Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 janvier 2012

Endroit : BFC Petawawa, Édifice L-106, Petawawa (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, entrave à la justice (art. 139(2) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
•Chef d’accusation 3 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Foulds, 2012 CM 3001

 

Date :  20120118

Dossier :  201160

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.T. Foulds, accusé

 

 

Devant :  Lieutenant‑colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le Sergent Foulds est accusé d’une infraction d’ordre militaire aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour entrave à la justice, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel, infraction d’ordre militaire pour exécution négligente d’une tâche ou mission militaire, contrairement à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale, et d’une infraction d’ordre militaire pour s’être conduit de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur, contrairement à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               La preuve est constituée des dépositions de quatre témoins entendus dans l’ordre suivant : le Capitaine Charette, l’Adjudant Watt, le Caporal‑chef Grandy et le Caporal‑chef Suttie.

 

[3]               Le 30 juin 2010, le Sergent Foulds assistait, à titre de commandant de section du génie, un peloton des Forces canadiennes qui assurait la sécurité d’un axe de progression à côté de la base de patrouille de Sperwan Ghar, dans la province de Kandahar, en Afghanistan. Ce jour‑là, sa section avait confirmé l’existence de cinq engins explosifs improvisés (EEI) et en avait détruit deux sur place. À la suite de cette opération et au retour à la base, le 2 juillet 2010, le commandant de troupe a demandé au Sergent Foulds de fournir un rapport écrit concernant la destruction sur place des deux EEI par sa section, ce qu’il a fait. C’est dans le contexte d’une discussion avec son commandant de troupe, le Capitaine Charette, que se trouve l’essentiel de la commission alléguée des infractions.

 

[4]               Le 2 juillet 2010, le Sergent Foulds est allé au poste de commandement pour rencontrer son commandant de troupe, le Capitaine Charette, et lui remettre son rapport provisoire avant de finaliser la version officielle. L’Adjudant Watt était présent à cette rencontre. Le Sergent Foulds leur a montré le rapport ainsi que quelques photos prises pendant l’opération. Cette pratique consistant à prendre des photos des dispositifs avant de les détruire sur place est utilisée couramment par les spécialistes du génie de combat et leur permet de recueillir des renseignements utiles.

 

[5]               Une fois le rapport consulté, le Sergent Foulds leur a montré d’autres photos prises sur le site où la section avait détruit le dernier EEI. L’une des photos montrait l’un des membres de sa section, le Caporal Grandy, qui se tenait en position couchée à côté d’un plateau de pression non couvert et qui utilisait une baïonnette. Le Capitaine Charette a ensuite demandé au Sergent Foulds si la charge avait préalablement été repérée. Le Sergent Foulds a répondu par la négative.

 

[6]               Le Capitaine Charette s’est inquiété de cette réponse parce qu’il estimait que le Sergent Foulds pourrait avoir omis d’assurer la sécurité des membres de sa section pendant l’opération en permettant à l’un des militaires de s’approcher d’un présumé engin explosif actif. Le Capitaine Charette est parti souper pour réfléchir à ce qu’il devait faire.

 

[7]               Lorsqu’il est revenu, il a demandé à l’Adjudant Watt de faire venir le Sergent Foulds parce qu’il considérait qu’il devait faire part de cette information, y compris des photos, au commandant de l’escadron.

 

[8]               Lorsque le Sergent Foulds est entré dans le bureau où se trouvait le Capitaine Charette, ce dernier lui a demandé les photos. Le Sergent Foulds lui a dit qu’il avait supprimé les photos et qu’il ne lui permettrait pas de faire du tort à ses hommes. Le Capitaine Charrette l’a avisé qu’il y aurait une enquête formelle. Il a permis ensuite au Sergent Foulds de se retirer et a signalé la situation au commandant de l’escadron.

 

[9]               Avant que la cour ne procède à l’analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve « hors de tout doute raisonnable », une norme qui est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[10]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut‑être le principe fondamental par excellence de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction.

 

[11]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[12]           La cour doit déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité ou après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable.  Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans de nombreux arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée ne constitue nullement une indication de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations auxquelles un accusé doit répondre sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation présenté à la cour.

 

[13]           Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a dit ce qui suit :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[14]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit simplement prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Sergent Foulds. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[15]           En quoi consiste une preuve? La preuve peut comprendre des témoignages faits sous serment ou affirmation solennelle devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d’experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[16]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[17]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’appréciation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer et les raisons d’un témoin de se souvenir. Les événements étaient‑ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès? En d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[18]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour apprécier sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[19]           De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent innocemment, ne signifient pas nécessairement qu’il y a lieu d’écarter un témoignage. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.

 

[20]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[21]           L’article 124 de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

 

L’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire constitue une infraction passible

au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa

Majesté.

 

[22]           Les éléments essentiels de l’infraction prévue à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale sont les suivants :

 

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant;

 

b)                  la date et le lieu de l’infraction;

 

c)                  l’accusé ayant fait défaut d’exécuter une tâche ou une mission militaire, les éléments suivants doivent également être prouvés :

 

                                               (i)                  une tâche ou une mission militaire a été attribuée à l’accusé;

 

                                             (ii)                  l’accusé avait été informé qu’une tâche ou une mission militaire lui avait été attribuée.

 

d)                 l’accusé ayant exécuté la tâche ou la mission militaire avec négligence, les éléments suivants doivent également être prouvés :

 

                                               (i)                  l’accusé devait respecter une norme de diligence;

 

                                             (ii)                  les actes et les omissions de l’accusé étaient liés à la tâche ou à la mission militaire qui lui avait été attribuée;

 

                                           (iii)                  l’accusé a, en raison de sa conduite, contrevenu à la norme de diligence requise;

 

                                           (iv)                  la conduite de l’accusé équivaut à de la négligence, ce qui signifie que les actes ou les omissions de l’accusé ont constitué un écart marqué par rapport à la norme de diligence.

 

[23]           En ce qui concerne cette infraction, l’identité, la date et le lieu où l’infraction est survenue ne sont pas contestés. Par contre, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable deux éléments essentiels de l’infraction.

 

[24]           Premièrement, la poursuite devait prouver que le Sergent Foulds a fait défaut d’exécuter une tâche ou mission militaire, ce qui comprend le fait de prouver qu’une tâche ou une mission militaire lui a été attribuée. Dans R c Brocklebank, 106 CCC (3d) 234, s’exprimant au nom de la cour, le juge Décary a formulé au paragraphe 32 l’approche d’une cour relative au terme « tâche ou mission militaire » applicable à une infraction prévue à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale :

 

La portée de l’infraction de négligence dans l’exécution d’une tâche ou mission militaire se limite aux activités qui peuvent être considérées comme des tâches ou missions militaires au sens de l’article 124 de la Loi. Une simple lecture de la disposition indique qu’il faut appliquer celle‑ci de façon restrictive. Le fait qu’elle crée une infraction liée à une tâche ou mission militaire plutôt qu’au devoir militaire en général a une importance particulière en ce qui a trait à la portée de l’infraction. Si la disposition avait créé une infraction à l’égard de « l’exécution négligente du devoir militaire », il aurait peut‑être été permis de dire qu’il s’agissait d’une infraction militaire de négligence générale dans le contexte restreint du service militaire. De plus, selon la version anglaise de l’article 124, la conduite négligente d’une personne ne peut être censurée qu’à l’égard d’une tâche militaire « imposed on that person ». Selon The Concise Oxford Dictionary, le mot « impose » signifie [traduction] « exiger l’attention ou l’engagement d’une personne ». En précisant que la conduite d’une personne ne peut être reprochée qu’à l’égard « d’une » tâche ou mission militaire « imposed on that person », le Parlement a explicitement restreint la portée de la disposition.

 

[25]           En outre, l’infraction en question ne se rapporte pas à toutes les tâches ou missions militaires. Comme l’a établi la Cour d’appel martiale dans le même arrêt, au paragraphe 42 :

 

À mon avis, la conclusion est inévitable : une tâche ou mission militaire aux fins de l’article 124 n’existera pas en l’absence d’une obligation créée par une loi, un règlement, un ordre d’un supérieur ou une règle émanant du gouvernement ou du chef d’état‑major de la défense. Même si la portée est assez étendue, il m’apparaît néanmoins nécessaire de lier l’infraction à une obligation concrète qui naît dans le cadre de l’exécution d’une tâche particulière, afin de la distinguer de la négligence générale dans l’exécution du devoir militaire, que le Parlement n’avait manifestement pas l’intention de punir par l’article 124, comme l’indique une simple lecture de cette disposition.

 

[26]           En l’espèce, la cour admet qu’il a été établi que le commandant de section doit, de façon générale, assurer la sécurité au cours d’une opération de repérage des EEI mais, comme l’a déclaré le Caporal‑chef Suttie lors de son témoignage, les membres des Forces canadiennes sont personnellement responsable de la sécurité. La poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable l’existence d’une obligation prévue par une disposition législative, un ordre d’un supérieur ou une règle provenant du gouvernement ou du Chef d’état‑major de la Défense qu’il convenait de considérer dans les circonstances comme une tâche ou mission militaire attribuée au Sergent Foulds.

 

[27]           Deuxièmement, la poursuite devait prouver que le Sergent Foulds avait exécuté avec négligence une tâche ou mission militaire, et plus particulièrement, que sa conduite contrevenait à la norme de diligence requise. Bien que la cour soit disposée à reconnaître que l’approche relative aux cinq « C », telle que l’a décrite le Capitaine Charrette, peut être considérée comme la norme de diligence à appliquer lorsque la section du génie repère un EEI, soit de confirmer la nature du dispositif, évacuer les personnes dont la présence n’est pas requise, établir un périmètre de sécurité, communiquer l’information et surveiller le secteur, il ressort clairement du témoignage du Caporal‑chef Grandy, le militaire apparaissant sur la photo qui se tenait en position couchée à côté d’un plateau de pression non couvert et qui utilisait une baïonnette, que les choses se sont passées ainsi et que le Sergent Foulds a clairement suivi la procédure appropriée pour assurer la sécurité des membres de sa section. Le Caporal‑chef Grandy a dit à la cour que la charge principale avait été décelée au moment où la photo avait été prise, que l’approche relative aux cinq « C » avait été suivie et qu’il recherchait un deuxième engin. De plus, le bloc d’alimentation connecté au plateau de pression avait été repéré. Il n’était pas fonctionnel. C’est après avoir effectué toutes ces démarches que la photo avait été prise.

 

[28]           De l’avis de la cour, le témoignage du Caporal‑chef Grandy constitue la meilleure preuve, irréfutée, crédible et fiable. Il a témoigné de façon claire et directe, il se rappelait bien des événements entourant l’incident et il se trouvait sur les lieux.

 

[29]           Le témoignage du Capitaine Charrette est fondé sur sa compréhension des propos tenus par le Sergent Foulds. Il a admis qu’il était possible que le Sergent Foulds lui ait dit que l’explosion des dispositifs n’avait pas été déclenchée plutôt que les dispositifs n’avaient pas été repérés avant la prise de la photo. En outre, les deux témoins de la poursuite avaient des souvenirs différents du déroulement des événements. Alors que le Capitaine Charette a dit à la cour que le Sergent Foulds a quitté le premier la réunion, avant le souper, l’Adjudant Watt a déclaré que c’était le Capitaine Charette qui avait quitté le premier. De plus, alors que le Capitaine Charette a dit à la cour qu’il s’était inquiété dès qu’il a vu la photo et que le Sergent Foulds lui a communiqué l’information connexe, l’Adjudant Watt a indiqué que le Capitaine Charette ne s’est pas inquiété immédiatement, mais quelque temps plus tard, après avoir vu la photo.

 

[30]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction d’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire.

 

[31]           En ce qui concerne l’accusation portée en application de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, le Sergent Foulds est accusé d’entrave à la justice, en vertu du paragraphe 139(2) du Code criminel, dont voici le libellé :

 

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque volontairement tente de quelque manière, autre qu’une manière visée au paragraphe (1), d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice.

 

[32]           De l’avis de la cour, pour déclarer le Sergent Foulds coupable d’entrave à la justice, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable, en plus de l’identité, le lieu et la date, chacun des éléments suivants :

 

a)            le fait que le Sergent Foulds a agi comme il est allégué dans l’énoncé détaillé de l’accusation. La question porte sur sa conduite, sur les actes qu’il est présumé avoir commis. Il doit y avoir un lien entre sa conduite et une procédure judiciaire quelconque devant une cour de justice. Il n’est pas nécessaire que la procédure soit en cours au moment de sa conduite, mais elle doit au moins être envisagée et ne pas constituer une possibilité éloignée ou très faible;

 

b)                  le fait que la conduite du Sergent Foulds avait tendance à entraver, à détourner ou à contrecarrer le cours de la justice. Il s’agit du lien entre sa conduite et le cours de la justice. Cette question porte sur la tendance de sa conduite, non sur son résultat réel. La cour doit se demander si une personne raisonnable, au fait des circonstances, estimerait que les actes de l’accusé auraient tendance à entraver, à détourner ou à contrecarrer le cours de la justice. Entraver signifie interrompre, empêcher, se mettre de travers pour gêner ou pour retarder. Détourner signifie dévier, éloigner de la bonne voie, corrompre. Contrecarrer signifie l’emporter sur, détourner ou contrarier. Le cours de la justice comprend notamment la procédure judiciaire[1] qui a lieu ou qui est proposée, par exemple la poursuite contre une personne qui est soupçonnée d’avoir commis un acte criminel. Le cours de la justice comprend également toute enquête visant à déterminer s’il y a lieu d’intenter une poursuite ou une autre procédure judiciaire contre une personne soupçonnée d’avoir commis un acte criminel. Pour répondre à cette question, la cour doit se demander si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable qu’une personne raisonnable, au fait des circonstances, estimerait que la conduite de l’accusé aurait tendance à nuire à l’administration de la justice;

 

c)                  enfin, le fait que le Sergent Foulds avait l’intention d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice. Cette question doit porter sur son état d’esprit au moment où il a commis l’acte reproché. Pour prouver l’existence de cet élément essentiel, la poursuite doit convaincre la cour hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé visait à entraver, à détourner ou à contrecarrer le cours de la justice. Il ne suffit pas que les actes du Sergent Foulds aient eu accidentellement pour effet d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice. Celui‑ci doit savoir que ses actes ont pour effet d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, et doit avoir l’intention d’agir ainsi. En règle générale, quiconque prévoit qu’une conséquence résultera certainement ou presque certainement de l’acte qu’il commet, a l’intention que cette conséquence se produise. Plus précisément, si une personne prévoit que sa conduite aura certainement ou presque certainement pour effet d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, il est raisonnable de conclure qu’elle avait l’intention d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice. Pour établir l’état d’esprit de l’accusé et ses intentions, la cour prend en considération ce qu’il a fait ou n’a pas fait, comment il l’a fait ou ne l’a pas fait, et ce qu’il a dit ou n’a pas dit. La cour doit examiner les propos tenus par l’accusé et sa conduite, avant, au moment et après la commission de ses actes. Tous ces éléments ainsi que les circonstances dans lesquelles ils sont survenus pourraient jeter de la lumière sur son intention.

 

[33]           En ce qui concerne cette infraction, la poursuite n’a pas non plus prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction.

 

[34]           Comme l’ont indiqué tous les témoins, la prise de photos au cours d’une opération n’est pas inhabituelle. Elle permet de se renseigner afin de permettre aux soldats d’être mieux en mesure de repérer un EEI. Or, aucun des témoins n’a présenté la prise de photo comme une obligation ni n’a précisé s’il fallait conserver les photos prises. En réalité, il n’existe aucune procédure spécifique à cet égard. Il est alors possible que le Sergent Foulds ait supprimé les photos pour qu’elles ne soient pas utilisées dans le cadre d’une enquête relativement à une infraction d’ordre militaire. Toutefois, il est aussi possible qu’il ait supprimé en fait les photos après les avoir présentées parce qu’elles n’étaient d’aucune utilité. Personne ne lui a dit de les conserver. Le moment où les photos ont été supprimées et la raison de leur suppression ne sont toujours pas clairs; selon la preuve de la poursuite, les photos n’existaient plus lorsqu’on les a demandées au Sergent Foulds. Il ne fait aucun doute pour la cour qu’un climat de méfiance et de soupçon s’était instauré entre le Sergent Foulds et le Capitaine Charette parce que ce dernier a remis en question certains des actes du sergent au cours de la première rencontre. Or, la cour a un doute raisonnable quant à la question de conclure hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’actus reus, soit de supprimer les photos parce qu’il  savait ou aurait dû savoir qu’elles pouvaient être utilisées en preuve. Comme je l’ai déjà dit, il aurait pu supprimer les photos parce qu’il ne prévoyait pas les utiliser plus tard, mais aussi il aurait pu les supprimer parce qu’il croyait que, malgré les préoccupations formulées par le Capitaine Charette, elles n’avaient plus aucune utilité à cette étape. Vu qu’il n’y avait pas de procédure ou directive concernant la disposition des photos en question, et qu’elles n’étaient pas nécessaires à des fins officielles, il est possible que le Sergent Foulds ait simplement supprimé les photos par routine.

 

[35]           Si la poursuite avait établi l’actus reus hors de tout doute raisonnable, la cour n’aurait pas été convaincue hors de tout doute raisonnable que la conduite du Sergent Foulds avait tendance à entraver, à détourner ou à contrecarrer le cours de la justice. Selon la cour, il se peut qu’une personne raisonnable, au fait des toutes les circonstances, estime qu’il était possible que le Sergent Foulds ait essayé de faire d’empêcher les autorités d’obtenir des éléments de preuve ou des renseignements concernant l’incident en question, mais comme je l’ai déjà dit, il serait également possible dans le contexte, qu’en l’absence de directive spéciale, une personne raisonnable aurait estimé que le Sergent Foulds a simplement décidé de supprimer les photos sans raison précise et que, lorsque le Capitaine Charrette l’a convoqué plus tard, il a été très content de l’avoir fait, par coïncidence, compte tenu des circonstances. Il aurait pu aggraver la situation en avertissant son supérieur de ne pas s’attaquer aux membres de sa section au sujet de l’incident.

 

[36]           En outre, selon la preuve présentée à la cour, qui est très mince, il est très difficile pour la cour de conclure que le Sergent Foulds envisageait ce résultat. Certes, la suppression des photos à laquelle s’ajoute ce qu’il a dit au Capitaine Charette, [traduction] « Capitaine, je ne vous laisserai pas faire du tort à mes hommes », peuvent donner l’impression que ses actes étaient volontaires. Or, du point de vue de la cour, ces faits ne suffisent pas pour conclure que le Sergent Foulds avait l’intention requise de commettre l’infraction. Il s’agit d’une question de possibilité et non de certitude dans les circonstances.

 

[37]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction d’entrave à la justice.

 

[38]           Le Sergent Foulds est également accusé de conduite de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur, en vertu de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale. Cette disposition législative vise à garantir l’existence d’un respect minimal en contexte militaire entre subordonnés et supérieurs, devant les membres ou en privé, et à éviter tout comportement qui entraînerait en dernier ressort la désobéissance d’un subordonné pouvant toucher à la cohésion et au moral des membres des Forces canadiennes de tous les échelons. Voici le libellé de cette disposition :

 

Quiconque menace ou insulte verbalement un supérieur, ou se conduit de façon méprisante à son endroit, commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[39]           Outre l’identité de l’accusé et les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation, la poursuite doit également prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de chacun des autres éléments essentiels suivants :

 

a)                  le fait que le Sergent Foulds a agi comme il est allégué dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que l’acte ou le comportement de Sergent Foulds constituait une conduite méprisante ;

 

c)                  le fait que la conduite méprisante a été adoptée à l’égard d’un supérieur;

 

d)                 le fait que le Sergent Foulds savait que la personne à l’égard de laquelle il a adopté la conduite méprisante était un supérieur.

 

[40]           La seule question qui reste à trancher en l’espèce est de savoir si le comportement du Sergent Foulds constituait une conduite méprisante, vu que la poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable l’existence de tous les autres éléments essentiels de l’infraction.

 

[41]           Pour prouver l’existence de cet élément essentiel de l’infraction, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable que le Sergent Foulds s’est conduit de façon méprisante ou qu’il a fait preuve d’insouciance, de dédain ou de manque de respect à l’endroit du Capitaine Charette.

 

[42]           Le Capitaine Charette a décrit le Sergent Foulds comme étant irrité lorsqu’il a tenu les propos en question, que l’atmosphère était tendue, mais qu’il n’a pas utilisé un langage insultant ou obscène à son endroit. L’Adjudant Watt a dit à la cour que le Sergent Foulds a adopté une attitude calme lorsqu’il a tenu les propos en question.

 

[43]           De toute évidence, le Sergent Foulds a indiqué au Capitaine Charette son intention de contester fermement toute préoccupation concernant la façon dont s’est déroulée l’opération. Toutefois, il n’a pas fait d’une façon méprisante. Contrairement à la décision R c Khadr, 2007 CM 2027, où le Caporal Khadr a interrompu l’officier à plusieurs reprises, s’est mis à argumenter, a haussé le ton en commençant à crier, a commencé à cogner sur des choses et ne s’est calmé qu’en présence de la police militaire, la cour ne voit rien dans la conduite du Sergent Foulds ou dans ses propos qui lui permettrait de conclure hors de tout doute raisonnable qu’il agi de façon méprisante.

 

[44]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de conduite de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[45]           DÉCLARE le Sergent Foulds non coupable des premier, deuxième et troisième chefs énoncés dans l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent J.T. Foulds



[1]Le terme « procédure judiciaire » est défini à l’art. 118 du Code criminel.

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