Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 558 - Appel accordé

Date de l'ouverture du procès : 22 mai 2012

Endroit : Garnison Saint-Jean, Mégastructure, Salle B-134, 25 chemin du Grand-Bernier, Saint-Jean-sur-ichelieu (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) Cr. Cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.
•Chefs d’accusation 3, 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 4 : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) C. cr.).
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 7) : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) Cr. Cr.).
•Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.
•Chef d’accusation 8 : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Retirés. Chefs d’accusation 4, 8 : Coupable. Chefs d’accusation 5, 6, 7 : Non coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 12 mois, à être purgé à l’établissement de détention Sorel, 75 boulevard Poliquin, Sorel, Québec, J3P 7Z5.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Larouche, 2012 CM 3008

 

Date : 20120816

Dossier : 201164

 

Cour martiale permanente

 

Garnison St-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat R, Larouche, requérant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnace de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité des personnes décrites dans le présent jugement comme étant les plaignantes ou témoins dans ce dossier.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

(Oralement)

 

LE CONTEXTE

 

[1]               Le soldat Larouche est accusé de diverses infractions d’ordre militaire qui se seraient produites en 2007, 2009 et 2010 à Saint-Jean-sur-Richelieu au Québec et à Kingston en Ontario, dont deux pour voyeurisme contrairement au paragraphe 165(2) du Code criminel, une pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline suite à du harcèlement contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, une autre pour conduite déshonorante pour avoir produit des enregistrements visuels d’une personne nue contrairement à l’article 93 de la Loi sur la défense nationale et finalement une dernière infraction  pour possession de pornographie juvénile contrairement au paragraphe 163.1(4) du Code criminel.

 

[2]               Au début de ce procès par cour martiale permanente, soit le 22 mai 2012, avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, l'avocat de la défense qui représente le soldat Larouche a présenté une requête pour laquelle un avis écrit avait été reçu par le bureau de l’administrateur de la cour martiale le 20 février 2012, visant à obtenir de la cour martiale une ordonnance en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) afin d’exclure certains éléments de preuve en raison d’une violation alléguée du droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives se trouvant à l’article 8 de la Charte.

 

[3]               Cette requête préliminaire est présentée dans le cadre du sous-alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après ORFC) à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranchée par le juge militaire qui préside la cour martiale, telle que prévue à l'article 112.07 des ORFC.

 

[4]               Il est important de rappeler que la présente cour martiale a été initialement convoquée pour le 12 mars 2012 mais que suite à une requête de la poursuite présentée juste avant le début du procès, la cour a ordonnée que le procès de l’accusé débute plutôt le 22 mai 2012. C’est à cette date que la cour s’est donc rassemblée et au début de laquelle la poursuite a procédé au retrait des trois premiers chefs d’accusation apparaissant à l’acte d’accusation, a requis et obtenu une ordonnance de la cour modifiant les quatrième et cinquième chef d’accusation en raison d’un vice de forme, et finalement demandé et obtenu une ordonnance de la cour, qui est toujours actuellement en vigueur, interdisant la publication et la diffusion de tout renseignement permettant d’établir l’identité de trois plaignantes et de deux témoins.

 

[5]               Par la suite, j’ai procédé à l’audition de la requête de l’accusé du 22 au 25 mai 2012 dans le cadre d’un voir dire que j’ai suspendu, suite à l’annonce de l’intention de l’accusé de présenter un plaidoyer de culpabilité. En raison d’une demande conjointe de la poursuite et de la défense, j’ai ajourné l’audition du procès au 14 août 2012 afin de permettre la confection d’un rapport par un spécialiste médical à être éventuellement déposé en preuve dans le cadre de la détermination éventuelle de la sentence de l’accusé.

 

[6]               Le 14 août 2012, la cour s’est réassemblée.  Cependant, j’ai plutôt rouvert le voir dire afin de compléter l’audition de la requête présentée par l’accusé, puisqu’il avait préalablement informé la cour et la poursuite de son désir de ne plus présenter de plaidoyer de culpabilité.

 

LA PREUVE

 

[7]               La preuve au soutien de cette requête est composée:

 

a.                   Du témoignage du caporal Jean-Philippe Gauvin, policier militaire, enquêteur à la section des crimes technologiques et responsable de l’enquête qui a mené aux accusations devant cette cour, et aussi signataire des dénonciations et affidavit qui ont conduit à l’émission des mandats de perquisition dans ce dossier;

 

b.                  Du témoignage du sergent Patrick Bourgon, policier à la Sûreté du Québec, superviseur par intérim au module technologique et qui a procédé à l’analyse de différents items qui ont été saisis et soumis par le caporal Gauvin;

 

c.                   De la pièce R1-VD1-1, l'avis de requête ;

 

d.                  De la pièce R1-VD1-2, une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition et un affidavit en annexe datée du 20 janvier 2010;

 

e.                   De la pièce R1-VD1-3, un mandat de perquisition daté du 20 janvier 2010;

 

f.                    De la pièce R1-VD1-4, un rapport concernant l’exécution du mandat daté du 27 janvier 2010;

 

g.                   De la pièce R1-VD1-5, une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition et un affidavit en annexe datée du 5 février 2010;

 

h.                   De la pièce R1-VD1-6, un mandat de perquisition daté de février 2010;

 

i.                     De la pièce R1-VD1-7, un mandat de perquisition daté de février 2010;

 

j.                    De la pièce R1-VD1-8, un rapport concernant l’exécution du mandat daté du 10 février 2010;

 

k.                  De la pièce R1-VD1-9, un visa du mandat de perquisition daté du 10 février 2010;

 

l.                     De la pièce R1-VD1-10, un tableau illustrant les items saisis et le résultat d’analyse;

 

m.                 De la pièce R1-VD1-11, un rapport de l’enquêteur-analyste sergent Bourgon daté du 28 juillet 2010;

 

n.                   De la pièce R1-VD1-12, un rapport de l’enquêteur-analyste caporal Gauvin daté du 16 septembre 2010;

 

o.                  De la pièce R1-VD1-13, un résumé de l’entrevue de V.C. faite par le sergent Patrice Mathieu en date du 18 décembre 2009;

 

p.                  De la pièce R1-VD1-14, un résumé de l’entrevue du major Laflamme faite par le caporal Gauvin en date du 6 janvier 2010;

 

q.                  De la pièce R1-VD1-15, un résumé de l’entrevue de G. faite par le sergent Patrice Mathieu en date du 18 décembre 2009;

 

r.                    De la pièce R1-VD1-16, une déclaration écrite de G. faite en date du 18 décembre 2009;

 

s.                   De la pièce R1-VD1-17, un tableau illustrant les items qui font l’objet de la présente requête et qui ont été saisis lors de la première et deuxième perquisition;

 

t.                    De l’admission de l’accusé, par l’intermédiaire de son avocat, que les éléments qui se retrouvent aux paragraphes 3, alinéas b, c et d de l’annexe A de la pièce R1-VD1-2 reflètent le compte-rendu préparé par l’enquêteur, le caporal Gauvin, concernant la conversation qu’il a eu avec V.C. le 12 janvier 2010, à l’exception du mot « privé » se trouvant à l’alinéa 3(d) de la même annexe.

 

u.                   La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenus dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

LES FAITS

 

[8]               Le 18 décembre 2009, V.C., qui travaille à la garnison St-Jean, a formulé une plainte à un policier militaire, le sergent Mathieu, concernant le soldat Larouche. Elle lui a rapporté qu’elle avait eu récemment une relation amoureuse avec ce dernier, et qu’en autres choses, il avait pris des photos d’elle avec son consentement alors qu’elle était nue, mais à la condition qu’elles soient détruites par la suite. Elle a aussi rapporté avoir vu chez le soldat Larouche une photo d’une autre employée civile de son lieu de travail, soit G., qui apparaissait aussi nue.  V.C. a exprimé sa crainte de voir les photos rendues accessibles sur internet ou encore qu’elles fassent l’objet d’une circulation, par informatique ou autre, au sein de son lieu de travail. C’est la raison qui la motiva à venir voir la police militaire.

 

[9]               Le même jour, G. a été rencontrée par le sergent Mathieu de la police militaire et elle lui a confirmé qu’elle avait eu une relation amoureuse avec le soldat Larouche, qu’il avait pris des photos d’elle alors qu’elle était nue, qu’elle avait consenti à la prise de photos mais à la condition qu’elles soient détruites.  Elle a indiqué au policier qu’elle avait appris récemment, par le biais de V.C., que certaines de ces photos circulaient dans la clinique médicale, à son insu.

 

[10]           Le sergent Mathieu a procédé à une enquête et il en est venu à la conclusion qu’il n’y avait pas matière à donner suite à la plainte formulée puisqu’il a déterminé qu’il n’y avait pas d’infraction d’ordre militaire qui avait été commise. Entre temps, le sergent Legault, officier de sécurité des systèmes informatiques (OSSI) à la garnison St-Jean a été informé de la situation par la police militaire.  Il a voulu vérifier si de telles photos étaient présentes dans le système informatique du lieu de travail en question, et à cet effet, il a consulté le caporal Gauvin, policier militaire et seul enquêteur formé pour le secteur du Québec concernant les crimes technologiques.

 

[11]           Le sergent Legault a procédé à la vérification des systèmes informatiques du lieu de travail en question à la garnison St-Jean et il n’a rien trouvé concernant les photos alléguées.

 

[12]           Le 6 janvier 2010, un major, autorité responsable du lieu de travail en question, faisait parvenir au caporal Gauvin de la police militaire un courriel qu’il avait reçu de G. le même jour et dans lequel cette dernière tenait des propos concernant certains faits en relation avec sa liaison amoureuse qu’elle avait eu avec le soldat Larouche. Le major Laflamme a qualifié d’inquiétante cette déclaration.

 

[13]           Le caporal Gauvin a donc repris le dossier d’enquête du sergent Mathieu, a révisé les éléments de preuve qui y étaient contenus et le 12 janvier 2012, il a contacté par téléphone V.C. pour connaître à nouveau sa version des faits. Ce même jour, il a procédé à une entrevue avec G. pour comprendre ce qu’elle reprochait au soldat Larouche.

 

[14]           Suite à son enquête et à l’analyse de la preuve, le caporal Gauvin en est venu à la conclusion qu’il y avait des motifs raisonnables et probables de croire que des infractions d’ordre militaire avaient été commises, et plus précisément, celle de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale ainsi qu’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de cette même loi , soit du voyeurisme, contrairement à l’article 162(1) du Code criminel.

 

[15]           Compte tenu des circonstances et des faits rapportés par les témoins dans le cadre de son enquête, le caporal Gauvin en est venu à la conclusion que les photos prises par le soldat Larouche de V.C. et de G. constituaient une preuve à l’appui des accusations, et à cet effet, il croyait qu’elles pouvaient se trouver dans différents appareils électroniques, soit des cellulaires, des caméras digitales, des ordinateurs ou tout autre dispositif de stockage se trouvant au domicile du soldat Larouche.

 

[16]           En conséquence, le caporal Gauvin a préparé un affidavit à l’appui d’une dénonciation qu’il a présenté le 20 janvier 2010 à un juge de la cour du Québec, le juge Michel Bédard. Cependant, il appert que ce dernier n’avait pas une compréhension exacte de la signification et de la portée de la Loi sur la défense nationale, et plus particulièrement de l’article 129 de cette loi et il a demandé au policier de revoir sa dénonciation en conséquence. Le caporal Gauvin a donc modifié son affidavit et sa dénonciation et il a présenté à nouveau ses documents au juge et il a déclaré que les éléments de preuve recherchés fourniraient une preuve seulement en relation avec l’infraction de voyeurisme.

[17]           Le 20 janvier 2010, le juge Bédard émettait un mandat de perquisition autorisant le caporal Gauvin à fouiller le domicile du soldat Larouche et à y saisir les éléments de preuve identifiés dans le document.

 

[18]           Le 21 janvier 2012, assisté du sergent Legault, le caporal Gauvin a procédé à la perquisition du domicile du soldat Larouche.  Ce dernier a été informé du mandat de perquisition et il a été mis en état d’arrestation. Il a été amené au détachement de la police militaire et il a été relâché le même jour lors de la fin de la perquisition.

 

[19]           La perquisition du domicile du soldat Larouche a débuté tôt le matin, soit vers 6 heures, et elle a durée environ 10 heures. Le caporal Gauvin a utilisé certains logiciels lui permettant de faire un survol des éléments électroniques et de stockage visés par le mandat de perquisition afin d’identifier ceux dont il procéderait à la saisie, ceci afin de minimiser le temps passé au domicile du soldat Larouche. L’idée était d’identifier les éléments pertinents qui devaient faire l’objet d’une analyse, de les saisir, et d’en faire une véritable analyse en laboratoire plus tard car cela prenait beaucoup de temps. Deux facteurs sont venus augmenter la complexité de la saisie : premièrement, le nombre d’items dont il devait faire un survol, soit environ 1800, et le fait que durant ce survol, il a identifié que certains de ces items contenaient un grand nombre de fichier pouvant constituer de la pornographie juvénile qu’il a saisie en plain view.  À la fin de la perquisition, le soldat Larouche a été à nouveau rencontré à son domicile et les éléments saisis lui ont été identifiés.

 

[20]           Le 27 janvier 2010, le caporal Gauvin a fait rapport au juge des biens mentionnés au mandat de perquisition qui ont été saisis et qui étaient au nombre de 18.

[21]           Le 5 février 2010, le caporal Gauvin a présenté une dénonciation afin d’obtenir un mandat de perquisition pour lui permettre de fouiller les items saisis en plain view et sur lesquels il considérait qu’ils pouvaient contenir de la pornographie juvénile, preuve potentielle à l’appui de l’infraction de possession de pornographie juvénile. Le juge Bédard a émis le mandat de perquisition et un rapport de la saisie lui a été fait le 10 février 2010. Le même jour, il a autorisé l’exécution du mandat dans un autre district autre que celui d’Iberville, soit celui de Montréal, afin d’y permettre une analyse en laboratoire.

 

[22]           Le 28 juillet 2010, le sergent Patrick Bourgon, enquêteur aux modules technologiques de la Sûreté du Québec, faisant suite à une demande d’assistance par la police militaire, émettait son rapport en tant qu’enquêteur analyste concernant l’ensemble des items saisis par le caporal Gauvin.

 

[23]           Le 16 septembre 2010, le caporal Gauvin émettait un rapport complémentaire d’analyse en tant qu’enquêteur analyste concernant certains items qu’il avait saisis.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

[24]           La position du requérant dans ce dossier est à l’effet que la cour devrait ordonner l’exclusion en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte des items identifiés au tableau de la pièce R1-VD1-17 et des fichiers qui y sont identifiés, preuve dont la poursuite à confirmer qu’elle entend se servir dans le cadre du procès, parce qu’ils ont fait l’objet d’une saisie abusive par l’enquêteur de la police militaire en raison d’une violation de son droit à la protection contre les saisies abusives prévu à l’article 8 de la Charte.

 

[25]           Plus précisément, le soldat Larouche soumet que le mandat de perquisition émis le 20 janvier 2010 autorisant la saisie de ses ordinateurs, cellulaires, caméras digitales et de tous ses dispositifs de stockage est illégal parce que, d’une part, l’affidavit au soutien de la dénonciation concernant ce mandat ne contient pas de motifs raisonnables et probables qui auraient pu permettre à l’enquêteur de croire qu’une infraction de voyeurisme aurait été commise et que se trouvaient chez lui des éléments qui auraient pu fournir une preuve relativement à la commission d’une telle infraction, et que d’autre part, si la cour en venait à la conclusion que c’était plutôt le cas, la rédaction de cet affidavit par l’enquêteur est incomplète en raison d’importantes inexactitudes et omissions qu’il a faites, ce qui une fois corrigée, n’aurait pas fourni de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction de voyeurisme aurait pu être commise et que se trouve chez lui des éléments de preuve relativement à la commission d’une telle infraction.

 

[26]           Au surplus, en ce qui a trait à l’exécution même du mandat de perquisition, le soldat Larouche prétend que les données contenues dans ses ordinateurs, et qui ont fait l’objet de la saisie, ne pouvaient l’être parce que cela n’était pas spécifié au mandat, tel qu’exigé par le paragraphe 487(2.1) du Code criminel.

 

[27]           En conséquence, l’exécution du mandat de perquisition et de saisie du 20 janvier 2010 aurait été obtenu illégalement et constituerait une saisie abusive, ce qui violerait ainsi le droit du requérant d’être protégé contre une telle chose en vertu de l’article 8 de la Charte.

 

[28]           Quant au mandat de perquisition du mois de février 2010, le requérant prétend qu’il est aussi illégal car, dans la mesure où la cour en viendrait à la conclusion que le premier mandat de perquisition avait été obtenu illégalement, cela rendrait les motifs énoncés dans l’affidavit à l’appui de la dénonciation aussi illégaux, considérant qu’ils proviennent exclusivement des informations obtenues suite à l’exécution du mandat de perquisition du 20 janvier 2010.

 

[29]           Finalement, le requérant conclut, qu’en raison de la gravité de la conduite de l’État, de l’incidence de la violation sur ses droits garantis par la Charte et de l’intérêt minimal de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond, les éléments de preuve qu’il a identifiés à la cour, doivent être exclus.

 

[30]           De son côté, l’intimé considère que les deux mandats de perquisition sont valides.  Il a rappelé à la cour qu’il existe une présomption de validité du mandat de perquisition et qu’à cet égard, la cour siège en révision et qu’il ne s’agit d’une audition de novo.  L’intimé a réitéré le fait que le caporal Gauvin est un témoin crédible et fiable et qu’il n’a pas fait abstraction d’éléments important dans le cadre de son affidavit produit au soutien de la dénonciation pour l’obtention du mandat de perquisition du 20 janvier 2010. Il invite la cour à rejeter l’argument du requérant à l’effet que la saisie effectué chez lui le 21 janvier 2010 était abusive car le paragraphe 487(2.1) du Code criminel n’a aucune application dans la présente affaire. Finalement, il a réitéré le fait que si la cour concluait à une violation des droits de l’accusé prévu à l’article 8 de la Charte, elle ne devrait pas conclure à l’exclusion des éléments de preuve demandée par le requérant car la gravité de la conduite de l’État est minimale dans les circonstances, que l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte n’est pas si grande, et surtout qu’il y a un grand intérêt de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond.

 

L’ANALYSE

 

[31]           Le paragraphe 24(2) de la Charte se lit comme suit :

 

24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

[32]           En conséquence, la cour doit d’abord déterminer si l’accusé a établi par prépondérance de preuve que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteintes à son droit d’être protégé contre les saisies abusives, tel que prévu à l’article 8 de la Charte.

 

[33]           Par la suite, si la cour conclut que c’est le cas, elle devra déterminer si, eu égard aux circonstances que, l’utilisation des ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[34]           Afin de répondre à la première question en litige, il y a lieu d’abord de se remémorer le texte de l'article 8 de la Charte qui se lit comme suit :

 

 8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

[35]           Dans le cadre de la présente requête, les parties ont convenu que la preuve démontrait, selon une prépondérance des probabilités, que la saisie des items électroniques et des fichiers qu’ils contenaient constituait clairement une intervention de l’État permettant l’application de la Charte.

 

[36]           De plus, les parties ont aussi convenu qu’il existait une expectative raisonnable de vie privée pour le soldat Larouche à l’égard des items électroniques et fichiers qui ont fait l’objet des deux mandats de perquisition à son domicile. En effet, il est clair des circonstances de cette affaire que le soldat Larouche pouvait raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée à sa résidence dans le cadre d’une perquisition de ses ordinateurs et autres appareils électroniques. C’est d’ailleurs ce que mentionnait le juge Fish au nom de la majorité dans l’affaire R c Morelli, 2010 CSC 8 au paragraphe 105 :

 

Comme je l’ai souligné tout au début, il est difficile d’imaginer une atteinte plus grave à la vie privée d’une personne que la perquisition de son domicile et la fouille de son ordinateur personnel.  En effet, nos ordinateurs contiennent souvent notre correspondance la plus intime.  Ils renferment les détails de notre situation financière, médicale et personnelle.  Ils révèlent même nos intérêts particuliers, préférences et propensions, enregistrant dans l’historique et la mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons dans l’Internet.

 

[37]           Il reste donc à la cour à déterminer si les objets et fichiers qui ont été saisis l'ont été de manière abusive par le caporal Gauvin dans le cadre de l’exécution des deux mandats de perquisition qu’il a obtenus afin de déterminer s’il y a eu violation ou non du droit du requérant prévu à l’article 8 de la Charte. En d’autres termes, est-ce que la saisie d’items et fichiers a été effectuée de manière abusive?

 

[38]           Tout d’abord, le soldat Larouche soulève l’illégalité du mandat de perquisition émis le 20 janvier 2010 parce que :

 

a.                   L’affidavit au soutien de la dénonciation concernant ce mandat ne contient pas de motifs raisonnables et probables qui auraient pu permettre à l’enquêteur de croire qu’une infraction de voyeurisme aurait été commise et que se trouvait chez lui des éléments qui auraient pu fournir une preuve relativement à la commission d’une telle infraction;

 

b.                  La rédaction de l’affidavit par l’enquêteur est incomplète en raison d’importantes inexactitudes et omissions qu’il a faites, ce qui une fois corrigée, n’aurait pas fourni de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction de voyeurisme aurait pu être commise par le requérant et que se trouve chez lui des éléments de preuve relativement à la commission d’une telle infraction.

 

[39]           Lorsqu’un tribunal procède à un examen concernant l’émission d’un mandat de perquisition, il est à noter qu’il siège en révision de cette décision judiciaire. En conséquence, il ne s’agit pas ici de procéder de novo. Il s’agit plutôt de déterminer si au moment de l’émission du mandat, l’autorité judiciaire disposait ou non des éléments susceptibles de la convaincre que les conditions préalables à l’autorisation existaient. Si la réponse est à l’effet qu’il n’existait aucun élément, alors le tribunal serait justifié d’intervenir. Tel que mentionné par la cour suprême au paragraphe 40 de l’arrêt Morelli, précité au paragraphe 36 de la présente décision :

 

Toutefois, pour réviser le fondement d’une demande de mandat, « le critère consiste à déterminer s’il existait quelque élément de preuve fiable auquel le juge aurait pu raisonnablement ajouter foi pour accorder l’autorisation » (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 54 (souligné dans l’original)).  Il ne s’agit pas de savoir si le tribunal siégeant en révision aurait lui-même délivré le mandat, mais s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge de paix de conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve touchant la commission de cette infraction seraient découverts aux moment et lieu précisés.

 

[40]           L’infraction de voyeurisme constitue un ajout relativement récent au Code criminel du Canada.  Elle s’y retrouve depuis 2005. L’un des éléments essentiels de cette infraction est le fait qu’il doit être démontré qu’un accusé a agi subrepticement, c’est-à-dire à l’insu et sans le consentement de la victime. À titre d’exemple, il est intéressant de lire le résumé de diverses causes illustrant ce principe dans l’affaire R c Rocha, 2012 ABPC 24 (CanLII).  Le juge Groves de la cour provinciale de l’Alberta, aux paragraphes 48 à 58, y résume plusieurs cas illustrant le concept d’agir subrepticement dans le cadre de cette infraction spécifique. J’en retiens le fait que l’accusé doit agir en dissimulant le fait qu’il enregistre ou observe la victime, ou encore sans que la victime ait connaissance qu’elle est observée ou enregistrée par des moyens mécaniques.

 

[41]           En ce qui concerne l’affidavit à l’appui de la dénonciation qui a mené à l’obtention d’un mandat de perquisition le 20 janvier 2010 par le caporal Gauvin, force est d’admettre qu’à sa lecture même, et plus particulièrement  en ce qui concerne les paragraphes 3 et 4, il ne semble pas y avoir d’éléments de preuve crédibles et fiables permettant au juge de conclure que le soldat Larouche avait agi à l’insu des présumés victimes, et que par le fait même qu’il existait des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction de voyeurisme avait été commise.

 

[42]           Il appert que dans ce dossier, conformément à la décision de la Cour suprême dans R c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, j’ai autorisé le requérant à interroger le caporal Gauvin sur les deux questions qu’il a soulevé quant à la validité de ce mandat de perquisition et que j’ai identifié auparavant. J’ai aussi permis à la partie intimée d’amplifier ces deux aspects en lui permettant de procéder à un interrogatoire du témoin aussi sur ces deux questions.

 

[43]           L’enquêteur de la police militaire dans ce dossier, le caporal Gauvin a témoigné de manière claire, directe et cohérente.  Il m’est apparu qu’il répondait correctement, en toute sincérité, sur la base de ses connaissances et expériences personnelles.

 

[44]           Le caporal Gauvin a affirmé à deux reprises lorsqu’il était interrogé par l’avocat du requérant, et à une autre reprise durant son contre-interrogatoire par l’intimé, qu’il faisait face à une situation où les deux victimes avaient consenti à la prise de photos ou vidéos par le caporal Larouche à la condition que tout cela soit détruit par la suite, et qu’en omettant d’agir ainsi, le requérant se trouvait dans une situation où il commettait l’infraction de voyeurisme.

 

[45]           Il est clair que l’affidavit rédigé par le caporal Gauvin à l’appui de la dénonciation reflète cet état de chose. Pour lui, les faits ne présentaient pas une situation où les victimes ont été photographiées ou filmées à leur insu, mais plutôt un cas où le soldat Larouche a conservé, à l’insu des victimes, le matériel qui aurait dû normalement être détruit. Tel qu’il l’a d’ailleurs relaté, c’est en raison du fait que le soldat Larouche avait conservé et probablement montré à d’autres personnes ce matériel, à l’insu des victimes, que ces dernières ont décidé de porter plainte à la police militaire, craignant que le tout reçoive une diffusion sur laquelle elles n’auraient eu aucun contrôle.

 

[46]           Cette constatation m’amène ainsi à conclure que le requérant n’a pas démontré par une prépondérance des probabilités que l’affidavit du caporal Gauvin était incomplet par ce qu’il comportait des inexactitudes et des omissions. Au contraire, à mon avis, l’affidavit est plutôt exact et reflète bien la compréhension des faits que le caporal Gauvin a décrits dans son témoignage à la cour et qu’il a tenté de résumer dans le document.

 

[47]           Par contre, je suis d’avis que le juge n’aurait pu décerner le mandat sur la base de la dénonciation du caporal Gauvin car la lecture de l’affidavit qu’il a présenté à l’appui ne révèle d’aucune manière, que ce soit directement ou par inférence, de motifs raisonnables et probables de croire que le soldat Larouche a pris, subrepticement, des photos ou vidéos des deux victimes, c’est-à-dire qu’il a agi à leur insu, et qu’il a ainsi commis l’infraction de voyeurisme. En conséquence, je me dois d’intervenir et de déclarer l’invalidité du mandat de perquisition émis dans cette affaire le 20 janvier 2010 par le juge Bédard.

 

[48]           Le requérant a aussi invoqué l’invalidité du deuxième mandat de perquisition émis au mois de février 2010 à l’effet que les motifs justifiant sont émission avaient été obtenus illégalement.  Sur ce point, je me dois de lui donner raison et de déclarer aussi l’invalidité de ce mandat de perquisition.

 

[49]           Puisque le mandat de perquisition du 20 janvier 2010 n’aurait pas dû être décerné, et le fait que celui du mois de février a été émis sur la base de motifs qui ont été obtenu illégalement, le tout fait en sorte que les deux perquisitions qui en ont découlé on enfreint l’article 8 de la Charte, au motif qu’elles étaient par leur effet combiné, abusive.

 

[50]           En ce qui a trait à l’exécution de la perquisition découlant du mandat du 20 janvier 2010, je ne souscris pas à l’argument de l’avocat du requérant concernant la nécessité de préciser sur le mandat les données recherchées sur les ordinateurs. Tel que l’a révélé la preuve soumise à la cour, le caporal Gauvin a effectué la perquisition en ayant à l’esprit d’avoir toujours un impact minimal sur le caporal Larouche.  Il a survolé à l’aide de logiciels les 1800 items faisant l’objet de la perquisition afin d’éviter de faire de longues analyses sur place et pour amener seulement les items, au nombre de 18, requérant une analyse, laissant ainsi en possession du soldat Larouche tous les items qui auraient pu faire l’objet de la saisie mais pour lesquels cela n’était nullement pertinent.

 

[51]           Je conclus donc que le soldat Larouche a établi, par prépondérance de preuve, que les élément énumérés au tableau de la pièce R1-VD1-17 ont été obtenus dans des conditions qui portent atteintes à son droit d’être protégé contre les saisies abusives, tel que prévu à l’article 8 de la Charte.

 

[52]           Maintenant, est-ce que cette preuve dont la poursuite entend se servir dans le cadre du procès, qui a été obtenue par suite des deux perquisitions illégales devraient être exclue en application du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

[53]           Pour déterminer cette question, la cour doit procéder à une analyse en fonction des critères énoncés dans la décision de la cour suprême R c Grant, 2009 CSC 32, au paragraphe 71 :

 

Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu’il faut, pour déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l’administra-tion de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous‑jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale pros-pective.  Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.  Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsi-dérer l’administration de la justice.  Bien qu’elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu’ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente.

 

[54]            À la lumière de l’application de ces critères par les tribunaux au cours des trois dernières années, la question à laquelle la cour doit maintenant répondre est la suivante : est-ce qu’une personne raisonnable au fait de l’ensemble des circonstances pertinentes et des valeurs sous-jacentes de la Charte, conclurait que l’utilisation d’éléments de preuve donnés serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?

 

[55]           Pour y arriver, tel que suggéré dans Grant, la cour se doit de considérer trois facteurs :

 

a.                   Quel est la gravité de la conduite attentatoire de l’État?

 

b.                  Quel est l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte?

 

c.                   Quel est l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond?

 

[56]           Tout d’abord, soyons clair. Il existe un lien indéniable entre les éléments de preuve obtenus et la violation du droit de l’accusé contre les saisies abusives. En effet, si l’enquêteur n’avait pas obtenu le premier mandat de perquisition, il n’aurait pas pu avoir accès aux photos et vidéos sur lesquels se retrouvaient les plaignantes, mais il n’aurait jamais eu aussi accès à l’ensemble ou à une partie des fichiers sur lesquels il est prétendu qu’il y a de la pornographie juvénile.

 

[57]           Ceci dit, comment doit-on qualifier la conduite du policier militaire dans ces circonstances? Il m’apparaît évident de l’ensemble de la preuve que le caporal Gauvin n’a jamais tenté d’induire en erreur qui que ce soit durant le processus d’obtention du mandat de perquisition. Déterminé et persévérant, il a présenté le dossier à un juge pour l’obtention d’un mandat de perquisition sur la base de sa compréhension des éléments essentiels de l’infraction de voyeurisme. Il était préoccupé par le fait que les plaignantes avaient fourni un consentement conditionnel à la prise de photos et de vidéos, mais qu’à la fin, c’est à leur insu et sans leur consentement que le requérant a utilisé les photos et vidéos qui auraient dû normalement ne plus exister. Il a tenté dans un premier temps d’obtenir un mandat de perquisition qui couvrait à la fois l’aspect de voyeurisme et d’inconduite, mais suite à un premier refus en raison du manque de familiarité du juge avec l’infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, il s’est adapté et il a présenté le dossier sur la base des faits qu’il avait recueillis durant son enquête.

 

[58]           Quant à la perquisition, comme je l’ai déjà mentionné, elle s’est déroulée de manière à minimiser l’impact sur le requérant. Rien dans la preuve n’indique que l’enquêteur et son équipe se sont comportés incorrectement dans les circonstances.

 

[59]           En ce sens, nul ne peut reprocher au policier d’avoir persévéré dans son enquête. Au contraire, souvent, c’est l’attitude à laquelle s’attend toute personne dans notre société. Il a considéré le respect des droits du requérant en procédant à l’obtention d’une autorisation judiciaire avant d’investir la sphère privée de ce dernier.

 

[60]           Ainsi, je conclus que la conduite du policier était tout à fait correct dans les circonstances qu’il n’y a pas eu de conduite répréhensible de la part des autorités étatiques concernant le respect des droits du requérant garantis par la Charte.

 

[61]           Maintenant, quel est l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte? À mon avis, elle est très importante. Comme clairement exprimé par la cour suprême dans Morelli, difficile d’imaginer quelque chose de plus grave en termes d’atteinte à la vie privée qu’une perquisition à 6 heures du matin de son domicile et des tous ses ordinateurs, appareils électroniques et équipements de stockage de données par un policier, particulièrement où on procède à votre arrestation et où on vous confine loin de chez vous durant cette perquisition. En ce sens, cela démontre toute l’importance de l’obtention par les autorités policières d’une autorisation judiciaire avant d’envahir la sphère privée de tout individu.

 

[62]           Finalement, quel est l’intérêt de la société à ce que cette affaire soit jugée au fond? D’entrée de jeu, disons que les éléments de preuve en cause dans cette requête sont tout à fait fiables. L’appartenance des items saisis chez le requérant ne semble pas être en cause. Ils ont été saisis chez lui et l’analyse qui en a suivi apparaît avoir été faite selon un processus auquel on peut se fier. En conséquence, la fiabilité des éléments de preuve est élevée.

 

[63]            Il est clair que cette preuve est centrale pour la poursuite, particulièrement en ce qui a trait aux accusations de voyeurisme et de possession de pornographie juvénile. Sans cette preuve, la poursuite a déclaré être dans l’impossibilité de poursuivre l’affaire, à l’exception d’un seul chef d’accusation, soit celui de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[64]           Il est important de rappeler que les infractions dont est accusé le soldat Larouche sont graves. Elles font l’objet d’une réprobation sociale, particulièrement en ce qui concerne la possession de pornographie juvénile. De plus, il est important de rappeler que cette preuve est constituée d’un très grand nombre de fichiers qui ont été saisis en relation avec cette infraction, soit plus de 1000, ce qui en soi constitue aussi un indicateur quant à la gravité de cette infraction.

 

[65]           Il s’agit ici d’un contexte qui met en jeu l’intégrité physique et psychologique de plusieurs présumés victimes. En effet, cela implique plusieurs personnes de l’entourage ou milieu de travail du requérant, qui sont aussi des militaires. De plus, les infractions sont objectivement graves et elles se sont présumément déroulées sur une longue période de temps à plus d’un endroit.

 

[66]           Considérant cela, la perception à long terme du publique dont jouit le système de justice militaire, et plus particulièrement la cour martiale, pourrait être fortement ébranlée et érodée si la preuve visée par la présente requête était exclue.  En effet, en procédant à l’exclusion de cette preuve, le public pourrait croire à long terme que la cour martiale n’est pas en mesure d’exercer correctement sa fonction de recherche de la vérité lorsqu’elle doit traiter des causes de nature criminelle grave. En fait, à long terme, le public pourrait croire que la cour martiale n’est pas en mesure d’apprécier et de traiter correctement les infractions de nature criminelle, qui constituent d’abord des infractions d’ordre militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale, non seulement en raison de leur gravité, mais aussi en raison de sa capacité à apprécier correctement la gravité du contexte dans lequel elles ont été présumément commises.

 

[67]           Dans le présent cas, je suis d’avis qu’une personne raisonnable au fait de l’ensemble des circonstances pertinentes et des valeurs sous-jacentes de la Charte, conclurait que l’utilisation d’éléments de preuve donnés ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[68]           En effet, l’obtention des deux mandats de perquisition dans cette affaire ne résulte pas d’une conduite ou de pratiques policières inacceptables, mais plutôt d’une autorisation judiciaire qui a été accordée sur la base d’une croyance sincère d’un policier que l’utilisation à l’insu des victimes, qui ont été posées ou filmées totalement nue ou en train de performer un acte sexuel avec le requérant, constituait en soi la commission d’une infraction de voyeurisme. Dans ce cas ci, la démonstration véritable de motifs considérés erronément sur un aspect particulier de l’infraction de voyeurisme, probables et raisonnables, autant par le policier que par l’autorité judiciaire, a donné lieu à une atteinte à la vie privée du requérant. Cependant, le fait d’écarter la preuve dans les circonstances de l’espèce minerait, à mon avis, la confiance du public.

[69]           En conséquence, je suis tout à fait convaincu que l’exclusion de la preuve identifiée au tableau de la pièce R1-VD1-17 déconsidérerait l’administration de la justice.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[70]           DÉCLARE que le requérant a établi par prépondérance de preuve que les éléments de preuve identifiés à la pièce R1-VD1-17 ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à son droit d’être protéger contre les saisies abusives, tel que prévu à l’article 8 de la Charte.

 

[71]           DÉCLARE qu’eu égard aux circonstances que l’utilisation des ces éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et qu’ils ne doivent pas être exclus en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

[72]           Et finalement, REJETTE la requête.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de l'intimée

 

Capitaine de Corvette P.D. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat du requérant

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