Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 juillet 2007.

Endroit : BFC Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 84 LDN, a usé de violence envers un supérieur.
•Chef d’accusation 2 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.
•Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5 : Arrêt des procédures.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Sergent N.C. Couture, 2007 CM 1014

 

Dossier : 200720

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

UNITÉ DE SOUTIEN DE SECTEUR VALCARTIER

 

Date : 18 juillet 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL MARIO DUTIL, JUGE MILITAIRE EN CHEF

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante-intimée)

c.

SERGENT N.C. COUTURE

(Accusé-requérant)

 

 

DÉCISION RELATIVEMENT À UNE REQUÊTE POUR FIN DE NON-RECE­VOIR PRÉSENTÉE AUX TERMES DES SOUS-ALINÉAS 112.05(5)(b) ET 112.24(1)(a) DES ORDRES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES

 

Prononcée oralement

 

 

INTRODUCTION

 

[1]                    Il s'agit d'une requête qui est présentée aux termes des sous-alinéas 112.05(5)(b) et 112.24(1)(a) des Ordres et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC), au motif que la cour n'aurait pas la compétence de juger l'accusé parce que les accusations qui sont à l'origine des procédures devant cette cour martiale seraient nulles ab initio en raison du défaut de la part de l'adjudant-maître Brown, la personne qui a porté les accusations initiales dans cette affaire, d'avoir respecté notamment l'article 107.03 des ORFC et le requérant demande donc à la cour de mettre fin à l'instance.

 

 

 


LA PREUVE

 

[2]                    La preuve entendue lors de la requête est constituée des éléments suivants :

 

1)  les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de l'article 15 des Règles militaires de la preuve;

 

2)  un sommaire conjoint des faits sous la cote R1-2;

 

3)  une copie du procès-verbal de procédure disciplinaire à l'endroit du sergent Couture, le requérant, signé par l'adjudant-maître D. Brown en date du 16 mai 2006, soit la pièce R1-3; et

 

4)  le témoignage de l'adjudant-maître Denis Brown.

 

LES FAITS

 


[3]                    Les faits pertinents pour les fins de cette requête débutent peu après les événements à l'origine des accusations qui font l'objet de l'acte d'accusation devant la cour qui auraient eu lieu le ou vers le 17 septembre 2005, lorsque le capitaine É. Tremblay, le capitaine-adjudant de l'unité de l'accusé à l'époque, amorce une enquête sur lesdits événements le mois suivant. Il remet son rapport d'enquête le 16 mars 2006 sur la foi de deux mémorandums ainsi que la déclaration de 6 personnes. Le capitaine Boucher, capitaine-adjudant intérimaire, demande donc un avis juridique sous l'article 107.03 des ORFC à la suite dudit rapport. La preuve n'indique pas si le capitaine Boucher était, à cette époque, une personne autorisée à porter des accusations au sens de l'article 107.015 des ORFC. Au début mai 2006, le conseiller juridique de l'unité transmet son avis juridique après avoir demandé et obtenu du capitaine Boucher des compléments d'enquête. Le conseiller juridique transmet par la même occasion l'ébauche d'un procès-verbal de procédure disciplinaire. Le 16 mai 2006, l'adjudant-maître Brown, une personne autorisée verbalement par le commandant de l'accusé à porter des accusations et comptant 38 ans d'expérience au sein des Forces canadiennes, porte les accusations à l'endroit du sergent Couture qui font l'objet de la pièce R1-3, c'est-à-dire qu'elle est consignée par écrit à la Partie 1 (État de mise en accusation) et signée de sa main. L'adjudant-maître Brown a témoigné qu'il avait une connaissance suffisante des événements à l'origine des accusations pour en avoir discuté avec le capitaine-adjudant de l'unité, la victime alléguée et le sergent Couture. Il a témoigné qu'il n'avait aucun doute sur le fait de porter les accusations après avoir lu l'ébauche du procès-verbal de procédure disciplinaire préparé pour sa signature suite aux discussions précédemment mentionnées. Il ajoute qu'il n'a toutefois jamais lu ni le rapport d'enquête du capitaine Tremblay, ni l'avis juridique fourni par le conseiller juridique de l'unité relativement aux événements à l'origine de l'accusation, et ce même s'il était au courant qu'un avis juridique avait été demandé et obtenu lors d'une conversation avec le capitaine-adjudant de l'unité. À la fin de son contre-interrogatoire et alors qu'il témoignait des événements à l'origine des accusations qu'il a portées à l'endroit du sergent Couture, l'adjudant-maître Brown a ajouté que « lorsqu'une personne a connaissance d'événements comme ceux de 2005, on se souvient de la majorité des choses », mais il a reconnu paradoxalement n'avoir aucun souvenir ni de l'avis, ni de la teneur des discussions qu'il a eues relativement à ces événements.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

Le requérant

 

[4]                    Le requérant allègue que les accusations portées le 16 mai 2006 et consignées au procès-verbal de procédure disciplinaire, sous la cote R1-3, sont nulles ab initio parce que l'adjudant-maître Brown avait l'obligation personnelle de demander et de lire l'avis juridique avant de porter les accusations à l'endroit du sergent Couture et ce, à la lumière des articles 107.015 et 107.03 des ORFC. Le requérant allègue également que l'adjudant-maître Brown n'avait pas une connaissance raisonnable et suffisante pour porter des accusations contre lui.

 

L'intimée

 

[5]                    L'intimée soutient que l'avis juridique prévu à l'article 107.03 des ORFC ne crée qu'une obligation procédurale qui n'affecte en rien le fondement juridique d'accusations portées aux termes de l'article 107.015. Elle soutient également que l'obligation visée à l'article 107.03 n'exige aucunement qu'elle soit acquittée par la personne même qui porte la ou les accusations à l'endroit d'un accusé, mais elle concède que l'avis juridique doit être lu. L'intimée soumet que le défaut de prendre connaissance de l'avis juridique ne vicie toutefois pas irrémédiablement l'ensemble de la procédure accusatoire entamée sous le chapitre 107.

 

DÉCISION

 

[6]                    La cour est d'avis que cette requête soulève les questions suivantes :

 

a.  Quelle est la nature et la portée de l'article 107.03 des ORFC?

 

b.  Est-ce que l'effet combiné des dispositions du chapitre 107 des ORFC requiert que la personne qui porte une accusation aux termes des articles 107.015 et 107.04 est l'unique personne qui peut formuler une demande d'avis juridique selon 107.03? Si non, la personne qui porte l'accusation peut-elle se fonder sur un avis juridique obtenu aux termes dudit article? et


c.  Le procès-verbal de procédure disciplinaire rédigé selon la forme réglementaire par une personne autorisée à porter une accusation à l'endroit de l'accusé et qui a une croyance raisonnable que celui-ci a commis l'infraction en question est-il invalide si la personne autorisée à la porter a fait défaut de prendre connaissance d'un avis juridique fourni à la suite d'une demande présentée en vertu de l'article 107.03. Si oui, quel est l'effet de cette invalidité?

 

La nature et la portée de l'article 107.03 des ORFC

 

[7]                    Le chapitre 107 des ORFC traite de la préparation, du dépôt et du renvoi des accusations. Ce chapitre est constitué exclusivement de règlements pris par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 161 de la Loi sur la défense nationale. Il est divisé en quatre sections, soit :

 

a.  Section 1 - Généralités;

 

b.  Section 2 - Procès-verbal de procédure disciplinaire;

 

c. Section 3 - Procédure préliminaire au procès; et

 

d.  Section 4 - Fichier des poursuites disciplinaires de l'unité.

 

Le cadre juridique mis en place pour la préparation, le dépôt et le renvoi des accusations dans le système de justice militaire établit clairement l'importance de cet aspect pour le maintien de la discipline et l'administration de la justice militaire. Bien que la personne autorisée à porter des accusations aux termes de l'article 107.02 des ORFC n'a pas à agir d'une manière judiciaire ou quasi-judiciaire lorsqu'elle décide de le faire aux termes de l'article 107.015, ladite personne a l'obligation légale d'agir en conformité avec la loi comme le faisait remarquer le juge Mahoney, alors juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale, dans l'arrêt R. c. Lunn, [1993], 5 C.A.C.M. 157, à la page 165 :

 

Les personnes qui décident de porter des accusations et d'engager des poursuites doivent agir en conformité avec la loi, mais elles ne sont pas tenues en droit à l'indépendance et à l'impartialité. Ce qu'on attend d'elles, c'est qu'elles agissent d'une manière qui ne soit pas susceptible de discréditer l'administration de la justice aux yeux d'une personne raisonnable et bien informée.

 


[8]                    Le chapitre 107 des ORFC a été adopté entièrement sous sa forme actuelle, le 1er septembre 1999. Force est de constater que le gouverneur en conseil a sciemment imposé dès lors aux personnes autorisées à porter des accusations et aux officiers délégués, commandants ou commandants supérieurs qui sont saisis d'une accusation, l'obligation légale d'obtenir l'avis de l'avocat militaire dans les cas expressément visés aux articles 107.03 et 107.11. Le cadre juridique n'impose pas une telle obligation pour toutes les situations où une accusation pouvait être portée ou dont on pourrait saisir l'autorité compétente. Le gouverneur en conseil a choisi d'imposer cette exigence additionnelle pour protéger l'intégrité du processus de mise en accusation dans le système de justice militaire et les personnes susceptibles d'être accusées, poursuivies et jugées aux termes du code de discipline militaire uniquement dans les cas suivants :

 

a.  les infractions qui ne peuvent être instruites sommairement en vertu de l'article 108.07;

 

b.  les infractions présumément commises par un officier ou un militaire du rang d'un grade supérieur à celui de sergent; et

 

c.  les infractions qui donneraient le droit à être jugé devant une cour martiale, si une accusation était portée.

 

Dans le contexte de la législation et de la réglementation en vigueur, cette obligation légale n'est pas de nature strictement procédurale. Certes, elle constitue une étape additionnelle dans le processus de mise en accusation et de renvoi, mais comme je l'ai dit, elle n'est pas de nature strictement procédurale. Il est évidement, à la lecture du chapitre 107 que le gouverneur en conseil a imposé un fardeau supplémentaire dans l'intérêt public et pour la protection des justiciables du code de discipline militaire. En conséquence, la cour conclut que l'obligation légale imposée à la personne qui a le pouvoir de porter une accusation aux termes de l'article 107.02 ne constitue pas une simple formalité et qu'elle doit être respectée avant que les infractions visées par la disposition 107.03 puissent être consignées à un procès-verbal de procédure disciplinaire aux termes de l'article 107.04.

 

L'effet combiné des dispositions du chapitre 107 des ORFC requiert-il que la personne qui porte une accusation aux termes des articles 107.015 et 107.04 est l'unique personne qui peut formuler une demande d'avis juridique selon 107.03? Si non, la personne qui porte l'accusation peut-elle se fonder sur un avis juridique obtenu aux termes dudit article?

 


[9]                    La deuxième question traite de l'effet combiné des dispositions du chapitre 107 des ORFC relativement à l'obligation imposée à la personne qui porte une accusation aux termes des articles 107.015 et 107.04 d'obtenir l'avis juridique selon 107.03. La lecture de cet article impose l'obligation légale d'obtenir l'avis d'un avocat militaire à un officier ou militaire du rang qui a le pouvoir de porter une accusation. À priori, toute personne autorisée à porter une accusation pourrait s'acquitter d'une telle obligation. La cour est toutefois d'avis que les articles 107.015, 107.02, 107.03 et 107.04 doivent être interprétés conjointement. Force est de constater que l'analyse contextuelle de ces dispositions et les notes qui les accompagnent démontrent que la personne visée à l'alinéa 107.03(1) est celle qui consignera l'accusation au procès-verbal de procédure disciplinaire à la manière prévue à l'article 107.04. La raison en est fort simple et elle est expressément énoncée à l'alinéa 107.03(2), et je cite :

 

107.03(2) L'officier ou le militaire du rang doit obtenir un avis juridique portant sur la suffisance des éléments de preuve, sur la question de savoir si une accusation devrait ou non être portée dans les circonstances, et lorsqu'il faudrait porter une accusation, sur le choix et l'accusation appropriée.

 

Le gouverneur en conseil a choisi d'imposer à la personne autorisée à porter des accusations l'obligation légale de considérer des informations spécifiques fournies par un avocat militaire dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de porter ou non des accusations, et ce au delà de la simple croyance raisonnable que la personne a commis une infraction.

 


[10]                  L'article 107.03 n'exige toutefois pas que la personne qui porte les accusations soit l'auteur de la demande. Une telle interprétation n'est pas conforme au sens commun qui est donné aux termes utilisés audit article. L'officier ou militaire du rang doit obtenir un avis juridique. Que cet avis soit obtenu d'une manière directe ou indirecte importe peu! Dans le contexte de cette affaire, l'avis juridique demandé par le capitaine Boucher et fourni par le capitaine Fortin, le conseiller juridique, aurait pu être transmis à l'adjudant-maître Brown avant qu'il ne porte les accusations et satisfaire l'obligation légale imposée à l'adjudant-maître Brown d'obtenir l'avis juridique afin qu'il puisse exercer sa discrétion de manière correcte. Or, la preuve indique clairement qu'il n'a jamais pris connaissance de cet avis juridique. La cour ne partage pas l'opinion de la poursuite à l'effet que l'adjudant-maître Brown n'était pas tenu en droit de consulter l'avis avant de porter les accusations. La cour croit comprendre que la poursuite suggère que la seule connaissance de l'existence d'un avis juridique suffise. La cour rejette une telle interprétation à la lumière de son analyse contextuelle du chapitre 107. L'approche avancée par la poursuite aurait pour effet de diluer, voire d'annihiler les fondements mêmes de l'obligation légale imposée par le gouverneur en conseil et n'en faire qu'une exigence de forme. Que l'adjudant-maître Brown rédige le procès-verbal de procédure disciplinaire sans avoir pris connaissance de l'avis juridique est acceptable, mais l'étape suivante, soit celle de porter les accusations, donc lorsqu'il signe, doit satisfaire l'exigence minimale de la connaissance de cet avis. Malgré l'absence de preuve directe à l'effet que le capitaine Boucher était autorisé à porter une accusation, la cour conclut sur la foi du sommaire conjoint des faits, la pièce R1-2, qu'il était dûment autorisé à le faire puisque les parties ont indiqué au paragraphe 5 dudit sommaire que le capitaine Boucher avait fait la demande d'avis juridique aux termes de l'article 107.03 qui, lui, impose l'obligation légale aux seuls officiers et militaires du rang qui ont le pouvoir de porter des accusations. Et la cour prend le temps de spécifier cet élément parce que le capitaine Boucher aurait donc pu facilement signer lui-même le procès-verbal de procédure disciplinaire à l'endroit du sergent Couture, et ce sans pour autant exclure le sergent-major régimentaire du processus disciplinaire.

 

Le défaut de l'adjudant-maître Brown d'avoir pris connaissance d'un avis juridique fourni à la suite d'une demande présentée en vertu de l'article 107.03 invalide-t-il le procès-verbal de procédure disciplinaire à l'endroit du sergent Couture? Si oui, quel est l'effet de cette invalidité?

 

[11]                  La cour est d'avis que le défaut de l'adjudant-maître Brown d'avoir pris connaissance d'un avis juridique fourni à la suite d'une demande présentée en vertu de l'article 107.03, dans le contexte de cette affaire, invalide le procès-verbal de procédure disciplinaire à l'endroit du sergent Couture. D'une part, l'adjudant-maître Brown a témoigné à l'effet que sa connaissance du dossier se limitait à des discussions avec le capitaine-adjudant, la victime et l'accusé. Il a également fait état de commentaires qui avaient été portés à son attention par d'autres personnes. D'autre part, il a admis qu'il connaissait l'existence d'un rapport d'enquête d'unité préparé par le capitaine Tremblay, mais il a également reconnu qu'il n'en avait pas pris connaissance. En ce qui a trait à l'avis juridique, faut-il rappeler qu'il ne l'a jamais vu. La cour trouve particulièrement troublant la partie de son témoignage où il a pris soin de mentionner que, d'une part, lorsque survient un événement aussi important que celui qui a fait l'objet des accusations à l'endroit du sergent Couture, on se souvient de la majorité des choses; alors que, d'autre part, il ne se souvient ni de l'avis ni de la teneur des discussions qu'il a eues relativement à cette affaire. La cour conclut de son témoignage qu'il n'était pas dans les circonstances cette personne éclairée en possession des éléments qui satisfont les exigences minimales imposées par le gouverneur en conseil par l'article 107.03. Cette situation a eu pour effet de le rendre incapable de porter les accusations qui étaient de la nature de celles visées à l'article 107.03; ce qui aurait été différent si la nature des accusations ou autres éléments prévus à 107.03 n'avaient pas été en jeu. La cour conclut donc à la nullité ab initio du procès-verbal de procédure disciplinaire produit sous la cote R1-3. Force est de reconnaître que la signature d'un tel document n'est pas qu'une formalité; au contraire, elle emporte avec elle d'importantes conséquences légales et elle met en branle le processus disciplinaire et pénal qu'est le système de justice militaire au Canada. Ce système en est un d'exception au système de justice pénal civil au Canada.

 


[12]                  Je partage les propos exprimés par mon collègue le juge militaire d'Auteuil dans l'arrêt R. c. Laity en date du 17 avril 2007 lorsqu'il affirme, au paragraphe 19, que et je cite : « [l]e dépôt des accusations, dans le système de justice militaire canadien, est plus qu'une étape de nature administrative. Il constitue la manière officielle et la seule manière d'entamer des procédures disciplinaires. » Il faut garder à l'esprit que seules les personnes visées à l'article 107.02 des ORFC ont le pouvoir de porter des accusations sous le régime du code de discipline militaire, soit : un commandant, une personne autorisée par le commandant et un policier enquêteur au sein du Service national d'enquêtes des Forces canadiennes. Le gouverneur en conseil a sciemment limité au minimum les personnes aptes à porter des accusations et il leur a imposé des obligations spécifiques dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire exclusif, dont celle d'obtenir un avis juridique pour certains cas spécifiques énumérés à l'article 107.03.

 

[13]                  Les procédures subséquentes entamées sur la foi du document frappé d'invalidité sont également nulles et non-avenues. L'effet de l'article 165.12 de la Loi sur la défense nationale ne permet pas de corriger l'invalidité initiale tout comme l'avait conclu le juge dans l'affaire Laity. Bref, aucune accusation n'a été transmise au directeur des poursuites militaires puisqu'une accusation est portée uniquement lorsqu'elle l'a été en conformité avec les règlements du gouverneur en conseil aux termes de l'article 161 de la loi. En conséquence, il n'y a aucune accusation devant cette cour. Comme l'indiquait l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au paragraphe 34, et je cite :

 

Voici la proposition que j'adopterais : lorsqu'une législature adopte un texte législatif qui emploie des termes clairs, non équivoques et susceptibles d'avoir un seul sens, ce texte doit être appliqué même s'il donne lieu à des résultats rigides ou absurdes ou même contraires à la logique (Maxwell on Interpretation of Statutes, op. cit., à la p.29). Le fait qu'une disposition aboutit à des résultats absurdes n'est pas, à mon avis, suffisant pour affirmer qu'elle est ambiguë et procéder ensuite à une analyse d'interprétation globale.

 

Et le juge Lamer poursuite au paragraphe 41, et je cite :

 

Après tout, le législateur a le droit de légiférer de façon illogique (pourvu qu'il ne soulève pas de préoccupations d'ordre constitutionnel). Si le législateur n'est pas satisfait de l'application que les tribunaux accordent aux textes législatifs illogiques, il peut les modifier en conséquences.

 

Ainsi, il serait logique et sensé que la saisine par le directeur des poursuites militaires ­­ l'autorité compétente exclusive pour prononcer les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et mener les poursuites devant celles-ci aux termes de l'article 165.11 de la Loi sur la défense nationale ­­ d'un dossier entaché d'un vice de fond à l'égard de l'article 161 de la Loi sur la défense nationale et du chapitre 107 des ORFC puisse lui permettre d'aller de l'avant si ledit directeur des poursuites militaires décide de prononcer la mise en accusation. Cela permettrait à la cour martiale d'examiner le cas échéant, à la demande de l'accusé, des irrégularités qui auraient pu contrevenir à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ou ses autres droits. Une telle possibilité n'est toutefois pas possible dans le contexte de la législation et de la réglementation actuellement en vigueur.

 

 

 


 

 

 

 

Dispositif

 

Pour ces raisons,

 

La cour accueille la requête pour fins de non-recevoir à l'égard de toutes les accusations faisant l'objet de l'acte d'accusation et elle met fin à l'instance.

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

 

Avocats :

 

Capitaine de corvette M. Raymond, Directeur des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante-intimée

Capitaine de corvette P. Lévesque, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du sergent Couture

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.