Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 24 novembre 2008

Endroit : Garnison Sydney, Sydney (NÉ)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, homicide involontaire en utilisant, en portant ou manipulant une arme à feu (art. 236a) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, négligence criminelle causant la mort en utilisant, en ayant possession, en portant ou en manipulant une arme à feu (art. 220a) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 124 LDN, a éxécute avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de quarte ans et destitution du service de Sa Majesté.

Cour martiale générale (CMG) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Contenu de la décision

Référence : R. c.  Caporal M.A. Wilcox, 2009 CM 2013

 

Dossier : 200849

 

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

CANADA

NOUVELLE-ÉCOSSE

PARC VICTORIA, SYDNEY

 

Date : Le 29 septembre 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL M.A. WILCOX

(Accusé)

 

CONTESTATION FONDÉE SUR LA CHARTE DE LARTICLE 139 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, LÉCHELLE DES PEINES.

(Motifs prononcés de vive voix)                 

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]        Par voie davis de demande déposé comme pièce M22-1, le contrevenant, le Caporal Wilcox, ci-après le demandeur, conteste la validité constitutionnelle de larticle 139 de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit léchelle des peines dont sont passibles les infractions dordre militaire. Une demande semblable a été présentée au début du procès et, le 6 février 2009, jai statué que cette demande était prématurée, sous réserve du droit du demandeur de renouveler la demande sil était déclaré coupable de lun des trois chefs daccusation de lacte daccusation. Entre-temps, le comité de la présente Cour martiale générale a déclaré le contrevenant coupable à légard du deuxième et du troisième chefs daccusation, à savoir un chef de négligence criminelle entraînant la mort et un chef de négligence dans lexécution dune tâche militaire. Le comité a accordé une suspension dinstance à légard du chef subsidiaire dhomicide involontaire. Jai entendu la preuve et les plaidoiries concernant la nouvelle demande le 9 et le 10 septembre et, à la fin des débats, jai rejeté la demande et jai annoncé que les présents motifs suivraient en temps opportun.

                                                                      


[2]        Les observations écrites des parties ont été déposées comme pièces. Il a été soutenu au nom du demandeur que léchelle des peines prévue à larticle 139 portait atteinte à certains droits garantis par la Charte, à savoir le droit de nêtre privé de liberté quen conformité avec les principes de justice fondamentale[1], le droit à un procès équitable[2] et le droit à la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités[3]. Bien quon cherche à obtenir réparation sous le régime des articles 52 et 24 de la Charte, dans les circonstances je ne juge pas nécessaire dexaminer la question des réparations.

 

Le paragraphe 139(1) de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

 

Les infractions dordre militaire sont passibles des peines suivantes, énumérées dans lordre décroissant de gravité:

 

a)  emprisonnement à perpétuité;

 

b) emprisonnement de deux ans ou plus;

 

c) destitution ignominieuse du service de Sa Majesté;

 

d) emprisonnement de moins de deux ans;

 

e) destitution du service de Sa Majesté;

 

f) détention;

 

g) rétrogradation;

 

h) perte de l'ancienneté;

 

i) blâme;

 

j) réprimande;                     

 

k) amende;

 

l) peines mineures.

 


[3]        Dans sa plaidoirie, lavocat du demandeur a précisé quil ne conteste pas la validité constitutionnelle de lune ou de la totalité des peines énumérées au paragraphe 139(1). Il soutient plutôt que larticle en question ninclut pas les autres peines prévues au Code criminel, telles la condamnation avec sursis et la peine discontinue demprisonnement, la condamnation avec sursis et la probation ainsi que la libération inconditionnelle et conditionnelle, et que cette différence de traitement des contrevenants militaires par rapport aux contrevenants civils se trouvant dans une situation similaire mais jugés sous le régime du Code criminel, porte atteinte aux droits garantis susmentionnés de la Charte.

                                                                      

[4]        Je naccepte pas ces prétentions pour les motifs qui suivent.

 

Tout dabord, jaccepte la prétention du défendeur, la poursuite, selon laquelle à cette étape de la procédure, après une déclaration de culpabilité à lissue dun procès équitable, lalinéa 11d) de la Charte ne sapplique tout simplement pas. Lorganisation des droits énumérés à larticle 11 permet de distinguer les inculpés en train dêtre jugés de ceux qui ont été déclarés coupables. Le droit garanti par la Charte davoir un procès équitable ne sapplique pas après la déclaration de culpabilité[4].

 

[5]        Larticle 7 de la Charte prévoit ce qui suit :               

 

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit quen conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

La partie défenderesse ne semble pas contester que le droit du demandeur à la liberté, protégé par larticle 7, soit en cause lorsque, comme en lespèce, celui-ci encourt une peine demprisonnement. La question est donc de savoir si un principe de justice fondamentale est violé du fait que larticle 139 ninclut pas les peines prévues au Code criminel.

 

[6]        Dans les arrêts R. c. Malmo-Levine, R. c. Caine et Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général)[5], la Cour suprême du Canada a établi, comme suit, les trois conditions permettant de déterminer si nous sommes en présence dun principe de justice fondamentale au sens de larticle 7 :

 

1.         il doit sagir dun principe juridique;

 

2.         il doit exister un consensus dans la société sur le fait que cette règle ou ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice;

 

3.         ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme permettant dévaluer latteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

 


 

 

Le défi consiste bien entendu à définir le principe de justice fondamentale qui est en cause[6]

 

[7]        Dans ses observations écrites, le demandeur mentionne les principes suivants qui constituent, selon lui, des principes de justice fondamentale. Premièrement, une peine doit être juste et appropriée, à savoir une peine adaptée; et deuxièmement, la privation de liberté dans un établissement de détention est une option de dernier recours.

 

[8]        Je suis convaincu que les principes définis par le demandeur sont des principes juridiques; il sagit de fait de principes importants que le tribunal qui prononce la peine doit appliquer. Toutefois, je ne suis pas convaincu, vu la preuve et la plaidoirie, que ces principes importants ont un caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société et que lun ou lautre de ces principes devrait être considéré comme principe de justice fondamentale. Il est difficile de voir, par exemple, comment un régime de peines minimales demprisonnement - qui empêche le tribunal de tenir compte de la situation personnelle du contrevenant ou des circonstances exceptionnelles de linfraction - peut coexister facilement avec les principes de justice fondamentale invoqués par le demandeur[7]. Par contre, il est incontestable que le législateur peut établir des peines minimales demprisonnement[8] tant quil ne prescrit pas une peine cruelle et inusitée au sens de larticle 12 de la Charte[9]. À mon avis, les deux principes invoqués par le demandeur dans ses observations écrites ne constituent pas des principes de justice fondamentale.

 

[9]        Dans sa plaidoirie, lavocat du demandeur a invoqué un troisième principe, à savoir que la différence de traitement des contrevenants militaires par rapport aux contrevenants civils quant à la détermination de la peine doit, au regard de la justice fondamentale, se justifier par la nécessité militaire. Cette allégation se fondait sur la décision de la Cour martiale dappel dans R. c. Trépanier et Beek[10] où la Cour a cité et approuvé un extrait du jugement du juge McIntyre dans laffaire R. c. MacKay[11], comme suit :

 


Il ne faut cependant pas oublier que, puisquon doit respecter le principe de légalité devant la loi, on ne peut y déroger que lorsque cela est nécessaire pour accomplir des objectifs socialement souhaitables et, dans ce cas, seulement dans la mesure nécessaire pour y parvenir dans les circonstances. Il faut répondre aux besoins des forces armées, mais lon ne doit pas déroger au principe de légalité devant la loi plus que cela nest nécessaire. Le principe à respecter est celui de lintervention la plus minime possible dans les droits dun soldat en vertu du droit commun compte tenu des exigences de la discipline militaire et de lefficacité des forces armées. [...].

 

 

[10]      MacKay[12] était une affaire qui portait sur la Déclaration canadienne des droits, et la question soulevée devant la Cour suprême du Canada était de savoir si la poursuite de laccusé en vertu de ce qui est maintenant larticle 130 de la Loi sur la défense nationale pour des infractions relatives au trafic de stupéfiants contraires à la Loi sur les stupéfiants violait la Déclaration des droits, et en particulier le droit garanti à légalité devant la loi. Le jugement majoritaire de la Cour a été prononcé par le juge Ritchie, qui a dit :

 

Leffet de lart. 120 de la Loi sur la défense nationale est de rendre applicables les dispositions de cette loi sur le procès, la peine et la discipline lorsquune cour martiale est saisie dinfractions au Code criminel. Lapplication de cette loi entraîne nécessairement des différences entre la façon dont sont traités les membres des forces armées et les civils en ce qui concerne la procédure, les règles de preuve et dautres questions [] [Non souligné dans loriginal.]

 

[11]      À mon avis, la décision de la CACM dans Trépanier et Beek[13] nénonçait pas en tant que principe juridique que toute distinction dans la loi ou dans la procédure entre une poursuite en vertu du Code criminel et une poursuite en vertu de la Loi sur la défense nationale est réputée violer le principe dégalité devant la loi. Il ny a aucun principe juridique en ce sens et, lexigence de justifier les différences dans la détermination de la peine en vertu des deux lois ne peut donc constituer un principe de justice fondamentale.

 

[12]      Par conséquent, le demandeur na pas établi quun principe de justice fondamentale a été violé, et largument fondé sur larticle 7 de la Charte est rejeté.

 

[13]      Dans R. c. D.B.[14], le juge Rothstein a dit :

 

[...] En général, le pouvoir du législateur de déterminer les peines appropriées ne peut faire lobjet que dun contrôle constitutionnel fondé sur lart. 12 de la Charte [...].


 

Je vais donc examiner la question de savoir si le demandeur a établi quil y avait violation du droit à la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités, garanti à larticle 12. Le critère applicable est celui de la  « disproportion exagérée »[15].  Mais en lespèce, le critère ne sapplique pas à une peine ou à une catégorie de peines en particulier que le tribunal peut considérer ou infliger. Jestime que la question, telle quelle est formulée par le demandeur, est de savoir si lomission dinclure les autres peines prévues par le Code criminel peut donner lieu à une peine « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine ».

 

[14]      Je conclus que tel nest pas le cas. La liste figurant au paragraphe 139(1) va des peines les plus sévères infligées en vertu du Code criminel aux peines très légères considérées comme peines mineures. La liste comprend des peines typiquement militaires qui conviendraient pour les contrevenants militaires mais qui nont guère leur place dans un régime de peines infligées aux civils. En lespèce, la cour dispose dune ample latitude pour infliger une peine qui nest pas excessive au point dêtre incompatible avec la dignité humaine. Lomission du législateur détablir au paragraphe 139(1) dautres peines qui ne soient non plus excessives au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine ne saurait rendre léchelle existante des peines possibles exagérément disproportionnée.              

 

[15]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.

 

 

 

Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 

Avocats :

 

Major J.J. Samson, Bureau des poursuites militaires, Région de lAtlantique

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-Colonel D.T. Sweet, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal M.A. Wilcox

 

Major S. Turner, Direction du service davocats de la défense

Avocat adjoint du Caporal M.A. Wilcox

 

 

 



[1] Voir lart. 7 de la Charte.

[2] Voir al. 11d) de la Charte.

[3] Voir lart. 12 de la Charte.

[4] Voir R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, le juge La Forest, notamment au paragraphe 74.

[5] R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, et Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76.                           

[6] Voir R. c. D.B., [2008] 2 R.C.S. 3.

[7] Voir R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3

[8] Voir  R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90, R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 96.

[9] Voir R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045.

[10]  2008 CACM 3.

[11] [1980] 2 R.C.S. 370, à la page 408.

[12] Ibid.  Voir page 392.

[13] Supra, note 10.               

[14] Supra, note 6, au paragraphe 148.

[15] Supra, note 9.

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