Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 28 novembre 2007.
Endroit : Manège militaire Thunder Bay, 317 avenue Park, Thunder Bay (ON).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 200$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Adjudant-chef W.J. Groves, 2007 CM 1027
Dossier : S200735
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
MANÈGE MILITAIRE DE THUNDER BAY
Date : le 28 novembre 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
SA MAJESTÉ LA REINE
C.
ADJUDANT-CHEF W.J. GROVES
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Adjudant-chef Groves, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité relativement au premier chef d’accusation, la cour vous déclare coupable de cette infraction. Il s’agit d’une affaire dans laquelle le poursuivant et la défense ont soumis une proposition conjointe et recommandent à la cour de vous condamner à une réprimande et à une amende de 200 $.
[2] Quoique la cour ne soit pas liée par une recommandation conjointe en matière de détermination de la peine, il est généralement admis qu’elle ne doit s’en écarter que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Ce n’est pas le cas ici. Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système distinct de justice militaire est de permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions qui touchent directement la discipline et l’efficacité et le moral des troupes. Il est aussi reconnu que, dans le contexte militaire, il peut être approprié, dans certaines circonstances, et être parfois justifié de prononcer des peines plus sévères que si la même infraction avait été perpétrée dans un contexte purement civil, et ce, en vue de favoriser des objectifs militaires. Dans le cas précis en cause, il ne s’agit pas d’une infraction civile, mais d’une infraction purement militaire. Cela étant dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être la moindre possible dans les circonstances.
[3] Pour déterminer la peine, la cour a examiné l’ensemble des circonstances de la commission de l’infraction telles qu’elles ont été décrites au cours de la procédure de détermination de la peine, ainsi que la preuve documentaire déposée devant la cour, et qui a été résumée d’une certaine manière par l’avocat de la défense. La cour a aussi étudié les plaidoiries des avocats à cette fin. En outre, j’ai analysé les conséquences directes et indirectes que le verdict et la peine auront sur vous.
[4] La cour qui prononce la peine d’un contrevenant relativement aux infractions qu’il a commises doit poursuivre certains objectifs en fonction des principes de la détermination de la peine qui s’appliquent. Il est généralement reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement selon le cas, mais il faut toujours les adapter aux circonstances de l’affaire ainsi qu’au contrevenant.
[5] Pour contribuer au maintien de la discipline militaire, les principes et objectifs de la détermination de la peine peuvent être énumérés comme il suit :
Premièrement, la protection du public - et cela comprend les Forces canadiennes;
Deuxièmement, la punition et la dénonciation des conduites illégales;
Troisièmement, la dissuasion du contrevenant et d’autres de commettre de telles infractions;
Quatrièmement, l’isolement des contrevenants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes, lorsque cela est nécessaire;
Cinquièmement, la réinsertion des contrevenants;
Sixièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant;
Septièmement, l’infliction d’une peine similaire aux peines imposées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances similaires;
Huitièmement, le fait qu’un contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine ou une combinaison de peines moins restrictives sont indiquées dans les circonstances;
Et finalement, la prise en compte par la cour de toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.
[6] La cour estime qu’une peine adéquate et adaptée en l’espèce devrait insister sur la dénonciation de la conduite et la dissuasion générale. Je ne suis pas préoccupé par la dissuasion spécifique parce que les circonstances présentées à la cour indiquent clairement, certainement avec vos excuses quasi immédiates et vos préoccupations à l’endroit du soldat Crawford, que ce n’est pas quelque chose que vous referez. C’est pourquoi je dis que la cour souhaite insister sur la dénonciation de la conduite et sur la dissuasion générale. Il s’agit aussi d’une affaire qui concerne la discipline militaire élémentaire que doivent respecter les membres en service qui occupent des postes de confiance et d’autorité dans une unité.
[7] Il conviendrait de revoir certaines des circonstances présentées à la cour :
a) Vous étiez et êtes toujours, en ce moment, le sergent-major régimentaire (SMR) de la 18e Ambulance de campagne. Vous étiez celui qui fixait et qui faisait appliquer les normes au sein de l’unité, en ce qui concerne l’ordre et la discipline. À titre de SMR, vous étiez aussi le membre militaire du rang occupant le plus haut rang dans cette unité et, comme il a été affirmé, vous devez montrer l’exemple. Vos actes, votre conduite, devaient respecter les normes les plus élevées.
b) Le 7 décembre 2004, à la réception de Noël de cette unité, qui constituait une tradition au sein de celle-ci, vous avez fait votre discours annuel sur la consommation d’alcool en période de fêtes, rappelant à vos troupes qu’elles devaient se montrer responsables à cet égard, et vous avez aussi parlé des personnes qui n’avaient pas l’âge légal pour consommer de l’alcool.
c) Plus tard au cours de cette réception, vous avez vu le soldat Crawford sortir de la salle des rapports avec trois ou quatre bières dans les poches de son uniforme. Au lieu de l’interroger à ce sujet, vous lui avez dit quelque chose du genre « Si vous allez boire ça, ce sera avec moi ». Puis, vous connaissez la suite : le soldat Crawford est monté sur une table dans la salle des rapports, et vous l’avez fait coucher sur le dos, puis vous avez commencé à lui verser de la bière dans la bouche. Vous avez commencé avec une, qui a été consommée. À la deuxième bière, le soldat Crawford a éprouvé certaines difficultés et, bien sûr, vous ne vous en êtes pas rendu compte, mais il s’est rapidement redressé. Cette affaire s’est terminée lorsque le capitaine Penny est entré dans la salle des rapports et vous a demandé d’arrêter.
d) Le soldat Crawford a été malade, a vomi et, pour l’essentiel, l’incident était clos. Vous avez fait l’objet d’une réprimande pour ce que vous avez fait. Dès que vous en avez eu l’occasion, vous avez présenté des excuses au soldat Crawford et à tous les membres présents dans la salle des rapports à ce moment et vous étiez alors vraiment préoccupé de la santé du soldat Crawford. Moins d’un mois plus tard, vous avez présenté des excuses aux membres de l’unité pour vos actes inappropriés. L’incident a aussi été consigné dans votre rapport d’appréciation du personnel pour ce qui est de ce manque de jugement. Voilà en quelques lignes les circonstances qui entourent l’infraction.
[8] Pour déterminer ce qu’elle considère comme une peine équitable et adaptée et pour établir si cette proposition conjointe est appropriée ou non dans les circonstances, la cour a examiné les facteurs suivants qui aggravent la peine :
a) Premièrement, la gravité objective de l’infraction. Une personne reconnue coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale est passible de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Bien que certaines personnes ne le réalisent pas, il s’agit d’une infraction très grave.
b) Deuxièmement, bien sûr, le contexte particulier de l’affaire décrit dans le sommaire des circonstances que j’ai lu très rapidement avec certains détails.
c) Le troisième facteur aggravant tient à votre poste en tant que SMR de l’unité pour la 18e Ambulance de campagne. Il s’agit d’un poste qui exige un très au niveau d’autodiscipline. Il n’existe pas de poste plus important en ce qui concerne la discipline de tous les membres de l’unité. Tous ont les yeux rivés sur le SMR. La poursuite a fait référence au SMR comme étant le modèle pour les soldats, et la cour ajouterait même pour les officiers, en particulier pour les officiers les moins expérimentés qui comptent beaucoup sur le SMR pour être guidés et aidés. Par vos actes, bien sûr, vous avez miné votre autorité, votre poste, mais la cour estime aussi que vous avez miné l’autorité de la chaîne de commandement au sein de votre unité. La cour estime donc que cela est aggravant.
[9] Maintenant, bien sûr, la cour doit examiné les facteurs atténuants.
a) Vous avez reconnu votre pleine responsabilité de vos actes en plaidant coupable devant la cour à la première occasion qui s’est présentée. Mais surtout, comme il est décrit dans le sommaire des circonstances, vous vous êtes excusé presque aussitôt auprès du soldat Crawford et des membres de l’unité. Vous avez également fait des excuses publiques à l’unité. Vous avez fait des excuses, au moins, aux membres qui se trouvaient dans la salle de rapports au moment de l’incident et, plus tard, vous avez présenté des excuses à l’unité. Ce plaidoyer de culpabilité doit être mis dans le contexte approprié. Il ne s’agit pas d’un plaidoyer où une personne, du fait d’une preuve écrasante, arrive au tribunal le matin et plaide coupable. En examinant le modèle de conduite en l’espèce, vous avez accepté la responsabilité de cet incident le plus tôt possible.
b) Le deuxième facteur atténuant tient aux mesures prises par l’unité en ce qui a trait à votre conduite pour la période de référence se terminant en mars 2005. Il ne s’agit pas d’une affaire qui a été laissée en suspens pendant deux ans, en attente d’une décision sur l’imposition de mesures disciplinaires. Des mesures ont été prises contre vous par l’unité, bien que ce soit des mesures administratives, du moins par des commentaires sur l’incident dans votre rapport d’appréciation du personnel.
c) Le troisième facteur atténuant‒‒et ils ne sont pas classés par ordre de priorité. La cour estime qu’ils ont tous la même valeur dans les circonstances‒‒est la preuve documentaire déposée auprès de la cour et qui montre, sans l’ombre d’un doute, et clairement que vous êtes un militaire du rang exceptionnel, un sergent-major exceptionnel, un technicien médical exceptionnel qui a eu une carrière sans tache, du moins avant cet incident. Par conséquent, votre conduite‒‒du moins c’est l’avis de la cour à ce sujet‒‒constitue clairement une erreur de jugement, qui n’est pas typique du comportement d’une personne comme vous. La cour estime que la preuve documentaire milite grandement en faveur d’une atténuation à cet égard.
d) Un autre facteur, qui n’a pas fait l’objet de commentaires ni de la part du procureur de la poursuite ni de la part de l’avocat de la défense, mais que la cour considère comme un facteur atténuant est le simple fait que vous ayez dû subir le processus disciplinaire. La cour est absolument convaincue que si un sergent-major régimentaire de l’unité se retrouve en cour martiale, dans une salle pleine de collègues, de soldats, de subordonnés et de membres du public, cela a le meilleur effet dissuasif que l’on puisse souhaiter, et la cour estime qu’il s’agit d’un facteur atténuant. Cela joue un rôle important dans l’acceptation de cette recommandation conjointe qui a été présentée par les avocats et qui, dans le contexte, est tout à fait appropriée au vu des circonstances.
[10] Pour toutes ces raisons, la cour accepte la proposition conjointe présentée par les avocats comme étant adéquate dans les circonstances pour répondre au besoin de discipline et protéger le public et la cour estime que cette proposition n’aura pas pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Je suis convaincu que ni moi-même ni un autre juge militaire ne vous reverrons devant un tribunal militaire. Et, bien sûr, comme vous le savez maintenant, vous aurez une fiche de conduite pour laquelle vous devrez obtenir une réhabilitation conformément à la Loi sur le casier judiciaire, et cela constitue aussi un élément important.
[11] Par conséquent, la cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 200 $. Sortez, adjudant-chef Groves. L’instance devant la cour martiale à l’égard de l’adjudant-chef Groves est terminée.
COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
Avocats :
Capitaine D. Kirk, Direction des poursuites militaires, Région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Major C.E. Thomas, Directeur du Service des avocats de la défense
Avocat de l’adjudant-chef W.J. Groves