Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 août 2007.
Endroit : Édifice Drury, 233, Meaford (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
•Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 3, 4 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : Société Radio-Canada c R, 2014 CM 3014

Date : 20140828

Dossier : 200710

 

Audition devant un juge militaire

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

Entre :

la Société Radio-Canada, requérante

 

- et -

 

l'administrateur de la cour martiale, Sa Majesté la Reine et

l'adjudant L.E. Underhill, intimés

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               La Société Radio-Canada (SRC) a formulé une demande en vertu des dispositions de l'article 101.07 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) devant un juge militaire pour qu'il rende une ordonnance afin que l'administrateur de la cour martiale (ACM) fournisse à la requérante une copie non caviardée de la transcription du procès-verbal des débats ou de l'enregistrement sonore de l'audition qui a eu lieu en août 2007 et de la décision de la cour martiale du sergent L.E. Underhill, y compris toute interdiction de publication ordonnée par cette cour.

 

[2]               Le matériel que j'ai examiné comportait des documents tels que l'avis de demande, les observations écrites de la requérante, y compris une réponse, et les arguments écrits de l'intimée Sa Majesté la Reine, de même que des pièces telles que l'affidavit de Rachel Houlihan accompagné des pièces A, B et C.  Les autres intimés ont refusé de présenter des observations écrites.

 

[3]               Au cours de son enquête sur des accusations d'agression sexuelle portées par le système de justice militaire canadien, Madame Rachel Houlihan, une journaliste de la SRC, a demandé, en août 2013, à avoir accès aux dossiers de la cour portant sur des affaires d'agression sexuelle ou des affaires comportant des allégations semblables à celle d'agression sexuelle depuis l'année 2000.

 

[4]               Madame Houlihan a reçu une réponse par courriel de la part d'un officier des affaires publiques (OAP) pour les Forces canadiennes l'informant que ces décisions faisaient l'objet d'une interdiction de publication et nécessiteraient une séparation conformément à l'interdiction de publication ordonnée par la cour martiale et la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21.  On lui suggérait de remplir et de soumettre une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 pour obtenir ce qu'elle désirait.  La réponse précisait en outre que depuis 2010, les juges militaires rédigeaient les décisions comportant l'imposition d'une interdiction de publication pour des affaires semblables d'une manière permettant aux décisions de la cour d'être publiées sur le site Web du juge militaire en chef.

 

[5]               En décembre 2013, Madame Houlihan a demandé d'avoir accès à des décisions de la cour martiale rendues en 2004 dans 14 affaires différentes comportant des allégations d'agression sexuelle ou des allégations semblables à celle d'agression sexuelle. À la fin de mars 2014, elle a reçu la copie des 14 décisions, copies comportant un important caviardage. À titre d'exemple des documents reçus, la requérante a soumis la copie de la décision rendue par le juge militaire Dutil concernant les conclusions dans l'affaire R c Kavanaugh, 2004 CM 2001, datée du 22 janvier 2004.

 

[6]               Le 25 avril 2014, l'ACM a reçu un avis de demande relativement à cette affaire. La requérante avait choisi la cour martiale du sergent Underhill, qui a eu lieu en 2007, étant donné que cette affaire comportait une accusation d'agression sexuelle, afin d'obtenir de la cour une autorisation donnant à la SRC un accès complet aux décisions, aux enregistrements et aux transcriptions de la cour martiale dans cette affaire.  L'intimé estimait aussi que si une telle décision était rendue, elle s'appliquerait à des affaires semblables de la cour martiale comportant des allégations d'agression sexuelle et des allégations semblables à celle d'agression sexuelle entre 2000 et 2010. La décision dans l'affaire du sergent Underhill ne faisait pas partie des 14 décisions d'abord demandées par la requérante en décembre 2013.

 

[7]               Le 12 mai 2014, j'ai tenu une conférence préparatoire sur cette affaire et j'ai demandé des observations écrites sur la question précise de ma compétence pour entendre cette demande, sujet que j'ai soulevé de mon propre chef.

 

[8]               Le 6 juin 2014, une deuxième conférence préparatoire a eu lieu, et une audition a été fixée au 10 juillet 2014. Entre-temps, les représentants de Sa Majesté la Reine et de la requérante en réponse ont soumis leurs observations écrites.

 

[9]               L'audition a eu lieu le 10 juillet 2014.  La requérante et deux des intimés étaient représentés par des avocats.  Le conseiller juridique à l’administration de la cour martiale a assisté à l'audition, mais n'a fait aucune observation. L'avocat du sergent Underhill a lui aussi refusé de faire des observations lors de l'audition.

 

[10]           À la fin de l'audition, j'ai appris de l'avocat de Sa Majesté la Reine qu'il avait obtenu une copie caviardée de la décision dans l'affaire du sergent Underhill, alors que personne d'autre, y compris la requérante, n'en avait obtenu.  Il croyait que la requérante en avait reçu une, et il était surpris d'apprendre que tel n'était pas le cas.  J'ai demandé aux parties de clarifier cette question avant la prochaine étape, estimant que l'existence ou la non-existence d'une telle décision écrite n'aurait pas d'impact sur la question de ma compétence pour laquelle je devais d'abord rendre une décision.

 

[11]           La requérante est d'avis que j'ai la compétence pour entendre cette affaire et que le principe de la publicité des débats devrait permettre à la SRC d'avoir accès aux dossiers de la cour martiale. De plus, la requérante fait valoir que l'ACM n'est pas lié par la Loi sur la protection des renseignements personnels et que la SRC n'a pas à remplir une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir un dossier de la cour martiale.

 

[12]           L'avocat de Sa Majesté la Reine estime que la loi n'accorde pas à un juge militaire le pouvoir d'effectuer un contrôle judiciaire des décisions de l'ACM et que la présente affaire devrait être entendue par la Cour fédérale.

 

[13]           Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293).

 

[14]           À la même page, la Cour suprême du Canada déclare :

 

Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline.  Il est donc nécessaire d’établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire.

 

[15]           Comme l'a exprimé la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Directrice des poursuites militaires c Juge militaire en chef, 2007 CAF 390, au paragraphe 5 :

 

Le système de justice militaire est une structure judiciaire à deux niveaux composée d’un système de procès sommaires et du système plus formel des cours martiales.  Il n’existe pas de cour martiale permanente. Le système de justice militaire repose plutôt sur la formule des cours martiales spéciales, qui n’existent que lorsqu’elles sont convoquées pour instruire des accusations précises.  Une cour martiale peut siéger au Canada ou à l’étranger, à tout endroit où il est possible de la convoquer commodément.

 

[16]           L'interprétation de ces dispositions de la Loi sur la défense nationale a été confirmée par la Cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire R c MacLellan, 2011 CACM 5, au paragraphe 42 :

 

Bien qu'on l'appelle « cour martiale permanente », cette cour n'a pas de statut et, comme la cour martiale générale, n'a pas d'existence permanente  et opère de manière ad hoc.  Chaque fois que des accusations sont portées, la cour doit être convoquée, et le juge qui préside la cour doit être assermenté pour examiner les accusations en question : voir Canada (Directrice des poursuites militaires) c. Canada (Administratrice de la Cour martiale), 2007 CAF 390.

 

[17]           La seule chose qui ait changé en ce qui concerne cette affirmation est une récente modification à l'article 165.21 de la Loi sur la défense nationale qui a pour résultat que le juge qui préside la cour n'a plus besoin de prêter serment avant chaque cour martiale, puisqu'il l'a fait avant d'entrer en fonction lors de sa nomination par le gouverneur en conseil.

 

[18]           Ainsi, une cour martiale est une cour de première instance convoquée pour traiter d'une infraction d'ordre militaire commise par une personne soumise au Code de discipline militaire.  Elle prend son existence juridique lorsqu'elle est convoquée, et cesse d'exister lorsqu'elle met fin aux procédures.  Comme le mentionne le juge militaire Perron au paragraphe 11 du jugement R c Wilks, 2013 CM 4017, la cour martiale est alors functus officio, c'est-à-dire que la cour a clôt l'affaire et ne peut y revenir.

 

[19]           Aux termes de la Loi sur la défense nationale, un juge militaire peut participer à des procédures avant la tenue de la cour martiale, comme aux questions touchant l'arrestation et la détention avant procès (articles 159 à 159.7), à des procédures préliminaires avant le début du procès (article 187) et avant que l'accusé inscrive un plaidoyer à l'égard de l'accusation (alinéa 112.05(5)e) des ORFC).

 

[20]           En ce qui concerne les questions postérieures à l'instruction, une décision ou une ordonnance rendue par une cour peut habituellement être modifiée dans les circonstances suivantes :

 

a.           si une demande est présentée devant un juge militaire (demande d'annulation de l’ordonnance de remise en liberté pendant l'appel, article 248.81; demande de modification d'une ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique, paragraphe 196.25(4)); ou

 

b.          une nouvelle cour martiale est convoquée pour examiner la délivrance ou la modification d'une ordonnance (demande de dispense ou d'extinction de l'obligation pour se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, ch. 10, articles 227.11 et 227.12 de la Loi sur la défense nationale).

 

[21]           Dans certaines affaires, comme dans Wilks, si les procédures d'une cour martiale sont terminées, un juge militaire peut, si la demande en est faite, examiner à nouveau et modifier dans certaines circonstances une ordonnance qu'il a rendue pendant la cour martiale qu'il présidait, si la question n'est pas explicitement traitée par les dispositions de la Loi sur la défense nationale.  Il doit alors recourir aux pouvoirs de common law de la cour martiale si les circonstances présentes au moment où l'ordonnance a été rendue ont changé de façon importante.

 

[22]           L'ACM convoque les cours martiales et exerce toute autre fonction précisée dans la Loi sur la défense nationale ou dans la réglementation (article 165.19 de la Loi sur la défense nationale et article 101.17 des ORFC).

 

[23]           Notamment, il dirige le Cabinet du juge militaire en chef et en supervise le personnel, à l’exception des juges militaires, il tient un dossier pour chaque cour martiale ou audition devant un juge militaire et il conserve l’enregistrement et le procès-verbal des débats de chaque cour martiale ou audition devant un juge militaire. Dans le cadre de ses fonctions de direction du cabinet, de conservation du dossier et de conservation de l'enregistrement et du procès-verbal des débats, il administre le site Web du juge militaire en chef dans lequel les décisions des juges militaires sont publiées.

 

[24]           Compte tenu de l'autorité accordée à l'ACM par la réglementation en ce qui a trait aux dossiers et transcriptions de la cour, la décision de donner accès aux documents se trouvant dans un dossier de cour martiale et d'en fournir des copies, y compris les transcriptions des débats de la cour, une fois les procédures terminées, est une décision administrative qui appartient uniquement et exclusivement à l'ACM. Selon la Loi sur la défense nationale et la réglementation, je conclus que la responsabilité de traiter et d'accorder l'accès aux dossiers et transcriptions de la cour martiale fait partie des tâches de l'ACM.

 

[25]           En vertu de la loi, une cour martiale n'est pas une cour permanente, comme il a été dit précédemment, et bien qu'elle soit maître de son propre processus, une fois les procédures terminées, elle n'a plus d'existence et ne peut exercer aucun contrôle sur l'accès aux dossiers qu'elle a produits, comme les dossiers administratifs et les transcriptions de procès-verbaux.  En raison de la nature même de la cour, cette autorité a été clairement attribuée à l'ACM.  En conséquence, la demande faite par la SRC n'a pas redonné une existence juridique à la cour martiale du sergent Underhill, pas plus qu'elle ne l'a convoquée ou reconvoquée.  Je ne préside donc pas une telle cour martiale. J'agis à titre de juge militaire présidant une audition, rien de plus, et rien de moins.

 

[26]           En toute logique, une telle décision n'a rien à voir avec la modification d'une ordonnance ou avec une ordonnance relativement à la conduite, aux conclusions ou à la sentence de la cour.  La question de l'accès à une décision de la cour martiale et à ses procès-verbaux de même que de leur publication une fois les procédures de la cour martiale terminées est une question purement administrative, et il appartient clairement à l'ACM de prendre une décision administrative sur cette question.

 

[27]           À titre de juge militaire, j'ai été désigné pour exercer un devoir judiciaire et entendre la demande devant cette cour.  Je n'exerce aucun des pouvoirs, devoirs ou fonctions du juge militaire en chef. Mon affectation par le juge militaire en chef avait pour but de me faire prendre une décision judiciaire sur cette question, et non une décision administrative.  J'en arrive à la conclusion que je ne peux exercer et n'exerce aucun des pouvoirs ou devoirs administratifs ni aucune des fonctions administratives du juge militaire en chef en siégeant à titre judiciaire pour traiter de la demande devant moi.

 

[28]           Considérant que les procédures de la cour martiale du sergent Underhill sont terminées;

 

[29]           Considérant en conséquence que je ne préside pas une cour martiale, mais une audition devant un juge militaire;

 

[30]           Considérant que la requérante ne demande pas à un juge militaire de modifier ou d'examiner une ordonnance rendue par le juge militaire ayant présidé la cour martiale du sergent Underhill en vertu d'une disposition de la Loi sur la défense nationale ou des pouvoirs de common law une fois les procédures de la cour martiale terminées;

 

[31]           Considérant que la décision de l'ACM de donner accès aux documents ou aux transcriptions des procès-verbaux de la cour martiale et d'en fournir des copies est une décision administrative;

 

[32]           Considérant que je n'exerce aucun des pouvoirs ou devoirs administratifs ni aucune des fonctions administratives du juge militaire en chef;

 

[33]           Considérant qu'à titre de juge militaire désigné pour présider cette audition, j'agis de façon judiciaire; et

 

[34]           Considérant que l'examen d'une telle décision de l'ACM par un juge militaire n'est prévu par aucune disposition de la Loi sur la défense nationale ou de la réglementation connexe;

 

POUR CES MOTIFS, JE

 

[35]           CONCLUS PAR CONSÉQUENT que je n'ai pas la compétence pour traiter de la question soulevée par la requérante dans son avis écrit,

 

ET

 

[36]           REJÈTE la demande.

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