Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 28 janvier 2008
Endroit : BFC Goose Bay, édifice 512, pièce 160, Happy Valley-Goose Bay (NL).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 84 LDN, a usé de violence envers un supérieur.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 86 LDN, s’est battu avec une personne justiciable du code de discipline militaire.
• Chef 3 : Art. 97 LDN, ivresse.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours, un blâme et une amende au montant de 3000$. L’exécution de la peine d’emprisonnement a été suspendue.
Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal-chef D.A. Bryson, 2008 CM 1002
Dossier : 200786
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR
BASE DES FORCES CANADIENNES 5e ESCADRE GOOSE BAY
Date : 28 janvier 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LE CAPORAL-CHEF D.A. BRYSON
(contrevenant)
SENTENCE
(prononcée de vive voix)
[1] Caporal-chef Bryson, ayant accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des première et troisième accusations et ordonné que les procédures soient suspendues relativement à la deuxième accusation, qui était une accusation subsidiaire par rapport à la première, la cour vous déclare coupable des première et troisième accusations.
[2] Dans la présente affaire, l’avocat de la poursuite et l’avocat de la défense ont formulé une recommandation conjointe au sujet de la sentence. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à l’emprisonnement pour une période de 30 jours, à une réprimande sévère et à une amende de 3 000 $, payable en 15 versements de 200 $ chacun. Les avocats ont également recommandé que la cour suspende l’exécution de la peine d’emprisonnement.
[3] Bien que la cour ne soit pas liée par une recommandation de ce genre, l’usage veut qu’elle ne s’en écarte que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Eu égard à la preuve dont la cour a été saisie ainsi qu’aux observations des avocats, tel n’est pas le cas.
[4] Il est reconnu depuis longtemps que l’objet de la création d’un système de justice militaire distinct est de permettre aux Forces armées de s’occuper des questions qui touchent directement la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. Il est également reconnu, dans des circonstances appropriées, que le contexte militaire peut justifier et, parfois, dicter une peine qui favorisera l’atteinte des objectifs militaires. Cela étant dit, la peine imposée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait représenter la mesure minimale qui est nécessaire dans les circonstances de l’espèce.
[5] Afin de déterminer la peine, j’ai examiné l’ensemble des circonstances entourant la perpétration de l’infraction, telles qu’elles ressortent du sommaire des circonstances que vous avez accepté en tant que preuve concluante, ainsi que la preuve documentaire présentée devant moi, y compris l’exposé conjoint des faits. Enfin, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes que le verdict et la peine auront pour vous.
[6] Les objectifs et principes à prendre en compte pour déterminer la peine qu’il convient d’infliger reposent généralement sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : premièrement, la protection du public, y compris les Forces canadiennes; deuxièmement, la punition du contrevenant et la dénonciation du comportement illégal; troisièmement, l’effet de dissuasion de la sanction sur le contrevenant et sur quiconque serait tenté de commettre une infraction semblable; quatrièmement, l’isolement au besoin des contrevenants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes, cinquièmement, la réinsertion des contrevenants; sixièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant; septièmement, l’infliction d’une peine similaire aux peines infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances semblables; huitièmement, le fait qu’un contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine ou une combinaison de peines moins restrictive est indiquée dans les circonstances et, enfin, toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.
[7] En ce qui a trait au principe de la parité des peines, selon lequel les peines devraient être similaires aux peines infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances semblables, je dois dire que les décisions que la poursuite et la défense ont invoquées ne sont évidemment pas identiques et qu’il est possible de les distinguer quant aux faits et parfois également quant à la gravité de l’infraction. Il importe également de souligner qu’au moment d’accepter la recommandation, la cour n’envisage pas la suspension de la peine ou n’a envisagé cette possibilité qu’après avoir conclu et convenu avec les avocats que la peine indiquée dans la présente affaire est la peine à infliger en dernier recours, soit l’emprisonnement. La question de la suspension est commentée plus loin.
[8] Je conviens avec la poursuite que la peine à infliger en l’espèce devrait mettre l’accent sur la nécessité de protéger le public et de promouvoir la dissuasion générale. J’ajouterais également que des facteurs comme la punition et la dénonciation de la conduite sont tout aussi importants dans le contexte de ce type d’infractions, lorsque le contrevenant a recours à la violence contre un officier supérieur. Cependant, une peine bien adaptée doit également favoriser la réinsertion du contrevenant, ce qui est encore plus vrai en l’espèce, eu égard aux circonstances particulières entourant la perpétration de l’infraction ainsi qu’à la situation particulière dans laquelle le contrevenant se trouvait à l’époque et se trouve aujourd’hui.
[9] J’ai donc examiné la recommandation conjointe à la lumière des faits pertinents décrits dans le sommaire des circonstances et de leur importance ainsi que des principes pertinents relatifs à la détermination de la peine.
[10] Il appert de la preuve présentée en l’espèce qu’au début de la soirée du 29 mars 2007, le capitaine Cooke, la victime, a donné une réception à laquelle il avait convié plusieurs militaires, dont vous-même et votre amie, la capitaine Crew. Il semble que vous vous connaissiez tous et que le capitaine Cooke s’est rendu à la réception à bord du même avion. Toutes les personnes présentes buvaient de l’alcool. Plus tard pendant la soirée, vous avez tous participé à un dîner régimentaire au cours duquel vous avez continué à boire et à échanger ensemble. Après le repas, le capitaine Cooke a dit à votre amie, en votre absence, qu’il avait en main des photos sur lesquelles vous apparaissiez avec une autre femme dans une position compromettante. Il semble également que votre amie a pris ce renseignement au sérieux, parce qu’elle vous a confronté immédiatement après en avoir été informée. En conséquence, vous avez demandé au capitaine Cooke de sortir et vous avez commencé à le frapper à plusieurs reprises à la tête.
[11] Le capitaine Cooke a eu des boursouflures et des lacérations à l’arrière de la tête, le nez enflé, la lèvre épaisse, des coupures à l’intérieur de la bouche et des yeux au beurre noir. La preuve montre également que vous avez présenté des excuses à la victime le lendemain et que vous avez immédiatement reconnu votre responsabilité à l’égard de vos gestes auprès de votre unité et de la police militaire. Dans ce contexte, la reconnaissance de votre culpabilité aujourd’hui est certainement, à mon avis, un signe véritable de remords et a permis à la cour martiale disciplinaire d’économiser des ressources humaines et financières importantes.
[12] J’examine maintenant les facteurs aggravants. Le premier est évidemment la gravité objective de l’infraction, soit le recours à la violence contre un officier supérieur. Comme je vous l’ai expliqué plus tôt aujourd’hui, cette infraction est punissable de l’emprisonnement à perpétuité. Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’ajouter qu’il s’agit d’une infraction extrêmement grave, parce que cette sanction est la sanction maximale pouvant être infligée relativement à tout acte criminel au Canada. Je retiens également comme facteur aggravant le fait que l’infraction a été commise dans un établissement militaire après la tenue d’un événement officiel.
[13] Par ailleurs, les circonstances particulières de la présente affaire constituent évidemment un facteur atténuant. Je ne répéterai pas le sommaire des circonstances et le reste de la preuve, y compris l’exposé conjoint des faits et le rapport d’évaluation qui ont été déposés devant la cour, mais il est évident que votre réaction ne cadrait nullement avec votre tempérament, que vous n’avez commis aucun acte de violence dans le passé et que vous vous acquittez fort bien de vos fonctions. De plus, ce qui est très important, vous avez plaidé coupable rapidement dans la présente affaire, ce qui constitue, comme je l’ai déjà souligné, un grand signe de remords.
[14] Je retiens également les excuses que vous avez présentées à la victime et le fait, ce qui m’apparaît important dans les circonstances, que vous avez recommencé à avoir une relation sociale avec cette personne, ce qui montre à mon avis que vous avez décidé tous les deux de tourner la page. Je tiens compte également de la situation familiale dans laquelle vous vous trouviez à l’époque, du stress associé à votre divorce et des problèmes que vous viviez en ce qui a trait à l’exercice de vos droits de visite auprès de vos enfants, ce qui, selon la preuve, explique peut-être en partie la tension que vous éprouviez alors. Je retiens aussi comme facteur atténuant votre situation familiale et financière actuelle. Je considère en outre comme un facteur atténuant, quoique dans une moindre mesure, le rôle important que vous jouez dans votre unité, où les ressources sont restreintes. Cependant, cet aspect est davantage lié à la question de savoir si j’accepte ou non que la peine soit suspendue ou que l’exécution de la peine d’emprisonnement soit suspendue; je reviendrai plus loin sur cette question. Le dernier facteur atténuant dont je tiens compte est le fait que votre victime n’a subi aucun préjudice permanent ou prolongé par suite de vos gestes.
[15] Par ailleurs, vous avez admis votre culpabilité à l’accusation d’ivresse, soit la troisième accusation portée dans l’instance. Je considère cet élément, soit le rôle de l’alcool dans l’ensemble des circonstances, comme un facteur neutre au sens où, s’il est vrai qu’il a eu une influence sur votre propre conduite, il aurait également eu une influence sur la conduite de toute autre personne concernée à l’époque. J’estime donc que ce facteur est neutre dans les circonstances.
[16] En conclusion, je conviens que la sanction de dernier recours en l’espèce est justifiée et je conviens avec les deux avocats qu’il s’agit d’une peine juste et équitable. Cependant, il convient de distinguer la présente affaire d’avec celle de Vanson et Winkler, que je connais et que j’ai passée en revue et dans laquelle le juge Price s’est montré extrêmement clément à mon avis dans les circonstances.
[17] Bien que Vanson et Winkler n’aient pas été déclarés coupables d’avoir eu recours à la violence contre un officier supérieur (l’infraction plus grave), ils ont plaidé coupable à l’accusation de voies de fait causant des lésions corporelles, infraction qui, sur le plan objectif, est évidemment moins grave, parce qu’elle est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans. Les faits et circonstances de l’affaire Vanson et Winkler étaient beaucoup plus graves que ceux de la présente affaire. L’attaque examinée dans cette affaire était totalement gratuite et très puissante. Bien que le juge ait souligné qu’aucun élément de preuve ne montrait que Vanson et Winkler savaient que le capitaine Bodnar était un officier supérieur à l’époque ou qu’ils connaissaient son identité précise, un examen de l’affaire aurait pu donner lieu à une conclusion différente.
[18] À mon avis, d’après les faits mis en preuve, Vanson et Winkler méritaient une sanction beaucoup plus sévère et c’est pourquoi je conviens avec les avocats que la peine qu’ils recommandent est juste et appropriée. Je ne suis cependant pas d’accord avec l’avocat de la poursuite lorsqu’il a dit que les circonstances de la présente affaire sont plus graves que celles de l’affaire Vanson et Winkler. Bien entendu, dans un contexte où l’infraction est plus grave sur le plan objectif, j’aurais tendance à convenir avec la poursuite que les faits mis en preuve dans l’affaire Vanson et Winkler étaient plus graves que ceux de la présente affaire. En conséquence, la recommandation formulée par le major Samson et le capitaine Tremblay correspond aux peines imposées dans la moyenne et est tout à fait appropriée dans les circonstances.
[19] En ce qui concerne la suspension de la peine d’emprisonnement, je ne vois aucune raison valable de rejeter la recommandation conjointe formulée par les avocats à ce sujet. À mon avis, compte tenu de la situation particulière dans laquelle vous vous trouviez à l’époque et de votre situation actuelle, de votre famille, de votre poste de chef d’équipe de votre unité à titre de Tech SAR, ou technicien en recherche et sauvetage, et de la pauvreté des ressources au sein de votre unité, il est indéniable, eu égard à vos antécédents et à votre rendement antérieur, que vous serez davantage utile à la société et aux Forces canadiennes en vous acquittant de vos fonctions qu’en purgeant une peine d’emprisonnement pour un incident qui, de l’avis de la cour, est maintenant derrière vous et derrière la victime, dont les remarques tout à fait inappropriées ont déclenché une réaction tout aussi inappropriée et excessive ainsi qu’un comportement criminel de votre part.
[20] En conséquence, j’accepte la recommandation et je vous condamne à une peine d’emprisonnement de 30 jours ainsi qu’à une réprimande sévère et à une amende de 3 000 $, à payer en versements mensuels de 200 $ chacun au cours des 15 prochains mois. Si vous êtes libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de l’amende, le montant non réglé sera exigible le jour précédant votre libération. En dernier lieu, je suspends l’exécution de la peine d’emprisonnement.
Colonel M. Dutil, J.M.C.
Avocats :
Le major J.J. Samson, Poursuites militaires régionales (Atlantique)
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le capitaine B.L.J. Tremblay, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du caporal-chef Bryson