Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date of commencement of the trial: 19 June 2007.

Location: CFB Esquimalt, Building 30-N, 2nd floor, Victoria, BC.

Charge
•Charge 1: S. 130 NDA, assault with a weapon (s. 267(a) CCC).

Results
•FINDING: Charge 1: Not guilty.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Premier maître de deuxième classe F.B. Bouvet,  2007 CM 1013

 

Dossier : 200708

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

COLOMBIE‑BRITANNIQUE

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT

 

Date : 20 juin 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, JMC

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

PREMIER MAÎTRE DE DEUXIÈME CLASSE F.B. BOUVET

(Accusé)

 

VERDICT

(Rendu de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

Introduction

 

[1]                                         Le Premier maître de 2e classe F.B. Bouvet est accusé dune infraction punissable aux termes de larticle 130 de la Loi sur la défense nationale, à savoir une agression armée en contravention à lalinéa 267a) du Code criminel. Les faits au soutien de laccusation se sont déroulés de bonne heure, dans la matinée du 14 août 2006, dans lédifice 250 de la Base des Forces canadiennes Esquimalt située à Victoria, en Colombie‑Britannique.

 

La preuve

 

[2]                                         La preuve qui a été présentée à la cour comprend ce qui suit :

 

a.  les témoignages entendus au cours du procès, soit ceux du Maître de 1re classe Lone, du Maître de 1re classe Plonka et du Premier maître de 2e classe Bouvet;

 

b.  les faits et questions énumérés à larticle 15 des Règles militaires de la preuve dont la cour doit prendre connaissance doffice.

 


 

Les faits

 

[3]                                         Les faits de lespèce concernent divers événements qui ont eu lieu le 14 août 2006, peu après 8 heures, dans lédifice 250 de la BFC Esquimalt. Alors qu'ils retournaient tous les deux au travail après leurs vacances d'été, les Maîtres de 1re classe Lone et Plonka se racontaient, en riant, ce qu'ils avaient fait durant cette période. Le Maître de 1re classe Plonka était dans son bureau à cloisons, assis la plupart du temps, tandis que le Maître de 1re classe Lone était situé à environ 1 mètre du lieu de travail de son ami et se tenait debout à côté d'une cloison à trois côtés. Alors que Lone a déclaré dans sa déposition que Plonka se tenait debout dans son bureau à cloisons, ce dernier a affirmé qu'il était assis.

 

[4]                                         Tandis quils samusaient à faire le récit de leurs vacances, ils ont vu le Premier maître de 2e classe Bouvet marcher dans leur direction, muni dune canne. Lone et Plonka étaient tous les deux au courant que le Premier maître de 2e classe Bouvet était de retour au travail ce matin-là à la suite dune opération du genou qui avait nécessité un arrêt de travail de huit semaines. Ils étaient tous très heureux de se voir. Selon le témoignage du Maître de 1re classe Lone, alors que le Premier maître de 2e classe Bouvet était à une trentaine de mètres de lui, il a fait une remarque au Maître de 1re classe Plonka au sujet de la canne de Bouvet et de son opération au genou. Tandis que le Premier maître de 2e classe Bouvet continuait de sapprocher deux, le Maître de 1re classe Lone lui aurait demandé comment il se sentait. Le Maître de 1re classe Lone a déclaré dans sa déposition que le Premier maître de 2e classe Bouvet avait ri et fait certains gestes alors quil continuait à marcher dans leur direction. Le Premier maître de 2e classe Bouvet semblait être content et ne paraissait pas du tout énervé contre les maîtres de première classe ni offusqué en aucune manière.

 

[5]                                         Daprès le Maître de 1re classe Lone, alors que le Premier maître de 2e classe Bouvet sétait rapproché et quil se trouvait à quelques mètres de lui, il a levé du sol la canne quil tenait de sa main droite, il la dirigée vers le haut et il lui a frappé le testicule gauche. Le Maître de 1re classe Lone a été surpris par le geste et a ressenti immédiatement une douleur telle quil a dû se pencher et marcher vers la cloison afin de prendre appui et de soulager sa douleur. Le Maître de 1re classe Plonka a vu le Premier maître de 2e classe Bouvet lever sa canne vers le haut comme pour donner une petite tape, sans pouvoir cependant voir le bout de la canne frapper son collègue Lone.

 


[6]                                         Plonk et Lone nont pas été en mesure de témoigner au sujet de la force qui aurait été utilisée. Cependant, le témoignage de Plonka indique quil avait été étonné de la réaction de son ami, puis quil avait compris que le Maître de 1re classe Lone avait été frappé par la canne entre les jambes et quil avait mal. Plonka a également déclaré dans sa déposition que Lone avait immédiatement riposté avec sa main. Le Maître de 1re classe Lone a témoigné que le Premier maître de 2e classe Bouvet avait fait certaines remarques qui ressemblaient à des excuses formulées sur le ton de la plaisanterie. Le Maître de 1re classe Lone navait pas eu limpression que ces excuses étaient sincères ou bienveillantes. Il a affirmé quil avait supposé que Bouvet lavait frappé à dessein, même si Bouvet ne paraissait pas être énervé contre lui. Selon Lone, Bouvet lavait suivi sur le côté du séparateur. Le Maître de 1re classe Lone a déclaré quil ne se souvenait pas si Bouvet lui avait demandé sil lavait frappé ou sil avait mal, puisque Lone était naturellement concentré sur sa douleur.

 

[7]                                         D'après la preuve, ils ont continué tous les trois à parler de leur retour au travail et de choses et d'autres, pendant quelques minutes après l'incident survenu avec la canne, sans toutefois évoquer ce dernier. Le Maître de 1re classe Lone n'a exprimé aucune colère à la suite de l'incident. Selon Lone et Plonka, ils n'auraient fait aucun commentaire ni aucune remarque de nature désobligeante concernant l'état du Premier maître de 2e classe Bouvet juste avant l'incident ou, à tout le moins, ils ne se rappelaient pas avoir tenu de tels propos. Cependant, le Maître de 1re classe Plonka a déclaré qu'il aurait peut‑être dit à l'accusé, sur le ton de la plaisanterie, [traduction où est ton déambulateur?  ou quelque chose du même genre, étant donné le côté bon enfant du Premier maître Bouvet et le caractère amical des rapports qu'ils avaient avec lui. Ils sont ensuite partis chacun de leur côté après la brève discussion qui avait suivi l'incident, mais le Maître de 1re classe Lone a dû rentrer chez lui au cours de l'après‑midi en raison de douleurs et d'une tuméfaction. Il a également dû prendre des médicaments pendant les jours qui ont suivi.

 

[8]                                         Le Premier maître de 2e classe Bouvet a déclaré dans sa déposition qu'il avait été content de voir Lone et Plonka ce matin‑là, puisqu'il revenait lui aussi au travail après son opération du genou. Comme ils étaient en train de discuter, il a voulu se joindre à eux. Il a ensuite marché dans leur direction et il a entendu [traduction où est ton déambulateur? . D'après son témoignage, il ne s'est pas offusqué de cette remarque. Il aurait répondu au Maître de 1re classe Lone [traduction sacré bougre, Jamie! , en s'approchant de lui. Il a ensuite déplacé sa canne vers le haut en la pointant directement vers l'aine du Maître de 1re classe Lone afin de le chasser. Le Premier maître de 2e classe Bouvet a déclaré qu'il n'avait aucune intention de frapper le Maître de 1re classe Lone ni même de le toucher lorsqu'il avait levé sa canne. Le Premier maître de 2e classe Bouvet avait été surpris en voyant au même moment Lone se pencher en avant. Jusqu'à ce jour, il ne pense pas avoir frappé Lone avec sa canne mais il reconnaît que cela a pu se produire. Cette affirmation est compatible avec le fait que le Premier maître de 2e classe Bouvet aurait demandé à Lorne s'il l'avait touché et qu'il s'en serait excusé. Cela conclut le résumé sommaire de la preuve présentée devant la cour.

 

Le droit et les éléments essentiels de laccusation : la première accusation (article 130 de la Loi sur la défense nationale et alinéa 267a) du Code criminel)

 

[9]                                         Laccusation porte sur une agression armée, en contravention à larticle 130 de la Loi sur la défense nationale et à lalinéa 267a) du Code criminel. Les détails de cette accusation se lisent comme suit :

 


[Traduction]

Pour avoir, le 14 août 2006, à la Base des Forces canadiennes Esquimalt de Victoria, en Colombie-Britannique, en se livrant à des voies de fait à lencontre du Maître de première classe James Andrew Lone, utilisé une arme, à savoir une canne de marche.

 

[10]                                     Outre les éléments de linfraction concernant lidentité du délinquant ainsi que la date et le lieu de la perpétration de linfraction alléguée, la partie poursuivante doit démontrer au‑delà de tout doute raisonnable que :

 

a.  le Premier maître de 2e classe Bouvet a intentionnellement fait usage de la force à lencontre du Maître de 1re classe James Andrew Lone;

 

b.  le Maître de 1re classe James Andrew Lone na pas consenti à la force employée de manière intentionnelle par le Premier maître de 2e classe Bouvet;

 

c.  le Premier maître de 2e classe Bouvet savait que le Maître de 1re classe James Andrew Lone navait pas consenti à la force employée de manière intentionnelle par le Premier maître de 2e classe Bouvet;

 

d.  une arme a été utilisée au cours de lagression.

 

La présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable

 

[11]                                     Avant que la Cour n'expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont évidemment très bien connus des avocats, mais d'autres personnes dans la salle d'audience peuvent ne pas les connaître aussi bien.

 

[12]                                     Il est juste de dire que la présomption d'innocence est peut‑être le principe le plus fondamental de notre droit criminel, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les questions qui relèvent du Code de discipline militaire, tout comme pour celles qui relèvent du droit criminel, quiconque est accusé d'une infraction criminelle est présumé innocente jusqu'à ce que la partie poursuivante prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. C'est à la partie poursuivante qu'il incombe de prouver chacun des éléments de l'infraction hors de tout doute raisonnable.

 


[13]                                     La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve, ou à chacune des preuves séparées, à l'appui de la thèse défendue par la partie poursuivante, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière se fonde pour établir la culpabilité de l'accusé. Le fardeau de prouver la culpabilité d'une personne accusée hors de tout doute raisonnable incombe à la partie poursuivante, et ne se déplace jamais sur les épaules de la personne accusée.

 

[14]                                     Le tribunal doit déclarer la personne non coupable si, après avoir examiné toutes les preuves, il subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité. L'expression  hors de tout doute raisonnable  est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions de justice. Dans R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. En substance, un doute raisonnable n'est pas un doute exagéré ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. Le fait qu'une personne ait été inculpée n'est pas une indication qu'elle est coupable, et j'ajouterai que les seules accusations dont une personne accusée doit répondre sont celles qui apparaissent sur l'acte d'accusation présenté à la cour.

 

[15]                                     Au paragraphe 242 de sa décision R. c. Starr, (2000) 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

 

... une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités....

 

Par contre, il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La partie poursuivante n'y est pas tenue. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La partie poursuivante n'a que le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé, en l'espèce le Premier maître de 2e classe F.B. Bouvet. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit lacquitter, car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[16]                  Il n'est pas rare que des preuves présentées devant la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d'un événement et il appartient à la cour de déterminer quelle preuve est crédible et digne de foi.

 


[17]                  Être crédible n'est pas synonyme de dire la vérité, et ne pas être crédible n'est pas synonyme de mentir. Plusieurs facteurs influencent l'évaluation par la cour de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, un tribunal évaluera l'occasion qu'il a eue d'observer, et les raisons quil a pour se souvenir. Il se demandera, par exemple, si les événements valaient la peine d'être notés, s'ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, dautant plus faciles à oublier. Le témoin a‑t‑il un intérêt dans l'issue du procès, autrement dit, a‑t‑il une raison pour favoriser la partie poursuivante ou la défense, ou est‑il impartial? Cependant, ce dernier facteur sapplique à laccusé dune manière ou dans un sens quelque peu différent. Même sil est raisonnable de supposer que laccusé a intérêt à obtenir son acquittement, la présomption dinnocence ne permet pas de conclure que laccusé mentira lorsque laccusé choisit de témoigner.

 

[18]                  Un autre élément dans la détermination de la crédibilité d'un témoin est son apparente capacité à se souvenir. Le comportement du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumente‑t‑il sans cesse? Enfin, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui n'ont pas été contredits? Lexistence dincompatibilités de peu dimportance, qui peuvent survenir et qui, dans les faits, surviennent en toute innocence, ne signifie pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en va autrement dans le cas d'un mensonge délibéré. Cela est toujours grave et peut vicier le témoignage du témoin en tout ou en partie.

 

[19]                  La cour n'est tenue d'accepter le témoignage de personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera une preuve digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas y croire.

 

[20]                  Comme la règle du doute raisonnable s'applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n'a pas à décider de manière catégorique de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins et elle n'est pas non plus tenue de croire que tout ce que dit un témoin ou un groupe de témoins est vrai ni que tout est faux. Dans une affaire telle que la présente, au cours de laquelle laccusé a témoigné pour son propre compte, la cour est tenue en droit dacquitter laccusé si, en premier lieu, elle croit laccusé et, ensuite, même si elle ne le croit pas, lorsquil subsiste un doute raisonnable quant à la culpabilité de laccusé à la suite de lexamen de son témoignage, à la lumière de la preuve prise dans son ensemble. Enfin, si après un examen minutieux de lensemble de la preuve, la cour est incapable de décider qui croire, elle doit prononcer lacquittement de laccusé.

 

[21]                  Après cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de la preuve, j'examinerai maintenant, à la lumière des principes juridiques applicables, les faits en l'espèce tels qu'ils ressortent de la preuve présentée à la cour.

 

Questions en litige

 


[22]                  Lavocat de la défense a invoqué un moyen de défense fondé sur le caractère accidentel de lincident, puisque le Premier maître de 2e classe Bouvet navait jamais eu lintention de toucher physiquement le Maître de 1re classe Lone lorsquil a soulevé sa canne vers le haut en direction de laine de la victime et quil lui a touché les testicules. La défense fait valoir que le résultat de lacte de laccusé était une conséquence manifestement involontaire de son geste lorsquil a levé sa canne à un mètre environ du Maître de 1re classe Lone. Daprès la défense, la partie poursuivante na pas prouvé hors de tout doute raisonnable que le Premier maître de 2e classe Bouvet avait intentionnellement fait usage de la force à lencontre du Maître de 1re classe Lone.

 

Questions relatives à la crédibilité

 

[23]                  Dans la présente affaire, la nature de la preuve exige de la cour qu'elle se prononce quant à la crédibilité des divers témoins. Même s'il existe des incohérences dans la manière dont ils se souviennent de l'incident, leurs témoignages ne sont pas incompatibles. Ils ont témoigné d'une manière honnête et directe, au meilleur de leurs connaissances. La version des faits du Maître de 1re classe Lone est sans aucun doute biaisée par le fait que le geste du Premier maître de 2e classe Bouvet l'a pris par surprise et qu'il lui a causé une douleur importante sur le moment. Cela expliquerait les incohérences entre son témoignage et celui de son ami Plonka en ce qui concerne leurs positions respectives, les mots prononcés immédiatement avant l'incident et le geste prompt de riposte qu'a eu Lone et que décrit le Maître de 1re classe Plonka. Cependant, pour ce qui est de son affirmation selon laquelle il ne pense pas avoir touché le Maître de 1re classe Lone, la déposition du Premier maître de 2e classe Bouvet est crédible et digne de foi lorsqu'il concède que cela a toutefois pu se produire. Il a reconnu facilement qu'il avait pu toucher la victime avec sa canne, ce qui est certainement conforme à sa réaction immédiate qui s'est traduite sur le coup par la question qu'il a posée au Maître de 1re classe Lone et les excuses qu'il lui a adressées.

 

Décision

 

[24]                  La cour doit à présent répondre à la question suivante : le Premier maître de 2e classe Bouvet a‑t‑il intentionnellement fait usage de la force à l'encontre du Maître de 1re classe Lone? En matière de voies de fait illicites, il convient dajouter que l'usage de la force peut être direct, comme si, par exemple, le Premier maître de 2e classe Bouvet avait utilisé une partie de son corps, telle que sa main ou son pied, ou indirect, par exemple en utilisant un objet tel qu'un bâton ou une matraque ou, comme cela est allégué dans l'accusation, une canne de marche. La force utilisée peut être violente ou même légère. Pour qu'il y ait voies de fait, il faut néanmoins que le Premier maître de 2e classe Bouvet ait intentionnellement fait usage de la force, contre la volonté du Maître de 1re classe Lone. Un coup fortuit ne constitue pas un usage intentionnel de la force.

 


[25]                  Le terme  intentionnellement  fait référence à l'état d'esprit avec lequel le Premier maître de 2e classe Bouvet a fait usage de la force. Le terme  intentionnellement  signifie  à dessein , et renvoie, en d'autres termes, à ce qui n'arrive pas par accident. La cour doit étudier l'ensemble des circonstances entourant l'usage de la force. En tenant compte de la nature du contact et de tout mot ou geste qui a pu accompagner celui‑ci, ainsi que de tout autre élément qui montre l'attitude ou l'état d'esprit qu'avait le Premier maître de 2e classe Bouvet au moment où il a fait usage de la force à l'encontre du Maître de 1re classe Lone, la cour conclut qu'il n'y avait ni colère ni animosité qui aurait pu influencer l'état d'esprit du Premier maître de 2e classe Bouvet avant de toucher l'aine du Maître de 1re classe Lone avec sa canne. Ils étaient tous contents de se voir et surpris du résultat, à la vue de la réaction du Maître de 1re classe Lone. Aucune menace directe ou indirecte n'a été proférée par le Premier maître de 2e classe Bouvet et celui-ci semblait être sincèrement content tandis qu'il s'approchait de la victime.

 

[26]                  Le fait que le Premier maître de 2e classe Bouvet ait levé sa canne en direction de l'aine de la victime afin, selon la déposition du premier, de chasser cette dernière ne suffit pas, au vu de l'ensemble de la preuve, à prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait l'intention de la toucher. Tous, y compris l'accusé, ont été surpris que la canne ait touché la victime.

 

[27]                  La partie poursuivante fait valoir que la preuve appuie sa thèse selon laquelle l'accusé a délibérément levé sa canne avec l'intention de toucher la victime, qu'il ne s'agissait pas d'un geste désinvolte, et que l'accusé savait ou aurait dû savoir que sa canne toucherait l'aine du Maître de 1re classe Lone lorsqu'il l'a levée. Cependant, la défense prétend que, même s'il a levé sa canne en direction de l'aine du Maître de 1re classe Lone alors qu'il n'était plus qu'à un mètre environ de lui, l'accusé n'a jamais eu pour intention de le toucher et le résultat final était involontaire.

 

[28]                  En se fondant sur l'intégralité de la preuve, la cour accepte que la défense d'accident soit plausible. Selon le droit, le Premier maître de 2e classe Bouvet n'a pas à prouver que, lorsqu'il a touché les testicules du Maître de 1re classe Lone avec sa canne, l'usage indirect de la force était accidentel. Cest à l'avocat de la partie poursuivante quil incombe de convaincre la cour hors de tout doute raisonnable que le contact n'était pas accidentel. En d'autres termes, la partie poursuivante doit prouver hors de tout doute raisonnable que cette défense nest pas applicable en l'espèce. Si la cour a toujours un doute quant à savoir si cette défense s'applique, alors la partie poursuivante n'a pas prouvé sa thèse hors de tout doute raisonnable.

 

[29]                  D'après le Concise Oxford Dictionary, un accident est un incident malencontreux qui survient de manière imprévue et involontaire. Selon la preuve présentée à la cour, tous ont été surpris lorsqu'a été donné le coup à lorigine de la douleur ressentie par la victime. Cet incident était manifestement involontaire. Aucune parole n'a été prononcée après l'incident au sujet du coup. Le Maître de 1re classe Lone n'a montré aucun signe de colère à l'égard du Premier maître de 2e classe Bouvet qui ne pensait pas qu'il avait touché le Maître de 1re classe Lone, puisqu'il l'a interrogé et s'est tout de suite excusé auprès de lui lorsqu'il sest rendu compte que ce dernier avait mal. Ces faits sont compatibles avec la défense d'accident, ou, à tout le moins, ils ne l'excluent pas. Même si la cour ne croyait pas la déposition faite par l'accusé au soutien de la défense d'accident, la cour aurait toujours un doute raisonnable et serait tenue d'accorder le bénéfice du doute à l'accusé. Par conséquent, la partie poursuivante ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve.

 


Conclusion et dispositif

 

[30]      Premier maître de 2e classe F.B. Bouvet, veuillez vous lever. Pour les motifs énoncés par la cour, Premier maître de 2e classe F.B. Bouvet, la cour vous déclare non coupable de laccusation.

 

 

 

 

                                                                                              COLONEL M. DUTIL, JMC

 

 

Avocats :

 

Capitaine Henderson, directeur des poursuites militaires

Procureur de sa Majesté la Reine

Major S. Turner, directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du Premier maître de 2e classe F.B. Bouvet

 

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