Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 24 novembre 2008
Endroit : Garnison Sydney, Sydney (NÉ)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, homicide involontaire en utilisant, en portant ou manipulant une arme à feu (art. 236a) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, négligence criminelle causant la mort en utilisant, en ayant possession, en portant ou en manipulant une arme à feu (art. 220a) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 124 LDN, a éxécute avec négligence une tâche militaire.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de quarte ans et destitution du service de Sa Majesté.
Cour martiale générale (CMG) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal M.A. Wilcox, 2009 CM 2014
Dossier : 200849
COUR MARTIALE GÉNÉRALE
CANADA
NOUVELLE-ÉCOSSE
PARC VICTORIA, SYDNEY
Date : Le 30 septembre 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL M.A. WILCOX
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
INTRODUCTION
[1] Caporal Wilcox, la présente Cour martiale générale vous a reconnu coupable des deux chefs d’accusation suivants : négligence criminelle causant la mort à l’égard du deuxième chef de l’acte d’accusation, et négligence dans l’exécution d’une tâche militaire à l’égard du troisième chef d’accusation.
[2] Il m’incombe maintenant de déterminer votre peine. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la peine qu’appliquent les cours ordinaires de juridiction criminelle du Canada ainsi que les cours martiales. J’ai également pris en compte les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été révélés par les témoignages entendus et les documents déposés au cours de l’audience, ainsi que les plaidoiries des avocats de la poursuite et de la défense.
[3] Les principes de détermination de la peine guident la cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de fixer une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l’infraction, à l’attitude blâmable et au degré de responsabilité de son auteur ainsi qu’à sa moralité. La cour prend en compte les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu’elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que le sens commun de la justice veut qu’elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu’elle détermine la peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, tant les circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus sévère que les circonstances atténuantes susceptibles de justifier une peine moins sévère.
[4] Les buts et les objectifs de la détermination de la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En règle générale, ils concernent la nécessité de protéger la société, y compris, bien entendu, les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et respectueuse de la loi. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, cette habitude d’obéir si nécessaire à l’efficacité d’une force armée. Ces buts et ces objectifs comprennent aussi la dissuasion individuelle, pour éviter toute récidive du contrevenant, et la dissuasion générale, pour éviter que d’autres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine a aussi pour objet d’assurer la réinsertion sociale du contrevenant, de promouvoir son sens des responsabilités et de dénoncer les comportements illégaux.
[5] Il est normal qu’au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs l’emportent sur d’autres, mais il importe de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une sage combinaison de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.
[6] L’article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines qu’une cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la loi qui crée l’infraction et prévoit une sanction maximale. Un contrevenant fait l’objet d’une seule sentence, qu’il soit déclaré coupable d’une seule infraction ou de plusieurs, mais la sentence peut prévoir plusieurs peines. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline.
[7] Pour déterminer la peine en l’espèce, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes sur l’accusé des déclarations de culpabilité et de la sentence que je m’apprête à prononcer, y compris des circonstances dans lesquelles une peine d’emprisonnement serait purgée.
[8] La poursuite demande une peine d’emprisonnement de six ans, la destitution des Forces canadiennes et la rétrogradation au rang de soldat. La poursuite demande une ordonnance en vertu de l’article 220 de la Loi sur la défense nationale portant qu’une portion de neuf mois de la peine soit purgée dans une prison militaire et une caserne disciplinaire. La poursuite demande également une ordonnance d’interdiction de possession d’armes en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale pour une période de dix ans, une interdiction de possession d’armes prohibées à vie, et enfin une ordonnance en vertu de l’article 196.14 contraignant le contrevenant à fournir des échantillons d’ADN.
[9] Selon l’avocat du contrevenant, une peine d’emprisonnement de douze mois à purger dans une prison militaire et dans une caserne disciplinaire est juste, mais il soutient que l’application de cette peine devrait être suspendue. La défense soutient que la rétrogradation au rang de soldat est une peine appropriée, mais que la destitution ne l’est pas, et s’oppose à l’ordonnance d’interdiction de possession d’armes et à celle contraignant à fournir des échantillons d’ADN.
[10] Le contrevenant et le défunt, le Caporal Kevin Megeney, étaient membres de la Force de réserve appartenant aux unités de milice de la Nouvelle-Écosse. En décembre 2006, ils ont pris part à la mission en Afghanistan dans le cadre d’une rotation, et faisaient partie de la même section du peloton. Ils se sont entraînés ensemble pendant plusieurs mois au cours de la préparation du déploiement et tout porte à croire qu’ils étaient des amis proches. En mars 2007, ils avaient comme mission de protéger l’entrée principale, désignée comme le point no 3 contrôlant l’accès à l’aérodrome de Kandahar, une grande base militaire pour les forces armées multinationales sous le commandement de l’OTAN. Il ressort clairement de la preuve que l’exécution de cette mission était exigeante pour les soldats tant sur le plan physique que mental. N’importe laquelle des centaines de personnes qui entraient dans la base ou qui en sortaient au cours d’une journée pouvait constituer une menace létale pour les Forces canadiennes ou les Forces alliées, et les soldats qui étaient de garde à l’entrée faisaient partie de la première ligne de défense contre tout attaque armée de la base. Dans l’exercice de leurs fonctions à l’entrée de la base, les membres étaient armés de fusils C7 et de pistolets 9 mm Browning. Leurs armes étaient chargées lorsqu’ils étaient de garde. En dehors de leur service, les membres étaient tenus de se conformer aux ordonnances régissant toutes les personnes de la base, à savoir d’être armés en tout temps, mais de garder leurs armes déchargées et leurs munitions à portée de la main.
[11] Le 6 mars 2007, à la fin de leur service à l’entrée de la base, le contrevenant et le Caporal Megeney ont été ramenés à la tente qu’il partageaient avec d’autres membres de leur section. La tente était divisée en deux moitiés dont l’une était occupée par le contrevenant, le Caporal Megeney et un membre haut gradé du peloton. Peu après qu’ils eurent regagné leur moitié de la tente, le pistolet du contrevenant s’est déchargé et le Caporal Megeney a été tué.
[12] Tous ces faits semblent incontestables, mais deux versions très différentes de la façon dont le coup de feu a été tiré sont ressorties de la preuve. Selon la poursuite, le contrevenant a négligé de décharger son pistolet à la fin de son service et, une fois de retour dans la tente, il a joué avec le Caporal Megeney à qui dégainerait son pistolet 9 mm le plus rapidement. La défense a fait valoir, en s’appuyant sur le témoignage sous serment du contrevenant, que celui-ci savait qu’il n’avait pas déchargé son pistolet après avoir quitté son poste et que, de retour dans la tente, il rangeait son équipement lorsqu’il a entendu derrière lui un bruit de pistolet armé. Quand il s’est retourné, il a vu un pistolet braqué sur lui, ce qu’il a pris comme une menace imminente, et il a réagi en retirant son pistolet de son étui de cuisse et en tirant afin d’assurer sa propre défense. Immédiatement après avoir tiré, il a réalisé que c’était son ami, le Caporal Megeney, qui tenait le pistolet.
[13] Dans une affaire comme en l’espèce où les verdicts de culpabilité sont rendus par un comité de la cour martiale générale, le juge qui a la responsabilité d’infliger une peine appropriée ne dispose pas des conclusions de fait explicites sur lesquelles repose le verdict du comité. Tout comme le jury dans une affaire pénale, le comité ne présente pas les motifs de ses conclusions ni ne tire de conclusions particulières sur des questions de fait distinctes. Sur quel fondement factuel la cour peut-elle donc s’appuyer pour infliger une peine appropriée?
[14] Dans l’arrêt R. c. Ferguson[1], la Cour suprême du Canada a traité de cette question en disant ceci :
Le juge chargé de la détermination de la peine s’acquitte de cette tâche en suivant deux principes. Premièrement, il « est li[é] par la base factuelle expresse ou implicite du verdict du jury » [...]. Il « considère comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels au verdict de culpabilité qu’a rendu le jury », [...] et il ne doit pas considérer comme un fait tout élément de preuve qui n’est compatible qu’avec un verdict rejeté par le jury [...].
[18] Deuxièmement, lorsque la base factuelle du verdict rendu par le jury est ambiguë, le juge qui détermine la peine ne doit pas tenter de suivre le raisonnement du jury, mais il doit plutôt tirer ses propres conclusions concernant les faits pertinents [...]. Ce faisant, il peut, « à l’égard des autres faits pertinents qui ont été révélés lors du procès [. . .] les accepter comme prouvés ». Pour s’appuyer sur un fait aggravant ou une condamnation antérieure, le juge qui détermine la peine doit être convaincu hors de tout doute raisonnable de l’existence de ce fait ou de cette condamnation; pour se fonder sur tout autre fait pertinent, il doit être convaincu de l’existence de ce fait par une preuve prépondérante [...]. Il ressort de cette démarche que le juge du procès ne doit s’appuyer que sur les constatations de fait nécessaires pour lui permettre d’infliger la peine appropriée dans l’affaire dont il est saisi. Il doit d’abord se demander quelles sont les questions pertinentes pour la détermination de la peine et, ensuite, faire les constatations de fait nécessaires pour trancher ces questions.
[Voir également R. c. Cooney (1995) 98 C.C.C. (3d) 196 (Ont. C.A.)]
[15] La question en litige en l’espèce est de savoir ce que signifie une peine juste et appropriée.
[16] À mon avis, les conclusions du comité en l’espèce sont compatibles avec le point de vue selon lequel le contrevenant et le défunt jouaient à qui dégainerait son pistolet le plus rapidement, et avec celui selon lequel le contrevenant a tiré le coup fatal de manière intentionnelle, mais que, pour une raison ou une autre, la défense fondée sur la légitime défense a tout de même été rejetée. Il n’appartient pas au juge qui prononce la peine de formuler des hypothèses sur la façon dont le comité a tiré ses conclusions. Il s’agit de l’une des erreurs que le juge qui prononce la peine a commises dans Ferguson[2] :
[22] Premièrement, le juge du procès a commis une erreur en tentant de reconstituer le raisonnement du jury. Le droit n’autorise pas le juge du procès à procéder à cet exercice, et ce, pour une bonne raison. Les jurés peuvent arriver à un verdict unanime en s’appuyant sur des raisons différentes et sur des thèses différentes concernant l’affaire [...]. Attribuer un seul ensemble de conclusions factuelles à tous les jurés relève de l’hypothèse et de la fiction, sauf s’il est clair que ces constatations de fait ont inévitablement fait l’unanimité. Devant une ambiguïté, le juge du procès doit examiner la preuve et faire ses propres constatations de fait compatibles avec la preuve et les conclusions du jury.
[17] À mon avis, les conclusions du comité en l’espèce sont ambiguës quant aux faits, et comme il ressort du passage susmentionné, il m’appartient aux fins de la détermination de la peine de faire des constatations de fait fondées sur la preuve soumise au comité. Comme l’a souligné la cour dans Ferguson[3] :
[...] Le juge du procès aurait dû examiner tous les éléments de preuve afin de faire ses propres constatations de fait compatibles avec le verdict du jury, dans la mesure où elles étaient pertinentes pour trancher les deux questions dont il était saisi.
[18] En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que le coup de pistolet qui a tué le Caporal Megeney a été tiré accidentellement pendant le jeu auquel participaient le contrevenant et le défunt. Il s’agit de la version que le contrevenant a donnée dans ses déclarations faites à ses camarades peu de temps après les événements ainsi que quelques mois plus tard lorsqu’il a reconnu, entre autres, avoir omis de décharger son pistolet à son poste. J’accepte tous ces témoignages au sujet des déclarations faites par le contrevenant, et j’accepte le fait que les témoins ont rapporté fidèlement les déclarations et les propos du contrevenant.
[19] De plus, je conclus que le contrevenant a dit la vérité à ses camarades dans ses déclarations. Le défunt n’avait aucune raison de braquer son pistolet sur le contrevenant dans la tente, comme l’a dit le contrevenant, sauf si ce geste faisait partie de leur jeu. Ces constatations de fait sont compatibles avec les conclusions du comité sur chacun de ces trois chefs d’accusation.
[20] Je devrais ajouter que je ne crois pas que la version que le contrevenant a donnée pendant son témoignage soit moins répréhensible que les faits tels que je les ai constatés. Le fait d’avoir tiré intentionnellement avec un pistolet chargé dans la direction d’une cible inconnue et non vérifiée dans le but de l’abattre, à proximité de plusieurs autres soldats dont n’importe lequel aurait pu être atteint, et le fait que l’auteur du coup de pistolet avait reçu une instruction de haute qualité sur le maniement de l’arme et ses caractéristiques, et dans des circonstances où la légitime défense ne s’applique pas, doivent être considérés aux fins de détermination de la peine comme étant une série de circonstances aussi graves que la décharge d’une arme chargée survenue au cours d’un jeu.
[21] L’article 130 de la Loi sur la défense nationale prévoit que les infractions aux lois fédérales, dont le Code criminel, constituent des infractions d’ordre militaire pour l’application du code de discipline militaire figurant dans la Loi sur la défense nationale. Le paragraphe 130(2) prévoit les peines suivantes :
(2) Sous réserve du paragraphe (3), la peine infligée à quiconque est déclaré coupable aux termes du paragraphe (1) est:
a) la peine minimale prescrite par la disposition législative correspondante, dans le cas d’une infraction :
(i) commise au Canada en violation de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale et pour laquelle une peine minimale est prescrite,
(ii) commise à l’étranger et prévue à l’article 235 du Code criminel;
b) dans tout autre cas :
(i) soit la peine prévue pour l'infraction par la partie VII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi pertinente,
(ii) soit, comme peine maximale, la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.
En l’espèce, il est clair que la peine prononcée par la cour doit être infligée en vertu de l’alinéa 130(2)b) parce que la disposition prévue à l’alinéa a) ne s’applique pas, vu que l’infraction de négligence criminelle est survenue à l’étranger.
[22] À mon avis, l’intention du législateur au paragraphe 130(2) était de placer les contrevenants militaires commettant des infractions au droit criminel ordinaire sur un pied d’égalité avec leurs homologues civils aux fins de détermination de la peine.
Le Code criminel prévoit à l’article 220 les peines pour l’infraction de négligence criminelle comme suit:
Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.
[23] Selon la défense, la peine minimale obligatoire prévue par le Code criminel ne s’applique pas en l’espèce parce qu’une peine minimale doit être infligée lorsque le tribunal exerce son pouvoir d’imposer la peine en vertu de l’alinéa a), par opposition à l’alinéa b) du paragraphe 130(2). Je doute fortement que cette thèse énonce correctement le droit applicable, mais eu égard aux circonstances de l’espèce, je conclus que je n’ai pas à trancher cette question.
[24] Parmi les principes de détermination de la peine que la cour doit appliquer j’ai déjà mentionné le principe de la parité. Ce principe ressort de l’alinéa 718.2b) du Code criminel qui prévoit ce qui suit :
Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:
[...]
b) l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[4].
[25] Il est clair que si l’infraction de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu était commise par un civil en l’espèce, le contrevenant serait condamné à la peine minimale prévue par le Code criminel de quatre ans d’emprisonnement. Il est également clair que si l’infraction en l’espèce avait été commise par un militaire au Canada, plutôt qu’en Afghanistan, peut-être par exemple pendant l’entraînement préalable au déploiement pour la mission de l’Afghanistan, le contrevenant aurait aussi été condamné en vertu de l’alinéa 130(2)a) à la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement.
[26] En l’espèce, il m’est impossible de dire pourquoi le crime perpétré par le contrevenant peut être considéré comme moins grave aux fins de détermination de la peine parce qu’il a été perpétré à l’étranger, sur un théâtre d’opérations de guerre, par quelqu’un ayant suivi une formation militaire poussée au maniement des armes.
[27] La poursuite a invoqué la gravité objective de l’infraction, dont témoigne la peine maximale pouvant être infligée pour l’infraction de négligence criminelle entraînant la mort. J’estime que la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement prévue par la loi pour cette infraction est une autre indication de la gravité avec laquelle la cour qui détermine la peine doit considérer le meurtre d’une personne par suite de l’usage d’une arme à feu.
[28] Les actions du contrevenant qui ont causé la mort du Caporal Megeney s’inscrivent dans un type de comportement négligent, en commençant par l’omission du contrevenant de décharger son arme à feu à son poste après son service. Le contrevenant a violé la confiance de ses camarades qui, en tant qu’équipe, se sont exposés à des dangers que nous ne pouvons qu’imaginer, et qui étaient en droit de s’attendre à ce que la menace à leur sécurité et à leur bien-être ne vienne pas de l’un de leurs camarades.
[29] Le contrevenant est un jeune homme célibataire et un excellent soldat. Il joue un rôle actif dans la communauté en plus de son service dans la Force de réserve où ses supérieurs le décrivent comme étant invariablement classé dans le premier tiers des caporaux. Il a pris et continue de prendre des mesures pour compléter sa formation. Je n’ai aucun doute qu’il a souffert énormément de la perte de son ami et camarade de peloton, mais il a néanmoins continué à remplir ses fonctions du service militaire depuis les infractions d’une manière consciencieuse et professionnelle. Il n’a pas d’antécédents de manquement à la discipline.
[30] Je souhaite m’adresser aux membres des familles du contrevenant et du Caporal Megeney, dont quelques-uns ont témoigné dans le cadre de la présente instance. Je suis conscient que vous tous, et certes beaucoup d’autres qui n’ont pas témoigné, avez éprouvé un immense chagrin par suite de ces infractions. Je sais que vous réalisez qu’aucune peine que la cour pourrait prononcer ne peut vous redonner ce que vous avez perdu de différentes mais tragiques façons. Pour déterminer la peine en l’espèce, je suis tenu d’accorder davantage de poids à d’autres éléments, mais j’ai accordé une attention spéciale à vos témoignages et je vous remercie du courage dont vous avez tous fait preuve dans vos témoignages.
[31] À mon avis, en tenant compte de toutes les circonstances entourant les infractions et le contrevenant, une peine adaptée en l’espèce serait un emprisonnement de quatre ans et la destitution du service de Sa Majesté.
[32] En vertu de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, la cour peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement. La défense me demande d’exercer ce pouvoir, eu égard à toutes les circonstances entourant le contrevenant, y compris le fait qu’il est actuellement inscrit dans un programme d’études postsecondaires. Je ne suis pas convaincu qu’il convient en l’espèce de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement.
[33] Suivant l’article 220 de la Loi sur la défense nationale, la peine d’emprisonnement est purgée dans un pénitencier fédéral, mais, en vertu du paragraphe 220(1) de la Loi, la cour, en sa qualité d’autorité incarcérante, peut ordonner que la peine, ou une partie de celle-ci soit purgée à la prison militaire d’Edmonton. La poursuite suggère que la cour ordonne que la première partie de neuf mois de la peine soit purgée dans la prison militaire. J’ai invité la défense à examiner expressément cette question, et après réflexion, la défense n’a présenté aucune demande visant à obtenir que la peine soit purgée, en tout ou en partie, dans la prison militaire. Dans les circonstances, je refuse de rendre une ordonnance précisant l’endroit où la peine soit purgée.
[34] J’ai décidé que la destitution du service de Sa Majesté constitue également une peine appropriée en l’espèce. Il est vrai que j’ai entendu le témoignage du commandant du contrevenant et d’autres membres de son unité, qui ont dit qu’ils appuyaient la poursuite de la carrière militaire du contrevenant après qu’il aura purgé la peine prononcée par la cour. Je comprends pourquoi le contrevenant jouit de l’appui de son unité. Il est un soldat compétent et dévoué dont les nombreuses qualités bénéficiairaient aux Forces canadiennes. Par contre, comme soldat il a reçu une instruction poussée concernant le maniement des armes à feu dangereuses, et en commettant ces infractions il a sciemment fait fi des directives qui lui ont été enseignées au cours de l’instruction. Il est regrettable que sa négligence criminelle ait entraîné des conséquences tragiques pour la victime et sa famille, pour sa propre famille et pour d’autres membres du peloton et de son unité, et qu’il ait eu des répercussions possibles sur la mission pour laquelle il avait été déployé. Ces facteurs, à mon avis, l’emportent sur les qualités du contrevenant et justifient sa destitution.
[35] J’estime que la rétrogradation n’est pas appropriée en l’espèce.
[36] J’estime qu’il s’agit d’une affaire appropriée justifiant une ordonnance de prélèvement génétique ainsi qu’une ordonnance interdisant la possession d’armes. En ce qui concerne l’interdiction des armes, il y aura une ordonnance interdisant la possession de toute arme pour une période de cinq ans, et vu que le contrevenant est destitué du service, cette ordonnance s’appliquera à toute arme dans le cadre du service au sein des Forces canadiennes.
[37] En ce qui concerne l’ordonnance de prélèvement génétique, le contrevenant a été déclaré coupable d’une infraction secondaire, définie par la loi, et j’estime qu’il est dans le meilleur intérêt de l’administration de la justice militaire que l’ordonnance soit rendue.
[38] Caporal Wilcox, je vous condamne à une peine d’emprisonnement de 48 mois et à la destitution du service de Sa Majesté.
Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.
Avocats :
Major J.J. Samson, Bureau des poursuites militaires, Région de l’Atlantique
Procureur de Sa Majesté la Reine
Lieutenant-colonel D.T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Caporal M.A. Wilcox
Major S. Turner, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat adjoint du Caporal M.A. Wilcox