Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 avril 2008

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté, une rétrogradation au grade de matelot de première classe et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Ex-Maître de 1re classe C.G. Carlson, 2008 CM 1012

 

Dossier : 200705

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT

COLOMBIE-BRITANNIQUE

 

Date : Le 18 avril 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL MARIO DUTIL, JUGE MILITAIRE EN CHEF

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

EX-MAÎTRE DE 1RE CLASSE C.G. CARLSON

(contrevenant)

 

SENTENCE

(prononcée de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

Introduction

 

 

[1]                    Ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement au premier chef d’accusation concernant une infraction visée à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, plus précisément un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, la cour vous en déclare coupable. L’infraction en question est la suivante :

 

[traduction] Entre le 15 novembre 2005 et le 21 janvier 2006, à Victoria ou dans les environs de cette ville, ainsi qu’ailleurs en Colombie‑Britannique, il a omis de dire aux autorités compétentes que la Matc S. Robert et le Mat 1 J. Ennis consommaient à l’occasion de la cocaïne, une drogue mentionnée à l’annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et n’a pas essayé de régler lui‑même le problème; en outre, il a, pendant ses jours de congé, consommé de la cocaïne, une drogue mentionnée à l’annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et ce, à la connaissance de ses subordonnés nommés ci‑dessus.


[2]                    C’est la quatrième fois que la cour martiale permanente est saisie du cas d’un membre du NAVIRE CANADIEN DE SA MAJESTÉ SASKATOON pour des incidents relatifs à des drogues survenus à la fin de 2005 et au début de 2006. Le 28 février 2007, la Matelot‑chef Murley a inscrit des plaidoyers de culpabilité à une accusation de trafic de cannabis (marihuana) et à une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir consommé une drogue ‑ du cannabis (marihuana) ‑ sans autorisation. La contrevenante avait donné une petite quantité de marihuana à une personne qu’elle savait être une compagne de bord, mais qui était en fait une agente d’infiltration du Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Peu de temps auparavant, elle avait partagé une cigarette de marihuana avec cette agente. Le juge militaire, le Capitaine de frégate Peter Lamont, a fait les remarques suivantes dans ses motifs :

 

[10]    Dans laffaire du Matelot de 3e classe Ennis, la cour a cité les propos suivants du juge Addy qui, prononçant larrêt de la Cour dappel de la cour martiale dans laffaire R. c. MacEachern, (1985) 24 C.C.C. (3d) 439, sexprimait ainsi :

 

À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus dexécuter et du travail déquipe quexige laccomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent lutilisation darmes et dinstruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées dattacher une très grande importance à ce quaucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut‑être davantage intérêt que les autorités civiles à ce quaucun membre des forces armées nutilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage.

 

Selon la cour, ces remarques sont aussi vraies aujourdhui que lannée où elles ont été formulées, soit en 1985. Ces considérations justifient pleinement une peine comportant une période demprisonnement dans lintérêt de la dissuasion générale, et ce, même sil sagit dun premier manquement à la discipline.

 

[3]                    La Matelot‑chef Murley a été condamnée à un emprisonnement de 15 jours et à une amende de 500 $. Le juge ayant présidé le procès a sursis à la peine d’emprisonnement.

 


[4]                    Le 13 avril 2007, l’ex-Matelot-chef Robert a plaidé coupable relativement à une infraction de trafic de cocaïne, laquelle est prévue au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, et à une infraction prévue à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir consommé de la cocaïne et de la marihuana contrairement à la Politique des Forces canadiennes en matière de drogues. La contrevenante avait avoué à la police militaire le jour de son arrestation qu’elle avait consommé de la cocaïne et de la marihuana. En ce qui concerne l’accusation de trafic, elle s’était rendu compte le 15 janvier 2006 de l’intérêt d’une agente d’infiltration pour la cocaïne lorsqu’elle l’avait vue interroger le Matelot de 1re classe Ennis à ce sujet et lui dire qu’elle [traduction] « prenait de la cocaïne ». Elle avait invité l’agente d’infiltration à venir chez elle le soir du 20 janvier. Elle lui avait alors offert à deux reprises de lui donner de la cocaïne. Même si elle ne lui avait jamais demandé d’argent, la Matelot‑chef Robert avait accepté le billet de 20 $ qu’elle lui avait remis après avoir consommé de la cocaïne une deuxième fois. L’agente d’infiltration a déclaré dans son témoignage que la contrevenante était clairement sous l’effet de l’alcool et des drogues lorsqu’elle avait accepté l’argent. Le juge militaire ayant présidé l’audience, le Lieutenant‑colonel Perron, a souligné que la preuve ne démontrait pas que la contrevenante avait participé à la culture de consommation de drogues sur le NCSM SASKATOON. La contrevenante a été condamnée à un emprisonnement de 30 jours et à une amende de 500 $. Le juge a sursis à la peine d’emprisonnement dans ce cas également. Ce dernier a tenu compte, au regard du principe de la dissuasion générale, du fait que la contrevenante avait été libérée des Forces canadiennes avant le procès pour le motif prévu au point 5f). La contrevenante avait eu une enfance très difficile, ce qui avait contribué à son problème de toxicomanie, puis d’alcoolisme. Après son arrestation, elle était allée voir le commandant en second du NCSM SASKATOON pour lui demander de l’aide pour surmonter son problème. Au moment de son procès devant la cour martiale permanente, elle avait fréquenté un centre de désintoxication et était sobre depuis la fin de son traitement, en mars 2006.

 

[5]                    Le 10 août 2007, le Lieutenant-colonel d’Auteuil a présidé, en qualité de juge militaire, le procès de l’ex‑Matelot‑chef Ennis devant la cour martiale permanente. Ce dernier était accusé d’une infraction de trafic en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de deux infractions de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale pour avoir consommé une drogue contrairement à l’article 20.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC). Le contrevenant a été déclaré coupable uniquement de l’infraction punissable en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir consommé une drogue ‑ la cocaïne ‑ contrairement à l’article 20.04 des ORFC. Le Lieutenant‑colonel d’Auteuil a conclu que la peine devait mettre l’accent sur la dissuasion générale. Il a fondé sa décision sur la confession faite par l’accusé le 23 janvier 2006 et sur le témoignage d’une personne. Le contrevenant avait donné à l’enquêteur la date à laquelle il avait, avec d’autres personnes, consommé de la cocaïne et l’endroit où cela s’était passé. La nature de la substance consommée était clairement connue dans cette affaire. La cour a conclu que le contrevenant connaissait le règlement applicable et qu’il y avait contrevenu par sa conduite. Il avait clairement admis avoir consommé de la cocaïne le 21 janvier 2006 dans une auberge située à Courtney, en Colombie‑Britannique, une infraction prévue à l’article 20.04 des ORFC. L’ex‑Matelot‑chef Ennis a été condamné à une réprimande et à une amende de 2 000 $.

 

 


Les faits

 

 

[6]                    Il ressort des circonstances en l’espèce que, entre le 15 novembre 2005 et le 21 janvier 2006, à Victoria ou dans les environs de cette ville, ainsi qu’ailleurs en Colombie‑Britannique, l’ex‑Maître de 1re classe Carlson savait que deux subordonnés à bord de son navire, à savoir la Matelot‑chef S. Robert et le Matelot de 1re classe J. Ennis, consommaient de la cocaïne à l’occasion. En qualité de capitaine d’armes du NCSM SASKATOON, il savait qu’il avait l’obligation, conformément à l’article 5.01 des ORFC, de promouvoir le bien‑être, l’efficacité et l’esprit de discipline de tous ses subordonnés et de signaler aux autorités compétentes toute infraction aux lois, règlements, règles, ordres et directives pertinents qui régissent la conduite de toute personne assujettie au Code de discipline militaire, y compris le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues qui fait l’objet du chapitre 20 des ORFC. Il n’a pas essayé de régler lui‑même le problème concernant ses subordonnés. De plus, il avait consommé de la cocaïne à l’occasion pendant ses jours de congé et ce, à la connaissance de la Matelot‑chef Robert et du Matelot de 1re classe Ennis. L’enquête qui a mené au dépôt des premières accusations n’a cependant pas démontré que le contrevenant avait possédé ou consommé de la cocaïne ou une autre drogue illicite à bord du NCSM SASKATOON. Dans le cadre de l’enquête, une agente d’infiltration ‑ une policière ‑ a travaillé comme commis administrative auprès de l’ex‑Maître de 1re classe Carlson sur le navire. Il importe également de mentionner que ce dernier a fréquenté le Edgewood Residential Addictions Treatment Centre à compter du 8 février 2006 à cause de sa consommation de cocaïne. Le 24 avril 2006, il a reçu signification d’un Registre de procédure disciplinaire qui faisait état des premières accusations déposées contre lui. L’accusation dont la cour est saisie aujourd’hui est différente de ces accusations. Le 27 avril 2006, l’ex‑Maître de 1re classe Carlson a reçu signification d’un avis de l’intention de son commandant de recommander sa libération. Son contrat de travail, qui devait prendre fin en janvier 2007, a été résilié le 15 juin 2006. L’ex‑Maître de 1re classe Carlson a été libéré des Forces canadiennes en mai 2007, pour le motif prévu au point 5f) (Inapte à continuer son service militaire). Ce motif s’applique à la libération d’un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement soit principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l’administration des Forces canadiennes, selon la personne qui autorise la libération. Il faut mentionner que, lorsqu’un militaire est libéré pour les motifs mentionnés aux points 3, 4 ou 5, la mention « Libéré honorablement » est inscrite dans son état de service.

 


[7]                    La cour a entendu plusieurs témoins pendant l’audience sur la détermination de la peine : le Premier maître de 1re classe Paul David Helston, le Capitaine de frégate Craig Baines, le Capitaine de corvette Jeffry White, qui commandait le NCSM SASKATOON lorsque l’infraction a été commise, et le Premier maître de 1re classe Leroy Hearns. Leurs témoignages font ressortir clairement le rôle et les responsabilités d’un capitaine d’armes sur un navire de guerre et la position critique qu’il occupe entre les officiers et les militaires du rang.

 

[8]                    La cour a aussi entendu le témoignage du Premier maître de 1re classe Robert John Cookson, qui a produit un document indiquant le nombre de procès sommaires concernant des infractions relatives à la marihuana et à la cocaïne qui ont eu lieu depuis 2004, à tout le moins dans la région où l’on se trouve. Compte tenu de l’information qu’il renferme, la cour estime que ce document n’est pas très utile. Aucun renseignement concernant la nature exacte des accusations déposées contre les personnes nommées dans le document, les circonstances dans lesquelles ces infractions ont été commises et les facteurs aggravants et atténuants applicables à ces contrevenants, notamment leurs antécédents criminels, n’a été présenté à la cour. En outre, la cour ne peut pas, sur la foi de ces seuls renseignements, conclure que les activités relatives à des drogues illicites constituent un problème endémique au sein de la flotte du Pacifique ou un problème qui est ou non maîtrisé. La preuve produite au procès indique cependant que la chaîne de commandement a pris des mesures au cours des deux dernières années ou, à tout le moins, au cours des dernières années pour informer les militaires sérieusement et de différentes façons, en utilisant des ressources multidisciplinaires, sur les activités relatives aux drogues illicites, sur les graves dangers qui leur sont liés et sur les conséquences qui découlent naturellement de la consommation de substances illicites.

 

[9]                    Le capitaine d’armes est le militaire du rang ayant le grade le plus élevé à bord du navire. Il forme le commandement avec le commandant et le commandant en second. Il est responsable de tous les militaires du rang et les représente. Il doit veiller au bien‑être de ses subordonnés. Cette responsabilité existe également, dans une certaine mesure, à l’égard des officiers subalternes. Le capitaine d’armes est la figure paternelle. En pratique, il veille à ce que le navire soit prêt et le personnel compétent, en place. Il est également chargé de tous les aspects concernant l’uniforme, la conduite et la discipline et il est un conseiller important du commandant à cet égard. Sur des navires de petite taille comme le NCSM SASKATOON, le capitaine d’armes a aussi des responsabilités et des devoirs administratifs importants.

 


[10]                  Le capitaine d’armes entretient une relation de confiance particulière avec le commandant et le commandant en second, lesquels se reposent largement et à juste titre sur lui en raison de sa formation, de son expérience et de ses qualités exceptionnelles reconnues. Il est le lien fondamental entre le commandement et l’équipage du navire. À ce titre, il doit toujours maintenir et renforcer la confiance que la chaîne de commandement, mais aussi chaque militaire du rang faisant partie de l’unité, peu importe son grade, lui accordent. En tant que personne chargée de la discipline, il est habilité à mener des enquêtes et à déposer des accusations. Lorsque le moral, la cohésion et l’esprit de corps sont en cause, le capitaine d’armes joue un rôle fondamental en restaurant et en maintenant ces aspects au plus haut niveau possible. La preuve démontre que cette partie du travail du capitaine d’armes est extrêmement importante sur les navires de plus petite taille en raison du nombre limité de militaires qui y travaillent.

 

[11]                  Seuls les militaires du rang les plus méritants et les plus compétents peuvent avoir le rare privilège d’être nommés capitaine d’armes sur l’un des navires canadiens de Sa Majesté, peu importe la catégorie. Ce poste est semblable à celui d’un sergent‑major régimentaire dans l’armée de terre ou d’un adjudant‑chef de la base dans l’armée de l’air. Les candidats qui seront considérés pour ce poste doivent être d’excellents chefs, avoir un rendement supérieur et démontrer des qualités exceptionnelles. Ces personnes doivent toujours montrer l’exemple. Elles sont des modèles d’intégrité et d’honnêteté dans l’un des postes de confiance les plus importants.

 

[12]                  Pour déterminer la peine qu’il convient d’infliger aujourd’hui, la cour a pris en considération les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, ainsi que les témoignages entendus et les documents produits en preuve pendant l’audience sur la détermination de la peine. Elle a aussi tenu compte de la jurisprudence présentée par les avocats et de leur plaidoirie. Finalement, elle a pris en considération les conséquences directes et indirectes que le verdict et la peine pourraient avoir sur l’ex‑Maître de 1re classe Carlson. Ces éléments ont été soupesés à la lumière des principes et objectifs applicables en matière de détermination de la peine, notamment ceux énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, qui ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine établi en vertu de la Loi sur la défense nationale.

 

[13]                  Il est reconnu depuis longtemps que l’objet de la création d’un système de justice militaire distinct est de permettre aux Forces armées de s’occuper des questions qui touchent directement la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. Il est reconnu également que, dans des circonstances appropriées, le contexte militaire peut justifier et, parfois, dicter une peine qui favorisera l’atteinte des objectifs militaires. Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait représenter la mesure minimale qui est nécessaire dans les circonstances. La cour qui prononce la peine d’un contrevenant relativement aux infractions qu’il a commises doit poursuivre certains objectifs en fonction des principes de la détermination de la peine qui s’appliquent. Il est reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement d’un cas à l’autre, mais il faut toujours les adapter aux circonstances de l’affaire et à la situation du contrevenant.

 

[14]                  Pour contribuer à la discipline militaire, les objectifs et principes de la détermination de la peine peuvent être formulés ainsi :

 


premièrement, la protection du public ‑ et les Forces canadiennes font partie du public;

 

deuxièmement, la punition et la dénonciation de la conduite illégale;

 

troisièmement, la dissuasion, non seulement du contrevenant, mais aussi des autres personnes qui seraient tentées de commettre des infractions similaires;

 

quatrièmement, l’isolement des contrevenants du reste de la société, y compris les membres des Forces canadiennes lorsque cela est nécessaire;

 

cinquièmement, la réadaptation des contrevenants;

 

sixièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant;

 

septièmement, l’infliction d’une peine similaire aux peines infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances similaires;

 

huitièmement, le fait qu’un contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine ou une combinaison de peines moins restrictive est indiquée dans les circonstances;

 

enfin, la cour doit tenir compte de toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[15]                  La cour conclut que la peine qu’elle doit prononcer en l’espèce doit répondre à la nécessité de protéger le public et les Forces canadiennes au moyen de sanctions qui contribuent au maintien de la discipline militaire et à la préservation des intérêts de la justice militaire par la dénonciation et la punition de la conduite répréhensible ainsi que par la dissuasion générale. Étant donné que les incidents se sont déroulés il y a plus de deux ans et que le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes pour des motifs qui ont mené à la présente affaire, la cour estime que la dissuasion spécifique n’est pas un objectif important en l’espèce. Elle croit cependant que la peine ne devrait pas nuire à la réadaptation de l’ex‑Maître de 1re classe Carlson, qui a été entreprise depuis longtemps au sein de la collectivité civile.

 


[16]                  La présente affaire constitue un très bon exemple non seulement d’un mépris flagrant à l’égard de la discipline militaire de base et d’un manque de respect envers la Politique des Forces canadiennes en matière de drogues démontrés par un militaire du rang (supérieur) qui a consommé des drogues sans autorisation, mais aussi d’une abdication totale par un sous‑officier supérieur ‑ occupant le poste le plus élevé au sein d’une unité ‑ de son rôle et de ses responsabilités en matière de maintien de la discipline au sein de l’unité et de son défaut de veiller au bien‑être et à l’efficacité de ses subordonnés consommant des drogues illégales. L’ex‑Maître de 1re classe Carlson a, dans les faits, trahi la confiance que les Forces canadiennes, la chaîne de commandement et chaque subordonné se trouvant à bord du NCSM SASKATOON avaient mise en lui.

 

 

Les facteurs aggravants

 

 

[17]                  La cour a pris en compte les facteurs aggravants suivants pour infliger une peine équitable et appropriée en l’espèce :

 

premièrement, la gravité objective de l’infraction. Quiconque contrevient à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale est passible de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Il s’agit d’une infraction grave;

 

deuxièmement, le contexte particulier de l’affaire qui est révélé par la preuve. Selon la cour, il ne fait aucun doute que l’infraction commise compte parmi les plus graves du genre. La conduite du contrevenant non seulement témoigne d’un profond mépris pour la primauté du droit, mais elle ébranle gravement les principaux fondements de la discipline et de l’éthique militaires auxquelles doivent se conformer les hauts dirigeants. En ne prenant aucune mesure relativement à la consommation de cocaïne de la Matelot‑chef Robert et du Matelot de 1re classe Ennis, vous avez totalement manqué à vos devoirs à l’égard de la chaîne de commandement, mais aussi à votre devoir de promouvoir leur bien‑être en sachant qu’ils se livraient à des activités illicites dangereuses et préjudiciables. De plus, le fait que vous consommiez vous‑même de la cocaïne contrairement au Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues à la connaissance de deux de vos subordonnés a inévitablement et irrémédiablement sapé votre autorité et celle de la chaîne de commandement du navire au regard de la discipline militaire, de l’intégrité et du commandement;

 


troisièmement, le rang et le statut du contrevenant au moment de l’infraction. En qualité de capitaine d’armes du NCSM SASKATOON, l’ex‑Maître de 1re classe Carlson s’était vu conférer le plus haut niveau de responsabilité et de confiance pour un militaire du rang (supérieur) sur un navire. Sa conduite répréhensible était contraire aux qualités éthiques les plus fondamentales que devraient légitimement posséder nos hauts dirigeants : l’honnêteté, la loyauté, l’intégrité, le commandement et le courage.

 

 

Les facteurs atténuants

 

 

[18]                  La cour tient cependant compte également des facteurs atténuants suivants :

 

premièrement, le fait que vous avez plaidé coupable. Je considère qu’en plaidant coupable vous avez manifesté de véritables remords et admis votre responsabilité pour les actes que vous avez commis, compte tenu en particulier des excuses publiques que vous avez présentées hier après la plaidoirie de votre avocat. Je dois souligner qu’il s’agit d’un élément extrêmement important en l’espèce au regard de la peine que la cour est sur le point d’infliger;

 

deuxièmement, le fait que votre rendement a été très élevé pendant de nombreuses années. Vous vous êtes joint aux Forces canadiennes en 1991 en qualité de réserviste et avez été un atout très actif et positif pour les Forces jusqu’à votre libération en 2007. Votre dossier indique qu’à l’époque où vous étiez réserviste vous avez surtout travaillé comme réserviste de classe B, ce qui explique pourquoi je dis que vous avez été très actif. Un militaire de la Force de réserve sert en service de réserve de classe B lorsqu’il accomplit du service à plein temps et sert à titre temporaire en qualité de membre du personnel des instructeurs ou du personnel administratif d’une école ou de tout autre établissement de formation où se donne de l’instruction pour la Force de réserve, par exemple, est envoyé en affectation pour fins d’instruction ou à un cours d’instruction pour une période que peut prescrire le chef d’état‑major de la défense, ou est affecté à des tâches de nature temporaire sur l’autorisation du chef d’état‑major de la défense ou d’une autorité désignée par lui, lorsqu’il n’est pas pratique d’affecter des militaires de la force régulière à ces tâches. Dans votre dernier rapport d’évaluation, le commandant du 4 GOM, le Capitaine de vaisseau D. Sing, a bien décrit l’essentiel de votre carrière militaire dans la Force de réserve :

 


[traduction] Jusqu’à tout récemment, le Maître de 1re classe Carlson s’était toujours comporté de façon exemplaire et avait montré clairement qu’il avait des capacités supérieures à la moyenne qui lui permettraient d’obtenir des promotions et de plus grandes responsabilités. C’est sur la foi de son rendement dans le passé qu’il a été nommé premier maître de 2e classe le 1er janvier 2006.

 

Le fait que les incidents ayant mené au présent procès se sont déroulés il y a plus de deux ans est un autre facteur atténuant et ce, pour les raisons suivantes. Non seulement avez‑vous été libéré des Forces canadiennes il y a près d’un an en raison de votre conduite répréhensible et de vos manquements à vos responsabilités, mais les médias écrits et électroniques de tout le pays ont abondamment parlé de votre affaire, plus précisément des accusations qui ont été déposées à l’époque et de la mise en accusation par la poursuite, notamment pour trafic de cocaïne, une infraction prévue par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ce qui ne correspond pas à l’issue de la présente instance. Je conviens avec votre avocat que le fait que vous avez été présenté comme un trafiquant de drogues alors qu’aucun élément de preuve admissible n’a été présenté à cet égard au procès a entaché durablement votre réputation. Cela ne signifie pas cependant que vos actes, tels que nous les connaissons aujourd’hui, n’auraient pas dû attirer l’attention du public et des médias, vu la gravité générale de l’infraction que vous avez commise.

 

La cour estime également que le fait que vous avez un emploi au Nouveau‑Brunswick depuis avril 2007 et que votre employeur est très satisfait de votre travail est également un facteur atténuant. En peu de temps, vous êtes parvenus à obtenir différents prix, notamment le Top Guide et le Gold Circle of Experience Award. Vous avez également été admis au Collège communautaire du Nouveau‑Brunswick, où vous entreprendrez le programme coopératif de technologie antipollution industrielle à l’automne 2008.

 

Finalement, la cour considère que le fait que vous avez suivi un traitement pour toxicomanie peu de temps après les incidents qui ont mené au présent procès en février 2006 et le fait que vous avez surmonté votre problème de consommation de drogues ‑ il n’y a rien qui me laisse croire le contraire ‑ sont aussi des facteurs atténuants.

 


[19]                  La poursuite fait valoir que la peine minimale devrait être un emprisonnement de 45 à 90 jours afin de maintenir la discipline et de servir les intérêts de la justice militaire. Selon la poursuite, cette peine tiendrait compte de la nécessité de dénoncer la conduite reprochée en l’espèce, de la gravité objective et subjective de l’infraction dans le contexte des manquements aux devoirs de commandement, de la nature de la substance en cause et du poste de confiance particulier que vous occupiez à l’époque, soit celui de capitaine d’armes du NCSM SASKATOON. Votre avocat recommande que vous ne soyez pas condamné à l’emprisonnement, qui est la sanction de dernier recours, compte tenu des circonstances.

 

[20]                  Dans R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours. Ce principe a été réitéré par la Cour d’appel de la cour martiale dans R. c. Baptista, référence neutre : 1, une décision rendue le 27 janvier 2006 dans le contexte de la justice militaire. Il est tout à fait clair qu’on ne doit recourir à l’emprisonnement que si aucune autre peine, ou combinaison de peines, ne convient à l’égard de l’infraction et du contrevenant.

 

[21]                  Afin de concevoir une peine équitable et appropriée, la cour a examiné attentivement les autres peines, ou combinaisons de peines, prévues à l’article 139 de la Loi sur la défense nationale pour garantir la protection de public au moyen d’une peine qui montre la nécessité de punir et de dénoncer le contrevenant et qui favorise la dissuasion générale. La cour croit qu’une peine appropriée et juste n’exige pas nécessairement l’utilisation de la sanction de dernier recours. L’infliction d’une peine ne doit pas prendre la forme d’une vengeance; il ne s’agit pas non plus d’une panacée pour résoudre des problèmes disciplinaires importants. La peine est plutôt le résultat d’un exercice délicat de mise en équilibre à la suite d’un examen attentif des principes et objectifs de la détermination de la peine ainsi que des circonstances de l’infraction et de la situation particulière du contrevenant. Finalement, la peine doit toujours être la moindre possible dans les circonstances.

 


[22]                  Comme la poursuite l’a dit, [traduction] « la présente affaire a trait aux principes de confiance et de commandement, de responsabilité et de mentorat, ainsi qu’à des manquements à ces principes ». Je crois qu’elle concerne également un militaire du rang (supérieur) occupant le poste clé de capitaine d’armes sur un navire de guerre de petite taille qui ne s’est pas acquitté de ses devoirs et de ses responsabilités et qui a trahi la confiance que les Forces canadiennes, ses supérieurs et ses subordonnés avaient placée en lui. La consommation de cocaïne a été l’instrument de ce défaut, mais il ne s’agit pas d’une simple infraction de la Politique des Forces canadiennes en matière de drogues prenant la forme de la consommation de drogues sans autorisation et de la possession ou du trafic de drogues illicites. Il ne s’agit pas non plus d’un cas de trafic de cocaïne par un capitaine d’armes à bord d’un navire ou à terre pendant ses congés ou non. Je suis d’accord avec les avocats lorsqu’ils affirment que la présente affaire est plutôt particulière. Il ne fait aucun doute qu’elle concerne principalement des manquements au rôle et aux responsabilités d’un militaire haut gradé occupant un poste de confiance, à savoir le poste de capitaine d’armes sur un navire ou un poste équivalent dans l’armée de terre ou dans l’armée de l’air. La présente affaire montre comment la gravité objective d’une infraction peut varier en fonction du grade et du statut de la personne qui l’a commise. Une peine est appropriée si elle proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Or, l’infraction est particulièrement répréhensible en l’espèce.

 

[23]                  M. Carlson, veuillez vous lever. Je ne vous infligerai pas la sanction de dernier recours car une peine d’emprisonnement ne traduirait pas la dimension globale de votre conduite répréhensible compte tenu de ce que l’on attend de nos dirigeants dans les Forces canadiennes. Une peine d’emprisonnement n’est pas nécessaire non plus car il y a une combinaison de sanctions qui peut constituer une peine équitable et appropriée en l’espèce. Cette peine fera cependant clairement savoir à toute personne occupant un poste de commandement qu’une telle conduite ne saurait être tolérée et que la norme de conduite à laquelle elle doit se conformer est proportionnelle à la confiance que l’institution, ses subordonnés et, je dirais aussi, tous les Canadiens lui accordent. Occuper un poste de commandement dans les Forces canadiens est un privilège. Il faut le mériter. Il ne s’agit pas d’un droit. Comme tout privilège, celui‑ci peut être limité, suspendu ou révoqué.

 

[24]                  La peine que la cour est sur le point d’infliger aura, entre autres conséquences directes, deux effets très importants. Premièrement, le document attestant votre libération des Forces canadiennes ne portera plus la mention « Libéré honorablement », mais la mention « Inconduite ». Deuxièmement, il indiquera que les personnes qui trahissent gravement la confiance mise en elles en tolérant sciemment que leurs subordonnés consomment des drogues illicites comme la cocaïne et en en consommant elles‑mêmes à la connaissance de ces subordonnés ne méritent plus de jouir du privilège de commander nos valeureux militaires et perdront ce privilège.

 

[25]                  Pour ces motifs, vous êtes condamné à la destitution du service de Sa Majesté, à une rétrogradation au grade de matelot de 1re classe et à une amende de 2 000 $. Le paiement de l’amende doit être fait par chèque certifié ou mandat établi à l’ordre du Receveur général du Canada, à l’adresse qui vous sera donnée par le procureur de la poursuite. Les versements seront donc faits pendant les six prochains mois, à compter du mois prochain, suivant la même modalité, soit par chèques certifiés ou mandats établis à l’ordre du Receveur général du Canada, et ces versements seront bien entendu égaux.

 

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.C.M.

 


AVOCATS

 

Le Capitaine D.G. Curliss, Poursuites militaires régionales, région de l’Ouest

Procureur de Sa Majesté la Reine

Me R.A. Mulligan, avocat, 736, rue Broughton, 2e étage, Victoria (C.-B.)

Avocat de l’ex-Maître de 1re classe Carlson

 

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