Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 30 avril 2012

Endroit : BFC Edmonton, édifice 403, chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 250$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Butt, 2012 CM  3006

 

Date :  20120502

Dossier :  201203

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Edmonton

Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat M.E. Butt, contrevenant

 

En présence du Lieutenant-Colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le Soldat Butt est accusé d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur, infraction prévue à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale. Les faits sur lesquels se fonde ce chef d’accusation sont liés à un événement qui est survenu à l’extérieur du camp de l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan, le 25 septembre 2011. L’affaire a été instruite le 30 avril 2012. Trois témoins ont été entendus au cours du procès. L’accusé a décidé de ne pas présenter de défense. Comme l’avocat de la défense l’a expliqué, l’accusé a plaidé essentiellement que la poursuite ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver hors de tout doute raisonnable la mens rea requise pour l’infraction reprochée.

 

[2]               La preuve présentée se compose de ce qui suit :

 

a)                  les témoignages entendus, à savoir, suivant l’ordre de comparution devant la cour, celui de l’Adjudant Heselton, celui du Caporal‑chef McRae et celui de l’Adjudant Moores;

 

b)                  les éléments visés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve dont la cour a pris judiciairement connaissance.

 

[3]               Avant le déploiement en Afghanistan, en juin 2011, de la section 3 du peloton 4 à laquelle il était affecté, le Soldat Butt a reçu un entraînement préalable d’une durée de six à sept mois, où il a appris comment et quand porter son équipement de protection personnel. Cet équipement comprend essentiellement un casque, des lunettes de protection balistique, une veste pare-éclats, des gants et, au besoin, un masque à gaz. Pendant toute la durée de la phase d’entraînement, les membres du peloton étaient tous tenus de porter leur équipement de protection personnel complet en tout temps. Les membres du peloton peuvent se procurer cet équipement et les articles de remplacement au magasin d’habillement. En cas de perte d’un article, ils doivent remplir une déclaration d’article perdu pour le faire remplacer. Durant la phase préalable au déploiement, les membres du peloton, y compris le Soldat Butt, ont surtout effectué des exercices relatifs aux ordres de convoi, aux opérations de convoi avec objectifs, aux opérations en situation d’embuscade avec dispositif explosif improvisé, aux patrouilles de déminage et à la sécurisation du terrain. Durant les exercices de convoi, les membres du peloton portaient leur équipement de protection personnel complet, y compris les lunettes de protection balistique.

 

[4]               Les membres du peloton 4 ont quitté le pays le 23 juin 2011 et sont arrivés à l’aérodrome de Kandahar le 25 juin 2011. Dès leur arrivée sur le théâtre des opérations, ils ont tous été informés de diverses questions, notamment du fait qu’ils devaient porter leur équipement de protection personnel complet dès qu’ils se trouvaient à l’extérieur du périmètre de sécurité, à savoir, selon l’interprétation de la cour, à l’extérieur des limites du camp de l’aérodrome de Kandahar. Un représentant des services médicaux leur a dit qu’ils devaient porter les lunettes de protection balistique à la place de tout autre type de lunettes, y compris les lunettes de soleil, parce qu’elles offraient une meilleure protection.

 

[5]               Avant l’incident allégué ayant donné lieu à l’accusation, le Soldat Butt a perdu ses lunettes de protection balistique sur le théâtre des opérations et en a obtenu d’autres en remplacement au magasin d’habillement. En résumé, lorsqu’il s’est aperçu qu’il ne les avait plus, il a cru qu’il les avait égarées et il en a parlé au commandant adjoint de sa section, le Caporal-chef McRae. En tant que son supérieur, le Caporal‑chef McRae a dit à l’accusé que, pour éviter de les perdre de nouveau, il devait porter des lunettes de soleil à la place des lunettes de protection balistique lorsqu’il était au camp, les munir d’un cordon, les porter autour du cou avec le cordon s’il les enlevait et les ranger dans leur étui rigide qu’il pouvait mettre dans la pochette du bas de sa veste tactique. À vrai dire, les superviseurs du Soldat Butt savaient très bien qu’il lui arrivait régulièrement de perdre des articles de son équipement personnel.

 

[6]               Après son arrivée sur le théâtre des opérations, le Soldat Butt a passé environ deux semaines avec la compagnie de protection de la force du peloton 4. Il a ensuite été intégré au personnel du quartier‑maître de compagnie parce qu’il pouvait difficilement prendre place dans le nouveau véhicule blindé léger (VBL) utilisé à l’aérodrome de Kandahar. Il était trop grand pour s’asseoir dans les nouveaux sièges qui étaient beaucoup plus hauts. Il a été réintégré au peloton le 27 septembre 2011, soit deux jours après l’incident allégué devant la cour.

 

[7]               Trois ou quatre jours avant la mission, le commandant intérimaire du peloton, l’Adjudant Heselton, a appris que son peloton était chargé d’une mission de destruction d’une bombe le 25 septembre 2011 qui consistait principalement à procéder au transport de munitions jusqu’à un endroit situé à 15 minutes du camp où on la ferait exploser.

 

[8]               L’Adjudant Heselton connaissait le Soldat Butt depuis un certain temps; il l’avait eu sous son commandement pendant les deux dernières années. Compte tenu du fait qu’il avait participé à peu de missions à l’extérieur du périmètre de sécurité et du fait que le peloton avait besoin d’aide, le Soldat Butt a été chargé d’agir comme cochauffeur d’un véhicule de soutien blindé lourd (VSBL), un véhicule de transport blindé de 10 tonnes, pour cette mission.

 

[9]               Dans la matinée du 25 septembre 2011, le Soldat Butt était présent à la section du quartier‑maître de compagnie lorsque l’Adjudant Heselton a donné les instructions pour réaliser cette mission. Ce dernier a mentionné en particulier que l’équipement de protection personnel complet devait être porté en tout temps à l’extérieur du périmètre de sécurité, ce qui incluait les lunettes de protection balistique. Or, au moment où il se trouvait dans le camion et où les véhicules s’apprêtaient à partir en mission, le Soldat Butt s’est aperçu qu’il n’avait pas ses lunettes de protection balistique. Une fois sur les lieux désignés, situés à l’extérieur du périmètre de sécurité, pendant que le Soldat Butt déchargeait les munitions du véhicule avec les sapeurs, le Caporal‑chef McRae et l’Adjudant Heselton se sont aperçus qu’il ne portait pas ses lunettes de protection balistique.

 

[10]           L’Adjudant Heselton lui a alors demandé s’il avait ses lunettes de protection balistique et le Soldat Butt a répondu par la négative. Il a dit à l’Adjudant qu’il avait les verres, et il les lui a montrés, mais qu’il n’avait pas la monture. L’Adjudant a prêté ses propres lunettes de protection balistique au Soldat Butt et il est retourné à sa tourelle où il a mis les lunettes spécialement conçues pour l’équipage.

 

[11]           Une fois de retour au camp, le Caporal‑chef McRae a demandé au Soldat Butt de fouiller sa chambre et l’autre endroit où son attirail de combat complet était rangé, pour voir s’il pouvait trouver ses lunettes de protection balistique, mais il n’a pas réussi à les trouver. Le même jour, l’Adjudant Moores qui agissait comme sergent‑major intérimaire pour le quartier‑maître de compagnie a été chargé de faire enquête sur cette affaire.

 

[12]           Avant que la Cour ne procède à l’analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, une norme inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[13]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut‑être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire, comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction.

 

[14]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle la poursuite s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[15]           Le tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité ou si pareil doute subsiste après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans R c Lifchus [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes établis dans Lifchus ont été appliqués dans nombre de décisions subséquentes rendues par la Cour suprême et les cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne a été accusée n’est absolument pas une indication de sa culpabilité. J’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation déposé devant le tribunal.

 

[16]           Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[17]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pour ainsi dire impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a aucune obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, en l’occurrence celle du Soldat Butt. Pour mettre les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[18]           En quoi consiste une preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photos, des cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en des témoignages d’experts, en des aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou en des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance. Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés devant la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[19]           La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Ainsi, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, et les raisons qu’il a de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits étaient dignes d’intérêt, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a‑t‑il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes a‑t‑il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est‑il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[20]           L’apparente capacité du témoin à se souvenir constitue un autre facteur à prendre en compte pour apprécier sa crédibilité. L’attitude du témoin pendant son témoignage peut servir à apprécier sa crédibilité : le témoin s’est‑il montré réceptif aux questions, franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant ou ergoteur? Enfin, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits non contredits?

 

[21]           Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours de légères contradictions faites involontairement, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’on doive l’écarter. Il en va tout autrement d’une fausse déclaration faite délibérément. Pareille déclaration est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.

 

[22]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[23]           L’article 83 de la Loi sur la défense nationale est rédigé comme suit :

 

Quiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité.

 

[24]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable, à savoir l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation. Elle devait également prouver les éléments additionnels suivants : le fait qu’un ordre a été donné au Soldat Butt, que cet ordre était légitime et que le Soldat Butt a reçu cet ordre ou en a eu connaissance, le fait que le Soldat Butt a reçu l’ordre d’un supérieur et qu’il connaissait le rang de ce dernier, le fait que le Soldat Butt n’a pas obtempéré à cet ordre et, enfin, l’état d’esprit répréhensible du Soldat Butt.

 

[25]           Premièrement, la cour conclut que la crédibilité et la fiabilité des témoins de la poursuite ne sont pas en cause dans le présent procès. Ils se sont tous montrés francs et calmes. Il est évident pour la cour qu’ils n’ont aucun intérêt dans l’issue du procès et qu’ils se sont tous montrés réceptifs aux questions qui leur ont été posées par les deux parties et par la cour. Lorsqu’ils ne comprenaient pas une question, ils n’hésitaient pas à demander qu’elle soit répétée. Une fois même, le Caporal‑chef McRae a été interrogé sur une déclaration qu’il avait faite antérieurement et il a admis sans hésiter que c’est ce qu’il avait dit dans sa déclaration antérieure qui était exact. À vrai dire, les faits étayant la présente affaire ne prêtent pas à controverse.

 

[26]           La cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que la poursuite a prouvé l’identité de l’accusé, ainsi que la date et le lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation. De plus, la cour est convaincue que la poursuite s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver hors de tout doute raisonnable que l’ordre de porter les lunettes de protection balistique a été donné au Soldat Butt, que cet ordre était légitime, que le Soldat Butt a reçu cet ordre ou en avait eu connaissance. La cour conclut également que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le Soldat Butt avait reçu cet ordre d’un supérieur, à savoir l’Adjudant Heselton, et que l’accusé connaissait le rang de ce dernier. Enfin, la cour est convaincue que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le Soldat Butt n’a pas obtempéré à cet ordre.

 

[27]           Comme l’a avancé l’avocat de la défense, le seul élément essentiel qu’il reste donc à examiner dans la présente affaire est la question de savoir si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable l’état d’esprit répréhensible du Soldat Butt au moment où il a commis l’infraction. L’avocat de la défense a fait valoir devant la cour que la poursuite n’a pas réussi à prouver que le Soldat Butt avait la mens rea requise pour commettre l’infraction d’ordre militaire de désobéissance à un ordre légitime. Il a avancé que, comme il n’avait pas ses lunettes de protection balistique avec lui parce qu’il les avait égarées, l’accusé ne pouvait avoir commis volontairement l’infraction parce qu’il ne s’était pas placé intentionnellement dans cette situation.

 

[28]           Dans la décision R c Matusheskie, 2009 CMAC 3, au paragraphe 17, la Cour d’appel de la cour martiale a déclaré ce qui suit :

 

L’intention est un élément constitutif de l’infraction de désobéissance à un ordre légitime, prévue à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale. En l’absence de preuve de l’intention requise, l’infraction n’a pas été établie.

 

[29]           Dans R c Latouche, CMAC-431, la Cour d’appel de la cour martiale a saisi l’occasion pour formuler des observations et se pencher sur la question de savoir ce qui constitue la mens rea en général. Aux paragraphes 19 à 23, elle a déclaré :

 

[19]         Par conséquent, il est nécessaire de brièvement revoir le concept général de l’élément mental requis pour une infraction criminelle, connu sous le nom de mens rea. Pour commencer, une infraction criminelle est composée d’un actus reus (conduite prohibée) et d’une mens rea (état d’esprit coupable). En d’autres termes, une infraction criminelle consiste en un acte prohibé, commis dans des circonstances spécifiques, combiné à un état d’esprit coupable, tous deux étant prévus soit par la loi ou par la common law. Il est important de noter que c’est la définition de l’infraction criminelle prévue par la loi qui détermine les éléments matériel et mental essentiels de l’infraction.

 

[20]         Mens rea, qui veut dire littéralement « état d’esprit coupable », fait référence à l’état d’esprit répréhensible requis pour la perpétration de l’infraction particulière qui fait l’objet de l’accusation, tel que le prévoient les éléments constitutifs du crime. La mens rea est donc définie par les éléments essentiels du crime. La mens rea n’est pas une notion immuable. La mens rea varie plutôt d’un crime à un autre. La mens rea exige généralement non seulement une intention, qu’elle soit générale ou spécifique, de commettre un acte prohibé, mais également la connaissance de certains faits ou l’aveuglement volontaire quant à certains faits pertinents qui peuvent ou non avoir trait à un résultat ou à une conséquence prohibée de la conduite de l’accusé. Dans tous les cas, bien des choses dépendent des éléments essentiels constitutifs de l’infraction présumée. D’autre part, la mens rea d’une infraction peut nécessiter soit la perpétration intentionnelle d’un acte prohibé, soit la connaissance d’une situation prohibée combinée à la connaissance des faits pertinents ou à l’aveuglement volontaire quant à ces faits.

 

[21]         La mens rea peut également être de nature subjective ou objective. L’état d’esprit répréhensible que doit avoir l’accusé peut provenir de la négligence, de la connaissance, du caractère délibéré, de l’insouciance, de l’aveuglement volontaire ou de l’intention, ce qui dépend encore une fois de la définition du crime qui fait l’objet de l’accusation.

 

[22]         Il est également nécessaire d’examiner brièvement ce que la mens rea n’est pas. La mens rea ne pose pas l’exigence que l’accusé ait un état d’esprit moralement blâmable, répréhensible, contraire à l’éthique ou un état d’esprit malveillant. La distinction entre le caractère moralement blâmable et le caractère mentalement blâmable doit être établie. Le caractère moralement blâmable ou turpitude renvoie généralement à la motivation de l’accusé à commettre un crime. Le mobile d’un accusé ne constitue pas un élément essentiel de ce crime : un accusé peut être reconnu coupable d’un crime bien qu’il ait un bon mobile ou qu’il n’ait pas de mobile pour le commettre.

 

[30]           Aux paragraphes 24 et 25, la Cour d’appel de la cour martiale a ajouté ce qui suit :

 

[24]         Pareillement, la mens rea ne requiert pas que l’accusé doive avoir l’intention de contrevenir à la loi. En effet, un accusé n’a même pas à savoir que sa conduite constitue un crime étant donné que « [l]’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction » (« [i]gnorance of the law by a person committing an offence is not an excuse for committing that offence »), article 19 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Par ailleurs, l’article 150 de la Loi sur la défense nationale prévoit que :

 

150. Le fait d'ignorer les dispositions de la présente loi, de ses règlements ou des ordonnances ou directives dûment notifiées sous son régime ne constitue pas une excuse pour la perpétration d'une infraction.

150. The fact that a person is ignorant of the provisions of this Act, or of any regulations or of any order or instruction duly notified under this Act, is no excuse for any offence committed by the person.

 

[25]         De même, la mens rea ne requiert pas qu’un accusé doive avoir l’intention de contrevenir à une loi s’il connaît l’état du droit qui régit sa conduite. Même lorsqu’un accusé connaît la loi et croit sincèrement que sa conduite ne contrevient pas à la loi, il peut, néanmoins, être coupable d’un crime. Une erreur de droit sincère ne constitue pas une défense relativement au crime faisant l’objet de l’accusation, bien qu’une erreur de fait sincère puisse l’être.

 

[31]           Enfin, au paragraphe 27 de la même décision, elle a affirmé ce qui suit :

 

Finalement, la mens rea est l’état d’esprit coupable requis par les éléments essentiels constitutifs du crime faisant l’objet de l’accusation, indépendamment de l’intention de l’accusé, ou de son absence d’intention, de contrevenir à la loi et indépendamment de sa connaissance de la loi, du caractère moralement blâmable de sa conduite ou de son mobile.

 

[32]           La nature de l’infraction d’ordre militaire prévue par le Code de discipline militaire, à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, a été décrite en 2010 par la Cour d’appel de la cour martiale dans R c Liwyj, 2010 CMAC 6, au paragraphe 22, en ces termes :

 

L’infraction prévue à l’article 83 de la Loi est propre au monde militaire et témoigne du fait que l’obéissance aux ordres constitue le principe fondamental de la vie militaire.

 

[33]           L’obéissance aux ordres est au cœur du métier des armes et de toute force armée. Les éléments essentiels qui définissent cette infraction très précise nous indiquent que l’état d’esprit coupable requis pour la perpétration de l’infraction est établi lorsque la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable qu’une personne assujettie au Code de discipline militaire n’a pas obtempéré à l’ordre dont elle a eu connaissance et qui a été donné par un supérieur, à moins qu’il ne soit démontré que cette personne n’y a pas obtempéré parce que cet ordre était manifestement illégitime ou parce qu’il n’y ait eu erreur de fait quant à la teneur de l’ordre ou quant à l’identité de la personne donnant l’ordre.

 

[34]           Il est intéressant de noter que, dans la présente affaire, le Soldat Butt savait avant de quitter le camp, à bord du véhicule, qu’il devait porter ses lunettes de protection balistique une fois à l’extérieur du périmètre de sécurité parce qu’un officier supérieur lui en avait donné l’ordre. Or, juste avant son départ, il s’est rendu compte qu’il ne les avait pas et, à partir de ce moment, il savait ou aurait dû savoir qu’il ne pourrait pas obéir à l’ordre donné à cet effet par l’Adjudant Heselton. Puis, tout en sachant qu’il ne serait pas en mesure d’obtempérer à cet ordre, une fois rendu sur les lieux, il est sorti du véhicule et il a décidé d’accomplir la tâche de déchargement du véhicule sans dire un mot sur sa situation. Ce n’est que lorsque l’Adjudant Heselton l’a questionné sur son défaut de respecter l’ordre qu’il a avoué qu’il ne pouvait agir conformément à cet ordre. Ces faits sont suffisants pour permettre à la cour de conclure que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable la mens rea requise pour l’infraction et ils étayent pareille conclusion.

 

[35]           Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur.

 

[36]           De plus, vu la conclusion de la cour concernant les éléments essentiels de l’infraction de désobéissance à un ordre légitime et de l’application de ces éléments aux faits de la présente affaire, la cour considère que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de preuve en établissant hors de tout doute raisonnable que, le 25 septembre 2011, à l’aérodrome de Kandahar, ou près de ce lieu, dans la province de Kandahar, en Afghanistan, le Soldat Butt a de fait désobéi à l’ordre donné par l’Adjudant Heselton de porter ses lunettes de protection balistique.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[37]           DÉCLARE le Soldat Butt coupable du seul et unique chef figurant à l’acte d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Torani, Service canadien des poursuites militaires,

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Soldat M.E. Butt

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