Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 mai 2007.

Endroit : Réfectoire Terry Fox, édifice B-11, Casernes Selfkant, Quimperléstrasse 100, 52511 Geilenkirchen, Allemagne.

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, avoir conduit un véhicule à moteur après avoir consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang (art. 253b) C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Arrêt des procédures.

Contenu de la décision

Citation : R. C. Caporal-chef J.E.M. Lelièvre, 2007 CM 1012

 

Dossier : 2006104

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

ÉLÉMENT CANADIEN DE LA FORCE AÉROPORTÉE DE DÉTECTION

LOINTAINE DE L'OTAN

GEILENKIRCHEN

ALLEMAGNE

 

Date : 25 mai 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL MARIO DUTIL, JUGE MILITAIRE EN CHEF

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante-intimée)

c.

CAPORAL-CHEF J.E.M. LELIÈVRE

(Accusé-requérant)

 

DÉCISION RELATIVEMENT À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE AUX TERMES DU SOUS-ALINÉA 112.05(5)e) DES ORDRES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES RELATIVEMENT À UNE VIOLATION DE L'ARTICLE 11 b) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

 

(Rendue oralement)

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

[1]                    Il s'agit de la décision de la cour relativement à la requête qui a été présentée par la défense aux termes du sous-alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC], pour l'obtention d'un arrêt des procédures en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, [la Charte], et ce en raison de la violation alléguée des droits de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable prévus à l'article 11 b) de la Charte.

 

 


LA PREUVE

 

 

[2]                    La preuve devant la cour est constituée des éléments suivants :

 

Premièrement, les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de l'article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Deuxièmement, les pièces déposées devant la Cour du consentement des procureurs et pour les seules fins exprimées du consentement des procureurs, soit :

 

a.   la pièce R1-1 (Soumission conjointe des faits);

 

b.   la pièce R1-2 (Procès-verbal de procédures disciplinaires en date du 2 février 2006 signé par l'adjudant-chef J. Bourdon);

 

c.   les pièces R1-3 et R1-4 (Une série de courriels entre le 10 et le 30 novembre 2005 impliquant le commandant du caporal-chef Lelièvre, le lieutenant-colonel J.J.A.M. Cournoyer, et des officiers du Quartier général de la défense nationale à Ottawa relativement au statut de la promotion anticipée du caporal-chef Lelièvre au grade de sergent prévue pour le 1er décembre 2005 suite aux incidents du 4 novembre 2005);

 

d.   la pièce R1-5 (Un message R 280743Z SEP 05 relativement à la promotion du caporal-chef Lelièvre au grade de sergent au 1er décembre 2005);

 

e.   la pièce R1-6 (Une lettre en date du 10 janvier 2006 signée par le major C. Bélanger du personnel des carrières du QGDN qui confirme que la carrière du caporal-chef Lelièvre fait l'objet d'une révision administrative et que cette révision en est au stade de la divulgation);

 

f.    la pièce R1-7 (Un extrait des taux de solde applicables aux militaires du rang de la force régulière en date du 18 mai 2005 et le calcul du différentiel potentiel de la solde du caporal-chef Lelièvre s'il avait été promu au grade de sergent le 1er décembre 2005);

 


g.   la pièce R1-8 (une copie du chapitre 11 du Volume I des ORFC intitulée « Promotion, retour à un grade inférieur et changement de spécialité obligatoire »);

 

h.   la pièce R1-9 (Copie d'un article publié en juin 2006 dans le journal militaire canadien local « Messager de la Feuille d'érable » rédigé par le caporal-chef Lelièvre et intitulé « Drinking and driving (Historical));

 

i.    la pièce R1-10 (Une série de courriels entre madame M. Springer, officier de liaison au bureau de l'Assistant du Juge-avocat général (Europe) à Geilenkirchen en Allemagne et le Major R. Holman, procureur aux appels à la Direction des Poursuites militaires à Ottawa entre le 5 juin 2006 et le 20 décembre 2006.

 

Et troisièmement, la preuve est complétée par les témoignages entendus durant l'audition de la requête, soit ceux du caporal-chef Lelièvre, du capitaine S. Cloutier et de l'adjudant-chef J. Bourdon.

 

LES FAITS

 


[3]                    L'exposé des faits pertinents pour l'examen de cette requête débute par l'arrestation du caporal-chef Lelièvre au volant de sa voiture par la police allemande durant la soirée du 4 novembre 2005, à ou près de Geilenkirchen, pour l'incident qui fait maintenant l'objet de l'acte d'accusation qui est devant cette cour sous la pièce 2 et signé par le major R. Holman, procureur militaire, en date du 2 novembre 2006. Suite à l'arrestation, les policiers allemands conduisent le caporal-chef Lelièvre à l'hôpital où l'on prélève un échantillon de sang sur sa personne selon la procédure en vigueur. La police allemande dépose son premier rapport le lendemain. Le 5 novembre 2005, le caporal-chef Lelièvre communique avec l'adjudant-chef Bourdon pour l'informer des récents événements. Ce dernier transmet à son tour l'information à travers sa chaîne de commandement, y compris au commandant du caporal-chef Lelièvre, soit le lieutenant-colonel Cournoyer. On interdit aussitôt au caporal-chef Lelièvre de voler à titre de technicien en défense aérienne et on lui ordonne de rencontrer le médecin et le travailleur social. Quelques jours plus tard, l'interdiction de vol est annulée, les personnes consultées n'ayant rien trouvé d'anormal chez le requérant. Selon le requérant, les policiers militaires reçoivent le rapport de police de leurs collègues allemands trois ou quatre jours plus tard, y compris le permis de conduire du caporal-chef Lelièvre qui avait été saisi au moment de son arrestation. Le permis de conduire du caporal-chef Lelièvre a été suspendu trois mois à partir des événements qui ont fait l'objet de l'accusation. Cet incident était suffisamment sérieux en soi et aussi en raison de l'image négative qu'il représentait aux yeux des supérieurs du caporal-chef Lelièvre pour faire en sorte que sa promotion annoncée dès septembre 2005 et prévue pour le 1er décembre 2005 devait faire l'objet d'une révision. Tel qu'en fait foi la pièce R1-3 et la pièce R1-4, le commandant de l'accusé demandait aux autorités du Quartier général de la défense nationale de reporter la promotion du caporal-chef Lelièvre jusqu'à la fin des procédures disciplinaires qui allaient prendre place relativement à l'incident de conduite en état d'ébriété, et ce en fonction de l'information détenue à ce moment par le lieutenant-colonel Cournoyer dès le 10 novembre 2005. Le 30 novembre 2005, le commandant de l'accusé reçoit la confirmation des autorités militaires oeuvrant au cabinet du Directeur général des Carrières militaires de l'autorisation verbale pour retarder la promotion du caporal-chef Lelièvre jusqu'à ce que les procédures disciplinaires et la révision administrative de la carrière de l'individu soient complétées. L'adjudant-chef Bourdon a expliqué à la cour que le lieutenant-colonel Cournoyer et lui-même s'étaient d'abord enquis auprès des autorités responsables en la matière au sujet des options de la chaîne de commandement immédiate du caporal-chef Lelièvre suite à l'incident eu égard à sa promotion. Selon ses dires, trois options s'ouvraient à eux : premièrement, l'attente des résultats de la cour martiale; deuxièmement, une mise en garde et surveillance immédiate à l'endroit du caporal-chef Lelièvre; et finalement, lui accorder la promotion au grade de sergent au 1er décembre telle qu'originalement prévue. La première option fut retenue parce qu'ils ne croyaient pas détenir suffisamment d'information pour imposer une mise en garde et surveillance, alors qu'accorder la promotion telle que prévue aurait pu projeter une image négative, soit celle de récompenser quelqu'un qui vient de se faire arrêter en état d'ébriété. Bref, le commandant du caporal-chef Lelièvre et l'adjudant-chef Bourdon décident qu'il est préférable de laisser retomber la poussière en retardant la promotion du caporal-chef Lelièvre. Selon l'adjudant-chef, une telle mesure ne devait être nécessaire au plus de trois à six mois. C'est alors que dès janvier 2006, la chaîne de commandement immédiate du caporal-chef Lelièvre apprend, soit par le pièce R1-6, que les autorités du Quartier général de la défense nationale ont entrepris la révision de la carrière de ce dernier en raison de l'incident qui lui est reproché. Selon les dires de l'adjudant-chef Bourdon, un tel scénario n'avait jamais été envisagé ou discuté lors des échanges entre les personnes responsables de la gestion des carrières et la chaîne de commandement immédiate du caporal-chef Lelièvre.

 


[4]                    Le 2 février 2006, l'adjudant-chef Bourdon porte des accusations à l'endroit du caporal-chef Lelièvre pour l'incident du 4 novembre 2005 sur la foi de l'avis juridique fourni par le lieutenant-colonel Léveillée, AJAG Europe. Ces accusations sont référées à l'autorité de renvoi le 17 février 2006 qui les transmet au Directeur des poursuites militaires le 10 avril 2006. Le Directeur des poursuites militaires reçoit le dossier une semaine plus tard. Le 28 avril 2006, le Directeur adjoint des poursuites militaires assigne deux avocats au dossier dont un francophone, major Cloutier qui était le procureur de la poursuite pour la cour martiale du caporal Deans qui eut lieu le 25 mai 2004 à Geilenkirchen pour une infraction en tout point similaire. Les procureurs militaires demandent alors la divulgation complète de la preuve dans cette affaire à l'unité de soutien de secteur des Forces canadiennes (Europe). Ce dossier est réassigné quelques jours plus tard au major Holman, ainsi qu'au major McMahon puisque l'accusé avait demandé un procès en français.

 

[5]                    Dès le 5 juin 2006, le major Holman s'adresse à madame Springer, officier de liaison au bureau de l'AJAG Europe, l'informant qu'il a déjà pris connaissance des rapports de police, y compris les traductions des rapports de la police allemande relativement à cette affaire et lui demandant son aide pour l'interrogatoire des témoins potentiels de la poursuite qui pourrait avoir lieu en juin ou juillet 2006. D'ailleurs, le major Holman interroge les témoins requis par la poursuite, dont un témoin expert, entre le 2 et le 7 juillet 2006 à Geilenkirchen accompagné de madame Springer qui agit comme interprète. Le 20 juillet 2006, le major Holman demande à madame Springer d'organiser une conférence téléphonique avec certains témoins allemands, dont un expert. Il l'informe par le même occasion qu'il est en vacances durant les deux premières semaines du mois d'août et qu'il compte finaliser ce dossier avant de partir. À la mi-août 2006, certains témoins ne sont pas disponibles. Les entrevues téléphoniques semblent avoir eu lieu le ou vers le 21 août 2006. Toujours à la mi-août 2006, le major McMahon, un des procureurs à ce dossier, est muté à la direction des poursuites militaires en tant que procureur régional de la région centrale.

 

[6]                    Il semble qu'il n'y ait aucune activité dans ce dossier par la suite avant le 25 septembre 2006 où le major Holman demande à madame Springer par courriel qu'elle lui transmette ses notes des entrevues téléphoniques du mois précédent et certaines informations additionnelles au sujet du témoin expert. Elle ne lui répond que le 5 octobre 2006 en lui mentionnant et je cite : « I just left you a voice mail. Last night, in going through my basket, I noted your email that I had somehow overlooked before. Please excuse, I will aim to get the file completed and have it to you NLT Monday. »

 

[7]                    Le major Holman communique avec madame Springer par courriel le 17 octobre 2006 accusant réception de l'information demandée le 25 septembre 2006. Il lui demande également de lui transmettre ses notes personnelles qu'elle a prises durant les entrevues de tous les autres témoins.

 


[8]                    Le 2 novembre 2006, le major Holman interroge le témoin expert par le biais d'une conférence téléphonique. Madame Springer assiste à ladite conversation. Le major Holman recommande ce même jour au Directeur adjoint des poursuites militaires de porter une accusation contre le caporal-chef Lelièvre tel qu'il appert de la pièce 2, soit l'acte d'accusation. L'acte d'accusation est accompagné d'une note de service du major Holman indiquant que la divulgation de la preuve n'avait pas encore été effectuée à la défense, le major Holman n'ayant pas reçu les notes de madame Springer relatives aux entrevues de juillet 2006. Or, le 6 novembre le Directeur adjoint des poursuites militaires prononce la mise en accusation par lettre à l'administrateur de la cour martiale en indiquant que, et je cite : « La poursuite a fait parvenir à l'avocat de la défense représentant l'accusé la divulgation de la preuve, soit les éléments sont [sic] [on aurait dû lire "sous"] son contrôle ou en sa possession, dans un délai le plus court possible. » La preuve déposée dans cette requête ne laisse planer aucun doute du fait qu'un tel énoncé était tout à fait inexact.

 

[9]                    Le 8 novembre 2006, l'administrateur de la cour martiale informe les parties, et je cite : « qu'il existe présentement une accumulation de mises en accusation à être convoquées. » Le 10 novembre 2006, le lieutenant-colonel Dugas, l'avocat de la défense dans la présente cause, demande la divulgation complète de la preuve à la poursuite, y compris l'accès à l'échantillon de sang prélevé auprès du caporal-chef Lelièvre. Le 14 novembre 2006, le major Holman demande à madame Springer de lui transmettre divers éléments à être divulgués à la défense dans les plus brefs délais afin de pouvoir s'entendre avec la défense sur une date de procès rapprochée. Toujours sans réponse le 4 décembre 2006, le major Holman demande encore une fois à madame Springer où en est sa demande. Le 23 novembre 2006, la poursuite faisait parvenir à la défense la divulgation partielle de la preuve, notamment les rapports de la police militaire.

 

[10]                  Ce n'est que le 20 décembre 2006 que madame Springer transmet l'information requise par le major Holman relativement à ses notes d'entrevue effectuées en juillet 2006 et du 2 novembre 2006. Le 21 décembre 2006, le major Holman rédige une ébauche du résumé des témoignages anticipés de la poursuite. Or, ce n'est qu'en mai 2007 que ce document est transmis pour la défense, cette cour martiale ayant été convoquée pour débuter le 22 mai 2007.

 

[11]                  Le 10 janvier 2007, le major Holman divulgue finalement à la défense les notes de madame Springer. Il informe la défense par la même occasion que l'accès à l'échantillon de sang demandé le 10 novembre 2006 est toujours déposé à l'institut de médecine juridique à Aachen et que madame Springer est en mesure d'aider la défense pour y avoir accès.

 

[12]                  En février 2007, le major McMahon remplace le major Holman en tant qu'avocat de la poursuite dans cette affaire, mais la Cour constate qu'il était déjà au dossier à titre d'assistant depuis le 4 mai 2006, soit près d'un an. La cour martiale fut convoqué le 20 mars 2007 pour un procès qui devait avoir lieu le 22 mai 2007, soit l'une des dates proposées par l'administrateur de la cour martiale acceptée par les deux parties.

 


[13]                  Durant toute cette période, le caporal-chef Lelièvre et sa chaîne de commandement immédiate se sont enquis auprès de différentes sources pour une mise à jour du statut du dossier, notamment en consultant le site Internet du cabinet du Juge-avocat général. Aucune information pertinente n'a été obtenue. Le caporal-chef Lelièvre est toujours en attente d'une promotion au grade de sergent et il a continué à être employé aux mêmes fonctions depuis le 4 novembre 2005. Selon l'adjudant-chef Bourdon, il a continué à remplir ses fonctions de façon compétente et professionnelle. S'il avait été promu sergent le 1er décembre 2005, il compterait 18 mois d'ancienneté dans son nouveau grade. En date d'aujourd'hui, la perte cumulative entre son niveau de solde actuel et celui d'un sergent comptant 18 mois de service se chiffre à 3972 dollars avant impôts. La preuve indique toutefois que le caporal-chef Lelièvre aurait été muté au Canada s'il avait été promu parce que ce dernier a refusé une affectation non-accompagné d'une année au Groënland. Et puisqu'il aurait été rapatrié au Canada, il aurait cessé de recevoir l'indemnité de service à l'étranger. La preuve indique également que le caporal-chef Lelièvre a subi durant cette période un degré d'anxiété qui va au-delà de celui strictement associé à l'accusation, notamment en raison de la mise à l'écart de sa promotion jusqu'à la fin des procédures disciplinaires. Finalement, ces incidents ont engendré un stress familial qui a surtout été présent dans les premiers mois qui ont suivi l'incident. Il n'y a aucune preuve devant cette cour que l'accusé a consenti ou renoncé à quelque délai que ce soit dans cette affaire. Donc, cela complète le résumé de la preuve qui a été présentée au soutien de la requête.

 

 

LA POSITION DES PARTIES

 

 

Le requérant

 

Re : Violation de l'article 11 b) de la Charte

 


[14]                  Le requérant est accusé d'une infraction punissable aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir conduit un véhicule à moteur après avoir consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, contrairement à l'article à l'article 253 b) du Code criminel. Les détails de l'accusation allèguent que l'infraction aurait eu lieu le ou vers le 4 novembre 2005 à ou aux environs de Geilenkirchen, Allemagne. Le requérant soutient que son droit d'être jugé dans un délai raisonnable prévu à l'article 11 b) de la Charte a été violé et que cette cour devrait ordonner un arrêt des procédures aux termes de l'article 24(1) de la Charte en raison notamment de la décision R. c. Morin de la Cour suprême du Canada publiée à [1992] 1 R.C.S. 771. La défense soutient que le délai qui devrait être retenu par la cour serait de 19 mois, soit à partir de la date de l'incident, plutôt que 16 mois ‒‒ soit depuis la mise en accusation initiale en date du 2 février 2006 qui correspond à la date du procès-verbal de procédure disciplinaire déposé sous la pièce R1-2. Elle soutient que la décision presque immédiate de la chaîne de commandement de suspendre la promotion du caporal-chef Lelièvre dans les jours qui ont suivi l'incident du 4 novembre 2005, et ce pour une question d'image ou de perception, a eu pour effet de lui causer un préjudice tel que cette date doit servir de point de départ au calcul du délai, même si la requête s'appuie sur l'article 11 b) de la Charte. La défense invoque au soutien de sa demande qu'il s'agit d'une cause relativement peu complexe, voire routinière. Elle soutient que l'ensemble de la preuve était disponible rapidement, y compris les rapports de police et que les procureurs militaires étaient tout aussi disponibles. En conséquence, la défense demande à la cour d'ordonner l'arrêt des procédures.

 

L'intimée

 

[15]                  Quant à l'intimée, elle reconnaît que le caporal-chef Lelièvre n'a pas renoncé au délai. Malgré les prétentions de la défense, elle demande à la cour de retenir uniquement la date du 2 février comme celle du délai post-accusatoire aux fins d'une analyse sous l'article 11 b) de la Charte. La poursuite soutient que la nature de cette cause doit être prise en compte pour le calcul du délai inhérent par la cour. Elle affirme que les faits de cette cause font en sorte qu'elle ne peut pas jouir de la présomption prévue à l'article 258 du Code criminel et qu'en conséquence la nature de la preuve à être présentée par la poursuite contribue à l'accroissement du délai. La poursuite soumet que les mesures prises à partir du mois d'avril 2006 jusqu'à la mise en accusation du 6 novembre 2006 peuvent être qualifiées de raisonnable dans les circonstances eues égard aux difficultés inhérentes de la présente affaire. Elle ajoute que le délai débutant en novembre 2006 jusqu'à aujourd'hui se justifie en raison du manque de ressources institutionnelles. La poursuite appuie ses prétentions principalement sur les paragraphes 16 et 23 de la soumission conjointe des faits, soit la pièce R1-1. Finalement, la poursuite demande à la cour de prendre en compte ‒‒ dans l'exercice de pondération qui doit être fait par la cour ‒‒ le fait que les infractions de cette nature commises à l'étranger dans un pays hôte en vertu des accords de l'OTAN jouissent d'un caractère particulier qui milite en faveur de l'intérêt public de poursuivre.

 

 

DÉCISION

 

 

[16]                  Donc, la défense allègue que les droits de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable ont été violés. L'article 11 b) de la Charte se lit comme suit :

 

11.         Tout inculpé a le droit :

 

b) d'être jugé dans un délai raisonnable;

 


Cet article de la Charte fait l'objet de décisions importantes tant de la Cour suprême du Canada que les cours d'appel, y compris la Cour d'appel de la cour martiale. L'article 11 b) se concentre sur l'intérêt de chaque individu à la liberté, sécurité de sa personne et à son droit d'avoir un procès équitable. Cependant, l'article 11 b) possède aussi une composante sociale ou communautaire implicite. Le défaut du système de justice et de disposer de façon rapide et efficace des procès criminels conduit inévitablement à une frustration de la part de la communauté contre le système judiciaire et éventuellement à un sentiment de frustration envers les procédures devant les tribunaux. Cela s'avère vrai non seulement dans le cas des tribunaux civils de juridiction criminelle, mais aussi devant les cours martiales. Dans le contexte du droit militaire, le législateur a de plus explicitement prévu à l'article 162 de la Loi  sur la défense nationale que, et je cite :

 

162.  Une accusation aux termes du code de discipline militaire est traité avec toute la célérité que les circonstances permettent.

 

Cela prend tout son sens lorsque des infractions sont commises à l'étranger et que le pays hôte consent à ce que les militaires canadiens soient traduits devant un tribunal militaire canadien en vertu d'un accord international, comme ici en Allemagne, plutôt que de poursuivre les ressortissants canadiens devant leurs propres tribunaux pour des infractions pénales ou criminelles commises sur leur propre territoire. Il va sans dire que lorsqu'un procès a lieu dans un délai raisonnable, tous les témoins étant disponibles et ayant frais à la mémoire le souvenir des événements, il est beaucoup plus certain que les coupables seront condamnés et punis, et les autres seront acquittés et exonérés. L'objectif principal de l'article 11 b) de la Charte est la protection des droits individuels : le droit à la sécurité de la personne, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable de même que l'intérêt de l'ensemble de la société. Donc, la méthode générale pour déterminer s'il y a eu violation du droit ne consiste pas dans l'application d'une formule mathématique ou administrative mais plutôt dans une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que l'article est destiné à protéger et les facteurs qui entraînent un délai ou sont autrement la cause du délai. Comme l'indiquait l'avocat de la défense, les facteurs à être pris en compte nous proviennent de l'arrêt R. c. Morin et il ressort de cette décision que les facteurs à prendre en considération pour analyser la longueur d'un délai raisonnable sont les suivants : (1) la longueur du délai; (2) la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul; (3) les raisons du délai, notamment les délais inhérents à la nature de l'affaire, les actes de l'accusé, les actes du ministère public, les limites des ressources institutionnelles et les autres raisons du délai; finalement, (4) le préjudice subi par l'accusé. Le délai doit être considéré dans son ensemble et non en fractionnant les événements. Les tribunaux reconnaissent généralement que la violation ou non du droit à un procès dans un délai raisonnable dépend des faits de chaque affaire. Ainsi, la Charte n'impose pas un calendrier précis applicable à toutes les affaires.

 


[17]                  En ce qui a trait à la longueur du délai et du point de départ de ce délai, la cour ne peut souscrire aux prétentions de la défense pour les fins de calcul de la longueur du délai. Il est clair que dans le cas d'une requête qui ne porte que sur l'article 11 b) de la Charte seul le délai post-inculpatoire compte, sauf si le délai pré-inculpatoire a eu un impact non pas sur le préjudice subi par l'accusé, mais sur son droit à une défense pleine et entière, ou si ce délai pré-inculpatoire a de quelque manière affecté l'intégrité et l'équité du procès. Avec respect, la cour conclut que la preuve n'est pas convaincante à cet effet. Bref, pour les fins de calcul du délai, la cour retient la date du 2 février 2006 comme point de départ, soit un délai de près de 16 mois. Ce délai, selon la cour, est suffisant en soi pour soulever la question du caractère raisonnable d'un tel délai. La cour partage l'opinion émise par la défense qu'il s'agit d'une accusation peu complexe dont la preuve était facilement et rapidement disponible. Il est vrai que dans cette affaire la poursuite ne pouvait bénéficier de la présomption légale aux termes de l'article 258 du Code criminel puisque les témoins impliqués lors de l'incident étaient des policiers allemands et que l'échantillon de sang pris de l'accusé a été obtenu de toute évidence selon la procédure allemande. Il s'agit là d'une question qui relève simplement du mode de preuve devant la cour qui requiert une preuve complète pour prouver l'alcoolémie de l'accusé au moment de l'infraction alléguée. La preuve additionnelle requise dans la préparation du dossier se résume à quelques témoins additionnels. Bref, une telle preuve demeure relativement simple à obtenir si les procédures ont été suivies selon les règles de l'art. D'ailleurs, l'exigence de ce genre de preuve lors des cours martiales n'est pas nouvelle si l'on fait la revue des décisions antérieures. La Cour d'appel de la cour martiale reconnaissait d'ailleurs la légitimité de la procédure allemande de prélever un échantillon de sang dans ce genre d'affaire et l'admissibilité de cette preuve devant les cours martiales, et ce dans l'arrêt R. c. Bernauer (1988) 4 C.A.C.M. 570. D'ailleurs, la dernière cour martiale qui a eu lieu ici même à Geilenkirchen pour une accusation similaire, soit celle du caporal-chef Deans, de la même unité, possédait les mêmes caractéristiques au niveau de la preuve. Cette cause a d'ailleurs fait l'objet de commentaires de la part du témoin, adjudant-chef Bourdon. Dans la cause de Deans, la cour constate que le major Cloutier agissait comme procureur militaire, celui-là même qui fut l'un des procureurs assignés à ce dossier le 28 avril 2006. La cause du caporal-chef Deans avait débuté le 25 mai 2004 sur la foi d'un acte d'accusation signé le 6 février 2004 pour un incident qui avait eu lieu le ou vers le 20 avril 2003. Même en présumant que l'accusation eut été portée le jour même de la commission de l'infraction alléguée dans la cause de Deans  ‒‒ ce qui est hautement improbable ‒‒ le délai total aurait été de 13 mois.

 

[18]                  La preuve devant cette cour indique clairement que l'accusé n'a renoncé à aucun délai. Au contraire, le caporal-chef Lelièvre et sa chaîne de commandement consultaient le site Internet du Juge-avocat général régulièrement. Il semble que personne ne les tenait au courant du développement de ce dossier une fois qu'il fut entre les mains des procureurs militaires. Le délai demeure donc intact et se chiffre à près de 16 mois.

 


[19]                  En ce qui a trait aux raisons du délai, force est de reconnaître que certains délais sont inévitables lorsqu'il s'agit de traduire des personnes devant les tribunaux pour des infractions qu'elles auraient commises. Cela est vrai pour tous les systèmes de justice, civil ou militaire. Dans le système de justice militaire, la structure législative et réglementaire (régissant les règles applicables de la mise en accusation jusqu'à la cour martiale le cas échéant) met sur pied un certain nombre de balises qui visent principalement à protéger l'intégrité du système. Parmi celles-ci, on compte l'obligation d'obtenir des avis juridiques avant qu'une personne puisse être accusée pour certaines catégories d'infractions; une procédure de renvoi des accusations à une autorité supérieure; la compétence exclusive accordée au Directeur des poursuites militaires d'entamer une poursuite devant la cour martiale en portant une accusation contre une personne à qui il est reproché d'avoir commis une infraction d'ordre militaire, telle que définie à l'article 2 de la Loi sur la défense nationale; et, la compétence exclusive au Directeur des poursuites militaires de prononcer de mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et de mener les poursuites devant celles-ci. Un tel régime a le défaut de ses qualités. Même si l'objectif principal d'un tel régime a pour but d'éviter les abus de procédures envers les justiciables du code de discipline militaire, force est de reconnaître qu'il emporte avec lui une lourdeur administrative et des délais inhérents qui sont supérieurs au régime de poursuites pénales civil.

 

[20]                  En ce qui a trait à la poursuite elle-même, il faut compter notamment la complexité d'un dossier, la divulgation de la preuve, la préparation du procès par les procureurs, leur disponibilité à mener le procès et celles des juges à entendre la cause. Dans cette affaire, il s'agit d'une infraction peu complexe, comme je l'ai expliqué plus tôt. L'incapacité de la poursuite de pouvoir se reposer sur la présomption prévue à l'article 258 du Code criminel n'est pas un facteur de complexité de la cause, mais du mode de preuve disponible. Je comprends que la poursuite doit appeler une preuve additionnelle pour prouver l'alcoolémie, mais cette situation n'est pas comparable à celle où la poursuite devrait appeler une batterie d'experts en reconstruction de scène d'accident complexe où il y a peu d'éléments de preuve directe. Ici, la preuve serait relativement simple. Elle pourrait par exemple comprendre le témoignage des policiers qui ont observé l'accusé conduire un véhicule, le témoignage des personnes impliquées dans l'obtention de l'échantillon de sang de l'accusé jusqu'à son analyse et finalement, un ou des experts en chimie, en pharmacologie, en médecine interne ou autres types d'expertise qui, sur la foi d'un rapport d'analyse de l'échantillon sanguin, seraient capables d'extrapoler le taux d'alcoolémie de l'accusé au moment de la conduite de son véhicule et de témoigner, le cas échéant, sur la capacité de conduire un véhicule à moteur au moment de la commission de l'infraction alléguée. Certes, une telle preuve allonge la préparation et la durée du procès, mais pas d'une manière significative. La cause du caporal Deans en est un bel exemple : un délai total de 13 mois entre la date de l'infraction et celle du procès. En matière d'infraction de capacité de conduire avec faculté affaiblie peu complexe, un délai inhérent de huit à dix mois m'apparaît raisonnable à partir de la mise en accusation. Dans les cas où la nature de la preuve requise et la complexité du dossier l'exigent, quelques mois additionnels pourraient être requis, surtout si le procureur assigné au dossier n'est pas sur place. Or, la poursuite n'a pas offert de preuve à l'appui d'une prétention de complexité de l'affaire à l'exception du fait qu'elle ne pouvait compter sur la présomption du Code criminel.

 


[21]                  En ce qui a trait aux actes de l'accusé, il n'existe aussi aucune preuve qu'il ait contribué au délai ou qu'il ait renoncé au délai. Même en acceptant que le délai provoqué par le choix d'une date de procès convient à l'accusé ou son avocat peut lui être imputé, le fait qu'il ait consenti le 20 mars à la date de procès du 22 mai en accord avec le procureur de la poursuite est tout à fait acceptable dans le contexte de cette cause.

 

[22]                  Force est de constater que les actions ou les inactions de la poursuite méritent une analyse sérieuse dans cette affaire. Dès le 4 mai 2006, les procureurs major Holman et major McMahon sont assignés au dossier en remplacement des procureurs major MacLeod et major Cloutier. Malgré cela, il semble, selon la preuve devant cette cour, que seul le major Holman a été impliqué dans la préparation de ce dossier, soit dans l'interrogatoire initial et la préparation des témoins, la divulgation de la preuve et toutes les conversations et échanges avec l'officier de liaison madame Springer, soit à Geilenkirchen ou par courriels. Au début juillet 2006, le major Holman est demeuré cinq jours en Allemagne pour la préparation de ce dossier où il y a rencontré les témoins factuels de l'affaire, ainsi que des témoins experts potentiels. La preuve indique que la poursuite connaissait déjà les tenants et les aboutissants de la cause, y compris les difficultés potentielles de la preuve puisque dès le 5 juin 2006, le major Holman s'adressait à madame Springer lui disant qu'il avait déjà pris connaissance des rapports de police, y compris les traductions des rapports de la police allemande relativement à cette affaire. La cour accepte que la poursuite ait eu besoin de certains compléments d'information qui ont dû être obtenus de la part de différents témoins après cette date, mais le major Holman lui-même indique à madame Springer le 20 juillet 2006 qu'il compte finaliser ce dossier avant de partir en vacances au début du mois d'août. Il semble également que certaines entrevues téléphoniques ont eu lieu le ou vers le 21 août 2006. Toujours à la mi-août 2006, le major McMahon, un des procureurs à ce dossier, est muté à la direction des poursuites en tant que procureur régional de la région centrale.

 

[23]                  Comme je l'ai indiqué plus tôt, il semble qu'il n'y ait eu aucune activité dans ce dossier avant le 25 septembre 2006 où le major Holman demande à madame Springer par courriel qu'elle lui transmette ses notes des entrevues téléphoniques du mois précédent et certaines informations additionnelles au sujet du témoin expert. Et j'aimerais citer encore une fois la réponse qu'elle lui a donnée le 5 octobre 2006 en disant : « I just left you a voice mail. Last night, in going through my basket, I noted your email that I had somehow overlooked before. Please excuse. I will aim to get the file completed and have it to you NLT Monday... » Ça, c'est le 5 octobre 2006.

 

[24]                  Le major Holman communique avec madame Springer par courriel le 17 octobre 2006 accusant réception de l'information demandée le 25 septembre 2006, or,  là un décalage. Il lui demande également de lui transmettre ses notes personnelles qu'elle a prises durant les entrevues de tous les autres témoins.

 


[25]                  Le 2 novembre 2006, le major Holman interroge le témoin expert par le biais d'une conférence téléphonique. Madame Springer assiste à la conversation. Finalement, le major Holman recommande ce même jour au directeur adjoint des poursuites militaires de porter une accusation contre le caporal-chef Lelièvre. Et comme je l'ai dit plus tôt, encore une fois, la note de service qui accompagnait l'acte d'accusation indiquait que la divulgation de la preuve n'avait pas encore eu lieu parce que le major Holman n'avait pas reçu les notes de madame Springer relatives aux entrevues de juillet 2006. Il faut se rappeler aussi que le 6 novembre 2006, lorsque le directeur adjoint des poursuites militaires a prononcé la mise en accusation, il indique que la poursuite avait fait parvenir à l'avocat de la défense la divulgation de la preuve sous son contrôle ou en sa possession et ce qu'il l'avait fait dans le délai le plus court possible. Je n'ai pas besoin de répéter que cette affirmation était tout à fait inexacte.

 

[26]                  Le 8 novembre 2006, l'administrateur de la cour martiale a informé les parties « qu'il existait présentement une accumulation de mises en accusation à être convoquées. » Le 10 novembre 2006, le lieutenant-colonel Dugas a demandé la divulgation complète à la poursuite, y compris l'accès à l'échantillon de sang prélevé auprès du caporal-chef Lelièvre. Le 14 novembre 2006, le major Holman demande à madame Springer de lui transmettre divers éléments à être divulgués à la défense dans les plus brefs délais afin de pouvoir s'entendre avec la défense sur une date de procès rapprochée. Toujours sans réponse le 4 décembre 2006, le major Holman demande encore une fois à madame Springer où en est sa demande. Le 23 novembre 2006, la poursuite faisait parvenir à la défense la divulgation partielle de la preuve, notamment les rapports de la police militaire.

 


[27]                  Ce n'est que le 20 décembre que madame Springer transmet l'information requise par le major Holman relativement à ses notes d'entrevue effectuées en juillet 2006 et le 2 novembre 2006. Aucune preuve n'a été présentée par la poursuite pour justifier un tel délai relativement à la transmission des notes d'entrevue de madame Springer à major Holman qui a eu pour effet ‒‒ je prends soin de le remarquer ‒‒ de retarder inutilement le processus de mise en accusation qui est intimement lié à l'obligation de divulgation de la poursuite. Il n'est pas ici d'attribuer de la mauvaise foi à qui que ce soit, sauf qu'il n'y a pas de preuve qui explique ces retards ou ces inactions devant la cour, et en l'absence d'explications raisonnables, un tel délai doit être imputé à la poursuite. La divulgation des notes à la défense le 10 janvier 2007, les notes qui avaient été obtenues le 20 décembre 2006 ‒‒ donc avant la période des Fêtes ‒‒ la divulgation de ces notes pourrait normalement s'expliquer par la période des Fêtes de Noël et du nouvel an, mais dans le contexte de cette affaire où il y avait eu des délais par-dessus délais,  attentes par-dessus attentes, il est difficile de comprendre pourquoi ces notes n'ont pas été divulguées avant le 24 décembre 2006 et ce, compte tenu de l'accumulation des délais qui étaient déjà présents dans le dossier. Il est vrai que l'obligation de divulgation qui incombe à la poursuite est continue et que le droit n'impose pas l'obligation à la poursuite de s'acquitter de son obligation en matière de divulgation de la preuve dans les plus brefs délais possibles. Or, dans le cadre de l'analyse du délai lié aux actions de la poursuite dans le cadre d'une requête aux termes de l'article 11 b), ce n'est pas l'obligation de divulgation et le respect de celle-ci qui est en jeu, sauf dans la mesure où elle contribue au préjudice subi par l'accusé ou si elle porte atteinte au droit à une défense pleine et entière, ou de quelque manière affecte l'intégrité du procès. Ce n'est pas le cas ici. L'extrême lenteur démontrée par la poursuite dans la collecte des documents nécessaires à finaliser son dossier, y compris celle de satisfaire à son obligation de divulgation s'avère toutefois un élément clé et troublant dans l'analyse du délai lié aux actions ou inactions de la poursuite. Selon cette Cour, il n'existe aucune raison que ce dossier n'ait pu être complété avant septembre 2006, quitte à obtenir des compléments d'information. Il appert, ou force est de constater, que la poursuite a choisi de ne pas traiter ce dossier en priorité ou que d'autres événements ‒‒ dont la cour n'a pas été informée ‒‒ on fait en sorte que ce dossier a traîné en longueur, alors que l'accusé, lui, voyait sa promotion indûment retardée de façon inutilement injustifiée. Peut-être la chaîne de commandement aurait dû-t-elle informer le Directeur des poursuites militaires de la situation ou lui demander de procéder le plus rapidement possible par l'intermédiaire de son conseiller juridique en raison du contexte particulier de cette affaire. Peut-être aurait-il été opportun pour le procureur régional en poste à Ottawa de demander au conseiller juridique de l'unité de l'informer de certaines caractéristiques spéciales d'un tel dossier ailleurs qu'au Canada, le cas échéant. Tout cela n'est que conjecture et spéculations. Chose certaine, une meilleure communication entre les différents intervenants et une meilleure compréhension du contexte d'un dossier de facultés affaiblies en Allemagne et des conséquences qui y sont souvent associées auraient sans doute contribué à ce que cette affaire soit traitée avec plus de célérité.

 

[28]                  Relativement au résumé des témoignages anticipés de la poursuite qui a été transmis à la défense que quelques semaines avant le début des procédures en mai 2007, et ce alors que la mise en accusation a été prononcée au début novembre 2006 et que l'ébauche de ce résumé rédigée par le major Holman existait depuis le 21 décembre 2006, il est concevable qu'un tel résumé ait pu être transmis à la défense un peu plus tôt, mais l'obligation imposée à la poursuite dans ce domaine est régie par l'alinéa 111.11(1) des ORFC qui se lit comme suit :

 

(1) Avant le début d'un procès en cour martiale, le procureur de la poursuite doit :

 

a)  d'une part, informer l'accusé de tout témoin qu'il se propose de citer;

 

b) d'autre part, informer l'accusé du but de la citation d'un témoin et de la nature de la preuve qu'il a l'intention de faire établir par ce témoin.

 


[29]                  Quant aux limitations des ressources institutionnelles dans cette affaire, la poursuite soutient que l'effet des paragraphes 16 et 23 de la soumission conjointe des faits « R1-1 » démontre qu'effectivement il existait des limites au niveau des ressources institutionnelles. Il est vrai qu'en novembre 2006, il existait une accumulation de mises en accusation à être convoquées tel qu'en fait foi le paragraphe 16 de la soumission conjointe des faits. J'ajouterais que c'est toujours le cas aujourd'hui et que ce sera toujours le cas. Cela est propre à tout système de justice quel qu'il soit. La conséquence d'une telle réalité est simple. La poursuite doit décider quelles sont les causes qui doivent être traitées en priorité dans l'intérêt public. Des causes récentes sont fréquemment convoquées en priorité sur d'autres plus anciennes lorsque la poursuite considère qu'il est dans l'intérêt de l'administration de la justice militaire. Parfois, c'est l'avocat de la défense qui demandera que son dossier soit entendu le plus rapidement possible. Dans certains cas, les parties s'entendent sur des dates rapprochées, parfois l'une ou l'autre des parties s'adressera à un juge pour fixer une date avant ou après celle qui apparaît sur l'ordre de convocation. Bref, l'accumulation des causes n'empêche pas nécessairement les parties de traiter certains dossiers en priorité avec les conséquences que cela comporte. La gestion d'un calendrier judiciaire n'est pas un exercice statique et immuable où les causes défilent une à une dans un ordre donné. Elle doit prendre en compte divers intérêts, parfois opposés, qui sont mis de l'avant par les parties et qui doivent s'intégrer dans un processus de pondération par les personnes responsables de l'administration des tribunaux pour une saine administration de la justice. Le processus de convocation des cours martiales n'est pas différent, malgré les contraintes qui sont inhérentes à l'absence d'un tribunal permanent. L'ensemble de la preuve dans cette affaire ne permet pas à la cour de déduire quelque délai que ce soit ou de considérer neutre une partie du délai pour des motifs liés aux limites de ressources institutionnelles. Il n'y a rien dans la preuve devant cette cour qui justifie qu'une telle cause n'ait pu être entendue dans un délai comparable à celui de la cause du caporal-chef Deans qui a eu lieu ici même à Geilenkirchen en février 2004.

 

[30]                  En ce qui a trait au préjudice de l'accusé, il est réel et injustifié. Qu'une promotion soit retardée de plusieurs mois pour des raisons administratives en raison de procédures disciplinaires pendantes est tout à fait raisonnable. Il est vrai toutefois que rien n'empêchait les autorités militaires, compte tenu du déroulement ou du non-déroulement de l'affaire, y compris celles du Quartier général de la défense nationale à Ottawa, d'accorder la promotion qui avait été mise en veilleuse en raison des délais importants dans l'attente d'une cour martiale. Cela importe peu, parce que la question du préjudice sous l'article 11 b) de la Charte n'en est pas une qui est examinée sous cet angle mais sous celui de l'accusé. Donc, pour l'accusé, il s'agit d'un préjudice réel et important dans les circonstances, non pas pour la perte monétaire engendrée par l'absence de promotion qui fut compensée en partie par l'indemnité de service à l'étranger que l'accusé a continué de recevoir parce qu'il n'a pas eu à être rapatrié au Canada en raison d'un nouveau grade, mais surtout en raison de la stigmatisation inhérente subie par l'accusé qui fut prolongée au-delà de ce qui était nécessaire ou ce qui aurait dû être nécessaire dans les circonstances d'une telle affaire. Même si le préjudice subi par l'accusé en raison de ce délai était déterminant dans cette affaire, la cour est d'avis qu'il s'agit d'un cas où la preuve aurait été suffisante selon cette cour, chaque cas étant un cas d'espèce, pour lui permettre d'inférer l'existence d'un préjudice pour l'accusé.


 

 

 

 

 

 

 

Dispositif

 

[31]                  En conséquence, la Cour fait droit à la requête présentée par la défense et elle ordonne l'arrêt des procédures de cette cour martiale permanente dans le cas du caporal-chef Lelièvre.

 

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major B. McMahon, Directeur des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante-intimée

Lieutenant-colonel J.-M. Dugas et Major C.E. Thomas, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du Caporal-chef Lelièvre

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