Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 26 janvier 2012

Endroit : BFC/USS Wainwright, Édifice 627, Denwood (AB)

Chefs d'accusation
•Chefs d’accusation 1, 4, 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5 (LRCDAS).
•Chefs d’accusation 3, 8 : Art. 130 LDN, possession de substances (art. 4(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 6 : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 7 : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1)a) LRCDAS).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6 : Retirés. Chefs d’accusation 7, 8 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours. L’exécution de la peine d’emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Masserey, 2012 CM 3004

 

Date : 20120216

Dossier : 201110

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Wainwright

Denwood (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-Soldat M.R. Masserey, contrevenant

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Ex-Soldat Masserey, la Cour a accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des septième et huitième chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation et vous déclare à présent coupable de ces infractions. Comme les six premiers chefs d’accusation ont été retirés par la poursuite au début du procès, la Cour n’en a pas d’autres à examiner. Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la Cour martiale permanente, de déterminer la peine.

 

[2]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, laquelle constitue une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[3]               Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, doit être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

[4]               En l’espèce, le procureur de la poursuite et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée. Ils ont recommandé que la Cour vous condamne à une peine d’emprisonnement de 30 jours afin de répondre aux exigences de la justice. Votre avocat a également proposé à la Cour de suspendre la peine d’emprisonnement. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons peuvent notamment découler du fait que la peine n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public ou qu’elle a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice (voir R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21).

 

[5]               Infliger une peine est la tâche la plus difficile qu’un juge doit accomplir. La Cour suprême du Canada a reconnu, dans l’arrêt Généreux, à la p. 293, que pour que « les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle a souligné que dans le contexte particulier de la justice militaire, « les manquements à la discipline doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’infliger une peine qui irait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental qui sous-tend la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.                   dénoncer le comportement illégal;

 

c.                   dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

 

[7]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.                   la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.                  la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui-ci;

 

c.                   la peine doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

d.                  le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e.                   enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

 

[8]               Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. 

 

[9]               En l’occurrence, la Cour a affaire à des infractions militaires de trafic de Stanozolol et de possession de cocaïne commises en 2009 et en avril 2010, respectivement. La Cour d’appel de la cour martiale a bien expliqué les raisons pour lesquelles la présence de stupéfiants dans le milieu militaire doit être considérée comme une question très sérieuse. Dans son arrêt R c MacEachern, (1986) 24 CCC (3d) 439, à la page 444, rendu en 1985, la Cour a déclaré :

 

À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d’exécuter et du travail d’équipe qu’exige l’accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l’utilisation d’armes et d’instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d’attacher une très grande importance à ce qu’aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut-être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu’aucun membre des forces armées n’utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage. 

 

[10]           En substance, la Cour d’appel de la cour martiale nous indique que le trafic de drogues dans l’armée est une infraction grave, ce à quoi la Cour souscrit entièrement. (Voir R c Lee, 2010 CMAC 5, au paragraphe 26.)

 

[11]           Après l’exécution d’un mandat de perquisition le 9 décembre 2009, la police militaire a saisi des fioles de 50 milligrammes de Stanozolol dans la chambre occupée par le Soldat Welch. L’entrevue de ce dernier a révélé qu’il avait acheté ces substances au Soldat Masserey en octobre 2009. Sur la foi de renseignements fournis par un informateur confidentiel, les enquêteurs de la police militaire ont procédé à l’arrestation du membre des Forces canadiennes et du Soldat Masserey le 8 avril 2010 alors qu’il se trouvait dans sa voiture garée à l’extérieur du Bâtiment 626 de la Base des Forces canadiennes Wainwright. La fouille du véhicule a permis de trouver de la cocaïne et d’autres substances. Le lendemain, le Soldat Masserey a reconnu durant son entretien avec l’enquêteur de police que les deux sacs de cocaïne en poudre découverts dans sa voiture étaient destinés à son usage personnel. Il a confirmé aussi qu’il avait acheté le Stanozolol en octobre 2009 à l’intention du Soldat Welch.

 

[12]           Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la Cour a pris en compte les facteurs aggravants et atténuants suivants :

 

a.                   La Cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. Vous avez été accusé, conformément à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, du trafic d’une drogue en contravention du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de possession d’une drogue en contravention du paragraphe 4(1) de la même Loi. Ces types d’infractions sont punissables d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans pour le trafic de substances inscrites à l’annexe IV, et d’une peine d’emprisonnement maximale de sept ans pour la possession de substances inscrites à l’annexe I.

 

b.                  Quant à la gravité subjective des infractions, la Cour tient compte de quatre éléments :

 

                                                   i.                  Le premier facteur aggravant, d’un point de vue subjectif, est le manque d’intégrité à l’égard de vos supérieurs, de vos pairs et de vous-même que vos actes trahissent. Votre usage de drogues et l’exemple que vous avez donné aux autres militaires en faisant totalement fi de la politique de tolérance zéro à l’égard de la consommation de drogue par les membres des Forces canadiennes, ont continuellement compromis votre capacité à remplir vos tâches à tout moment ou dans un court délai. Votre comportement, en ce qui touche à cette question très grave, était tout à fait inacceptable.

 

                                                 ii.                  Le deuxième facteur aggravant est la préméditation que révèlent les circonstances de cette affaire. Les actes que vous avez posés étaient tout à fait planifiés et n’avaient rien d’une décision prise sur un coup de tête, sans y réfléchir au préalable. Vous avez manifestement décidé d’aider quelqu’un à chercher et à se procurer du Stanozolol, que vous avez sciemment conservé avec la cocaïne destinée à vos besoins personnels, comme vous l’avez avoué à l’enquêteur.

 

                                                iii.                  De plus, la Cour juge aggravant le fait que les infractions ont été commises sur les lieux ou à proximité de la Base des Forces canadiennes Wainwright, un établissement de défense.

 

                                               iv.                  Enfin, votre fiche de conduite. Même si les affaires dont elle fait état ne se rapportent pas aux infractions pour lesquelles vous comparaissez devant la Cour aujourd’hui, les autres infractions qui y sont signalées sont contemporaines des incidents pour lesquels des accusations ont été portées contre vous devant la Cour. Nous en déduisons qu’à l’évidence, le respect et le dévouement dont vous étiez censé faire preuve en tant que soldat commençaient alors à s’étioler, et que vous vous êtes mis à dédaigner la discipline.

 

[13]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

a.                   Tout d’abord, il s’agit de votre plaidoyer de culpabilité. Vu les faits présentés en l’espèce, la Cour ne peut que considérer votre aveu de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Ce plaidoyer révèle également que vous assumez la pleine responsabilité de vos actes. 

 

b.                  Votre attitude coopérative dès votre arrestation dans cette affaire doit également être considérée comme un important facteur atténuant.

 

c.                   Votre âge et vos perspectives professionnelles en tant que membre de la collectivité canadienne : comme vous n’avez que 24 ans, vous disposez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société canadienne. 

 

d.                  Le fait d’avoir eu à vous présenter devant la Cour martiale, dans le cadre d’une audience qui était annoncée et ouverte au public, et qui s’est déroulée en présence de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Une telle situation laisse savoir que le genre de conduite que vous avez eue ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence. 

 

e.                   Le fait que vous ayez été libéré très rapidement des Forces canadiennes avant que la moindre accusation relative à cet incident précis n’ait été portée contre vous. Il se peut que cette décision de la chaîne de commandement soit tout à fait appropriée et la Cour n’en conteste pas les motifs; cependant, elle a eu des conséquences importantes pour vous et la Cour doit en tenir compte.

 

f.                    Le long délai qui s’est écoulé pour résoudre l’affaire. La Cour ne veut blâmer personne en l’espèce, mais plus une affaire soulevant une grave question disciplinaire est traitée rapidement, plus la peine est pertinente et efficace au regard des objectifs pris en compte par la Cour et de l’effet sur le moral et la cohésion des membres de l’unité. Le temps écoulé depuis que l’incident est survenu est l’un des facteurs qui diminuent la pertinence d’une peine plus sévère qui se veut dissuasive.

 

[14]           S’agissant de l’imposition par la Cour d’une peine d’incarcération au Soldat Masserey, la Cour suprême du Canada a bien indiqué dans l’arrêt R. c Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux paragraphes 38 et 40, que l’emprisonnement devrait être une sanction de dernier recours. La Cour suprême du Canada a aussi précisé que l’incarcération sous forme d’emprisonnement n’est justifiée que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le délinquant. La Cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire, compte tenu des principales différences entre le régime des peines appliqué par un tribunal civil siégeant en matière pénale et celui que prévoit la Loi sur la défense nationale dans le cas d’un tribunal militaire. La Cour d’appel de la cour martiale a confirmé cette approche dans l’arrêt Baptista, 2006 CACM 1, aux paragraphes 5 et 6, en rappelant qu’une peine d’emprisonnement ne devrait être infligée qu’en dernier recours. 

 

[15]           Par ailleurs, la Cour d’appel de la cour martiale a bien indiqué dans l’arrêt R. c Dominie, 2002 CACM 8, au paragraphe 5, puis dans l’arrêt R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 27, que l’emprisonnement peut être la peine la moins sévère infligée aux militaires se livrant au trafic de cocaïne. Dans l’arrêt Dominie, la CACM déclarait ce qui suit : 

 

Le trafic répété du crack, même s’il est de nature non commerciale, doit généralement être sanctionné par l’emprisonnement, même pour les civils. Lorsqu’il s’agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu’ils seront emprisonnés s’ils font le trafic du crack sur une base militaire. On ne peut bénéficier d’une condamnation avec sursis, sauf dans les rares cas où il existe des circonstances atténuantes exceptionnelles.

 

[16]           Dans la présente affaire, compte tenu de la nature purement criminelle des infractions, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes de détermination de la peine applicables et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus qu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions que l’incarcération ne semble appropriée en l’espèce. La Cour constate que les deux avocats s’entendent là-dessus. 

 

[17]           À présent, quel type d’incarcération conviendrait le mieux en l’espèce? Le système de justice militaire dispose d’outils disciplinaires, comme la détention, qui visent à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes. Cependant, dans le cas où un militaire est déjà libéré des Forces canadiennes, les objectifs d’une peine de détention n’ont plus aucune pertinence et seule l’autre forme d’incarcération, prévue à l’échelle des peines, qu’est l’emprisonnement doit être envisagée. Par ailleurs, lorsque l’acte visé par l’accusation dépasse le cadre disciplinaire et constitue une activité criminelle au sens strict, il est nécessaire d’examiner l’infraction, non seulement à la lumière des valeurs et des compétences particulières des membres des Forces canadiennes, mais également du point de vue d’une juridiction pénale concurrente.

 

[18]           Il paraît évident à la Cour que l’incarcération sous la forme de l’emprisonnement est la seule sanction adéquate, et qu’il n’existe aucune autre sanction ou combinaison de sanctions appropriées pour les infractions et le contrevenant. Par conséquent, la Cour estime qu’une peine d’emprisonnement est nécessaire pour protéger le public et maintenir la discipline.

 

[19]           La question qui se pose maintenant est celle de la durée d’une telle peine. Les deux avocats ont conjointement proposé une peine d’emprisonnement de 30 jours. Compte tenu de la nature des infractions, des principes applicables en matière de détermination de la peine, notamment des peines imposées par les tribunaux civils et militaires à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables, et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus qu’une peine d’emprisonnement de 30 jours est la peine minimale indiquée en l’espèce.

 

[20]           Cette peine demeurera sur votre fiche de conduite à moins que vous ne bénéficiiez d’une réhabilitation suspendant le casier judiciaire qui vous est aujourd’hui attribué. Dans les faits, votre condamnation emporte une conséquence souvent ignorée, à savoir que vous avez désormais un casier judiciaire, fait en soi non négligeable.

 

[21]           L’avocat de la défense a proposé à la Cour de suspendre la peine d’emprisonnement de 30 jours en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 215 de la Loi sur la défense nationale. Il fait valoir qu’une telle mesure est justifiée compte tenu de la situation exceptionnelle du contrevenant aujourd’hui invoquée. L’article 215 de la Loi sur la défense nationale est ainsi libellé :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[22]           Cette disposition figure à la section 8 du Code de discipline militaire de la Loi sur la défense nationale, qui a trait à l’emprisonnement et à la détention. La suspension d’une peine d’emprisonnement relève d’un pouvoir discrétionnaire exceptionnel susceptible d’être exercé par un tribunal militaire, notamment une cour martiale. Ce pouvoir n’est pas le même que celui qui autorise un tribunal civil de juridiction pénale à suspendre l’exécution d’une peine tout en soumettant le contrevenant à une ordonnance de probation, conformément à l’article 731 du Code criminel, ou à condamner le contrevenant à purger sa peine d’emprisonnement dans la collectivité, conformément à l’article 742.1 du même Code ayant trait aux condamnations à l’emprisonnement avec sursis.

 

[23]           La Loi sur la défense nationale ne prévoit aucun critère particulier pour l’application de l’article 215. À ce jour, l’interprétation assez claire qu’a retenue la cour martiale a été établie par différents juges militaires dans d’autres affaires. (Voir R c Constantin, 2008 CM 29; R c Labrie, 2008 CM 1013; R c Bryson, 2008 CM 1002; et R c Tardif, 2008 CM 3010.) En substance, si le contrevenant démontre, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière ou que les besoins opérationnels des Forces canadiennes justifient de suspendre la peine d’emprisonnement ou de détention, la cour rendra une ordonnance à cet effet. Cela dit, avant de le faire, elle devra d’abord se demander si la suspension de la peine minerait la confiance du public dans le système de justice militaire en tant qu’élément du système de justice canadien général. Si la réponse est non, la cour rendra l’ordonnance.

 

[24]           Le contrevenant a démontré à la Cour, par le biais de son témoignage et de celui de sa fiancée, que sa dépendance à la cocaïne avait coïncidé avec son entrée dans l’univers militaire. Il est vrai qu’avant de rejoindre les rangs de l’armée, il utilisait déjà des stéroïdes, mais le fait qu’il ait continué de consommer ces substances à titre personnel n’était pas vraiment préoccupant. Le véritable problème est ici le trafic de stéroïdes, qui consiste au fond à en fournir à un camarade. Cependant, le contrevenant a démontré que ce genre de trafic relevait de la sphère sociale, car il n’essayait pas d’en tirer de l’argent. En le libérant rapidement des Forces canadiennes, les autorités militaires envoyaient un message clair : une telle conduite ne serait pas tolérée. Après avoir été libéré, le contrevenant a pris du temps pour décider ce qu’il ferait de sa vie. Lorsqu’il a quitté les Forces, il s’est abstenu de consommer des drogues comme l’ecstasy et la cocaïne et il n’y a plus touché depuis. Il a déclaré à la Cour qu’il consommait sporadiquement de l’alcool et des stéroïdes à faible dose contre la douleur, ce qui, comme le lui a confirmé un conseiller en toxicomanie qu’il a récemment rencontré, n’avait rien d’inquiétant.

 

[25]           En fait, depuis sa libération, le contrevenant a maîtrisé sa dépendance aux drogues et a décidé de vivre pleinement sa nouvelle vie. Il s’est arrangé pour se créer un environnement stable et favorable qui lui a permis d’éviter les problèmes, et il doit se marier en juin 2011 avec sa fiancée. Ils vivent ensemble dans la petite collectivité d’Ardmore depuis sa libération.

 

[26]           Durant l’automne 2011, le contrevenant a rencontré un psychiatre consultant qui lui a suggéré d’obtenir une recommandation pour une clinique de la douleur chronique en vue d’optimiser ses traitements médicaux et non médicaux. En décembre 2011, il a rencontré un thérapeute en santé mentale qui lui a également conseillé de se soumettre à une évaluation de la toxicomanie et d’obtenir une recommandation pour une clinique de douleur chronique. Il a été établi devant la Cour qu’il fait tout en son pouvoir pour avoir un rendez-vous dans une telle clinique et que pour l’instant, le contrevenant attend de l’obtenir. La Cour en déduit que le contrevenant cherche à maîtriser la douleur résultant de son accident de moto d’il y a quelques années par d’autres moyens que les stéroïdes. Il s’est également inscrit à un cours de génie en matière d’énergie qui lui permettra de trouver un emploi sous peu, probablement dans le courant de l’année.

 

[27]           Le contrevenant a invoqué tous ces faits pour démontrer que depuis son arrestation dans l’affaire dont la Cour martiale est aujourd’hui saisie et sa libération rapide des Forces canadiennes, les choses ont changé en ce qui le concerne, et qu’il tente depuis les 20 derniers mois de s’adapter à sa nouvelle vie et de l’améliorer pour son bénéfice et celui de la société canadienne.

 

[28]           J’estime qu’en exposant l’ensemble de ces faits, le contrevenant a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ces circonstances particulières justifiaient la Cour de suspendre la peine d’emprisonnement.

 

[29]           À présent, la suspension de cette peine minerait-elle la confiance du public dans le système de justice militaire en tant qu’élément du système de justice canadien général? En l’occurrence, l’infraction est grave, mais pas autant que celle d’abus sexuel dont il était question dans R c Paradis et pour laquelle une peine d’emprisonnement d’une durée minimale de 45 jours et d’une durée maximale de 10 ans avait été envisagée. Comme je l’ai déjà expliqué, le trafic de drogues est une affaire grave, mais ne justifie pas la même analyse que celle que j’ai adoptée dans la décision Paradis.

 

[30]           En réalité, ce qui porte véritablement atteinte à la confiance du public dans un système de justice est tout le temps qui s’écoule avant de résoudre ce qui est considéré comme une grave affaire criminelle. Lorsqu’une affaire de ce genre n’est pas traitée aussi rapidement que les circonstances le permettent, surtout dans un contexte militaire, et qu’aucune explication n’est offerte par les responsables de la poursuite pour justifier le temps écoulé à donner suite aux accusations, la confiance du public dans le système de justice militaire serait sapée si le tribunal ne suspendait pas la peine d’emprisonnement. À plus forte raison lorsque le contrevenant a tiré profit de cette période et a adopté des changements que la Cour peut envisager comme des circonstances spéciales ou exceptionnelles qui justifient de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement.

 

[31]           En fin de compte, il est évident que si le tribunal ne suspendait pas la peine d’emprisonnement dans ces circonstances particulières, le public ne pourrait y voir qu’un déséquilibre dans l’application des principes de détermination de la peine touchant la dénonciation et à la dissuasion générale d’une part, et la réadaptation d’autre part. Il ne s’agit pas d’un cas où la conduite flagrante du contrevenant est telle que les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale doivent avoir préséance.

 

[32]           En conséquence, la Cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à une peine d’emprisonnement de 30 jours, considérant que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice. Puis, comme l’a suggéré l’avocat de la défense, le tribunal suspendra la peine d’emprisonnement.

 

[33]           J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme, conformément à l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale. À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable, ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès, et je ne rendrai aucune ordonnance à cet effet. De plus, si la poursuite ne demande pas à la Cour de rendre une ordonnance exigeant la production d’échantillons pour une analyse génétique relativement à une infraction secondaire, conformément au paragraphe 196.14(3) de la Loi sur la défense nationale, il n’y a pas lieu que la Cour l’envisage. 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[34]           VOUS DÉCLARE coupable des septième et huitième chefs d’accusation relativement aux infractions, prévues à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, de possession et de trafic de drogues.

 

[35]           VOUS CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de 30 jours.

 

[36]           SUSPEND la peine d’emprisonnement.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Leonard, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

M. V.G. Findlater, Lakeland Law Group

Avocat de l’Ex-Soldat M.R. Masserey

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