Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 26 mai 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.)
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Morel, 2014 CM 3011

 

                                                                                                                     Date : 20140530

                                                                                                                    Dossier : 201389

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                                     Centre Asticou

                                                  Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.E. Morel, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Rendu oralement)

 

[1]               Le sergent Morel fait l'objet d'une accusation punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale (ci-après la LDN) pour une agression sexuelle qu'il aurait commise sur S.J.B. contrairement à l'article 271 du Code criminel, et de deux autres accusations de conduite déshonorante pour un contact de nature sexuelle et certains propos qu'il aurait tenus contrairement à l'article 93 de la LDN.


 

[2]               L'audition s'est déroulée sur une période de deux jours, soit le 26 et 27 mai 2014, au cours de laquelle trois témoins ont été entendus par la cour : la plaignante dans cette affaire, le caporal-chef McCord et l'accusé, le sergent Morel. En plus de l'ordre de convocation et de l'acte d'accusation, un document a été introduit par la poursuite avec le consentement de l'accusé, soit un extrait du Concise Oxford Dictionary concernant la définition du mot « centrefold ».

 

[3]               La plaignante et le caporal-chef McCord ont témoigné en anglais sans l'aide d'un interprète, et ce, avec le consentement explicite de l'accusé.

 

[4]               Dans le cadre d'un cours de formation pour officiers d'affaires publiques des Forces canadiennes qui se déroulait du 30 avril au 2 mai 2007 dans un édifice situé au 45 rue Sacré-Cœur à Gatineau, province de Québec, le sergent Morel, technicien en imagerie, aurait reçu la tâche d'agir à titre de photographe et de caméraman afin de simuler des conférences de presse impromptues (« scrums »), et entrevues télévisées permettant d'évaluer les candidats de ce cours.

 

[5]               Selon la plaignante, en avril 2007, elle devait faire une entrevue qui faisait l'objet d'une évaluation. Elle était accompagnée d'un évaluateur, un officier des affaires publiques, le major Lee. S.J.B. s'est rendue dans le grand hall d'entrée de l'édifice où deux techniciens en imagerie l'attendaient. Ces deux personnes agissaient en tant que membres des médias et l'un d'eux devait procéder à une entrevue filmée à la caméra.

 

[6]               La plaignante a procédé à l'entrevue préparatoire en discutant avec l'une des personnes sur place. Le caméraman, le sergent Morel, qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant, plaçait un microphone sans fil sur elle afin de capter sa voix pour les fins de l'entrevue. En effet, il y a un microphone sur la caméra mais pour mieux capter le son, un deuxième microphone est installé sur la personne interviewée qui est relié par un fil à un transmetteur (« body pack »).

 

[7]               Alors que le sergent Morel installait le microphone sur son uniforme, il lui aurait dit tout doucement, presque en murmurant, tout en la touchant sur les fesses avec sa main ouverte et sans son autorisation, qu'il voulait faire d'elle une page centrale (« making me a centrefold »). Elle a trouvé ce commentaire dégoûtant. À partir de ce moment, elle ne se sentait plus bien mais elle a procédé à l'entrevue, telle que prévue dans le scénario. Elle a senti un bref contact d'une main ouverte sur une de ses fesses.

 

[8]               Ce geste a provoqué chez elle une sensation de répugnance et de manque de respect. L'autre technicien en imagerie présent était le caporal-chef McCord, un ami proche de la plaignante, qu'elle connaissait déjà depuis environ trois ans. Il prenait des photos et il était situé à une distance lui permettant d'entendre les propos du sergent Morel, s'il portait attention à ce qui se passait, soit à un maximum de quatre mètres.

 

[9]               Aucun autre propos de cette nature n'a été dit ou échangé car l'entrevue a débuté. Elle a reçu un compte rendu du major Lee immédiatement après concernant sa performance durant cette entrevue. Le soir même, elle a parlé de l'incident à son époux et elle en a discuté avec le caporal-chef McCord qui aurait entendu quelque chose.

 

[10]           Ce dernier a plutôt décrit l'incident à la cour comme une conversation entre le sergent Morel et la plaignante qui aurait eu lieu durant la pause-café, moment qui suivait la performance de la plaignante, dans le contexte d'un scénario de simulation d'une conférence de presse impromptue (« scrum ».) Il aurait vu les deux individus se parler et il a remarqué que la plaignante semblait agitée, sous le choc. Le sergent Morel aurait approché la plaignante. Alors qu'il était à peu près à sept pieds d'eux, il aurait entendu le sergent Morel dire à la plaignante qu'elle ferait une belle photo pour la page centrale d'un magazine (« she would make a good centrefold picture »). Il n'a pas vu, à aucun moment, le sergent Morel avoir un contact physique avec la plaignante. Les mots utilisés par le sergent Morel l'ont choqué. L'incident aurait duré de trois à cinq minutes.

 

[11]           La plaignante a référé à l'incident par la suite, lors de son entrevue concernant son rapport final concernant l'ensemble de sa performance sur le cours. Ne sachant pas si un tel incident étant parti du scénario, et considérant qu'il avait été noté que sa performance avait décliné à un certain moment durant le cours, elle voulait en avoir le cœur net concernant cet événement. Elle a donc appris qu'une telle chose n'était pas incluse d'aucune façon dans le scénario de l'entrevue. Elle a consulté le conseiller en harcèlement et le commandant a été informé de la situation.

 

[12]           Elle a rencontré son commandant et après discussion, selon sa compréhension des choses, cet incident serait gardé et traité à un niveau informel pour plusieurs raisons : ne pas ruiner la carrière d'un militaire; ne pas affecter sa propre transition de carrière et à la possibilité d'être mutée en raison des procédures; prendre une approche permettant de faire réaliser à l'auteur que son comportement est totalement inapproprié parce qu'il ignore peut-être que c'est le cas. Le commandant, toujours selon la compréhension de la plaignante, s'engageait à prendre les actions suivantes : aviser le sergent Morel de son comportement fautif et faire en sorte qu'il ne soit plus utilisé dans un tel rôle dans le cadre de la formation des officiers d'affaires publiques.

 

[13]           Elle a discuté de l'incident avec le caporal-chef McCord quelques fois en 2007-2008 mais par la suite, elle a tourné la page.

 

[14]           C'est seulement en mai 2012, qu'elle a rencontré à nouveau le sergent Morel dans le cadre d'une réunion professionnelle où elle s'est retrouvée seule avec lui afin d'examiner certains documents. Elle est retournée à la maison ce soir-là, et elle a réalisé que le sergent Morel était la personne qui était impliquée directement dans l'incident de 2007, suite à certains propos qu'il a banalement mentionnés cette journée-là et qui ont agi à titre d'éléments déclencheurs sur la mémoire de la plaignante. Elle a confirmé avec le caporal-chef McCord l'identité du sergent Morel comme étant celui qui avait été impliqué dans l'incident de 2007 avec elle.

 

[15]           Suite à cela, elle a décidé d'écrire à son commandant sur les détails de l'incident qui justifiait, selon elle, son retrait de la tâche qu'elle accomplissait car il devenait inapproprié pour elle de continuer à travailler avec le sergent Morel.

 

[16]           Une enquête de la police militaire a suivi. Des accusations ont été portées à l'égard du sergent Morel en juin 2013 concernant cette affaire.

 

[17]           Avant d'appliquer le droit aux faits de la cause il est important de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une composante essentielle de la présomption d'innocence.

 

[18]           Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du Code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau de preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation. Un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il peut être fondé non seulement sur la preuve mais aussi sur l'absence de preuve. La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve, elle s'applique à l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé. Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve.

 

[19]           Dans l'arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, au paragraphe 242, le juge Iacobucci pour la majorité a indiqué :

 

[...] qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités...

 

            Il est toutefois opportun de se rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. En d'autres mots, si la cour est convaincue que le sergent Morel est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité. La cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes. Si la cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du sergent Morel qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter.

 

[20]           Qu'entend-t-on par la preuve? La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes et d'autres éléments déposés par des témoins, de témoignages d'experts, de faits aussi officiellement admis par la poursuite ou la défense, et de matières dont le tribunal a connaissance judiciaire d'office en vertu des Règles militaires de la preuve. Il n'est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Des témoins ont souvent des souvenirs différents des évènements et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles.

 

[21]           La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d'un témoignage, par exemple, il doit évaluer la possibilité d'observer qu'a eu le témoin, ce qui l'incite à se souvenir, par exemple si les évènements étaient remarquables, inhabituels et frappants ou, au contraire, insignifiants et par conséquent tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Il doit aussi se demander si le témoin a un intérêt dans l'issue du procès, en d'autres termes s'il a une raison de favoriser la poursuite ou la défense ou s'il est impartial. Ce dernier facteur s'applique aussi mais de façon différente à l'accusé bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé ait intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[22]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité, la capacité apparente du témoin à se souvenir. Il est possible d'observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité. Il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives ou encore hésitantes, s'il argumentait, et en fait, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés. Un témoignage peut comporter, et en fait, comporte toujours des contradictions mineures et involontaires mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement de mensonges qui constituent toujours un acte grave et risque d'entacher l'ensemble d'un témoignage. Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

 

[23]           Il s'agit ici de l'un des cas où l'approche à suivre concernant l'évaluation de l'effet de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage d'un accusé devant la cour en fonction de la notion de doute raisonnable a été exprimée par la Cour suprême du Canada dans la décision R c W(D), [1991] 1 RCS 742. Cette décision doit être appliquée parce que l'accusé, le sergent Morel, a témoigné.

 

[24]           Le piège que cette cour doit éviter cependant est d'apparaître ou d'être dans une situation où elle choisit entre deux versions dans le cadre de son analyse, soit entre celle présentée par la poursuite et celle mise de l'avant par l'accusé, tel que le rappelait encore récemment la Cour suprême du Canada dans la décision R c Vuradin, 2013 SCC 38, au paragraphe 21 :

 

La question primordiale qui se pose dans une affaire criminelle est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé : W.(D.), p. 758. L’ordre dans lequel le juge du procès énonce des conclusions relatives à la crédibilité des témoins n’a pas de conséquences dès lors que le principe du doute raisonnable demeure la considération primordiale. Un verdict de culpabilité ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 6‑8. Les juges de première instance n’ont [...] pas l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict : voir R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499, par. 29.

 

[25]           L'article 271 du Code criminel est ainsi rédigé :

 

Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

a)       soit d'un acte criminel [et] passible d'un emprisonnement maximal de dix ans...

 

b)    soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois...

 

[26]           Dans l'arrêt R c Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge McIntyre a donné une définition de l'agression sexuelle :

 

11.  [...] L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant le paragraphe 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime...

 

 

            Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

 

Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a)       d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

[...]

 

[27]           Dans l'arrêt R c Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, il a été établi par la Cour suprême du Canada que pour qu'un accusé soit déclaré coupable d'agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu'il a commis l'actus reus et qu'il avait la mens rea requise.

 

[28]           L'actus reus de l'agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités et il est établi par la preuve de trois éléments : les attouchements, la nature sexuelle des contacts, et l'absence de consentement.

 

[29]           Le consentement met en cause l'état d'esprit de la plaignante. La plaignante a-t-elle volontairement consenti à ce que l'accusé fasse ce qu'il a fait de la manière dont il l'a fait au moment où il l'a fait, autrement dit, la plaignante voulait-elle que l'accusé fasse ce qu'il a fait. Un accord volontaire est un accord que donne une personne qui est libre d'être en accord ou en désaccord de son propre gré.

 

[30]           Le seul fait que la plaignante n'ait pas résisté, ni livré bataille, ne veut pas dire qu'elle a consenti à ce que l'accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qu'il va arriver et décide sans l'influence de la force, de menace, de crainte, de fraude ou d'un abus d'autorité de laisser les évènements se produire.

 

[31]           La mens rea est l'intention de se livrer à des attouchements sur une personne tout en sachant que celle-ci n'y consent pas en raison de ses paroles ou de ses actes ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cet absence de consentement.

 

[32]           Ici la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

(a)                la poursuite devait prouver l'identité de l'accusé et la date et le lieu tels qu'allégués dans l'acte d'accusation;

 

(b)               la poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants :

 

i.        le fait que le sergent Morel avait employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante;

 

ii.      le fait que le sergent Morel avait employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante;

 

iii.    le fait que la plaignante n'avait pas consenti à l'emploi de la force;

 

iv.    le fait que le sergent Morel avait connaissance de l'absence de consentement de la plaignante ou qu'il a fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à cet égard; et

 

v.      le fait que les contacts du sergent Morel, à l'endroit de la plaignante, était de nature sexuelle.

 

[33]           Quant à l'article 93 de la Loi sur la défense nationale, il se lit comme suit :

 

Tout comportement cruel ou déshonorant constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, d'un emprisonnement de cinq ans.

 

[34]           Concernant cette accusation, la poursuite devait donc prouver les éléments essentiels suivants :

 

(a)                l'identité de l'accusé, la date et le lieu allégués pour chacune des infractions à l'acte d'accusation ;

 

(b)               que l'accusé a eu un comportement déshonorant.

 

[35]           En ce qui concerne la démonstration que l'accusé a eu un comportement déshonorant, cela signifie que l'accusé s'est comporté de manière inacceptable, choquante, dégradante, indécente ou d'une très mauvaise manière.

 

[36]           De manière générale, afin de déterminer de manière objective cet élément essentiel, la cour utilisait habituellement la norme du seuil de tolérance de la société. À mon avis, ce critère a fait l'objet de certaines critiques en matière pénale et doit laisser place à une nouvelle manière d'aborder la question.

 

[37]           En effet, dans une cause où la Cour suprême du Canada a eu à discuter de la notion d'indécence dans un contexte de droit criminel, elle a établi une appréciation différence basée sur le préjudice important objectivement vérifiable. Il s'agit de la décision de la majorité dans  R c Labaye, [2005] 3 RCS 728. Au paragraphe 62 de la décision, la cour a établi, d'un point de vue juridique, que deux choses doivent être prouvées hors de tout doute raisonnable. Premièrement, de par sa nature, la conduite en litige cause ou présente un risque appréciable que soit causé, à des personnes ou à la société, un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et donc reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale semblable, notamment : 

 

(a)                en exposant les membres du public à une conduite qui entrave de façon appréciable leur autonomie et leur liberté;

 

(b)               en prédisposant autrui à adopter un comportement antisocial; et

 

(c)                en causant un préjudice physique ou psychologique aux personnes qui participent aux activités.

 

[38]           Deuxièmement, le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré tel qu'il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société. Ce test en deux volets doit être appliqué objectivement et en fonction de la preuve.

 

[39]           À mon avis, ce critère s'applique parfaitement et doit recevoir application dans le contexte de la détermination de l'élément essentiel relatif au comportement déshonorant.

 

[40]           La Cour suprême a réitéré la validité de cette approche dans l'arrêt R c Katigbak, 2011 CSC 48. Au paragraphe 66 de cette décision, la cour s'exprime ainsi :

 

Dans R. c. Labaye, 2005 CSC 80, [2005] 3 R.C.S. 728, les juges majoritaires de notre Cour ont rejeté l’approche fondée sur les « valeurs morales de la société »qui servait à déterminer ce qui était « indu » et l’ont remplacée par une norme fondée sur le préjudice important objectivement vérifiable. S’exprimant pour la majorité, la juge en chef McLachlin a formulé le raisonnement suivant :

 

[A]u fil du temps, les tribunaux en sont venus progressivement à reconnaître que les valeurs morales et les goûts étaient subjectifs et arbitraires, qu’ils n’étaient pas fonctionnels dans le contexte criminel, et qu’une grande tolérance des mœurs et pratiques minoritaires était essentielle au bon fonctionnement d’une société diversifiée. Cela a mené à l’adoption d’une norme juridique fondée sur un préjudice objectivement vérifiable plutôt que sur une désapprobation subjective. [Nous soulignons; par. 14.]

 

En plus de poser l'exigence relative au préjudice objectivement vérifiable, la Cour a conclu dans cet arrêt que la conduite de l'accusé doit poser un « risque appréciable de préjudice » (par. 30) ou créer un niveau de préjudice qui est « incompatible avec le bon fonctionnement de la société » (par. 24).

 

[41]           À mon humble avis, cette approche doit recevoir pleine application dans le contexte de cette infraction, compte tenu qu'il s'agit pour la cour de faire une détermination très similaire sur cette question, faisant à première vue, appel aux valeurs morales.

 

[42]           Ainsi, après avoir procédé à cet exposé sur la présomption d'innocence et sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, j'examinerai maintenant les questions en litige.

 

[43]           Tout d'abord, la cour conclut que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels relatifs à la date et au lieu concernant chacune des infractions. Essentiellement, le témoignage du sergent Morel, de la plaignante et du caporal-chef McCord concordent sur ce point et ne laissent aucun doute à l'effet que ces infractions auraient été commises entre le 30 avril et le 2 mai 2007 au 45 boulevard Sacré-Cœur à Gatineau, province de Québec, telles qu'alléguées dans l'acte d'accusation.

 

[44]           La preuve soumise par l'accusé, autant que celle de la poursuite, reposent essentiellement sur une preuve de nature testimoniale. Considérant le temps qui s'est écoulé depuis l'incident, soit sept ans, il appert de cette preuve, qu'elle pose un grand défi pour cette cour, plus au niveau de la fiabilité que la crédibilité, comme l'a d'ailleurs si bien souligné l'avocat de la défense.

 

[45]           Le sergent Morel a témoigné de manière calme et directe. Il a répondu aux questions sans problème, au meilleur de ce que sa mémoire pouvait lui permettre de faire. Il a déclaré à la cour qu'il était bel et bien sur place aux dates indiquées dans chacun des chefs d'accusation, mais qu'il n'a aucun souvenir d'avoir interagi d'aucune manière avec la plaignante. Il affirme qu'il est tout à fait possible qu'il ait pu se retrouver en sa présence, et que si cela avait été le cas, il n'aurait pas eu, en aucun cas, le comportement qui lui est reproché devant cette cour. Essentiellement, il nie catégoriquement avoir agressé sexuellement ou avoir eu une conduite déshonorante à l'égard de la plaignante.

 

[46]           Or, comment l'accusé peut-il affirmer sans sourciller qu'il n'a pas commis les infractions reprochées s'il n'a aucun souvenir d'une rencontre avec la plaignante et qu'il admet qu'il soit tout à fait possible qu'il l'ait rencontrée? L'accusé se base sur son professionnalisme pour affirmer qu'il ne ferait jamais une pareille chose mais il n'a soumis à la cour aucun exemple d'un tel professionnalisme autre que sa propre affirmation générale et personnelle sur cette question. En fait, il a tenté d'avancer une preuve de bonne réputation sans vraiment fournir une preuve tangible sur cet aspect.

 

[47]           Sur la base de cette seule affirmation, la cour n'est pas prête à prononcer un verdict d'acquittement sur l'ensemble des chefs d'accusation. Par contre, la cour se doit de souligner que dans le contexte de la preuve de la poursuite, le témoignage de l'accusé, même si la cour en vient à la conclusion qu'elle ne le croit pas, soulève un doute raisonnable suffisant pour prononcer un verdict d'acquittement sur l'ensemble des accusations.

 

[48]           En effet, son témoignage révèle clairement que la plaignante a eu toutes les difficultés du monde à l'associer avec l'incident de 2007, alors qu'en 2012, elle a été en présence du sergent Morel. Le sergent Morel a souligné dans son témoignage qu'entre octobre 2011 et mai 2012, il a travaillé dans le même environnement que la plaignante, qu'il a interagi directement avec elle dans un programme relié à la promotion de la mascotte des Forces canadiennes auprès du public canadien. La plaignante n'a référé d'aucune manière à cette période et elle a témoigné qu'en mai 2012, un élément d'une conversation avec l'accusé dans le cadre de son travail a déclenché quelque chose dans sa mémoire et qu'elle a dû confirmer avec l'un de ses amis, témoin de l'incident de 2007, que le sergent Morel était bel et bien celui qui était impliqué dans l'incident de 2007 avec elle.

 

[49]           Le témoignage de l'accusé jette ainsi un doute sur la capacité de la plaignante d'avoir une mémoire indépendante des événements et de pouvoir identifier par elle-même le sergent Morel qui comparaît devant cette cour comme étant bel et bien celui qui aurait commis les infractions reprochées.

 

[50]           Au surplus, le témoignage de la plaignante souffre aussi d'un grand problème de fiabilité, même si sur le plan de la crédibilité, la cour ne voit aucun problème. En effet, elle a clairement affirmé à la cour qu'après 2008, elle avait tourné la page sur l'incident en question et qu'elle n'en avait pas discuté jusqu'au moment où sa mémoire lui a indiqué en 2012 que le sergent Morel, avec qui elle travaillait à ce moment-là, était probablement le même individu impliqué dans l'incident de 2007.

 

[51]           Quant à l'incident lui-même, elle a une idée du sens des paroles qui auraient été dites par le sergent Morel et du contact qui aurait été fait en même temps. Par contre, elle est incapable de décrire quels vêtements de son uniforme elle portait le jour de l'incident, comment était habillé le sergent Morel et le caporal-chef McCord pour effectuer leur tâche et la manière exacte dont s'est effectué le contact. Elle n'a pas été en mesure de fournir une description détaillée du contact, tel que quelle main du sergent Morel l'aurait touchée, s'il était du côté gauche ou droit, le côté exact qu'il a utilisé pour poser le microphone et dans quelle poche elle aurait mis le transmetteur.

 

[52]           L'autre témoin appelé par la poursuite, le caporal-chef McCord est venu, en quelque sorte, corroborer l'affirmation du sergent Morel à l'effet qu'il n'aurait pas touché la plaignante. En effet, le caporal-chef McCord a décrit l'incident d'une manière différente et seules les paroles dites par le sergent Morel ont une certaine similitude avec le témoignage de la plaignante.

 

[53]           Le caporal-chef McCord a décrit l'incident comme s'étant produit durant la pause-café après un exercice de conférence de presse impromptue («scrum») impliquant la plaignante, ce qui est totalement différent des circonstances décrites par la plaignante elle-même. Il a confirmé que l'accusé n'aurait en aucun cas touché la plaignante. Il a aussi confirmé qu'elle l'a contacté en 2012 afin de discuter de l'identité du sergent Morel.

 

[54]           Il a aussi mentionné que la conversation entre le sergent Morel et la plaignante aurait été d'une durée de trois à cinq minutes. Durant toute cette conversation, des propos harcelants ou de nature sexuelle auraient été dits par le sergent Morel. Cependant, le caporal-chef McCord n'est en mesure que de rapporter qu'une seule phrase de l'ensemble de cette conversation et durant laquelle il lui est apparu que la plaignante était agitée et sous le choc.

 

[55]           Ce témoignage a pour effet aussi, au même titre que celui du sergent Morel, de jeter un doute sur la fiabilité du témoignage de la plaignante.

 

[56]           En dernier lieu, la plaignante a indiqué qu'elle avait discuté de manière assez contemporaine de l'incident avec ses supérieurs. Cependant, la poursuite n'a pas produit des témoins qui auraient pu fournir des indications sur la teneur exacte de ces conversations. La cour retient cependant, puisque cela n'est pas contredit, que la plaignante a soulevé cet aspect des faits dans son témoignage afin d'illustrer son souci qu'un impact d'un tel incident aurait pu avoir sur l'évaluation de sa performance et de la perception qu'avaient ses supérieurs, et non pas sur l'aspect psychologique qu'il aurait pu avoir sur elle-même.

 

[57]           En résumé, d'une part le témoignage du sergent Morel est suffisant pour soulever un doute sur l'élément essentiel de l'identité en ce qui concerne les trois chefs d'accusation.

 

[58]           En ce qui a trait à l'accusation d'agression sexuelle, la cour est d'avis que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve quant à l'existence du contact physique. De plus, si le contact physique avait été prouvé hors de tout doute raisonnable, la cour aurait quand même eu un doute sur le fait qu'un tel contact aurait été intentionnel, considérant le témoignage peu fiable de la plaignante.

 

[59]           Concernant le fait que le contact entre la plaignante et l'accusé aurait été de nature sexuelle, le sens à donner aux propos comporte une certaine incertitude, considérant ce qui a été rapporté par les témoins de la poursuite, et dans un cas comme dans l'autre, la cour est d'avis qu'il n'a pas été prouvé par la poursuite qu'ils visaient à violer l'intégrité sexuelle de la plaignante ou qu'ils avaient l'effet de dégrader ou diminuer la plaignante pour le plaisir sexuel de l'accusé.

 

[60]           Quant à l'infraction de conduite déshonorante, en ce qui a trait à l'élément essentiel à l'effet que l'accusé a eu un comportement déshonorant, la cour se doit de noter une absence de preuve de la part de la poursuite sur les deux volets retenus par la cour. D'une part, il n'y a pas eu de démonstration hors de tout doute raisonnable quant au premier volet, soit un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale, et d'autre part, que si un tel préjudice avait été prouvé, qu'il ou le risque de celui-ci atteint un degré tel qu'il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

 

[61]           J'ajouterais que dans la perspective où c'est plutôt l'approche concernant les valeurs morales de la société que la cour aurait dû adopter, il est intéressant de noter une absence totale de preuve présentée par la poursuite sur cet aspect, ce qui n'aurait laissé d'autre choix à la cour que de conclure à un doute raisonnable sur ce même aspect. En effet, à tout le moins, il aurait été nécessaire pour la poursuite d'établir, dans le cadre de l'application d'une norme objective, une preuve des valeurs morales impliquées afin de permettre à la cour d'apprécier objectivement la conduite de l'accusé dans les circonstances.

 

[62]           En conclusion, la cour est d'avis qu'il est possible que les infractions reprochées à l'accusé ait été commises mais elle est d'avis que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve sur plusieurs des éléments essentiels de chacune de ces infractions, considérant que le témoignage de l'accusé soulève un doute raisonnable quant à la fiabilité du témoignage de la plaignante, et que ce dernier témoignage en lui-même, apparaît peu fiable à la cour. La cour tient à souligner qu'elle ne met pas en cause la crédibilité de la plaignante dans cette affaire, cette dernière, comme le caporal-chef McCord, ayant témoigné de manière directe et sincère dans le cadre de ces procédures.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR

 

[63]           DÉCLARE le sergent Morel non coupable des trois chefs d'accusation apparaissant à l'acte d'accusation.


 

Avocats:

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major J.L.P.L. Boutin, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le sergent Morel

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