      Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la Cour a pris en compte les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants :

 

            a)         La Cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. Vous êtes accusé d’une infraction prévue à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour avoir eu une conduite méprisante à l’égard d’un supérieur, qui est passible de la peine maximale de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

            b)         Deuxièmement, en ce qui a trait à la gravité subjective de l’infraction, la Cour a considéré trois éléments :

 

                        (i)         Le respect : Parmi les principes fondamentaux concernant les valeurs éthiques des membres des FC, il y a le respect de la loi et d’autrui, élément très important pour ceux qui portent l’uniforme.  La façon dont vous avez exprimé votre désaccord quant à vos problèmes personnels n’était pas appropriée dans les circonstances. Le respect concerne le fait que vous soyez en désaccord avec d’autres personnes, mais aussi le fait qu’il existe une modalité d’exprimer votre désaccord, ce que vous avez le droit de faire. Cela ne pose pas problème. Le problème était lié à la façon dont vous avez exprimé votre désaccord et je dois considérer cet aspect comme un facteur aggravant;

 

                        (ii)        De plus, il y a votre expérience dans le grade. Vous n’étiez pas recrue lors des deux incidents. En fait, vous possédiez déjà une expérience d’au moins sept ans dans l’armée, au sein de la force de réserve et de la force régulière. Selon votre rapport d’appréciation du rendement (RAR), vous êtes performant et vous auriez dû savoir que la façon dont vous avez exprimé votre colère envers les décisions ou les propos d’autres personnes n’était pas appropriée dans les circonstances; 

 

                        (iii)       Je dois également tenir compte d’une condamnation antérieure.  L’existence d’une infraction semblable dont vous avez été déclaré coupable l’année précédente, démontre qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé mais d’un comportement auquel vous devez remédier, au regard duquel vous avez reçu un avertissement, et que vous avez décidé d’adopter de nouveau.

 

[15]      J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

   a)         Tout d’abord, il s’agit de votre plaidoyer de culpabilité. Vu les faits présentés en l’espèce, la cour ne peut que considérer votre plaidoyer de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour la société canadienne. 

 

            b)         Deuxièmement, il y a également votre âge et vos perspectives professionnelles au sein de la collectivité. À 36 ans, vous avez encore de nombreuses années pour contribuer positivement à la société canadienne.

 

            c)         Il y a aussi le fait que vous avez dû vous présenter devant la Cour. Malgré que l’infraction en l’espèce soit survenue il y a quelque temps déjà, vous avez dû comparaître devant la Cour dans le cadre d’une audience qui était annoncée et ouverte au public, et qui s’est déroulée en présence de certains de vos pairs. Ce fait a certainement eu un effet dissuasif considérable sur vous et sur eux, en particulier. Une telle situation laisse savoir que le genre de conduite que vous avez eue à l’endroit de vos supérieurs ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence. 

 

            d)         J’ai également tenu compte de votre situation financière, comme l’ont mentionné vos avocats. Le fait que les répercussions seront restreintes puisque vous êtes en mesure de payer l’amende immédiatement constitue à mon avis un facteur atténuant. 

 

            e)         Un autre facteur concerne votre libération des Forces canadiennes. La seule raison pour laquelle vous avez été libéré des Forces canadiennes porte sur le genre de conduite que vous avez décidé d’adopter. Votre commandant à l’époque a recommandé votre libération en raison de votre attitude et de votre incapacité de maîtriser votre colère, ainsi que de la façon de faire part de votre insatisfaction à d’autres personnes, notamment à vos supérieurs. Il ne s’agit pas d’une peine en soi pour ce qui s’est passé, mais, compte tenu des répercussions sur vous, c’est‑à‑dire que vous ne faites plus partie des Forces canadiennes, je dois considérer cet aspect comme un facteur atténuant.

 

            f)         Enfin, il y a ce que je qualifierais d’« écoulement du temps », et que nous appelons, dans le langage juridique, « le temps qui s’est écoulé avant d’instruire » la présente affaire. La Cour ne veut blâmer personne en l’espèce, mais plus une affaire soulevant une grave question disciplinaire est traitée rapidement, plus la peine est pertinente et efficace au regard des objectifs pris en compte par la cour et de l’effet sur le moral et la cohésion des membres de l’unité.

 

[16]      En plus de la peine, vous vous verrez attribuer aujourd’hui un casier judiciaire. Dans les faits, votre condamnation emporte une conséquence souvent ignorée, à savoir que vous avez désormais un casier judiciaire, fait en soi non négligeable. 

 

[17]      Par conséquent, la cour accepte la recommandation conjointe des avocats quant à la peine et vous inflige un blâme et une amende de 2 400 $, étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et n’aura pas pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

 

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[18]      Vous DÉCLARE coupable du premier et du deuxième chefs de l’acte d’accusation à l’égard de deux infractions prévues à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour conduite de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

 

[19]      Vous CONDAMNE à un blâme et à une amende de 2 400 $, payable immédiatement.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Capitaine R.J. Eng, juge‑avocat général adjoint (région de l’Atlantique)

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Major A.M.W. Reed, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats de l’ex‑Caporal J.P. Menard

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