Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 22 août 2011

Endroit : Garnison Valcartier, l'Académie, Édifice 534, Courcelette (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 83 LDN, désobéissance à un ordre légitime.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 83 LDN, désobéissance à un ordre légitime.
•Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 5 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 4 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 3 : Coupable. Chef d'accusation 5 : Non coupable.
•SENTENCE : Détention pour une période de 14 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Lamoureux, 2011 CM 1006

 

Date : 20110823

Dossier : 201138

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Valcartier

Courcelette, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef R.L. Lamoureux, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal-chef Lamoureux a fait l'objet de cinq chefs d'accusation devant cette cour martiale permanente. Il a avoué sa culpabilité au deuxième chef d'accusation, soit un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale. Caporal-chef Lamoureux s'est également avoué coupable du troisième chef d'accusation, soit d'avoir désobéi à un ordre donné par un supérieur, aux termes de l'article 83 de la Loi. Les détails de ces deux chefs d'accusation s'entrecroisent et s'inscrivent dans le déroulement d'une série d'évènements qui se sont succédés à la suite du refus du caporal-chef Lamoureux de remplir une génératrice et des bidons d'essence suite à la directive émise le ou vers le 12 juin 2010, au Camp Mario Mercier, au Centre de coordination des opérations (OCC-P), dans la ville de Kandahar, en République Islamique d'Afghanistan,  par un caporal et collègue de travail dont il était le subalterne. À ce refus initial s'est ajouté un refus subséquent de s'acquitter de la même tâche lorsqu'il en a reçu l'ordre de l'adjudant-chef Trépanier. La cour a accepté et enregistré ces aveux de culpabilité et elle a ordonné une suspension d'instance à l'égard du premier et du quatrième chef d'accusation. La poursuite a choisi de ne pas présenter de preuve relativement au cinquième chef d'accusation et la cour a déclaré le caporal-chef Lamoureux non-coupable dudit chef d'accusation.

 

[2]               Il est opportun de rappeler que le caporal-chef Lamoureux a été déployé en Afghanistan en novembre 2009. Il était alors attaché au Quartier général et Escadron des transmissions de la Force opérationnelle Kandahar, pour la Force opérationnelle interarmées Afghanistan. Or le 27 mai 2010, le caporal-chef Lamoureux fut assigné à l'OCC-P situé à Kandahar pour pallier au manque d'opérateurs à cet endroit. Il fut avisé par son superviseur la journée précédant de son déploiement à l'OCC-P. Avant l'arrivée du caporal-chef Lamoureux, le commandant de l'OCC-P, le lieutenant-colonel Lavoie, l'adjudant-chef Trépanier et le caporal-chef Pouliot-Champagne ont discuté du rôle et des fonctions qu'il aurait à occuper. Il fut convenu que le caporal-chef Lamoureux agirait en tant qu'opérateur au poste de commandement de l'OCC-P. Les responsabilités de chef signaleur seraient assumées par le caporal Mutézintare.

 

[3]               Dès son arrivée, le caporal-chef Pouliot-Champagne lui a expliqué le travail qu'il aurait à accomplir et qu'en son absence, il serait sous les ordres du chef signaleur. Il lui fut mentionné qu'il occuperait un poste d'opérateur du PC et un poste subalterne au chef signaleur, qu'il effectuerait des quarts de travail, qu'il devrait s'occuper de la maintenance de la génératrice et de remplir des bidons (jerrycans) d'essence à la fin de ses quarts de travail, ainsi que de participer activement au maintien et à l'amélioration du camp.

 

[4]               Entre le 1er juin et le 3 juin 2010, les quarts de travail étaient de huit heures. Le caporal Deschesnes avait eu comme responsabilité de guider le caporal-chef Lamoureux dans l'accomplissement de ses quarts de travail et les tâches concomitantes, incluant le remplissage des bidons d'essence et de la génératrice, à son arrivée. Après le départ du caporal-chef Pouliot-Champagne, le 5 juin 2010, les quarts de travail ont été modifiés à douze heures de travail. À partir de ce moment, le caporal-chef Lamoureux n'a plus accompli le remplissage des bidons d'essence et de la génératrice, malgré la demande qui lui fut faite par le chef signaleur. En raison de ce refus et de l'attitude générale du caporal-chef Lamoureux, le caporal Mutézintare a donc décidé d'accomplir cette tâche concomitante qui aurait dû être accomplie par le caporal-chef Lamoureux, afin de ne pas compliquer davantage la situation.

 

[5]               Le 12 juin 2010, peu après le retour de congé d'un autre opérateur, le caporal Mutézintare, voyant la possibilité de réduire les quarts de travail et étant occupé à d'autres tâches, a demandé au caporal-chef Lamoureux de remplir les bidons d'essence et la génératrice, à la fin de son quart de travail. Le caporal-chef Lamoureux a catégoriquement refusé de le faire. Le caporal Mutézintare, exaspéré de la situation et ne voulant plus s'obstiner avec le caporal-chef Lamoureux, a téléphoné au caporal-chef Pouliot-Champagne pour l'informer de la situation. Par la suite, il a apporté la situation à l'adjudant-chef Trépanier qui a alors convoqué le caporal-chef Lamoureux dans le bureau de compagnie en présence du caporal Mutézintare, pour lui rappeler les rudiments du travail d'équipe et les tâches auxquelles il était assigné. Le caporal-chef Lamoureux a précisé qu'il refusait de faire celles-ci. L'adjudant-chef Trépanier a alors expliqué les raisons de la répartition de ces tâches, qu'il devait s'impliquer davantage et devait obtempérer aux ordres pour le bon fonctionnement du camp. Le caporal-chef Lamoureux a refusé catégoriquement d'obtempérer à l'ordre reçu. Il a mentionné qu'il voulait quitter l'OCC-P et qu'il tentait d'entrer en contact avec le personnel signaleur de l'Aérodrome de Kandahar afin de retourner à cet endroit. L'adjudant-chef Trépanier lui a dit de retourner à ses quartiers. Après avoir consulté le lieutenant-colonel Lavoie, l'adjudant-chef Trépanier a informé le caporal-chef Lamoureux de son départ pour l'Aérodrome de Kandahar dans les heures suivantes. Le 12 juin 2010, le lieutenant-colonel Lavoie a envoyé une lettre stipulant qu'il retournait le caporal-chef Lamoureux en raison de son manque de professionnalisme et de collaboration.

 

[6]               Les procureurs en présence ont présenté une suggestion commune relativement à la sentence que cette cour devrait imposer. Les procureurs recommandent d'infliger une peine de 14 jours de détention au caporal-chef Lamoureux. Malgré cette suggestion commune, il faut comprendre que l'obligation d'en arriver à une sentence adéquate incombe au tribunal qui a le droit de la rejeter, mais seuls des motifs incontournables peuvent permettre au tribunal de s'écarter de la proposition commune. Ainsi, le juge devrait accepter la suggestion commune des avocats à moins qu'elle ne soit jugée inadéquate ou déraisonnable, contraire à l'ordre public ou qu'elle déconsidèrerait l'administration de la justice, par exemple si elle tombe à l'extérieur du spectre des sentences qui auraient été précédemment infligées pour des infractions semblables. En contrepartie, les avocats sont tenus d'exposer au juge tous les faits à l'appui de cette proposition commune. Les procureurs soumettent que la sentence proposée est conforme à la jurisprudence en semblable matière.

 

[7]               La Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt Généreux que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace »[1]. Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, « les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil »[2]. Ces remarques prennent tout leur sens dans les affaires qui soulèvent des questions de désobéissance en théâtre opérationnel. Mais, la peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[8]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi et par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c.                   isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[9]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c’est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation de contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[10]           La suggestion commune des procureurs doit respecter les objectifs et les principes précédemment mentionnés qui sont applicables en l'espèce, sinon la cour n'a d'autre choix que de la refuser. Il est opportun de rappeler que la poursuite justifie sa recommandation en s'appuyant principalement et à bon droit sur les motifs de notre collègue juge militaire Perron dans l'affaire R c Billard[3], confirmé par la Cour d'appel de la cour martiale dans une décision unanime sous les motifs de l'honorable juge en chef Blanchard[4]. L'affaire Billard évoque l'importance du respect absolu de l'autorité et de l'obéissance aux ordres émis, plus particulièrement en contexte opérationnel. J'endosse chacun des principes mis de l'avant par mon collègue Perron dans l'affaire Billard et je suis d'avis qu'ils sont entièrement applicables dans le dossier devant cette cour. Je souligne d'ailleurs les propos du juge en chef Blanchard qui résument l'importance du devoir d'obéissance d'un militaire canadien et des principes qui doivent guider les tribunaux militaires lors de l'imposition d'une sentence appropriée lorsqu'il y a violation de ce devoir, aux paragraphes 7 à 9 de la version officielle française :

 

Après avoir examiné le dossier et entendu les avocats de l’appelant, nous sommes d’avis que la peine imposée n’est pas illégale ni manifestement inappropriée. À notre avis, le juge militaire n’a commis aucune erreur de principe, n’a pas omis d’examiner les facteurs pertinents et n’a pas accordé une importance exagérée aux facteurs appropriés.

 

La présente affaire soulève un principe important, à savoir le principe du « soldat d’abord ». Un membre des forces canadiennes, quel que soit son rang, son métier ou son poste, est toujours un soldat combattant. L’infraction de l’appelant ne se rapportait pas à l’exécution de ses fonctions habituelles à titre de préposé au renseignement. Selon la preuve, il exécute ces fonctions très bien comme en témoignent, entre autres, l’appui et la présence ininterrompus de son commandant et de ses supérieurs à l’audience du présent appel. Son infraction portait plutôt directement sur son omission de se comporter comme un membre d’une unité de combat qui était alors attaquée, mettant ainsi en danger sa vie et sa sécurité, ainsi que celles de ses camarades.

 

Dans de telles circonstances, il est impératif d’obéir aveuglément à des ordres licites.

 

Les principes de réprobation et de dissuasion prennent une importance particulière dans ces circonstances. [...]

 

[11]           À la lumière des éléments mis en preuve devant la cour, il m'apparaît clair que le caporal-chef Lamoureux s'est refusé à accomplir des tâches qui étaient les siennes. Il a de plus désobéi à l'ordre subséquent l'enjoignant de les accomplir. C'est selon moi aussi sérieux, sinon plus sérieux, que les manquements du caporal-chef Billard, et ce même si la situation opérationnelle était différente. Il importe peu que le caporal-chef Lamoureux ait agit ainsi par frustration ou par fatigue. Le contrevenant a fait preuve d'un manque de discipline élémentaire pour un membre des Forces armées et sa conduite est hautement répréhensible dans le contexte d'un militaire du rang jouissant d'une aussi vaste expérience. Dans l'affaire R c Crockatt[5], notre collègue juge militaire Lamont abondait dans le même sens et réitérait l'importance ultime d'obéir aux ordres, particulièrement en théâtre opérationnel. Suite au verdict prononcé par la cour martiale disciplinaire, telle qu'elle existait à l'époque, le juge Lamont faisaient les remarques suivantes lors du prononcé de la sentence, aux paragraphes 7 à 10, avant de condamner le soldat Crockatt à la détention pour une période de 15 jours :

 

I should say that I accept the evidence of the witnesses who were heard in the course of the sentencing phase; that is, Master Corporal Dickin and Master Warrant Officer Jeans as to the effect of this particular offence on unit discipline and morale.  I consider as a serious aggravating circumstance in this case that the offence was committed in an active theatre of operations.  It seems to me that the only circumstance of the offence that might have [been] more severe, more serious, would be if it were committed while actually under fire.  While that did not happen in this case, I consider that this is close to one of the most serious offences of its kind.

 

As well, I've considered the importance to operations of the order that was given and the importance of complying with that order to maintain the security of the other personnel present at the time.  A failure to properly man an observation post can have very serious consequences. It is not the role of the private receiving the order to make any kind of judgement as to whether or not the task he is assigned is to be carried out. There is simply no question that when a lawful order is given in theatre, of the importance of this one, it must be complied with immediately and without question.

 

I also consider the circumstances of the offender, who at the time of this offence had almost four years of service in the Canadian Forces as a private infantryman.  He can be taken to be aware, as a result of his training both at home and in preparation for deployment, of the importance of complying with lawful orders.

 

I consider as one of the mitigating circumstances in this case, the health of the offender at the time of the offence.  It is clear from the evidence heard in the course of the trial that in the days prior to the offence being committed he was diagnosed with viral gastro-enteritis, and it is likely that he was suffering the effects of that condition even after the successful treatment of 15 March 2006 some three days prior to the offence.  I also consider the arduous conditions of combat under which the offence was committed.  There is no doubt on the evidence that the resources that were available to the chain of command to discharge their weighty responsibilities at the time were limited, everyone in the unit was contributing 110 per cent.  In this way they distinguished themselves to the honour of themselves and the country they serve.  The offender, as well, served under those arduous conditions of combat, but in the same conditions chose on this occasion to advance his individual interests rather than to comply with a lawful order.

 

[12]           Dans cette affaire, la cour considère les circonstances suivantes comme aggravantes :

 

a.                   Ces infractions sont objectivement très sérieuses. La désobéissance à un ordre légitime est passible de l'emprisonnement à perpétuité alors qu'un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline est passible de la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Le fait que le caporal-chef Lamoureux a créé de façon répétées et préméditées une situation malsaine dans son environnement de travail est particulièrement aggravant.

 

b.                  Les infractions commises sont subjectivement tout aussi sérieuses. Il s'agit d'infractions perpétrées en théâtre opérationnel afghan là où le danger, le stress et l'état de fatigue sont exacerbés par une multitude de facteurs souvent or du control des militaires qui accomplissent leur devoir au risque de leur propre vie.

 

c.                   Il y a aussi le fait qu'il ne s'agit pas des premiers démêlés du caporal-chef Lamoureux avec la justice militaire, même si sa fiche de conduite fait état de condamnations qui ont été prononcées en 1992 et en 1994 respectivement. Il est opportun de préciser que ces infractions ont été commises, elles-aussi, dans un contexte opérationnel à l'étranger lors de déploiements à Chypre et en Bosnie-Herzégovine.

 

d.                  Il y a aussi le fait que les gestes du contrevenant ont occasionné un fardeau supplémentaire à ses collègues de travail déjà surchargés, alors que sa présence même au sein de cette équipe avait pour but de leur fournir du renfort. Une telle conduite démontre un profond manque de respect envers ses camarades et l'abdication de ses responsabilités au soutien de l'effort collectif requis. Force est de constater que l'on devrait s'attendre à plus de leadership et d'intégrité de la part d'un caporal-chef d'expérience.

 

e.                   Et finalement, le fait que le caporal-chef Lamoureux s'est entêté auprès de sa chaîne de commandement dans son refus d'obéir à des ordres légitimes qui étaient pourtant à la fois clairs et simples. Ce faisant, il est devenu un fardeau administratif pour son unité jusqu'à son retour à l'Aérodrome de Kandahar. Un tel fardeau est inutile et inacceptable dans un contexte opérationnel où les ressources matérielles et humaines sont surtaxées. Il n'y a aucun doute que le caporal-chef Lamoureux a miné la cohésion, le moral et la discipline de son équipe par son attitude égoïste, voire corrosive.

 

[13]           La cour considère néanmoins que les circonstances suivantes doivent atténuer la sentence :

 

a.                   Premièrement, les aveux de culpabilité du caporal-chef Lamoureux. Ces aveux constituent dans les circonstances l'acceptation par le contrevenant de sa responsabilité dans cette affaire.

 

b.                  Deuxièmement, le fait que le rendement du caporal-chef Lamoureux dans les quelques mois qui ont suivi la commission des infractions se soit grandement amélioré. Cette situation illustre toutefois l'importance de ce qu'on lui reproche. Le document produit sous la cote 8 l'a été par la défense pour démontrer que le caporal-chef Lamoureux a fait amende honorable dans les jours qui ont suivi ses écarts de conduite. Hors, l'auteur du document s'efforce de souligner que le contrevenant a offert un rendement sans faute, mais sans omettre de préciser qu'il l'avait préalablement rencontré en compagnie du commandant de la troupe TI, pour lui expliquer ce que l'on attendait de son attitude et de son comportement au travail. D'ailleurs, il y est mentionné au milieu du paragraphe 2 que : « Son dévouement et son expérience au sein des Forces canadiennes ont été des facteurs clés qui l'ont encouragé dans ses nouvelles fonctions. Son intérêt et son implication de ce projet a grandement changé son attitude en la rehaussant de manière significative ce qui l'a motivé à terminer la mission ». La cour accepte que le comportement du caporal-chef Lamoureux après les incidents s'est donc amélioré, mais sans passer sous silence la présence de deux données essentielles qui semblent avoir été le fondement de cette amélioration : d'une part, une mise en garde formelle de la part de ses nouveaux superviseurs; et d'autre part, un intérêt personnel pour ses nouvelles attributions. Ce fait est très révélateur du sens éthique, de l'altruisme et de la solidarité manifestés par le caporal-chef Lamoureux en fonction du moment et de son intérêt personnel dans l'exécution de la tâche qu'on lui confie. L'obéissance aux ordres et le sens du devoir ne doivent pas être tributaire des humeurs ou des préférences d'un militaire face aux responsabilités que la chaîne de commandement décide sciemment de lui confier au soutien de l'effort collectif, particulièrement dans un théâtre opérationnel.

 

c.                   La cour trouve comme facteur atténuant également le délai écoulé depuis la commission des infractions dans le contexte des admissions formulées par la poursuite. Les premières accusations à l'endroit du caporal-chef Lamoureux furent portées en juillet 2010 et la mise en accusation fut prononcée en novembre 2010. Une cour martiale fut convoquée pour le 16 mai 2011, mais le Directeur des poursuites a retiré les accusations quelques jours avant le début de la cour martiale. Le caporal-chef Lamoureux fut l'objet de nouvelles accusations fondées sur les mêmes faits le 24 mai 2011. Le lendemain, le caporal-chef Lamoureux exerçait son droit d'être jugé par cour martiale. Une mise en accusation était prononcée le 28 juillet 2011 par le Directeur des poursuites militaires. Cette cour martiale fut convoquée le 11 août 2011 pour que les procédures débutent le 22 août 2011. La cour trouve inacceptable que les procédures disciplinaire relativement à cet incident dont la preuve est particulièrement simple aient pris autant de temps, surtout lorsque les faits prennent leur source en théâtre opérationnel. D'une part, le caporal-chef Lamoureux a dû attendre presque dix mois avant que de nouvelles accusations soient portées contre lui. De toute évidence, il appert que cette situation est le résultat d'une erreur ou une omission de nature juridique. D'autre part, cette situation ne contribue aucunement aux meilleurs intérêts du maintien de la discipline, ni aux intérêts de l'accusé. Il en va de l'intérêt d'une saine administration de la justice militaire pour le bénéfice de toutes les parties que les accusations portées aux termes de code de discipline militaire soient traitées avec célérité.

 

[14]           J'accepte l'argument de la poursuite qu'une sentence juste et appropriée doit mettre l'emphase sur les objectifs de dissuasion générale, la dénonciation du comportement et la punition du contrevenant. Malgré cela, il ne faut pas banaliser l'importance de la dissuasion spécifique du contrevenant quand la preuve nous permet de conclure que le caporal-chef Lamoureux semblait, à l'époque des incidents qui lui sont reprochés, être enclin à s'acquitter de ses responsabilités au gré de ses préférences d'emploi et de ses intérêts personnels.

 

[15]           Or, l'obéissance aveugle aux ordres légitimes ne comporte pas de variable de l'ordre des préférences subjectives de la part d'un militaire à s'acquitter de la tâche qui lui est confiée. La suggestion commune des procureurs m'apparaît ainsi être la sentence minimale dans les circonstances et elle ne pourrait représenter un frein à la réhabilitation du caporal-chef Lamoureux. J'ajouterais que la jurisprudence récente semble privilégier une peine privative de liberté pour les personnes coupables de ce type d'infractions lorsqu'elles sont commises en théâtre opérationnel. Cela m'apparaît convenable et juste en l'absence de circonstances exceptionnelles.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR :

 

[16]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du deuxième chef d'accusation et du troisième chef d'accusation.

 

[17]           CONFIRME la suspension d'instance à l'égard du premier chef d'accusation et du quatrième chef d'accusation.

 

ET elle

 

[18]           CONDAMNE le contrevenant, le caporal-chef Lamoureux, à la détention pour période de 14 jours.


 

Avocats :

 

Major J.L.V.G. Roy et Capitaine N.L. Déry, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de la poursuivante

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat pour le caporal-chef R.L. Lamoureux



[1] Voir R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la p. 293.

[2] Ibid.

[3] 2007 CM 4019, le 6 juillet 2007.

[4] Référence neutre : 2008 CMAC 4, le 25 avril 2008.

[5] 2008 CM 2004, 16 février 2008.

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