Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 26 mai 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.)
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Morel, 2014 CM 3010

 

                                                                                                                     Date : 20140530

                                                                                                                    Dossier : 201389

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                    Centre Asticou

                                                                                                  Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

- et -

 

Sergent J.E. Morel, requérant

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

(Oralement)

 

LE CONTEXTE

 

[1]               Le sergent Morel est accusé devant la présente Cour martiale permanente d'une accusation punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale (ci-après la LDN), soit d'agression sexuelle contrairement à l'article 271 du Code criminel, et de deux autres infractions de conduite déshonorante contrairement à l'article 93 de la LDN.

 

[2]               Au début du procès, soit le 26 mai 2014, avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, l'avocat de la défense qui représente le sergent Morel a présenté une requête pour laquelle un avis écrit avait été reçu par le bureau de l'administrateur de la cour martiale le 21 mai 2014.

 

[3]               Cette requête préliminaire vise à obtenir de la cour martiale une déclaration à l'effet que l'alinéa 130(1)a) de la LDN et son règlement afférent, l'article 103.61 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) sont tous les deux invalides en vertu de l'application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, si la cour en vient à faire une telle conclusion, le requérant demande à cette cour de le déclarer, par le fait même, non coupable du premier chef d'accusation porté en vertu de l'article 130 de la LDN.

 

[4]               Cette requête préliminaire est présentée par le requérant dans le cadre du sous-alinéa 112.05(5)e) des ORFC à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait, à être tranchée par le juge militaire qui préside la cour martiale, le tout en référence à l'article 112.07 des ORFC.

 

LA PREUVE

 

[5]               La preuve au soutien de cette requête est composée de l'avis de requête préliminaire et d'un affidavit attestant que l'avis de requête a été signifié au Procureur général du Canada.

 

[6]               Compte tenu de la nature particulière de cette requête et du contexte juridique dans laquelle elle est faite, et dont je discuterai plus loin, la cour a jugé appropriée qu'elle soit entendue, avec le consentement des parties, après que la preuve de la poursuite soit complétée dans le cadre du procès principal.

 

[7]               À cet effet, de consentement les parties ont demandé et ont été autorisées par la cour, dans le contexte précis de cette requête, à verser la totalité de la preuve présentée par la poursuite dans le cadre du procès principal. Cette dernière est constituée des témoignages de la plaignante, S.J.B., et du caporal-chef McCord, de l'ordre de convocation, de l'acte d'accusation et d'une copie d'un extrait du Concise Oxford Dictionary référant à la définition du mot « centrefold ».

 

LES FAITS

 

[8]               Dans le cadre d'une formation pour officiers d'affaires publiques des Forces canadiennes qui se déroulait du 30 avril au 2 mai 2007 dans un édifice situé au 45 rue Sacré-Coeur à Gatineau, province de Québec, le sergent Morel, technicien en imagerie aurait reçu la tâche d'agir à titre de photographe et de caméraman afin de simuler des « scrum » et entrevues télévisées permettant d'évaluer les candidats de ce cours.

 

[9]               S.J.B. était une candidate sur ce cours. Dans le cadre d'une préparation à une entrevue, au moment où le sergent Morel installait un microphone sur cette candidate alors qu'ils étaient tous les deux dans le grand hall de l'édifice, il est allégué que le sergent Morel lui aurait touché une fesse en lui murmurant tout doucement qu'il voulait faire d'elle une page centrale (« making me a centrefold ») ou des mots à cet effet.

 

 

LA POSITION DES PARTIES

 

[10]           Essentiellement, le requérant soumet la présente requête afin de préserver les droits de son client en ce qui a trait à la question de la constitutionnalité de l'alinéa 130(1)a) de la LDN, considérant qu'il fait l'objet d'une accusation en vertu de cet article.

 

[11]           Cette question a été présentée et décidée par plusieurs cours martiales et a fait l'objet, à ce jour, de trois décisions de la part de la Cour d'appel de la cour martiale: R c Moriarity, 2014 CACM 1, R c Vezina, 2014 CACM 3 et R c Larouche, 2014 CACM 6. Plus particulièrement, les décisions de Moriarity et de Vezina font présentement l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, d'où l'idée du requérant d'obtenir une décision dans le cadre de sa propre cour martiale sur ce sujet précis.

 

[12]           Le requérant cherche donc à obtenir de la part du juge présidant la cour martiale un jugement déclaratoire quant au statut de l'alinéa 130(1)a) de la LDN.

 

[13]           Quant à la partie intimée dans cette requête, elle est d'avis que les décisions précédemment mentionnées de la Cour d'appel de la cour martiale ont réglé la question et elle est d'avis que lorsqu'un accusé soulève maintenant cette question précise, elle devrait être plutôt traitée par la cour comme une requête pour fins de non-recevoir relative à l'effet que l'accusation n'est pas de la compétence de la cour.

 

ANALYSE

 

[14]           La Cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire Moriarity a conclu à l'unanimité que l'alinéa 130(1)a) de la LDN n'avait pas une portée excessive, considérant l'application de l'exigence du lien de connexité avec le service militaire, et n'allait pas ainsi à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou de tout autre droit contenu dans cette Charte.

 

[15]           Au paragraphe 45 de cette décision, la cour mentionne :

 

Par ailleurs, la vaste portée de l'alinéa 130(1)a) doit être interprétée dans le contexte de l'exigence selon laquelle on doit être en présence d'un lien de connexité avec le service militaire; autrement, les tribunaux militaires n'auraient aucun pouvoir en vertu de la LDN à l'égard des infractions d'ordre public n'ayant pas de lien militaire clair.

 

[16]           Plus loin, au paragraphe 105 de cette même décision, elle conclut :

 

En conclusion, bien interprété, l'alinéa 130(1)a) de la LDN n'a pas une portée excessive. Sa portée, bien que vaste, est limitée par l'exigence du lien de connexité avec le service militaire, qui veille à ce que la disposition ne soit pas plus vaste que nécessaire pour réaliser l'objectif de la LDN : permettre aux Forces armées de traiter des questions directement liées à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. Par conséquent, la disposition ne va pas à l'encontre de l'article 7 de la Charte.

 

[17]           Les décisions de la Cour d'appel de la cour martiale dans Vezina et Larouche ont confirmé ce raisonnement. Dans la décision de Vézina, la cour s'est exprimée de la manière suivante au paragraphe 12 :

 

Sur le fond de la question constitutionnelle, nous constatons que, dans l'arrêt Moriarity c La Reine, 2012 CAMC 3017, notre cour a rejeté une contestation identique. Nous nous estimons liés par l'arrêt Moriarity, parce que l'appelante ne nous a pas persuadés que la cour a commis une erreur manifeste.

 

[18]           Dans Larouche, la Cour d'appel de la cour martiale s'est exprimée ainsi sur cette question au paragraphe 8 de la décision :

 

Je partage entièrement l'approche et les conclusions du juge en chef Blanchard dans l'arrêt Moriarity/Hannah au sujet de la portée excessive de l'alinéa 130(1)a) de la LDN et de la violation de l'article 7 et de l'alinéa 11f) de la Charte

 

[19]           Cependant, dans Larouche, la cour est allée un peu plus loin en s'exprimant ainsi aux paragraphes 12 à 15 :

 

[12]         L'alinéa 130(1)a) de la LDN confère compétence aux tribunaux militaires à l'égard tant des infractions militaires contenues dans la LDN que des infractions pénales à la loi ordinaire. La question est de savoir s'il a une portée excessive et s'il prive les personnes assujetties à la LDN du droit de bénéficier d'un procès avec jury relativement à des infractions qui ne relèvent pas de la justice militaire au sens de l'alinéa 11f) de la Charte.

 

[13]         Dans l'arrêt Moriarity/Hannah, le juge en chef Blanchard fait une synthèse remarquable de la jurisprudence de notre cour et de celle de la Cour suprême, de l'histoire législative de la LDN, son objet et son fonctionnement de même que de l'objet du Code de discipline militaire qu'il définit selon les termes utilisés par le juge en chef Lamer dans R c Généreux : « [l]e but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes ».

 

[14]        J'estime, comme lui, que la constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) ne peut être préservée que si on l'interprète comme le juge en chef Mahoney l'a fait dans MacDonald c R [16] il y a plus de trente ans :

 

An offence that has a real military nexus and falls within the letter of subsection 120(1) [maintenant le paragraphe 130(1)] of the National Defence Act [is] an offence under military law as that term is used in paragraph 11(f) of the Charter of Rights.

[15]         Pour les motifs qui suivent, je conclus que le paragraphe 130(1) de la LDN viole l'article 7 et l'alinéa 11f) de la Charte, car il a une portée excessive qui est susceptible - sans l'application du critère du lien de connexité avec le service militaire - de priver les militaires canadiens de leur droit constitutionnel de bénéficier d'un procès par jury.

 

[20]           À titre de remède, la Cour d'appel de la cour martiale dans cette décision en vient à la conclusion que l'alinéa 130(1)a) de la LDN doit faire l'objet d'une interprétation large et doit maintenant se lire comme suit :

[134] L'alinéa 130(1)a) de la LDN doit donc maintenant se lire de la manière suivante:

130. (1) Constitue une infraction à la présente section tout acte ou omission, qui est à ce point relié à la vie militaire, par sa nature et par les circonstances de sa perpétration, qu’il est susceptible d’influer sur le niveau général de discipline et d’efficacité des Forces canadiennes:

130. (1) An act or omission which is so connected with the service in its nature, and in the circumstances of its commission, that it would tend to affect the general standard of discipline and efficiency of the service of the Canadian Forces

a) survenu au Canada et punissable sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale;

(a) that takes place in Canada and is punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament, or

[…]

[…]

Quiconque en est déclaré coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

is an offence under this Division and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

 

[21]           C'est donc dans ce contexte que le requérant soulève la question de la constitutionnalité de l'alinéa 130(1)a) de la LDN.

 

[22]           La cour est d'avis que la position de la partie intimée dans cette requête doit recevoir application. En effet, tel que mentionné par la Cour d'appel de la cour martiale dans Larouche au paragraphe 6 :

 

La constitutionalité de l'alinéa 130(1)a) de la LDN est une question de compétence selon l'article 112.24 des ORFC...

 

[23]           En conséquence, la cour est d'avis que dans le contexte actuel du droit, cette question ne peut être soulevée par le requérant que dans le cadre d'une requête pour fins de non-recevoir pour laquelle lui appartiendra le fardeau de démontrer que l'accusation n'est pas de la compétence de la cour. Désormais, c'est sous cet angle que j'aborderai la question et que j'entendrai donc une telle requête au moment prévu à l'article 112.05 des ORFC.

 

[24]            Pour ce qui est de la présente requête, à la lumière des décisions de la Cour d'appel de la cour martiale dans Moriarity, Vezina et Larouche, j'en viens à la conclusion que l'alinéa 130(1)a) de la LDN, tel que modifié par la décision dans Larouche, est validement constitutionnel, tel qu'établi dans ces décisions.

 

[25]           De plus, je suis d'avis que le requérant n'a pas démontré dans le cadre de la présente requête que l'acte contenu au 1er chef d'accusation n'est pas, de par sa nature et par les circonstances de sa perpétration, à ce point relié à la vie militaire qu'il n'est pas susceptible d'influer sur le niveau général de discipline et d'efficacité des Forces canadiennes.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[26]           DÉCLARE que l'alinéa 130(1)a) de la LDN, tel que modifié par la décision dans Larouche, est validement constitutionnel ;

 

[27]           DÉCLARE que le requérant n'a pas établi l'absence d'un lien de connexité avec le service militaire concernant le 1er chef d'accusation ;

 

[27]      REJETTE la requête.


 

Avocats:

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Répondante pour l'intimée

 

Major J.L.P.L. Boutin, Service d'avocats de la défense

Avocat pour l'appliquant, sergent J.E. Morel

 

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