Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 31 mars 2008

Endroit : Garnison Longue-Pointe, édifice 11, côté sud, Montréal (QC).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
•Chef d’accusation (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1)a) C. cr.).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 117f) LDN, acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Non coupable.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Capitaine (Retraité) M.R. Benoît, 2008 CM 1011

 

Dossier : 200763

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

5e GROUPE DE SOUTIEN DE SECTEUR

GARNISON DE LONGUE-POINTE

MONTRÉAL, QUÉBEC

 

Date : 9 avril 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, JUGE MILITAIRE EN CHEF

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPITAINE (RETRAITÉ) M.R. BENOÎT

(Accusé)

 

VERDICT

(Rendue oralement)

 

 

 

Introduction

 

 

[1]                    Le capitaine (Retraité) Benoît est accusé d'une part d'infractions portées aux termes de l'alinéa 125 a) de la Loi sur la défense nationale et d'autre part d'accusations de fraude aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, contrairement à l'article 380 du Code criminel ou subsidiairement d'un acte à caractère frauduleux contrairement à l'alinéa 117 f) de la Loi sur la défense nationale. Les diverses accusations portent sur des allégations de fausses déclarations sur des formules générales d'indemnité qui auraient été commises par le capitaine (Retraité) Benoît entre novembre 2005 et mai 2006 ainsi que des fausses déclarations sur des demandes d'avances comptables entre avril et mai 2006. Les accusations de nature frauduleuse allèguent des réclamations illicites d'argent des deniers publics d'environ 14,500 dollars entre novembre 2005 et mai 2006. Ces accusations gravitent essentiellement autour d'irrégularités qu'aurait commis le capitaine (Retraité) Benoît dans le cadre du régime d'indemnité des Forces canadiennes relatif aux frais d'absence du foyer d'un militaire pour laquelle une restriction imposée a été approuvée par les autorités compétentes.

 


La preuve

 

 

[2]                    La preuve devant cette cour est constituée des éléments suivants :

 

1)  Les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de l'article 15 des règles militaires de la preuve;

 

2)  L'ensemble de la preuve entendue et déposée devant la cour lors de la requête présentée par la défense pour une violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable aux termes de l'article 11 b) de la Charte. La cour ayant rejeté ladite requête, les parties on demandé à la cour de verser dans le procès l'ensemble de la preuve entendue et déposée dans le cadre de ladite requête.

 

3)  Les pièces déposées devant la Cour, soit :

 

a.   La pièce 3 ‒‒ Admission de la défense.

 

b.   La pièce 4 ‒‒ Un message d'affectation à l'endroit du capitaine (Retraité) Benoît.

 

c.   La pièce 5 ‒‒ Une demande de remboursement des frais d'absence du foyer en date du 18 juillet 2005 signée par le capitaine (Retraité) Benoît et autorisée le 19 juillet 2005 par son supérieur.

 

d.   La pièce 6 ‒‒ Une ordonnance de sauvegarde rendue par la Cour supérieure du Québec en date du 24 janvier 2006 à l'endroit de madame Ginette Soucy et monsieur Mario Caporal-chef Roche Benoît à titre de mesure de sauvegarde à laquelle est annexée une convention intérimaire entre les parties et l'avocate de madame Soucy portant la même date.

 

e.   Les pièces 7 à 13 ‒‒ Des CF 52 - Formules générales de demande d'indemnité pour Frais d'absence du foyer - Restriction imposée complétées par le capitaine (Retraité) Benoît et certifiée par l'unité auxquelles sont annexées des demandes d'avances comptables sur les fonds publics, des déclarations, des reçus et des relevés informatiques relativement à l'ensemble des sommes reçues par le capitaine (Retraité) Benoît dans le cadre de cette affaire.

 


f.    Les pièces 14 et 15 ‒‒ Des demandes d'avance comptable sur les fonds publics pour les mois d'avril et mai 2006 par le capitaine (Retraité) Benoît.

 

g.   Les pièces 16 à 19 ‒‒ Des courriels entre le caporal-chef Vachon, commis du Service des transmissions, et le capitaine Benoît.

 

h.   Les pièces 20 à 23 ‒‒ Les pièces déposées dans le cadre de la requête et versée dans le procès à la demande des parties et re-numérotées à cette fin.

 

i.    Les pièces 24 à 26 ‒‒ Un échange de courriels entre le capitaine Dubé, capitaine-adjudant du Service des transmissions, et le capitaine (Retraité) Benoît, ainsi qu'un courriel entre l'adjudant Gourde et le capitaine de corvette Raymond relativement au dossier du capitaine Benoît et son droit de réclamer les frais d'absence au foyer.

 

4.  La cour a également entendu les témoignages des personnes suivantes :

 

a.   M. Christian Blanchette, psychologue, à titre de témoin expert sur l'évolution  et le suivi de clients en matière de troubles psychologiques liés au stress et à la dépression. M. Blanchette est le psychologue clinicien du capitaine (Retraité) Benoît depuis juillet 2007 et il a été entendu dans le cadre de la requête et son témoignage a été versé dans le procès.

 

b.   Caporal-chef Line Vachon, commis chef à l'état-major du 5 GSS, qui était commis d'administration au sein du Service des transmissions durant une bonne partie de la période relative à cette affaire.

 

c.   Capitaine Sylvie Dubé, capitaine-adjudant du Service des transmissions du 5 GSS depuis octobre 2000, responsable de l'administration et conseillère du commandant de l'unité en matière administrative et des services au personnel.

 

d.   Adjudant Alain Gourde, commis chef de la salle des rapports du CHRM à Montréal de 2004 à 2007, qui était responsable entre autres d'approuver les réclamations relativement aux frais d'absence au foyer - restrictions imposées pour les gens de la garnison de Montréal.


e.   Le lieutenant-colonel Claude Bergeron, Commandant du Service des transmissions 5 GSS depuis juin 2005, qui était le commandant du capitaine (Retraité) Benoît durant les événements entourant cette affaire jusqu'au transfert de l'accusé au sein de la liste de l'effectif du personnel non-disponible.

 

f.    Le capitaine (retraité) Mario Caporal-chef Roche Benoît, l'accusé dans la présente cause.

 

g.   Madame Louise Dupuy, Travailleur social, à l'emploi du Ministère de la défense nationale qui a rencontré le capitaine (Retraité) Benoît à titre d'intervenante entre octobre 2005 et juillet 2006.

 

 

Les faits

 

 

[3]                    Les faits pertinents dans cette affaire débutent par l'affectation en juin 2005 du capitaine (Retraité) Benoît du 711e Escadron des communications de Valcartier vers l'Unité de soutien de secteur Montréal à compter du 25 juillet 2005. Le message d'affectation confirme que le capitaine (Retraité) Benoît bénéficie d'une restriction imposée (RI) telle que demandée par le militaire. Cette RI est approuvée jusqu'en juillet 2007. La preuve indique que peu avant cette affectation, il avait vécu plusieurs mois séparé de sa famille lors du processus qui l'a mené vers l'obtention de son brevet d'officier, lui qui jusque là portait le grade d'adjudant-maître. Il est opportun de préciser d'entrée de jeu que le capitaine (Retraité) Benoît souffre alors, sans que personne ne l'a formellement confirmé en 2005, du syndrome de stress post-traumatique à la suite d'événements survenus en Bosnie en 1993 et qu'il a combattu cet état par lui-même en se réfugiant dans le travail et en s'isolant des autres, y compris de sa conjointe et de ses enfants. D'ailleurs, il a témoigné avoir été séparé temporairement de son épouse en 1995 pour une période de 10 mois à la suite d'une affectation à Saint-Jean-sur-le-Richelieu en raison d'un tel comportement d'isolement.

 


[4]                    Dès juillet 2005, le capitaine (Retraité) Benoît présente ses premières demandes d'indemnité pour ses frais d'absence du foyer qui sont approuvées par ses supérieurs. C'est alors qu'un lundi aux alentours de la mi-octobre 2005, le capitaine (Retraité) Benoît demande à voir son commandant, le lieutenant-colonel Bergeron, de toute urgence. Il connaît l'accusé comme un professionnel sérieux qui jouit d'une vaste expérience. Le commandant accepte de le rencontrer sans rendez-vous à son bureau. Le capitaine (Retraité) Benoît lui fait part qu'il vient de passer la fin de semaine à Val-Bélair à son domicile de la région de Québec avec son épouse et ses enfants et que ça n'a pas bien été : tout s'écroule. Il dit à son commandant que sa femme l'avait mis dehors ou l'avait « sacré »  là! Le lieutenant-colonel Bergeron y voit là un homme sérieusement affecté à un point tel qu'il juge que le capitaine (Retraité) Benoît n'est pas en mesure de reprendre ses fonctions normalement. Le capitaine (Retraité) Benoît est désemparé et il demande de l'aide. Le lieutenant-colonel Bergeron lui dit de prendre tout le temps dont il a besoin pour remettre ses idées en place et obtenir l'aide dont il a besoin. Le capitaine (Retraité) Benoît est pris en charge par les autorités médicales peu après et il est mis en congé maladie. Le lieutenant-colonel Bergeron n'aurait pas eu d'autres contacts personnels avec le capitaine (Retraité) Benoît après cette date, sauf par le personnel médical ou administratif relativement à son état de santé durant la durée de son congé de maladie prolongé qui débute le 1er novembre 2005. Le lieutenant-colonel Bergeron  fait toutefois état d'une autre rencontre avec le capitaine (Retraité) Benoît en juin 2006 dans le cadre d'un programme de retour au travail où ce dernier lui indique que son épouse voulait reprendre la vie commune avec lui, mais que cela ne semblait pas être son intention.

 


[5]                    Suite à sa rencontre avec le lieutenant-colonel Bergeron , le capitaine (Retraité) Benoît se rend à la clinique médicale pour y rencontrer la travailleuse sociale, madame Louise Dupuy. Elle a indiqué avoir été approchée par un ami du capitaine (Retraité) Benoît, l'adjudant-maître Daigneault, qui est très inquiet de son état de santé. Madame Dupuy accepte de rencontrer le capitaine (Retraité) Benoît de toute urgence, tôt le matin du 24 octobre 2005. Elle rencontre un homme qui pleure beaucoup, a de la difficulté à parler et à s'exprimer. Le capitaine (Retraité) Benoît a témoigné qu'il a craqué. Madame Dupuy indique qu'elle y voit un homme apeuré, désorienté, confus, émotif, en état de choc. Elle fait donc une intervention destinée à calmer les personnes en état de crise. Madame Dupuy lui fait verbaliser ses émotions pour mieux comprendre la situation. Elle comprend que l'épouse du  capitaine (Retraité) Benoît veut se séparer et qu'il n'a pas vu venir un tel dénouement. Madame Dupuy observe des tendances suicidaires et elle organise son intervention autour des heures et des jours à venir. Elle conclut un pacte de non-suicide avec le capitaine (Retraité) Benoît. Elle le rencontrera à tous les jours entre le 24 octobre 2005 et le 1er novembre 2005, à l'exception de trois jours où le capitaine (Retraité) Benoît ne peut pas venir parce qu'il ne mange pas, ne dort pas et qu'il est trop faible pour conduire. D'ailleurs, il la rencontre à deux reprises durant ladite semaine accompagné de sa mère. Elle indique qu'elle voulait qu'il rencontre un médecin rapidement pour qu'il soit évalué promptement. Madame Dupuy demande alors au capitaine (Retraité) Benoît d'écrire tout ce qui lui passe par la tête et de lui envoyer des courriels dans le but de verbaliser ses émotions. C'est ce qu'il a fait presque à tous les jours à raison de trois à quatre pages sur format de huit et demi par onze. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, elle a commencé à voir tranquillement que le syndrome de stress post-traumatique pointait à l'horizon. Elle observe le capitaine (Retraité) Benoît perdre beaucoup de poids. En rétrospective, elle comprenait alors mieux pourquoi le capitaine (Retraité) Benoît était tout aussi abattu lors de leur première rencontre du fait de sa séparation. Elle constate assez tôt qu'elle ne peut l'aider seule et qu'il a besoin de traitements médicaux. Madame Dupuy l'amène voir le docteur Cardin qui est alors le médecin de garde à la clinique médicale de la base. Le docteur Cardin deviendra son médecin traitant. Elle ajoutera avoir été en contact avec le major Arguin, superviseure de l'accusé, vers la fin novembre 2005, qui lui indiquait son désir de vouloir contacter le capitaine (Retraité) Benoît  et qu'elle en était incapable. Madame Dupuy acquiesce à la demande avec la permission du capitaine (Retraité) Benoît et elle communique avec le major Arguin en présence de l'accusé. Il ressort clairement de la preuve que la chaîne de commandement de l'accusé avait été informée par les autorités médicales de ne pas entrer en contact avec le capitaine (Retraité) Benoît durant  son congé de maladie à partir de novembre 2005 en raison de son état de santé mentale très fragile. Finalement, madame Dupuy dit avoir constaté une grande détérioration dans l'état de santé du capitaine (Retraité) Benoît vers le mois de juin 2006. De juillet 2005 jusqu'en mai 2006, le capitaine (Retraité) Benoît signe et présente des formules générales d'indemnité CF 52 pour frais d'absence du foyer et des demandes d'avance comptable sur les fonds publics tel qu'il appert des pièces 7 à 16.

 


[6]                    La preuve indique que le caporal-chef Vachon a géré les réclamations du capitaine (Retraité) Benoît relativement à ses frais d'absence du foyer à partir de juillet 2005. Le capitaine (Retraité) Benoît venait signer les formulaires à la salle des rapports selon la procédure normale. Or, la situation change en novembre 2005 lorsque le capitaine (Retraité) Benoît cesse d'occuper ses fonctions et obtient un congé de maladie pour les raisons mentionnées ci-avant, mais qui ne sont pas connues à ce moment par le caporal-chef Vachon. C'est alors que le capitaine (Retraité) Benoît et le caporal-chef Vachon débutent un échange de courriels dès le 7 novembre 2005 où l'accusé lui pose des questions hypothétiques relativement à l'impact sur sa pension advenant une séparation et autres avantages. Elle lui transmet des liens internets, notamment celui qui indique les documents exigés du militaire en cas de changement touchant l'état civil qui indique d'ailleurs que le militaire doit remettre une ordonnance de séparation, le cas échéant aux autorités militaires. En ce qui a trait à la RI, elle lui mentionne être en attente d'information puisqu'il y aurait des changements à ce niveau et lui indique de communiquer tout changement de statut à sa chaîne de commandement, le cas échéant. Le capitaine (Retraité) Benoît lui envoie un autre courriel deux semaines plus tard et demande quand sa RI n'aura plus effet. Brièvement, il l'informe être en processus de médiation et ne pas savoir quand les documents officiels de séparation prennent effet. Deux jours plus tard, le caporal-chef Vachon indique au capitaine (Retraité) Benoît que la RI prend fin au moment ou il y a un changement de situation familiale. En plus de cette information vague, elle lui dit qu'elle doit confirmer si un document officiel de la cour est requis ou si un mémo du militaire suffit. Elle ajoute que l'annexe B signé par le capitaine (Retraité) Benoît comporte une note à l'effet que le militaire reconnaît devoir signaler à son commandant tout changement de situation familiale. Elle ajoute : « Selon l'OAFC 209-3, ça dit que « Aussitôt que le militaire n'a plus de personne à charge, il perd l'admissibilité au FAF »». Le caporal-chef Vachon lui indique aussi son interprétation à l'effet qu'il n'est pas nécessaire d'attendre la décision de la cour à moins d'avoir la garde des enfants. Le capitaine (Retraité) Benoît revient à la charge auprès du caporal-chef Vachon et indique qu'il est toujours responsable de l'hypothèque de sa maison à Val-Bélair, en est toujours propriétaire et qu'il y est toujours chez lui. Il ajoute qu'il ne peut payer deux loyers en même temps. Au surplus, le capitaine (Retraité) Benoît mentionne au commis qu'il n'est pas en mesure de procéder à quelque démarche que ce soit selon l'avis de son médecin traitant. Il la questionne sur le sens qu'il faille donner à l'expression «  document officiel », s'agit-il d'un document issu du processus de médiation ou d'un avocat, d'un jugement de la cour ou bien lors de la vente de la propriété? La réponse du caporal-chef Vachon est tout aussi vague : « Tant que vous avez des dépendants, vous êtes admissible à la restriction imposée. La RI prend fin lorsque vous n'avez plus de dépendants. À ce moment le membre doit informer son commandant ».  Un peu plus tard dans la réponse, elle dit « Mais comme je vous disais, tant qu'il n'y a pas de changement dans la situation familiale, il n'y a rien à changer ». La preuve indique que le caporal-chef Vachon a des échanges téléphoniques avec le capitaine (Retraité) Benoît durant cette période relativement aux mêmes questions. Le caporal-chef Vachon a témoigné à l'effet qu'elle n'a jamais été informée par le capitaine (Retraité) Benoît ni par aucune autre personne de la situation familiale exacte que vivait l'accusé à ce moment. Elle savait toutefois qu'il traversait une période difficile avec sa conjointe et qu'il ne se rendait plus dans la ville de Québec à chaque week-end, comme il l'avait indiqué sur les formulaires. Le caporal-chef Vachon savait que le capitaine (Retraité) Benoît était en congé de maladie dès novembre 2005 et qu'il consultait un travailleur social et un psychologue. Elle a indiqué qu'elle croyait qu'il était possible que le capitaine (Retraité) Benoît n'ait pas compris ses explications parce que les gens lui disent que l'interprétation des règles concernant les frais d'absence du foyer « C'est du chinois! »  selon ses propres dires. Au surplus, elle a pris le soin d'ajouter que dès le début du congé de maladie du capitaine (Retraité) Benoît au début de novembre 2005, elle se rendait elle-même à la clinique médicale de la base pour lui faire signer les formulaires requis pour l'indemnité de frais d'absence du foyer. Il signait les formulaires sans même les regarder. Le caporal-chef Vachon ne croit pas lui avoir donné quelque définition que ce soit relativement au sens qu'il fallait accorder à l'expression « dépendants » ou personnes à charge. Au surplus, il semble que l'information transmise au capitaine (Retraité) Benoît par le caporal-chef Vachon lors de son dernier courriel soit erronée, et ce selon les dires du capitaine Dubé. Elle ne lui a jamais demandé directement s'il était séparé parce qu'elle n'était pas à l'aise à poser une telle question parce qu'il était en congé de maladie et qu'elle ne voulait pas empirer la situation.

 


[7]                    La situation n'évolue à peu près pas au cours des mois suivants. Le capitaine (Retraité) Benoît est toujours en congé de maladie. Ni ses supérieurs immédiats, ni le capitaine-adjudant du Service des transmissions, ne savent si la rupture de l'accusé est définitive. Certes des doutes existent, mais personne ne peut affirmer quoi que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Par contre, tous savent que le capitaine (Retraité) Benoît est en congé de maladie pour des raisons de santé mentale et les autorités de l'unité sont priées de ne pas entrer en contact avec lui en raison de son état de santé. Divers courriels et demandes diverses entre le capitaine Dubé et des personnes compétentes en ressources humaines militaires en janvier 2006 font état du caractère nébuleux en ce qui concerne les règles applicables dans le contexte des frais d'absence du foyer et des restrictions imposées. En ce qui concerne une date définitive de cessation de vie commune, le capitaine Patrick Vincent s'adresse au capitaine Dubé en ces termes, à la pièce 24 :

 

« Non, il n'y a pas de temps prescrit noir sur blanc. Certains couples peuvent passer par des moments plus difficiles lesquels peuvent durer des semaines, des mois comme des années. Le membre doit être honnête et la gestion/superviseur ne doivent pas faire l'autruche ».

 

Elle informe donc la chaîne de commandement du capitaine (Retraité) Benoît en conséquence. Le major Arguin tente en vain de contacter l'accusé durant cette période ce qu'elle parvient à faire après en avoir fait la demande à madame Dupuy, la travailleuse sociale. Personne ne demande la fameuse question au capitaine (Retraité) Benoît : Êtes-vous séparé définitivement de votre épouse et qui a la garde des enfants? La raison est fort simple et humanitaire tel qu'en fait foi le capitaine Dubé lorsqu'elle témoigne en ces termes : « C'était délicat pour nous! On a mis des gants blancs! »

 

[8]                    Le capitaine Dubé a témoigné également d'une rencontre qu'elle a eu avec le capitaine (Retraité) Benoît à la clinique médicale le ou vers le 5 avril 2006 et ce avant qu'il ne rencontre le travailleur social, madame Dupuy, lorsqu'elle s'y est déplacée pour lui faire signer un formulaire de congé, parce qu'il était toujours en congé de maladie. Le capitaine Dubé profite alors de l'occasion pour transmettre au capitaine (Retraité) Benoît, et ce pour la première fois, le contenu du courriel qu'elle avait reçu en janvier 2006 de la part du capitaine Vincent. Le capitaine (Retraité) Benoît  devient alors argumentatif et affirme « mes dépendants sont toujours mes dépendants ». Elle raconte avoir demandé au capitaine (Retraité) Benoît, et ce pour la première fois sa date de cessation de vie commune. Il lui aurait répondu que c'était le 23 octobre 2005. Le capitaine Dubé lui dit alors que cette date pourrait, et je précise pourrait,  être retenue pour la rétroaction des frais d'absence du foyer. C'est alors qu'elle ajoute : « On va vérifier! »  Elle ajoute que le capitaine (Retraité) Benoît n'était pas d'accord et qu'il argumentait parce que, selon lui, cette histoire gravitait autour de la question relative au statut de personnes à charge ou de « dépendants ». Elle vit que la discussion ne menait à rien et elle quitta pour laisser le capitaine (Retraité) Benoît joindre madame Dupuy. Bref, en avril, rien n'est définitif et les interrogations se poursuivent. D'ailleurs, toujours en avril 2006, le lieutenant-colonel Bergeron  demande à ce qu'on lui fournisse un avis juridique sur cette affaire parce que selon les dires du commandant ce n'était pas clair. La date de rétroaction était-elle celle de la séparation des époux ou celle du jugement de séparation?

 

[9]                    Le lieutenant-colonel Bergeron  a témoigné à l'effet qu'après avoir pris connaissance de l'avis juridique demandé, selon son témoignage, la réponse n'était toujours pas claire et elle ne l'est toujours pas aujourd'hui.


[10]                  Le 31 mai fait état d'une rencontre entre le capitaine Dubé, l'adjudant Gourde et le capitaine (Retraité) Benoît dans le bureau du commandant de l'unité, le lieutenant-colonel Bergeron. Il y est question encore une fois de la date qui doit être retenue pour mettre fin à la RI, le cas échéant, et la rétroaction des paiements effectués pour les frais d'absence du foyer reçus par le capitaine (Retraité) Benoît. On lui fait part d'un exemple qui ressemble à son cas. Selon le capitaine Dubé, c'est à ce moment précis que le capitaine (Retraité) Benoît comprend qu'il n'avait pas droit aux frais d'absence du foyer. Elle lui demande alors s'il veut continuer à recevoir l'indemnité et s'il veut signer les documents à cet effet qui ont été préalablement préparés par les commis d'adminis-tration. Le capitaine (Retraité) Benoît refuse de signer ces documents. Elle a ajouté qu'il était possible que le capitaine (Retraité) Benoît leur ait expliqué lors de cette rencontre sa compréhension que tant qu'il n'y avait pas un jugement de séparation, celle-ci n'était pas considérée comme définitive. Madame Dupuy dit avoir constaté une grande détérioration dans l'état de santé du capitaine (Retraité) Benoît peu après soit en juin 2006. Le capitaine (Retraité) Benoît a brièvement tenté un retour progressif au travail, mais la détérioration de son état de santé en fait en sorte qu'il fut transféré à l'USS Montréal sur la liste des effectifs du personnel non-disponible. Il a été depuis été libéré des Forces canadiennes pour raisons de santé, particulièrement pour une invalidité reliée au syndrome de stress post-traumatique. Tout au long de cette période, le capitaine (Retraité) Benoît a demandé à maintes reprises qu'on lui fournisse une copie des directives applicables dans le cadre de son dossier de frais d'absence du foyer. La preuve indique également que l'on lui fournirait ces documents, mais qu'il ne les aurait toujours pas reçus.

 

[11]                  Le témoignage du lieutenant-colonel Bergeron  est sans équivoque. Selon lui, cette affaire n'était en rien de nature disciplinaire, mais simplement administrative. Dans le pire des cas, il aurait tenté de convaincre le capitaine (Retraité) Benoît qu'il n'avait plus droit à l'indemnité de frais d'absence du foyer; il aurait tenté de le raisonner. Jamais n'a-t-il songé à appeler la police militaire pour qu'elle enquête sur les agissements du capitaine (Retraité) Benoît.  Bref, le cas du capitaine (Retraité) Benoît était, selon les dires de son commandant, le lieutenant-colonel Bergeron, de nature administrative plutôt que disciplinaire. Ce n'est qu'à  la suite de la mutation administrative du capitaine (Retraité) Benoît sur la liste des effectifs du personnel non-disponible que son nouveau commandant, le lieutenant-colonel Richardson, commandant du Service de soutien au personnel du 5e Groupe de soutien de secteur, a fait en sorte que la dynamique du problème impliquant le capitaine (Retraité) Benoît a changé et que la police fut impliquée dans ce dossier avec comme résultat 11 accusations de nature criminelle et disciplinaire. Aucune preuve n'a été présentée devant la cour qui pourrait expliquer directement ou indirectement comment un tel changement de cap ait pu se produire dans les circonstances.

 

 


[12]                  M. Christian Blanchette, psychologue, a été accepté comme témoin expert par la cour et il a abondamment témoigné sur les nombreuses rencontres qu'il a eues avec le capitaine (Retraité) Benoît depuis l'été 2007 aux prises avec divers troubles psychologiques, y compris le syndrome de stress post-traumatique. Il aurait rencontré le capitaine (Retraité) Benoît à au moins 35 reprises depuis l'arrivée de ce dernier dans la région de Rouyn-Noranda en Abitibi à la suite de sa libération des Forces canadiennes. M. Blanchette a témoigné à l'effet que le capitaine (Retraité) Benoît souffre depuis plusieurs années du syndrome post-traumatique à la suite d'événements qui auraient eu lieu en ex-Yougoslavie aux alentours de 1993. Il a indiqué également à la cour que le capitaine (Retraité) Benoît souffrirait encore aujourd'hui de dépression sévère dont les symptômes seraient contrôlés par médication prescrite par un psychiatre. Il a expliqué que lors de sa première rencontre avec le capitaine (Retraité) Benoît en avril 2007, le dossier qui lui avait été transmis faisait état qu'en août 2006, ce dernier souffrait de trouble d'anxiété généralisée, trouble de stress post traumatique et d'éléments dépressifs sévères. Il ressort également de son témoignage qu'il a constaté que le capitaine (Retraité) Benoît avait littéralement cessé de fonctionner après l'annonce de deux événements marquants au cours des dernières années soit, d'une part, l'annonce par son ex-épouse de leur séparation et d'autre part, lorsqu'il a été accusé des infractions qui sont à l'origine de cette cour martiale. Cela complète le résumé de la preuve entendue devant cette cour.

 

 

Le droit applicable et les éléments essentiels des accusations

 

 

Le 1er et le 2e chef d'accusation (Alinéa 125 a) de la Loi sur la défense nationale)

 

[13]                  Les deux premiers chefs d'accusation sont portés aux termes de l'alinéa 125 a) de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir volontairement fait une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main. Outre, l'identité de l'accusé, la date et le lieu tels qu'ils sont allégués à l'acte d'accusation, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable, et ce pour le premier chef d'accusation, que :

 

a)  le capitaine (Retraité) Benoît a volontairement déclaré sur des formules générales de demande d'indemnité, qu'il n'y avait aucune séparation volontaire, juridique ou autre en cours;

 

b)  les formules générales de demande d'indemnité constituent des documents officiels;

 

c)  l'action qui lui est reprochée a été faite alors qu'il savait que l'information contenue dans la déclaration était fausse.

 


En ce qui concerne le 2e chef d'accusation, outre, l'identité de l'accusé, la date et le lieu tels qu'ils sont allégués à l'acte d'accusation, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que :

 

a)  le capitaine (Retraité) Benoît a volontairement fait des fausses déclarations sur des demandes d'avance comptable sur les fonds publics, déclarant comme motif une restriction imposée;

 

b)  les demandes d'avance comptable sur les fonds publics constituent des documents officiels;

 

c)  l'action qui lui est reprochée a été faite alors qu'il savait que l'information contenue dans la déclaration était fausse.

 

Le 3e chef d'accusation (Article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l'alinéa 380(1)(a) du Code criminel)

 

[14]                  Quant au 3e chef d'accusation (Article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l'alinéa 380(1)(a) du Code criminel) (subsidiaire au quatrième chef), soit d'avoir commis une fraude, outre l'identité de l'accusé, la date et le lieu, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable que :

 

a)  le capitaine (Retraité) Benoît a privé Sa Majesté d'une somme d'argent;

 

b)  la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif utilisé par le capitaine (Retraité) Benoît a entraîné la privation;

 

c)  le capitaine (Retraité) Benoît avait l'intention de frauder ; et finalement

 

d) la somme fraudée dépassait 5,000 dollars.

 

Finalement, le 4e chef d'accusation, soit un acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale aux termes de l'alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale (subsidiaire au troisième chef), outre l'identité de l'accusé, la date et le lieu, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable que :

 

a)  le capitaine (Retraité) Benoît a réclamé des sommes provenant de deniers publics totalisant 14,482.54 dollars;

 

b)  le capitaine (Retraité) Benoît a réclamé ces sommes dans l'intention de frauder; et finalement

 


c)  le capitaine (Retraité) Benoît savait qu'il n'avait aucun droit à obtenir ces sommes.

 

 

Présomption d'innocence et doute raisonnable

 

 

[15]                  Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire qui de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[16]                  Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation.

 

[17]                  La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve; elle s'applique à tout l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé.

 

[18]                  Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions de notre système judiciaire. Dans l'arrêt R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a établi la façon d'expliquer le doute raisonnable dans un exposé au jury. Les principes de l'arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs pourvois subséquents. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit plutôt reposer sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l'absence de preuve.

 

[19]                  Dans l'arrêt R. c. Starr (2000) 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le juge Iacobuci, pour la majorité, a indiqué : « Une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. » Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. La poursuite ne doit prouver la culpabilité du capitaine (Retraité) Benoît que hors de tout doute raisonnable.

 


[20]                  Comme je l'ai indiqué plus tôt, l'approche appropriée relativement à la norme de preuve consiste à évaluer l'ensemble de la preuve et non d'évaluer des éléments de preuve individuels séparément. Il est donc essentiel d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[21]                  La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité. La Cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la Cour n'as pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes.

 

[22]                  Si la cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du capitaine (Retraité) Benoît qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter. Dans cette cause, la cour est satisfaite que l'ensemble des témoignages sont crédibles et fiables, à l'exception de certaines contradictions mineures et hésitations tout à fait compréhensibles si l'on prend en compte le délai écoulé depuis les faits qui entourent les accusations qui font l'objet de cette cour martiale. Tous les témoins ont témoigné d'une manière franche et directe, à l'exception du capitaine Dubé qui a semblé hésitante à quelques reprises, notamment en ce qui concerne l'invitation qu'elle avait transmise à l'accusé d'aller souper chez elle en compagnie de son conjoint qui pourrait lui expliquer alors plus en détails les procédures en matière de divorce qu'il avait vécues quelques années plus tôt. Hormis certaines hésitations et justifications parfois maladroites, l'ensemble de son témoignage est crédible et corroboré par l'ensemble de la preuve. Bref, la preuve est fiable et largement corroborée. Ce sont les doutes et les questions que soulève la preuve qui constituent le coeur du problème à la source des accusations qui sont devant la cour martiale.

 

 

Les questions en litige

 

 

[23]                  D'entrée de jeu, les éléments essentiels des infractions qui portent sur l'identité de l'accusé, la date et le lieu des infractions ne sont pas contestés. La poursuite soumet que seuls les éléments entourant la mens rea requise pour les diverses accusations méritent un examen de la cour. La défense reconnaît que c'est le cas en ce qui concerne les 3e et 4e chefs d'accusation, mais que l'actus reus n'a pas été prouvé en ce qui concerne les 1er et 2e chefs d'accusation.

 

 

 

 

 

 

 


Décision

 

 

Analyse du droit à la lumière des faits

 

[24]                  La défense soumet qu'au moment de la commission des infractions alléguées par la poursuite, le capitaine (Retraité) Benoît était dans un état de détresse psychologique sérieux et qu'il était complètement déboussolé. Elle soutient que le droit du capitaine (Retraité) Benoît à la restriction imposée et son droit de réclamer des frais d'absence du foyer n'étaient pas clairs et elle ajoute qu'à ce jour la situation n'est toujours pas claire. La défense soumet que, dans un tel contexte, les déclarations qu'il a faites n'étaient pas fausses et que, si elle l'étaient — ce que nie la défense — le capitaine (Retraité) Benoît n'avait aucune intention de faire de telles fausses déclarations. Il soumet que l'accusé a été tout au long des événements d'une franchise et d'une honnêteté évidente. La question en litige visait l'application de la RI en ce qui a trait à la définition du terme « dépendant » ou personne à charge et l'interprétation de la politique pour les frais d'absence du foyer par les autorités militaires à partir de sa propre unité jusqu'aux gestionnaires de ladite politique. La défense soumet que le capitaine (Retraité) Benoît a continuellement posé des questions à sa chaîne de commandement, soit le caporal-chef Vachon, le capitaine Dubé et le lieutenant-colonel Bergeron . La défense soutient avoir demandé les directives applicables et les attendre encore à ce jour, ce que confirme d'ailleurs le capitaine Dubé.

 

[25]                  Questionnée par la cour sur la nature exacte des déclarations reprochées à l'accusé par rapport aux détails qui apparaissent au premier chef d'accusation, la défense reconnaît ne pas avoir demandé qu'on lui fournisse des détails. La raison en est fort simple. La preuve irréfutable entendue et déposée devant la cour ne laisse aucun doute. Les déclarations reprochées à l'accusé qui apparaissent au formulaire CF 52 — faisant l'objet des pièces 7 à 13 au soutien du premier chef d'accusation — sont substantiellement différentes des déclarations alléguées aux détails du premier chef d'accusation. La déclaration contenue au paragraphe intitulé « ATTESTATION ET DÉCLARATION » du formulaire CF 52 énonce ce qui suit :

 

« J'atteste que j'ai une personne à charge tel que défini dans l'ORFC 209.80(3); qu'il n'y a aucune séparation volontaire, juridique ou autre en cours et que la séparation est due uniquement aux raisons indiquées dans cette demande » ...

 


Non seulement l'actus reus de l'infraction alléguée diffère des faits prouvés tels qu'ils apparaissent à la face même de la déclaration signée à maintes reprises par le capitaine (Retraité) Benoît, mais cette divergence appuie totalement la théorie de la défense à l'effet que le capitaine (Retraité) Benoît croyait avoir droit sincèrement à l'indemnité de frais d'absence du foyer, sans oublier qu'à compter de novembre 2005, il signait les formulaires sans les avoir lus. D'ailleurs, le doute existe encore notamment dans l'esprit de son ancien commandant jusqu'à ce jour. En d'autres mots, la poursuite n'a pas prouvé ce qu'elle allègue. La déclaration faite par le capitaine (Retraité) Benoît était plus large et visait indissociablement le fait qu'il avait une personne à charge. Scinder cette déclaration afin de garder la portion qui est alléguée par la poursuite dans les détails du premier chef d'accusation et conclure que la poursuite a prouvé l'accusation sur la foi de faits qui diffèrent substantiellement serait hautement préjudiciable à la défense aux termes d'un verdict annoté dans le contexte de cette cause puisque toute la séquence des événements découle du point litigieux relatif au statut de personne à charge dans le cadre de la politique de restriction imposée pour l'application du droit à l'indemnité de frais d'absence du foyer. S'il est un principe bien établi en droit pénal, c'est que la poursuite est liée par l'énoncé des détails qu'elle choisit au soutien d'un chef d'accusation, sauf lorsqu'un détail est superflu. Ce principe est d'ailleurs clairement énoncé par l'honorable juge E.G. Ewaschuk dans Criminal Pleading and Practice in Canada, 2nd Edition, au paragraphe 9:9010 :

 

9:9010 General rule

 

Subject to the rule involving surplusage, or subject to an amendment, the Crown is bound by the essential particulars of the charge, i.e., the Crown must prove the material particulars it alleges in the count, or the charge will be dismissed for fatal variance between pleadings and evidence. However, non-essential particulars, e.g., as to time or place, need not be proved with precision and may be deemed to be surplusage.

 

La cour conclut donc que la poursuite ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve relativement à l'actus reus de l'infraction reprochée à l'accusé tel qu'il apparaît à l'énoncé des détails du premier chef d'accusation.

 

[26]                  Ces remarques s'appliquent dans le cadre de l'analyse des éléments essentiels du 2e chef d'accusation puisque la poursuite allègue que le capitaine (Retraité) Benoît a faussement déclaré comme motif d'une avance de fonds publics une restriction imposée (RI). D'ailleurs, la preuve indique qu'aux termes de la rencontre qu'il a eue avec le capitaine Dubé et l'adjudant Gourde le 31 mai 2006, il aurait compris qu'il pouvait y avoir un problème relativement à son droit à l'indemnité. Il indiqua alors au capitaine Dubé — qui avait fait préparé les formulaires quand même alors qu'elle était bien au courant du litige quant au droit de l'accusé au maintien de sa restriction imposée — qu'il ne signerait donc plus les formulaires en attendant qu'on lui fournisse la directive applicable. Dans un tel contexte, la déclaration n'était ni objectivement ni subjectivement fausse en raison du litige entourant l'interprétation de personne à charge. Là  encore, la  poursuite ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve relativement à l'actus reus du 2e chef d'accusation en ce qui a trait à l'élément essentiel visant la fausseté de la déclaration.

 


[27]                  En ce qui a trait à l'analyse portant sur les 3e et 4e chefs d'accusation, la poursuite soutient que les déclarations de l'accusé qui ont été déposées devant la cour, soit les pièces 7 à 15, lui ont permis d'obtenir frauduleusement des sommes de plus de 14,000 dollars auxquelles il n'avait pas droit. L'ensemble de ces déclarations constituait — selon la théorie de la poursuite — une supercherie, un mensonge ou un moyen dolosif pour frustrer Sa Majesté de sommes d'argent. Elle s'appuie notamment sur les décisions de la Cour suprême du Canada, soit les arrêts Théroux et Zlatic. Le procureur de la poursuite soutient que la preuve démontre que l'accusé a fait preuve d'une insouciance ou d'un aveuglement volontaire tel que l'a défini la Cour suprême dans l'arrêt Sansregret. Il s'appuie sur l'information transmise par le caporal-chef Vachon, le capitaine Dubé et son commandant qu'il devait informer l'unité d'un changement dans son statut. La poursuite reproche même à l'accusé de ne pas avoir pris de mesures, y compris celles visant à obtenir des avis de personnes autres que celles des personnes compétentes et habilitées en semblable matière au sein de sa chaîne de commandement, pour éclaircir la situation. Imposer une telle obligation à l'accusé n'est pas fondé en droit. La cour est d'avis que l'obligation de fournir des directives claires sur l'application des politiques et des indemnités incombe à l'institution militaire à travers la chaîne de commandement.

 

[28]                  Il est clair qu'en matière de fraude, le critère applicable à la mens rea de l'infraction de fraude est subjectif. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient des conséquences possibles de l'acte prohibé ou s'il était insouciant quant aux conséquences possibles, et non s'il croyait que ses actes ou leurs conséquences étaient moraux. La conviction subjective de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé ne constitue pas de ce fait un moyen de défense admissible. Dans le contexte de cette affaire, l'accusé n'a pas fait de déclarations qu'il savait fausses et il a sans cesse questionné par écrit et oralement sa chaîne de commandement malgré son état de santé mentale très fragile. Non seulement la cour n'est-elle pas convaincue que le capitaine (Retraité) Benoît a commis un acte frauduleux dans les circonstances de cette affaire, elle est d'avis que si tel était le cas, la poursuite n'aurait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que le capitaine (Retraité) Benoît avait l'intention spécifique requise de frauder Sa Majesté selon l'ensemble de la preuve. Au contraire, malgré les doutes qui s'installaient lentement dans l'esprit de la chaîne de commandement relativement au droit du capitaine (Retraité) Benoît à l'indemnité de frais d'absence du foyer en raison de ses difficultés familiales, le capitaine-adjudant de l'unité jusqu'au commandant ont tout fait pour éviter de tirer la situation au clair avec lui pour ne pas aggraver sa détresse psychologique. La croyance honnête et sincère de l'accusé en la légalité de toucher l'indemnité de frais d'absence du foyer dans le cadre de sa situation personnelle doit être interprétée comme une défense valable à l'accusation de fraude. L'interprétation de l'accusé ne saurait être qualifiée par une personne raisonnable d'acte malhonnête en soi. L'interprétation du capitaine (Retraité) Benoît sur l'application de la politique, en fonction des informations officielles qui lui étaient fournies et ses demandes répétées visant à obtenir une réponse claire, était justifiée dans les circonstances de cette affaire, y compris l'état de santé mentale de l'accusé durant l'ensemble de cette période qui était connue par l'ensemble de sa chaîne de commandement.

 


[29]                  La Cour suprême du Canada a indiqué dans l'arrêt R. c. Bernston, [2001] 1 R.C.S. 365 — s'appuyant sur la décision majoritaire de la Cour d'appel de la Saskatchewan — que le ministère public devait prouver la connaissance subjective de l'acte reproché ainsi que la connaissance subjective que l'acte est susceptible de priver autrui afin d'obtenir une condamnation pour fraude. Dans Bernston, les factures soumises par l'accusé afin d'obtenir un remboursement du gouvernement étaient fausses et c'est à sa connaissance qu'il n'avait pas encouru les dépenses réclamées. La Cour conclut alors que la connaissance subjective de l'ensemble des actes reprochés avait été établie parce que les actes avaient été commis par l'accusé ou suite à ses directives. L'accusé avait la connaissance qu'il soumettait des réclamations dont le paiement serait effectué à partir de fonds publics et que si la nature véritable de celles-ci avait été révélée, le paiement aurait été refusé. Selon la preuve entendue dans cette affaire, la cour n'est pas satisfaite hors de tout doute raisonnable que le capitaine (Retraité) Benoît possédait une telle connaissance lorsqu'il a fait les déclarations qui lui sont reprochées. Ce doute doit bénéficier à l'accusé.

 

 

Dispositif

 

 

[30]                  Capitaine (Retraité) Benoît, veuillez vous lever. La Cour vous déclare non coupable de la totalité des chefs d'accusation portés contre vous.

 

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Capitaine de corvette M. Raymond, Directeur des poursuites militaires, Région de l'Est

Avocat de la poursuivante

Lieutenant de vaisseau M. Létourneau, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du capitaine (Retraité) M.R. Benoît

 

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