Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 13 février 2012

Endroit : BFC Cold Lake, Édifice 675, chemin Kingsway, Cold Lake (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, résister à une arrestation (art. 129a) C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c Major, 2012 CM 3002

 

Date : 20120213

Dossier : 201140

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes de Cold Lake

Cold Lake (Alberta) T9M 2C6

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal C.M.G. Major, contrevenant

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Caporal Major, la Cour a accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité relativement au premier et seul chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation et elle vous déclare aujourd’hui coupable de cette infraction. Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la Cour martiale permanente, de déterminer la peine.

 

[2]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, laquelle constitue une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[3]               Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

[4]               En l’espèce, le poursuivant a recommandé que la Cour vous condamne à une peine de détention de 14 jours. Votre propre avocat a dit à la Cour que l’incarcération était inappropriée dans les circonstances de la présente espèce et il a suggéré à la Cour d’infliger une réprimande ou une amende au montant de 500 $.

 

[5]               Infliger une peine est la tâche la plus difficile qu’un juge doit accomplir. La Cour suprême du Canada a reconnu, dans l’arrêt Généreux, à la page 293, que pour que « les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Cependant, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’infliger une peine qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  dénoncer le comportement illégal;

 

c.                   dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

 

[7]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.                   la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.                  la peine doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui-ci;

 

c.                   la peine doit être semblable à celles infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

d.                  le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e.                   enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

 

[8]               Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, la peine doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il est important de préciser que l’effet dissuasif général vise à faire en sorte que la peine infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne se trouvant dans une situation semblable et qui, pour quelque raison que ce soit, serait tentée de se livrer aux mêmes actes illicites. 

 

[9]               Le soir du 4 octobre 2009, des policiers militaires se sont présentés à la résidence du caporal Major après avoir reçu un appel téléphonique anonyme et avoir effectué certaines recherches. Ils ont appris de la conjointe de fait du caporal Major que celui-ci buvait beaucoup et que celle-ci estimait qu’elle ne pouvait plus le contrôler. Les policiers militaires ont décidé de mettre le caporal Major en état d’arrestation pour violation de la paix afin d’assurer la sécurité de Mme Lavoie. Ils ont avisé le caporal Major qu’il était en état d’arrestation pour violation de la paix. Alors qu’il se trouvait dans sa résidence, le caporal Major a résisté physiquement aux policiers, et ceux-ci ont dû le maîtriser physiquement. Une fois maîtrisé, le caporal Major s’est retourné et a frappé avec son genou un des policiers militaires à la jambe. Il a ensuite tenté de sauter en bas de l’escalier à l’avant de sa résidence, mais il en a été empêché. Il a commencé à crier bruyamment. Alors que les policiers militaires s’efforçaient tant bien que mal de le faire monter à l’arrière du véhicule de patrouille, le caporal Major s’est délibérément frappé la tête contre le véhicule. Il a finalement été amené au détachement de la police militaire de la 4e escadre, où il a été détenu pendant une journée.

 

[10]           Pour fixer la peine qu’elle estime juste et appropriée, la Cour a pris en compte les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants :

 

a.                   La cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. L’infraction dont vous avez été accusé a été déposée en conformité avec l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir résisté à votre arrestation en violation de l’alinéa 129a) du Code criminel du Canada, une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement d’au plus deux ans ou d’une peine moins sévère.

 

b.                  Deuxièmement, en ce qui a trait à la gravité subjective de l’infraction, la Cour tient compte de trois éléments :

 

                                                  i.                  Vous avez totalement manqué de respect envers les personnes chargées d’appliquer la loi et de protéger notre collectivité. Après avoir été avisé que vous étiez en état d’arrestation, vous n’avez pas hésité à résister physiquement, à frapper à la jambe un policier dans l’exercice de ses fonctions et à crier.

 

                                                ii.                  Votre expérience et les principes éthiques auxquels vous aviez souscrit en tant que membre des Forces canadiennes ‑ obéir aux autorités légitimes et les appuyer, par exemple ‑ auraient dû l’emporter et dicter votre comportement. Au contraire, vous êtes devenu agressif et irrespectueux, ce qui était inattendu d’une personne comme vous. 

 

                                              iii.                  Le fait que vous ayez été en état d’ébriété doit également être considéré comme un facteur aggravant parce que vous vous êtes mis vous-même dans cet état. Vous avez décidé de boire de l’alcool jusqu’au point où votre comportement est devenu dangereux pour autrui, et selon ce que je comprends, personne ne vous a forcé à boire autant.

 

[11]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

a.                   Tout d’abord, il s’agit de votre plaidoyer de culpabilité. Vu les faits présentés en l’espèce, la Cour ne peut que considérer votre aveu de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Ce plaidoyer révèle également que vous assumez la pleine responsabilité des actes que vous avez commis. 

 

b.                  Votre âge et vos perspectives professionnelles en tant que membre des Forces canadiennes : comme vous avez seulement 29 ans, vous disposez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement aux Forces canadiennes et à la société canadienne. 

 

c.                   Le fait d’avoir eu à vous présenter devant la présente Cour martiale, dans le cadre d’une audience annoncée et ouverte au public, et qui s’est déroulée en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Une telle situation laisse savoir que le genre de conduite que vous avez eue ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence. 

 

d.                  Le fait que vous n’ayez aucune fiche de conduite ni dossier criminel pour des infractions de nature semblable;

 

e.                   Le fait que vous ayez passé une journée en détention peut être considéré comme un facteur dissuasif qui vous a découragé d’adopter encore la même mauvaise attitude;

 

f.                   Le fait que cet incident ait eu sur vous l’effet d’une sonnette d’alarme et vous ait incité à chercher de l’aide pour surmonter votre dépendance aux drogues et à l’alcool et mieux gérer vos humeurs. Cela a mené à ce que l’on diagnostique récemment chez vous un trouble dépressif majeur, pour lequel vous prenez maintenant des médicaments indiqués qui ont amélioré vos humeurs et vos habitudes de sommeil. La Cour tient aussi à souligner que depuis que vous avez fait ces démarches, aucun autre incident signalé n’est survenu à la maison ni au travail, ce qui démontre clairement que ce que vous avez fait pour vous-même est significatif.

 

g.                  Le long délai qui s’est écoulé pour résoudre la présente affaire. La Cour ne veut pas blâmer qui que ce soit en l’espèce, mais plus une affaire disciplinaire grave est traitée rapidement, plus la peine est pertinente et efficace au regard des objectifs pris en compte par la Cour et de l’effet sur le moral et la cohésion des membres de l’unité. Le temps écoulé depuis que l’incident est survenu, soit 28 mois, est l’un des facteurs qui diminuent la pertinence d’une peine plus sévère qui se veut dissuasive. 

 

[12]           S’agissant de l’imposition par la Cour d’une peine d’incarcération au Caporal Major, la Cour suprême du Canada a bien établi dans l’arrêt R c Gladue, [1999] 1 RCS 688, aux paragraphes 38 et 40, que l’emprisonnement devrait être la sanction de dernier recours. La Cour suprême du Canada a précisé que l’incarcération sous forme d’emprisonnement n’est justifiée que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le délinquant. La Cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire, compte tenu des principales différences entre le régime des peines qu’applique le tribunal civil siégeant en matière pénale et celui que prévoit la Loi sur la défense nationale dans le cas d’un tribunal militaire. La Cour d’appel de la cour martiale a confirmé cette approche dans R. c Baptista, 2006 C.A.C.M. 1, aux paragraphes 5 et 6, lorsqu’elle a affirmé qu’une peine d’emprisonnement ne devrait être infligée qu’en dernier recours. 

 

[13]           Dans la présente affaire, compte tenu de la nature purement criminelle de l’infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, des principes de détermination de la peine applicables et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus que d’autres sanctions ou combinaisons de sanctions autres que l’incarcération sembleraient être indiquées en l’espèce. 

 

[14]           Malgré la gravité de ce que vous avez fait ce triste jour du 4 octobre 2009, le temps qui s’est écoulé permet clairement de démontrer qu’il s’agissait d’un incident qui ne correspondait pas réellement à qui vous êtes, et puisque vous vous êtes attaqué sur-le-champ à la source du problème que vous éprouviez et qui vous avait amené à adopter un comportement inapproprié ce jour-là, la Cour estime que l’incarcération n’est pas appropriée dans les circonstances très particulières de l’espèce. Il est clair aux yeux de la Cour que vous avez bien compris que quelque chose n’allait pas et que vous avez pris les mesures nécessaires pour y voir. Cependant, dans les circonstances de la présente affaire, je conclus que pour tenir compte de la gravité de l’infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, des principes applicables de détermination de la peine, des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés et du fait que la peine devrait être semblable aux peines imposées dans des circonstances semblables comme dans la décision Crawford, 2008 CM 4003, une réprimande combinée à une amende constituerait une peine appropriée en l’espèce.

 

[15]           La Cour rappelle que la réprimande doit être considérée comme une peine sévère dans le contexte militaire. Elle est plus sévère dans l’échelle des peines que l’amende, indépendamment du montant de celle-ci. Elle montre qu’il existe des raisons de douter de l’engagement de la personne concernée lors de l’infraction et tient compte de la gravité de celle-ci, mais elle signifie également qu’il est permis d’espérer la réinsertion. De plus, cette punition restera sur votre fiche de conduite à moins que vous ne bénéficiiez d’une réhabilitation suspendant le casier judiciaire que vous est aujourd’hui attribué. Dans les faits, votre condamnation entraînera une conséquence qui est souvent ignorée, à savoir que vous avez désormais un dossier criminel, fait en soi non négligeable. 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

 

[16]           Vous DÉCLARE coupable du premier et seul chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation, relativement à l’infraction, prévue à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir résisté à votre arrestation en violation de l’alinéa 129a) du Code criminel.

 

[17]           Vous CONDAMNE à une réprimande et une amende de 500 $. L’amende sera payée par versements de 100 $ par mois le premier jour de chaque mois pendant cinq mois à compter du 1er mars 2012. Si, pour quelque raison que ce soit, vous étiez libéré des Forces canadiennes avant que l’amende ne soit entièrement acquittée, le montant impayé deviendrait exigible le jour précédant votre libération.

 


 

Avocats

 

Capitaine de corvette S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Capitaine J.A. Peck, juge avocat adjoint Kingston

Avocats du Caporal C.M.G. Major

 

 

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