Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 26 février 2008.
Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Astra (ON).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267a) C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, usage négligent d’une arme prohibée (art. 86(1) C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Non coupable.
• SENTENCE : A reprimand and a fine in the amount of $1000.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Lex-matelot de 1re classe B.V.P. Sharp, 2008 CM 1004

 

Dossier : 200746

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

BASE DES FORCES CANADIENNES 8e ESCADRE TRENTON

 

Date : le 28 février 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. DUTIL, J.M.C.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

Lex-MATELOT DE 1re CLASSE B.V.P. SHARP

(contrevenant)

 

SENTENCE

(prononcée de vive voix)

 

 

Introduction

 

[1]                    Lex-matelot de 1re classe Sharp a été déclaré coupable, après avoir subi son procès, du premier chef daccusation relatif à une infraction punissable en vertu de larticle 130 de la Loi sur la défense nationale, soit une agression armée, contrairement à lalinéa 267a) du Code criminel. La cour a également accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à légard dune accusation portée sous le régime de larticle 129 de la Loi sur la défense nationale, soit un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La cour vous déclare maintenant coupable de cette infraction, qui constitue le troisième chef daccusation figurant sur lacte daccusation en question.

 


[2]                    Les chefs daccusation susmentionnés découlent dune série dévénements survenus vers 17h15, le 12 novembre 2006, à la 8e escadre du quartier général de la police militaire de Trenton, où la caporale Esser et le matelot de 1re classe Sharp, qui étaient alors collègues de patrouille, revenaient après avoir terminé leur quart de travail. Il sagissait du dernier quart de travail du matelot de 1re classe Sharp, qui quittait les Forces canadiennes. En résumé, il appert des témoignages présentés au procès et consignés par écrit dans le sommaire des circonstances que la caporale Esser et lex‑matelot de 1re classe Sharp revenaient de leur quart de patrouille, qui était, effectivement, le dernier quart de travail de celui-ci comme membre de la police militaire et des Forces canadiennes, parce quil quittait volontairement celles-ci afin de devenir parent de famille daccueil à temps plein.

 

[3]                    Lors du changement de quart, le matelot de 1re classe Sharp était très excité et heureux; il souriait, dansait et faisait des blagues. Après être entré dans limmeuble de la police militaire, il a retiré son vaporisateur de poivre de sa ceinture et a demandé à sa répartitrice, Mme Preston, tout en sapprochant delle, si elle avait déjà reçu du gaz poivré. Il lui a ensuite proposé à la blague den vaporiser un peu dans sa bouche et elle a refusé. Il a renouvelé sa proposition et Mme Preston a à nouveau refusé fermement en se couvrant le visage avec les mains. Alors quil insistait une troisième fois, Mme Preston a gardé le visage couvert jusquà ce quelle lentende séloigner. Elle ne sest sentie en aucun moment menacée par la conduite du matelot de 1re classe Sharp. Avant de quitter limmeuble, elle a commencé à tousser et sa gorge était sèche. Une porte et des fenêtres étaient ouvertes et un ventilateur fonctionnait afin de faire circuler lair dans la pièce.

 

[4]                    Étant donné que cétait lheure du changement de quart, la caporale Esser a traversé la pièce de limmeuble pour aller enlever son arme. Après avoir dépassé le matelot de 1re classe Sharp, elle sest sentie mouillée au niveau des fesses. Soupçonnant que son partenaire, Sharp, avait aspergé du gaz poivré sur elle, elle a ricané et continué à marcher. Le premier jet a duré moins dune seconde. Elle a ensuite ressenti un autre court jet quelle a décrit comme une brume qui la touchée sur la paume de la main droite. Le second jet a duré moins longtemps que le premier. Elle sest alors retournée et a mentionné quil vaudrait mieux quelle se lave les mains avant de se frotter les yeux, puis elle a continué à marcher en direction de lescalier. Elle a été atteinte une troisième fois par un jet rapide provenant du vaporisateur de poivre du matelot de 1re classe Sharp, qui la touchée sur le côté de la main droite, plus précisément à lauriculaire. Elle a commencé à tousser et à éprouver une sensation de brûlure à la gorge. Elle sest retournée et lui a dit darrêter. Il se peut quelle lui ait alors jeté un regard noir. Le matelot de 1re classe Sharp a arrêté de vaporiser du poivre sur elle. Les symptômes de celle‑ci ont rapidement disparu dès quelle est sortie de limmeuble, bien que la sensation de brûlure à la main droite ait persisté pendant trois ou quatre heures. Elle a dit au procès que la sensation nétait pas douloureuse, mais incommodante. Une fois à lextérieur, elle a rencontré un commissionnaire, M. Sadler, qui lui a dit quil commençait à éprouver une sensation de brûlure aux yeux, au nez et à la gorge. Il est retourné à lintérieur après dix minutes. Ses yeux lont incommodé jusquà 20 h et jusquà ce que des personnes du service dincendie laident à rincer ses yeux. La caporale Esser a dit au cours du procès quelle croyait quil sagissait dune blague, même si elle nappréciait pas être la cible dune plaisanterie. Elle a ajouté que, selon elle, il ne sagissait pas dune agression, mais simplement dune blague de mauvais goût. Elle na jamais déposé de plainte au sujet de la conduite de son partenaire de patrouille.

 


[5]                    À lépoque, le matelot de 1re classe Sharp avait reçu une formation sur la façon dutiliser le vaporisateur de poivre et sur les cas où cette utilisation convenait. Il savait que les membres de la police militaire devaient utiliser le vaporisateur de poivre uniquement conformément au processus du recours progressif à la force, bien que la preuve présentée au procès appuie la possibilité quil ait été utilisé dans la salle de tir à loccasion à titre de plaisanterie; cependant, ladjudant, qui a témoigné au cours de la procédure relative à la détermination de la peine, nétait pas au courant de cette pratique. La preuve a également révélé quil arrivait fréquemment que les membres de la police militaire jouent des tours à leurs collègues; cependant, le plus souvent, les plaisanteries se limitaient à des courriels et des graffitis de mauvais goût.

 

[6]                    Le but dun système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de soccuper des questions qui touchent directement la discipline, lefficacité et le moral des troupes. La Cour suprême du Canada a reconnu que les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Toutefois, la peine imposée par le tribunal, quil soit militaire ou civil, devrait représenter la mesure minimale nécessaire adaptée aux circonstances de lespèce. La détermination de la peine est un exercice personnalisé.

 

[7]                    Pour déterminer la peine aujourdhui, la cour a tenu compte des circonstances liées à la perpétration des infractions, telles quelles ressortent des témoignages entendus au procès et du sommaire des circonstances, de la preuve documentaire dont elle a été saisie ainsi que du témoignage de ladjudant Clausio entendu pendant laudience relative à la détermination de la peine. Elle a également tenu compte des observations formulées par les avocats, y compris la jurisprudence fournie à lappui. La cour a examiné la preuve à la lumière des principes applicables en matière de détermination de la peine, y compris ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu dans la Loi sur la défense nationale.

 

[8]                    Lorsquelle doit infliger une peine à un contrevenant pour les infractions quil a commises, la cour doit poursuivre certains objectifs à la lumière des principes applicables en matière de détermination de la peine. Il est reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement en fonction de chaque cas, mais ils doivent toujours être adaptés aux circonstances et à la situation du contrevenant. Afin de contribuer à latteinte de lun des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien de forces armées opérationnelles professionnelles et disciplinées qui sont efficaces dans le cadre dune société libre et démocratique, il est possible de formuler comme suit les objectifs et principes de la détermination de la peine :

 

premièrement, la protection du public, et cela comprend évidemment les Forces canadiennes;


deuxièmement, la punition et la dénonciation de la conduite illégale;

 

troisièmement, la dissuasion du contrevenant et de quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

quatrièmement, lisolement au besoin du contrevenant du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes;

 

cinquièmement, la réinsertion sociale du contrevenant;

 

sixièmement, la proportionnalité à la gravité de linfraction et au degré de responsabilité du contrevenant;

 

septièmement, linfliction de peines semblables à celles qui ont été infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances similaires;

 

huitièmement, le fait quun contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine ou une combinaison de peines moins restrictive est indiquée dans les circonstances;

 

enfin, toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de linfraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]                    Je conviens avec les deux avocats quil est nécessaire dassurer la protection du public par limposition dune peine qui met laccent sur la dissuasion générale. Cependant, je conviens aussi avec lavocat de la défense que les décisions citées par lavocat de la poursuite sont peu pertinentes ou utiles, eu égard aux circonstances uniques de la présente affaire et à lécart de conduite très mineur qui a mené à la déclaration de culpabilité relative à la première accusation, soit lagression armée.

 

Facteurs aggravants

 

[10]                  Pour en arriver à une peine quelle estime être juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants suivants. Voici les facteurs quelle considère comme des facteurs aggravants :

 


Dabord, votre statut de membre de la police militaire et la norme de conduite attendue de la part du personnel de la police. Même si la preuve montre que vous nétiez pas le militaire le plus compétent qui soit et que, de votre propre aveu, ce poste ne vous convenait pas, vous saviez ou auriez dû savoir ce qui était attendu dun membre de la police militaire. Jouer des tours à ses collègues fait partie de lattitude propre à préserver le moral et lesprit de corps; cependant, pour ne pas produire leffet contraire, les plaisanteries ne doivent pas dépasser certaines limites. Lutilisation dune arme, quil sagisse dune arme à feu ou dun vaporisateur de poivre, pour faire une plaisanterie nest tout simplement pas tolérable, et lest encore moins lorsque la personne qui agit ainsi a pour mission de faire respecter la loi.

 

En deuxième lieu, la gravité objective de linfraction prévue à lalinéa 267a) du Code criminel. Il sagit dune infraction punissable dun emprisonnement maximal de dix ans dans le cas dun acte criminel ou de 18 mois dans le cas dune déclaration sur procédure sommaire. Par ailleurs, linfraction prévue à larticle 129 de la Loi sur la défense nationale est passible, au maximum, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Il sagit donc là dinfractions graves.

 

Facteurs atténuants

 

[11]                  La cour estime que les circonstances suivantes constituent des facteurs atténuants :

 


Dabord, les faits et les circonstances de la présente affaire. Lagression armée est une infraction dont le degré de gravité subjective est lun des plus bas. En réalité, et à juste titre, cest linfraction prévue à larticle 129 de la Loi sur la défense nationale, soit la conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, qui révèle la nature profonde et le contexte des événements ayant mené aux poursuites en lespèce. Après avoir entendu lensemble des témoignages au procès, ce qui nest pas le cas de lavocat de la poursuite qui a prononcé les mises en accusation, je comprends parfaitement les remarques qua formulées lautorité de renvoi dans sa lettre du 18 avril 2007, suivant ladmission que la poursuite a faite à la pièce 11, selon lesquelles même si le chef daccusation dagression armée était peut-être fondé, la conduite du membre ne justifiait pas le dépôt de laccusation en question. Lautorité de renvoi a ajouté quà ses yeux, la plaisanterie était un geste dinsouciance de la part du contrevenant, mais non de malveillance. Lautorité de renvoi a terminé ses remarques en soulignant quà son avis, des poursuites sur les deuxième et troisième chefs permettraient datteindre les objectifs liés aux intérêts de la justice et à la dissuasion générale. Compte tenu de la preuve présentée en lespèce, je dois dire que le raisonnement de lautorité de renvoi était fondé sur les faits et sur le sens de la justice par opposition à une analyse purement technique ou légaliste. Cela ne signifie pas pour autant que lexercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite était inapproprié en lespèce. Il était peut‑être fondé sur différents éléments additionnels et facteurs politiques importants qui justifiaient la décision de porter une accusation dagression armée; cependant, la cour na pas été mise au courant de ces motifs et il nest pas nécessaire quelle le soit. La cour peut prononcer la peine du contrevenant uniquement en se fondant sur les principes et objectifs applicables en matière de détermination de la peine, sur les circonstances particulières des infractions et sur la situation du contrevenant.

 

En deuxième lieu, votre plaidoyer de culpabilité à légard du troisième chef daccusation et la notification rapide de ce plaidoyer à la poursuite. Vous avez confirmé par votre témoignage au procès que vous acceptiez votre responsabilité pour vos gestes et que vous éprouviez du remords. Votre conduite a certes démontré un grand manque de jugement et de maturité de votre part, mais jespère que vous considérerez cette expérience comme chose du passé et que vous irez de lavant. Je suis convaincu que vous êtes un atout très important de votre collectivité et que vous continuerez à lêtre.

 

En troisième lieu, votre dévouement social, qui vous a incité à quitter votre emploi pour devenir parent de famille daccueil à temps plein pour des enfants autistes. Cest là une conduite fort louable qui montre à mon avis un bon sens moral et des valeurs sociales profondes en vous.

 

En quatrième lieu, votre âge et votre situation de famille. Votre épouse et vous-même serez parents de votre propre enfant au cours des prochains mois et continuerez, souhaitons-le, à accueillir des enfants, à les aimer et à en prendre soin.

 

Cinquièmement, labsence de casier judiciaire ou de fiche de conduite à votre nom pour des infractions similaires.

 

En dernier lieu, le délai écoulé depuis le dépôt des accusations.

 


[12]                  La cour a également reconnu les conséquences directes et indirectes que les verdicts et la peine entraîneront vraisemblablement pour vous. Même si vous avez quitté de votre plein gré les Forces canadiennes et que vous demeurez membre de la réserve supplémentaire, vous aurez maintenant un casier judiciaire en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. La poursuite a demandé à la cour de vous condamner à une rétrogradation ainsi quà une amende élevée afin dassurer la dissuasion générale. Cependant, elle a justifié la rétrogradation, qui est une peine très lourde, en disant quelle naurait pas vraiment deffet sur vous dans les circonstances, mais quelle aurait des répercussions pour dautres personnes. Je ne suis pas daccord avec ce raisonnement. La rétrogradation est une peine tout simplement trop lourde dans les circonstances. Comme je lai déjà souligné, la cour reconnaît la nécessité dassurer la dissuasion générale, notamment en ce qui a trait aux infractions commises par des personnes qui ont pour mission de faire respecter la loi. Cependant, dans la présente affaire, les faits et les circonstances sont tels que la peine suggérée serait trop sévère et placerait les infractions hors de leur propre contexte, soit lagression armée selon le plus bas degré de gravité en ce qui a trait au premier chef daccusation et un sérieux manquement aux procédures de la police quant au troisième chef daccusation, qui concerne une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La peine ne devrait pas vous stigmatiser indûment ni envoyer un message déformé à la société quant à la nature exacte de votre faute.

 

[13]                  De lavis de la cour, le fait que vous avez dû comparaître devant la cour martiale a déjà eu un effet dissuasif sur dautres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions similaires. Il signifie que tout recours illégal à la force au moyen dune arme de service, même en guise de plaisanterie, est pris très au sérieux et sera puni en conséquence. La cour est convaincue que vous ne comparaîtrez pas à nouveau devant un tribunal pour une infraction similaire ou pour une autre infraction et tiendra compte de cette conclusion pour déterminer votre peine.

 

[14]                  En conséquence, ex-matelot de 1re classe Sharp, la cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 1 000 $. Si vous ne faites lobjet daucune déclaration de culpabilité pendant une période de trois ans, vous pourrez déposer auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles une demande de réhabilitation sous le régime actuel de la Loi sur le casier judiciaire, au même titre que toute personne déclarée coupable, par un tribunal civil ayant compétence en matière criminelle au Canada, dune infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire .

 

 

                                                                                                      Colonel M. Dutil, J.M.C.

 

 

Avocats :

 

Le major S.A. MacLeod, Direction des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté La Reine

Le capitaine de corvette J.M. McMunagle, Direction du service davocats de la défense

Avocat de lex-matelot de 1re classe Sharp

 

 

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