Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 avril 2012

Endroit : BFC Edmonton, Installation pour lectures d’entraînement, 407 chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultat
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c LeBlanc, 2012 CM 3005

 

                                                                                                                  Date : 20120421

                                                                                                                 Dossier : 201215

 

                                                                                                Cour martiale permanente

 

                                                                                Base des Forces canadiennes Edmonton

                                                                                                 Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-caporal T. LeBlanc, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcé de vive voix)

 

 

[1]               Le caporal LeBlanc est accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale au titre d’une infraction à caractère sexuel perpétrée contre M.G. en contravention de l’article 271 du Code criminel.

 

[2]               Les faits sur lesquels ce chef est fondé se rapportent aux événements qui sont survenus le 15 avril 2008, principalement dans l’édifice où les chambres de la plaignante et de l’accusé étaient toutes deux situées à cette époque. Plus précisément, l’agression sexuelle alléguée serait survenue cette soirée-là dans la chambre de la plaignante.

 

[3]               L’instruction a eu lieu du 16 au 19 avril 2012. Cinq témoins ont été entendus durant ce procès, dont l’accusé, de sorte que la présente affaire est principalement une affaire de crédibilité que la Cour doit apprécier en conformité avec les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R c W (D), [1991] 1 RCS 742.

 

[4]               La preuve soumise à la présente cour martiale se compose essentiellement des éléments suivants :

 

a.                   les témoignages entendus; dans l’ordre de leur comparution devant la cour, le témoignage de M.G, la plaignante dans la présente affaire, Mme Tambling, le caporal LeBlanc, l’accusé en l’espèce, le caporal Sebo et le caporal Stuart;

 

b.                  la pièce 3, qui est un exposé conjoint des faits concernant les événements qui sont survenus le 16 avril 2008, soit le lendemain de l’incident allégué;

 

c.                   la pièce 4, qui est un plan d’ensemble du deuxième étage d’un édifice situé sur la Base des Forces canadiennes Edmonton et un plan agrandi de la chambre de la plaignante. Ce document a été produit en preuve sur consentement;

 

d.                  la connaissance judiciaire que la cour a prise des faits en litige en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[5]               Le caporal LeBlanc ne conteste pas qu’il a eu des rapports sexuels avec M.G. le 15 avril 2008 dans sa chambre à la Base des Forces canadiennes Edmonton, en Alberta. Essentiellement, selon son témoignage et les observations faites par son avocat de la défense et le poursuivant, le seul élément essentiel qui devrait faire l’objet d’une analyse par la cour est la question de savoir si la plaignante a donné son consentement à la force employée intentionnellement par l’accusé.

 

[6]               D’après ce que la cour a entendu et vu durant ce procès, il y a des éléments de preuve non contestés que je me propose d’examiner en premier. Il est clair que la plaignante et l’accusé se connaissaient avant le jour où ils ont eu des relations sexuelles, parce qu’ils s’étaient vus à différentes occasions dans l’édifice, identifié par les témoins comme les cabanes (« the shacks »), et ils avaient eu plusieurs conversations.

 

[7]               Il est également acquis aux débats que, le 15 avril 2008, alors qu’elle rentrait du travail en début d’après-midi, la plaignante s’est arrêtée à la chambre du caporal LeBlanc pour l’inviter à l’accompagner en voiture pour ramener des pantalons à un ami et reconduire une autre personne. L’accusé a d’abord décliné l’invitation, puis l’a acceptée. Alors qu’ils s’étaient arrêtés chez la personne du nom de Kent que la plaignante avait reconduit, il n’est pas non plus contesté que ce dernier les avait laissés seuls ensemble pour des raisons inexpliquées après avoir mis un genre de film pornographique, ce que tous deux ont décrit comme une situation très étrange, inattendue et inhabituelle. Cet ensemble de circonstances les a amenés à quitter la maison de Kent et à aller chercher de la nourriture sur le chemin du retour aux cabanes.

 

[8]               Il n’y a aucune controverse au sujet du fait que le caporal LeBlanc avait consommé de la bière à différents moments tout au long de la journée du 15 avril 2008, qu’il s’était arrêté plusieurs fois à la chambre de la plaignante dans la soirée de ce jour-là, et qu’à certaines de ces occasions deux des amis de la plaignante s’y trouvaient. Il n’est pas non plus contesté que l’accusé s’est présenté à un certain moment dans le courant de la soirée avec une main endolorie et contusionnée parce qu’il avait donné un coup de poing dans le mur après s’être disputé au téléphone avec une fille de sa ville d’origine. Alors qu’elle était en présence de ses deux amis, la plaignante s’est occupée de la main de l’accusé en mettant de la glace dessus. Ses amis ont quitté sa chambre un peu plus tard, mais l’un d’eux s’est enquis si la plaignante serait capable de gérer la situation, ce à quoi cette dernière a répondu par l’affirmative. Il y a eu des contacts sexuels entre la plaignante et l’accusé, après quoi, au bout d’un moment, le caporal LeBlanc s’est enquis si la plaignante allait bien, puis il a quitté la chambre.

 

[9]               Quelque temps après ce contact, étant donné qu’elle était bouleversée, la plaignante a communiqué avec un ami qui est venu la rejoindre et, à sa demande, a jeté les vêtements que celle-ci avait portés durant le contact sexuel avec l’accusé.

 

[10]           Le matin du 16 avril 2010, la plaignante a rencontré un enquêteur de la police militaire, ce qui a mené à l’arrestation du caporal LeBlanc. Durant l’après-midi, une infirmière spécialisée dans les affaires d’agression sexuelle a procédé à un examen médical de la plaignante. Le caporal LeBlanc a été formellement accusé d’avoir commis une infraction d’ordre militaire au titre d’une agression sexuelle. Une cour martiale générale a déclaré l’accusé coupable en janvier 2010. L’accusé a interjeté appel de cette condamnation. En octobre 2011, la Cour d’appel de la cour martiale a fait droit à l’appel et a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

 

[11]           Avant d’exposer l’analyse juridique de la cour, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve « hors de tout doute raisonnable », une norme qui est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[12]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est sans doute le principe fondamental par excellence de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n’a pas à prouver son innocence. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction.

 

[13]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve de la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[14]           La cour doit déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité ou après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Par la suite, la Cour suprême et les tribunaux d’appel ont appliqué les principes définis dans l’arrêt Lifchus dans de nombreuses décisions. En substance, le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il s’agit d’un doute fondé sur la raison et le sens commun. C’est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée ne constitue nullement une indication de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations auxquelles un accusé doit répondre sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation présenté à la cour.

 

[15]           Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a statué que

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[16]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite a simplement le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le caporal LeBlanc, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue ou aurait été convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[17]           Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages faits sous serment ou affirmation solennelle devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d’experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

[18]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

[19]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’appréciation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer et les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

[20]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour apprécier sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

[21]           De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent innocemment, ne signifient pas nécessairement qu’il y a lieu d’écarter un témoignage. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et il pourrait bien corrompre l’ensemble du témoignage.

[22]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

[23]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève d’importantes questions de crédibilité, et il s’agit d’un cas où la méthode d’appréciation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W (D) se doit d’être appliquée, car l’accusé, le caporal LeBlanc, a témoigné. La Cour suprême a établi le critère comme suit à la page 758 de cet arrêt :

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[24]           Ce critère a été énoncé principalement pour éviter que le juge des faits ne procède en déterminant quelle preuve il croit : celle produite par l’accusé ou celle présentée par la poursuite. Cependant, il est également clair que la Cour suprême du Canada a souvent répété qu’il n’est pas nécessaire de réciter cette formule mot à mot comme une incantation (voir R c S (W D), [1994] 3 RCS 521 à la page 533). La présente cour ne doit pas tomber dans le piège de choisir entre deux versions ou de donner l’impression de l’avoir fait.

 

[25]           L’article 271 du Code criminel est ainsi rédigé :

 

AGRESSION SEXUELLE

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

[26]           Dans l’arrêt R c Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge McIntyre a donné une définition de l’agression sexuelle :

 

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant le paragraphe 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime

 

[27]           Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

 

VOIES DE FAIT

 

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas:

 

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

 

[28]           Dans l’arrêt R c Ewanchuck, [1999] 1 RCS 330, il a été établi que, pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise.

 

[29]           L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités, et il est établi par la preuve de trois éléments : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l’absence de consentement.

 

[30]           Le consentement met en cause l’état d’esprit de la plaignante. La plaignante a-t-elle volontairement consenti à ce que l’accusé fasse ce qu’il a fait de la manière dont il l’a fait au moment où il l’a fait? Autrement dit, la plaignante voulait-elle que l’accusé fasse ce qu’il a fait? Un accord volontaire est un accord que donne une personne qui est libre d’être en accord ou en désaccord, de son propre gré.

 

[31]           Le seul fait que la plaignante n’ait pas résisté ni livré bataille ne veut pas dire qu’elle a consenti à ce que l’accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qui va arriver et décide, sans l’influence de la force, de menaces, de craintes, de fraude ou d’un abus d’autorité, de laisser les événements se produire.

 

[32]           La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle‑ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement.

 

[33]           Ainsi, la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : la poursuite devait prouver l’identité de l’accusé et la date et le lieu allégués dans l’acte d’accusation. La poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants : le fait que le caporal LeBlanc avait employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante; le fait que le caporal LeBlanc avait employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante; le fait que la plaignante n’avait pas consenti à l’emploi de la force; le fait que le caporal LeBlanc avait connaissance de l’absence de consentement de la plaignante ou qu’il a fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard; et le fait que les contacts du caporal LeBlanc à l’endroit de la plaignante étaient de nature sexuelle.

 

[34]           En plus d’avoir pris connaissance du droit relatif à la charge de la preuve et au fardeau de preuve, j’ai aussi noté qu’il n’y a aucune exigence légale de corroboration du récit de la plaignante. Enfin, j’ai noté que le consentement est entièrement subjectif et qu’il exige « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle » suivant l’article 273.1 du Code criminel.

 

[35]           Après avoir procédé à cet exposé sur la présomption d’innocence et sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, j’examinerai maintenant les questions en litige en l’espèce et traiterai des principes juridiques.

 

[36]           La cour a trois questions principales à trancher dans le présent procès :

 

a.                   La poursuite a-t-elle prouvé ou non hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’avait pas consenti à la force que le caporal LeBlanc avait employée intentionnellement?

 

b.                  La poursuite a-t-elle prouvé ou non hors de tout doute raisonnable que le caporal LeBlanc savait que la plaignante n’avait pas consenti à la force qu’il avait employée intentionnellement? Et si la cour conclut que la poursuite a réussi à faire cette preuve de ces deux éléments intentionnels, alors,

 

c.                   L’accusé pouvait-il ou non avoir une croyance sincère, mais erronée que la plaignante avait donné son consentement?

 

[37]           Concernant les autres éléments essentiels de l’infraction, l’accusé a concédé et admis, dans son propre témoignage et par l’entremise de son avocat de la défense, que la poursuite les avait établis hors de tout doute raisonnable, ce qui signifie qu’en plus de l’identité, de la date et du lieu, il a admis qu’il y avait eu des attouchements entre lui et la plaignante, que ce contact était de nature sexuelle, et qu’il l’avait touchée intentionnellement.

 

[38]           Maintenant, la cour applique le critère énoncé dans l’arrêt R c W (D) de la Cour suprême afin de déterminer si elle peut trouver quelque motif, à la lumière de la preuve prise dans son ensemble, de ne pas croire le témoignage de l’accusé, et plus précisément sur la question de l’absence de consentement de la part de la plaignante concernant les contacts sexuels et sur la question de savoir si l’accusé avait connaissance de cette absence de consentement de la part de la plaignante.

 

[39]           Le caporal LeBlanc a témoigné d’une manière franche et relativement calme. Son témoignage n’était pas nécessairement cohérent, et, à l’égard de certaines questions au sujet desquelles il a témoigné, cela a suscité des réserves dont la cour doit traiter.

 

[40]           Le caporal LeBlanc a dit à la cour durant son interrogatoire principal que ce n’était qu’après une période de sept jours au cours desquels il avait rencontré la plaignante de 10 à 20 fois pendant une période de 5 à 10 minutes chaque fois qu’il avait développé une relation amicale avec elle. En contre-interrogatoire, il est allé plus loin en qualifiant d’étroite sa relation avec la plaignante. Cependant, lorsque le procureur le lui a demandé, il n’a pu identifier aucun lien précis ou spécial qui aurait aidé la cour à comprendre pourquoi il aurait pu développer une amitié aussi proche en si peu de temps, comme celle qu’il avait, et a toujours, avec son compagnon de chambre à l’époque. En vérité, il ne savait pas grand-chose de la vie personnelle de la plaignante, notamment de son orientation sexuelle. L’accusé semblait vouloir faire en sorte que le rapport sexuel qu’il avait eu avec la plaignante apparaisse comme une étape normale, compte tenu de la proche amitié qu’il prétendait les lier à cette époque. Cependant, le témoignage du caporal LeBlanc au sujet de leur relation factuelle ne cadrait pas avec la qualification qu’il en faisait.

 

[41]           L’accusé a dit à la cour que l’orientation sexuelle de la plaignante n’avait jamais été discutée et qu’il avait seulement une impression à l’époque, et toujours d’après cette impression, que la plaignante était confuse quant à son orientation sexuelle. En admettant sa connaissance de la confusion de la plaignante, il a confirmé à la cour qu’il savait que la plaignante pouvait avoir une certaine réticence à avoir un rapport sexuel avec un homme. Cependant, malgré ce qu’il a dit être une proche amitié avec la plaignante, son témoignage a révélé qu’il n’avait jamais réellement prêté attention à ce facteur. Cela indique donc à la cour que, dans le contexte où il n’éprouvait pas d’attirance physique pour la plaignante, l’accusé avait une perspective très égoïste concernant ses propres besoins sexuels.

 

[42]            Le caporal LeBlanc a témoigné au sujet de sa consommation d’alcool le jour de l’incident. Il a été transparent quant au nombre de bières qu’il avait bues ce jour-là, soit onze en l’espace d’environ dix heures. Cependant, sa position a considérablement changé entre le début et la fin de son témoignage. Tandis qu’il a affirmé en interrogatoire principal qu’il était sobre, à savoir qu’il n’était pas affecté par l’alcool, tout au long de la journée, il a changé sa position en contre-interrogatoire, après avoir admis que ses facultés étaient légèrement affaiblies par sa consommation d’alcool et qu’il avait peut-être été plus désinhibé dans le courant de la soirée. La cour ne pense pas qu’il ait tenté de minimiser son degré d’intoxication le soir de l’incident, comme ce fut le cas de sa capacité à évaluer et à prendre des décisions personnelles.

 

[43]           Durant l’interrogatoire principal, l’accusé a dit à la cour qu’il n’était pas déprimé, mais qu’il avait probablement besoin de se faire remonter le moral. Cependant, en contre-interrogatoire, il a dit à la cour qu’il s’ennuyait, qu’il se sentait un peu déprimé et qu’il se passait beaucoup de choses, beaucoup d’émotions remuées par la perte récente de deux amis, l’un en Afghanistan et un autre qui s’était suicidé sur la base, et aussi parce que son amie de cœur le harcelait au téléphone et que leur relation avait pris fin ce jour-là parce qu’ils avaient rompu.

 

[44]           Enfin, la description que l’accusé a faite du rapport sexuel qu’il avait eu avec la plaignante, qu’il a décrit comme très consensuel et plaisant, contraste du tout au tout avec les éléments de preuve non contestés concernant la réaction de la plaignante après cet événement, son appel à l’aide fait à un ami, la mise au rebuts de ses vêtements qu’elle avait portés durant l’incident et les renseignements reçus par la police militaire de la BFC Edmonton au petit matin du 16 avril 2008 selon lesquels la plaignante avait été agressée sexuellement.

 

[45]           Ces questions ont amené la cour à conclure que le témoignage du caporal LeBlanc avait changé sur des points essentiels au fil du temps et qu’il comportait certaines contradictions importantes. Aussi, en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt R c W (D) de la Cour suprême, et après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, la cour est d’avis qu’elle ne doit pas croire le témoignage de l’accusé au sujet du consentement de la plaignante au contact et au rapport sexuels qu’ils ont eus et quant à la question de savoir s’il savait qu’elle n’était pas consentante.

 

[46]           La cour passera maintenant à la deuxième étape du critère énoncé dans l’arrêt R c W (D) de la Cour suprême. Malgré que la cour ait conclu qu’elle ne devait pas croire le témoignage du caporal LeBlanc, elle doit déterminer quelles en sont les répercussions sur les éléments de preuve pris dans leur ensemble.

 

[47]           Certaines parties du témoignage de l’accusé, même si la cour a dit qu’il ne devait pas être cru sur certains points, soulèvent des préoccupations à l’égard du témoignage de la plaignante. Bien que celle-ci ait dit que l’accusé était une connaissance, entendant par là qu’elle ne savait pas grand-chose à son sujet, elle l’a invité à passer du temps avec elle et à l’accompagner à différents endroits durant l’après-midi, et elle n’a eu aucune hésitation à lui confier son vélo avec ses clés pour qu’il le range dans son armoire de rangement, à lui donner certains de ses meubles et à rester seule avec lui dans sa chambre tard dans la soirée.

 

[48]           La cour comprend parfaitement que la plaignante est une personne très gentille qui est prête à aider les gens, mais sa description de ce qu’elle a fait avec l’accusé ce jour-là la veille du contact sexuel, indique à la cour que sa gentillesse allait au-delà du désir d’aider tout simplement quelqu’un qu’elle ne connaissait pas bien. Ce qu’elle a décrit à la cour est une situation où elle était personnellement préoccupée au sujet de quelqu’un à qui elle faisait confiance comme à un ami à ce moment-là, mais dont elle ne veut pas entendre parler depuis l’incident. Le fondement factuel qu’elle a évoqué devant la cour cadre mal avec son affirmation selon laquelle l’accusé était simplement une sorte de connaissance.

 

[49]            De plus, il importe de mentionner que la plaignante a affirmé – ce qui rejoint l’impression de la cour – que le passage du temps avait eu de sérieuses répercussions sur son souvenir des événements, comme c’était le cas pour tous les autres témoins à ce procès, y compris l’accusé. Elle a affirmé que le fait de revivre cet incident en cour la traumatisait de nouveau, surtout dans le contexte de son diagnostic d’ESPT lié à cet incident, et qu’elle n’avait aucune volonté claire de se souvenir.

 

[50]           Durant son contre-interrogatoire, alors que l’avocat de la défense lui présentait des éléments de preuve afin de contredire ses souvenirs ou de rafraîchir sa mémoire, elle a clairement affirmé à plusieurs reprises qu’elle ne contestait pas les éléments de preuve qu’elle avait fournis dans le passé, mais aujourd’hui, elle ne parvenait tout simplement pas à se souvenir de certaines choses au sujet desquelles elle était interrogée. Ainsi, elle ne parvenait tout simplement pas à se souvenir.

 

[51]           À titre d’exemple, la plaignante avait beaucoup de mal à décrire l’aménagement de sa chambre et à dire où était situé son lit et quelles en étaient les dimensions. Aussi, elle éprouvait certaines difficultés à se rappeler si elle avait eu une relation sexuelle complète avec l’accusé et dans quelle mesure elle avait eu lieu. Tandis que la plaignante ne parvenait pas à se rappeler quand elle avait vu l’accusé pour la première fois et elle était incapable de dire pendant combien de temps elle l’avait connu avant l’événement, le témoignage de l’accusé démontrait qu’ils se connaissaient depuis environ un mois et qu’ils ne s’étaient pas vus depuis plus d’une semaine au moment de l’incident.

 

[52]           Comme les deux avocats l’ont reconnu, la plaignante a été un témoin difficile, très émotif, parfois incohérent, frustré, argumentateur, agressif et pourvu d’une mémoire atteinte. Les contradictions dans son témoignage, combinées à son incapacité à se souvenir de certaines questions, font d’elle un témoin non fiable.

 

[53]           Concernant les trois autres témoins, la cour est prête à tous les considérer comme crédibles et fiables. Ils ont témoigné d’une manière claire et franche. Il est clair qu’ils n’avaient aucun intérêt dans l’issue du procès. Ils ont clairement dit à la cour ce qu’ils savaient ou ne savaient pas.

 

[54]           Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, même si elle ne les a pas crus, il subsiste dans l’esprit de la cour un doute raisonnable du fait du témoignage du caporal LeBlanc sur la question du consentement à la force employée intentionnellement contre la plaignante et sur sa connaissance du fait que la plaignante n’avait pas donné son consentement à la force qu’il avait employée intentionnellement dans le cadre de l’incident dont la cour est saisie. Son témoignage a amené la cour à conclure que les éléments de preuve présentés par la plaignante, qui constituaient la pierre angulaire de la preuve présentée par la poursuite, ne sont pas fiables et ont laissé subsister certains doutes dans l’esprit de la cour quant à la crédibilité de la plaignante.

 

[55]           Enfin, j’ajouterais que, malgré que la cour n’ait pas tenu compte du témoignage de l’accusé, la cour aurait également conclu que la poursuite n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’avait pas consenti à avoir des contacts et des rapports sexuels avec l’accusé. La cour juge qu’en soi le témoignage de la plaignante n’est pas fiable.

 

[56]           Aussi, la cour n’a pas à statuer sur la question de la croyance sincère, mais erronée. Cependant, il est clair aux yeux de la cour que si elle avait admis les éléments de preuve présentés par la plaignante, il aurait été difficile de dire à la décharge de l’accusé que celui-ci avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer que la plaignante était consentante.

 

[57]           En conséquence, eu égard à la conclusion de la cour concernant les éléments essentiels de l’article 271 du Code criminel, surtout l’absence de consentement de la plaignante et la question de savoir si l’accusé savait que la plaignante n’avait pas donné son consentement à la force qu’il avait employée intentionnellement, et à l’application de ces éléments aux faits de la présente espèce, la cour n’est pas convaincue que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de preuve en établissant hors de tout doute raisonnable le fait que l’accusé avait effectivement agressé M.G. sexuellement ou commis des voies de fait à son endroit.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

DÉCLARE le caporal LeBlanc non coupable de la première et seule accusation énoncée dans l’acte d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Major D. Hodson et major C.E. Thomas, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine M. Pecknold et capitaine A.-C. Samson, Service d’avocats de la défense

Avocats de l’ex-caporal T. LeBlanc

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