Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 mai 2007.

Endroit : Réfectoire Terry Fox, édifice B-11, Casernes Selfkant, Quimperléstrasse 100, 52511 Geilenkirchen, Allemagne.

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, avoir conduit un véhicule à moteur après avoir consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang (art. 253b) C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Arrêt des procédures.

Contenu de la décision

Citation : R. C. Caporal-chef J.E.M. Lelièvre, 2007 CM 1011

 

Dossier : 2006104

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

ÉLÉMENT CANADIEN DE LA FORCE AÉROPORTÉE DE DÉTECTION

LOINTAINE DE L'OTAN

GEILENKIRCHEN

ALLEMAGNE

 

Date : 22 mai 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL MARIO DUTIL, JUGE MILITAIRE EN CHEF         

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL-CHEF J.E.M. LELIÈVRE

(Accusé-requérant)

 

DÉCISION RELATIVEMENT À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE AUX TERMES DE L'ALINÉA 112.03(2) DES ORDRES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES RELATIVEMENT À UNE VIOLATION DES ARTICLES 7 ET 11 d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

 

(Rendue oralement)

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

[1]                    Il s'agit d'une requête présentée par la défense aux termes de l'alinéa 112.03(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes au motif que la procédure prévue aux paragraphes 6, 15 et 18 du document publié avec l'autorisation du Juge militaire en chef en date du 19 juillet 2001 intitulé « Procédures devant la cour martiale - Guide des participants et du public, A-LG-007/AG-001 » contrevient aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [ci-après la Charte], plus particulièrement les articles 7 et 11 d) en ce qu'ils portent atteinte à la dignité de l'accusé, son droit à la liberté, son droit à un procès juste et équitable et à la présomption d'innocence.


[2]                    Le requérant demande que les remèdes suivants lui soient accordés aux termes de l'article 24(1) de la Charte, notamment :

 

que la procédure utilisée pour amener l'accusé sous l'article 112.05 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ci-après les ORFC] soit déclarée nulle et sans effet; et

 

que l'accusé devant la cour martiale, soit le caporal-chef Lelièvre, soit devant la cour assis aux côtés de son procureur vêtu de la même manière que les autres membres et officiers de la cour.

 

 

LA PREUVE

 

 

[3]                    La preuve présentée dans la requête a été constituée des éléments suivants :

 

premièrement, les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de l'article 15 des Règles militaires de la preuve; et

 

deuxièmement, des pièces déposées devant le juge qui préside cette requête du consentement des procureurs et pour les seules fins exprimées du consentement des procureurs, soit les pièces PP1-1 ( Avis de requête et requête en déclaration d'inconstitutionnalité), PP1-2 et PP1-3 (Ordre de convocation et l'acte d'accusation), PP1-4, (OAFC 111-1 ‒‒ Cours martiales - Administration et procédure) et PP1-5 (Procédures devant la cour martiale ‒‒ Guide des participants et du public) auquel j'ai référé un peu plus tôt.

 

 

LA POSITION DES PARTIES

 

 

Le requérant

 

Re : Violation des articles 7 et 11d) de la Charte

 


[4]                    Le requérant allègue que la procédure prévue aux paragraphes 6, 15 et 18 du document publié avec l'autorisation du Juge militaire en chef en date du 19 juillet 2001 intitulé « Procédures devant la cour martiale ‒‒ Guide des participants et du public » est archaïque, abusive, sans fondement et ultra vires des pouvoirs de réglementation accordés en la matière et autrement inconstitutionnelle de la Charte. Il soutient que toute procédure qui mettrait un accusé militaire dans une position différente que celle d'un accusé civil devant une cour martiale ne fait que l'isoler et le mettre dans une situation de différence qui affecte la présomption d'innocence, le droit à la dignité et le droit à la liberté prévus aux articles 7 et 11 d) de la Charte. L'article 7 de la Charte se lit comme suit :

 

7.   Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

Alors que l'article 11 d) prévoit :

 

11.   Tout inculpé a le droit :

 

        d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable,               conformément à la loi, par un tribunal indépendant à l'issue               d'un procès public et équitable.

 

Au soutien de sa demande, le requérant s'appuie essentiellement sur la jurisprudence canadienne et américaine portant sur l'évolution de la procédure utilisé lors des procès criminels en matière de la présence ou non de l'accusé dans le box des accusés. Il illustre aussi au passage l'évolution et la place du droit militaire, particulièrement lors des cours martiales citant les décisions de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Généreux et la décision récente de la Cour d'appel de la cour martiale dans l'arrêt R. c. Nystrom.

 

L'intimée

 

L'intimée soutient, quant à elle, que la question faisant l'objet de la requête ne soulève pas l'application de la Charte. Elle ajoute qu'en droit canadien, la question de la présence ou l'absence de l'accusé dans le box des accusés n'en est pas une qui relève ni de l'article 7, ni de l'article 11 d) de la Charte. L'intimée allègue que les procédures prévues aux paragraphes 6, 15 et 18 du document publié avec l'autorisation du Juge militaire en chef en date du 19 juillet 2001 intitulé « Procédures devant la cour martiale ‒‒ Guide des participants et du public), sont du ressort exclusif de la cour martiale aux termes de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale ou du pouvoir de la cour ou d'un juge de déterminer sa procédure pour les matières qui ne sont pas prévues par voie législative ou réglementaire. Au surplus, il ajoute qu'il n'existe aucune justification légale au soutien des dispositions attaquées et que celles-ci découlent de la coutume et des traditions. La poursuite a choisi de n'apporter aucune preuve qui viendrait expliquer le contexte et la raison d'être de ces dispositions. La poursuite ajoute finalement qu'elle n'a aucune objection que cette pratique soit modifiée pour accommoder la requête présentée par la défense, à tout le moins en ce qui concerne la présente affaire.

 

 

 


DÉCISION

 

 

[5]                    Il est tout à fait clair que les questions traitées dans le document intitulé « Procédures devant la cour martiale ‒‒ Guide des participants et du public » sont intra vires des pouvoirs du juge militaire en chef. Le guide vise à assurer le décorum qui doit avoir lieu lors des cours martiales présidées par des juges militaires. Le décorum relève de la compétence de la cour et la cour martiale a le pouvoir inhérent de contrôler sa procédure sur des questions résiduelles qui ne sont pas traitées dans la loi ou les règlements. J'ajouterai qu'un juge militaire possède même le pouvoir discrétionnaire d'aller à l'encontre des dispositions contenues au guide et émis sous l'autorité du juge militaire en chef s'il croit ou si elle croit qu'une telle dérogation est dans l'intérêt de la justice, par exemple en appliquant la doctrine de l'abus de procédure. Toutefois, force est de reconnaître qu'une telle dérogation aux directives émises par le juge en chef ne devrait pas être prise à la légère. Le Guide a remplacé l'OAFC 111-1 qui elle, parce que c'était une ordonnance, était émise sous l'autorité du Chef d'état-major de la défense et publiée par le Directeur des Services juridiques du Personnel; en d'autres termes par l'exécutif. Dans le contexte de l'évolution du droit en matière d'indépendance judiciaire, il semble évident que si une telle situation prévalait aujourd'hui, la question de la légitimité de cette OAFC par l'exécutif serait évidente.

 

[6]                    Pour que l'article 7 de la Charte s'applique, le requérant a d'abord le fardeau de prouver que le droit visé relève de l'article 7. Dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, la Cour suprême du Canada a tenu à préciser la nature du droit à la liberté prévu à l'article 7 de la Charte. Le juge Bastarache, au nom de la majorité, s'exprimait ainsi, au paragraphe 49 :

 

Le droit à la liberté garanti par l'art. 7 de la Charte ne s'entend plus uniquement de l'absence de toute contrainte physique. Des juges de notre Cour ont conclu que la « liberté » est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l'État influent sur les choix importants et fondamentaux qu'une personne peut faire dans sa vie.

 


[7]                    Au même titre que les tribunaux canadiens n'ont pas élevé la présence d'un accusé dans le box des accusés comme une violation de son droit à la liberté, je ne peux conclure que le décorum prévu aux paragraphes 6, 15 et 18 du Guide viole le droit à la liberté d'un accusé militaire devant une cour martiale. Au surplus, cette situation ne viole pas son droit à la présomption d'innocence prévue à l'article 11 d). À cet effet, il importe de préciser que les juges militaires sont des juristes d'expérience élevés à remplir exclusivement des fonctions judiciaires par le gouverneur en conseil et qu'ils jouissent de garanties en matière d'indépendance judiciaire. Au surplus, il serait toujours possible au juge militaire ‒‒ au delà des directives du juge au comité d'une cour martiale disciplinaire ou générale sur les questions de la présomption d'innocence et du fardeau de preuve qui incombe à la poursuite de prouver l'infraction hors de tout doute raisonnable ‒‒ donc, il serait toujours possible au juge militaire de donner une directive précise aux membres du comité de la cour martiale à l'effet que le comité de la cour martiale ne peut tirer ou ne pourrait tirer aucune conclusion ou inférence négative ou défavorable à l'endroit de l'accusé en raison de l'application du décorum prévu aux paragraphes 6, 15 et 18. Il ne fait aucun doute que la procédure actuelle fait ressortir clairement le statut d'accusé de la personne qui est amenée devant la cour martiale mais, avec respect pour l'opinion contraire, cela n'affecte en rien la présomption d'innocence. Force est de reconnaître toutefois qu'une tradition ou une coutume associée au décorum de la cour martiale qui puisse nécessiter une mise en garde de la part du juge militaire à l'endroit des membres du comité de la cour martiale disciplinaire ou générale me laisse profondément perplexe sur le bien-fondé d'un tel décorum aujourd'hui.

 

[8]                    Je réitère qu'il n'existe aucune preuve devant cette cour sur le caractère historique qui expliquerait une telle tradition, mais aussi le maintien d'une telle tradition devant la cour martiale. Une telle preuve n'est pas requise seulement dans le cadre de l'analyse du bien-fondé d'une disposition ou d'une situation à la lumière de l'article 1 de la Charte. Cette preuve est tout aussi importante pour le maintien ou l'abandon d'une telle tradition ou d'une telle coutume. Une telle question n'est pas du domaine de la connaissance judiciaire de la cour ni aux termes de l'article 15 des Règles militaires de la preuve, ni aux termes de l'article 16 des Règles militaires de la preuve.

 

[9]                    Je prends acte que le procureur de la poursuite ne s'objecte pas à la demande formulée par le requérant dans les circonstances et que cette question devrait faire l'objet d'une consultation la plus large possible relativement au bien-fondé des paragraphes 6, 15 et 18 du document publié avec l'autorisation du Juge militaire en chef en date du 19 juillet 2001 intitulé « Procédures devant la cour martiale ‒‒ Guide des participants et du public. »

 

Dispositif

 

[10]                  Pour ces raisons, la Cour :

 

fait droit en partie à la requête présentée par la défense;

 

autorise le requérant à être assis auprès de son avocat lors du début des procédures prévues à l'article 112.05 des ORFC, mais sans sa coiffure;

 

autorise le requérant à avoir sa coiffure de service avec lui, s'il devait témoigner le cas échéant;

 

dispense des besoins d'une escorte pour les fins de la procédure d'une cour martiale dans cette affaire, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'escorte; et


finalement, enjoint le requérant de respecter le décorum applicable aux civils et ex-militaires justiciables du code de discipline militaire qui comparaissent devant la cour martiale pour toute autre question prévue par le Guide des participants et du public.

 

[11]                  Il se peut, au fur et à mesure du déroulement des procédures que les procureurs aient, et en particulier la défense, certaines questions relativement à telle ou telle mesure précise qui devra être suivie et à ce moment-là, en adressant ces questions-là au fur et à mesure des procédures, on pourra les régler.

 

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major B. McMahon, Directeur des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante-intimée

Lieutenant-colonel J.-M. Dugas et Major C.E. Thomas, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du Caporal-chef Lelièvre

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