Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 29 mai 2007.

Endroit : BFC Borden, édifice P-153, 633 chemin Dieppe, Borden (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Le Caporal B.J. Davidson, 2007 CM 4016

 

Dossier : 200718                                          

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

BASE DES FORCES CANADIENNES BORDEN

 

Date : Le 2 juin 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL B.J. DAVIDSON

(accusé)

 

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    Le Caporal Davidson C13 310 877 a été accusé de deux infractions. Ayant conclu que laccusation no 2 ‑ ivresse ‑ navait pas été prouvée à première vue, la cour a déclaré le Caporal Davidson non coupable de cette accusation. Le Caporal Davidson est toujours accusé en vertu de larticle 130 de la Loi sur la défense nationale davoir commis une agression sexuelle, une infraction prévue à larticle 271 du Code criminel du Canada.

 

[2]                    La poursuite soutient que la preuve présentée à la cour établit hors de tout doute raisonnable tous les éléments de linfraction présumée. Elle prétend que le Caporal Davidson a commis lagression sexuelle présumée en saisissant la plaignante par la taille à deux occasions et en frottant son bassin contre ses fesses. Il laurait fait pendant quelques secondes et sans le consentement de la plaignante. Finalement, laccusé aurait saisi les fesses de la plaignante sans le consentement de celle‑ci. Laccusé soutient quil na pas commis cette infraction puisquil na jamais eu de contact physique avec la plaignante.

 


[3]                    La preuve produite devant la présente cour martiale est constituée essentiellement de faits dont la cour a pris judiciairement connaissance, de témoignages et de pièces. La cour a pris judiciairement connaissance des faits énumérés à larticle 15 des Règles militaires de la preuve. Elle a entendu, dans lordre, les témoignages de Mme Betty Newman, du Caporal Davidson, du Caporal Hopkins, de la Caporal Squire et de la Caporal Leduc. La poursuite a produit deux pièces sur consentement. La pièce 3 est une photographie de la piste de danse du Huron Club et la pièce 4 est un plan de lendroit.

 

[4]                    La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de linfraction reprochée au Caporal Davidson : lidentité de laccusé ainsi que la date et le lieu de linfraction indiqués dans lacte daccusation; le fait que laccusé a employé la force directement ou indirectement à légard de la plaignante; le fait que laccusé avait lintention demployer la force à légard de la plaignante; le fait que la plaignante na pas consenti à lusage de la force par laccusé; le fait que laccusé savait que la plaignante ne consentait pas; la nature sexuelle de lagression.

 

[5]                    Avant que la cour ne procède à son analyse juridique de laccusation, il convient de traiter de la présomption dinnocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle daudience.

 

[6]                    Il est juste de dire que la présomption dinnocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel.

 

[7]                    Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée dune infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé na pas à prouver quil est innocent. Cest à la poursuite quil incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de linfraction. Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusquà ce quun verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[8]                    La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne sapplique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à lensemble de la preuve sur laquelle cette dernière sappuie pour établir la culpabilité de laccusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité dun accusé incombe à la poursuite, jamais à laccusé. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable sil a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré lensemble de la preuve.

 


[9]                    Lexpression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans larrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours dappel. Essentiellement, un doute raisonnable nest pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. Cest un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce quelle ne lui révèle pas. Le fait quune personne a été accusée nest absolument pas une indication quelle est coupable.

 

[10]                  Dans larrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué, au paragraphe 242, que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer quelle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. [...]

 

Par contre, il faut se rappeler quil est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite na pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui nexiste pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de laccusé, en lespèce le Caporal Davidson, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que laccusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit lacquitter car la preuve dune culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[11]                  Quentend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce quelles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou dautres éléments présentés par les témoins, en des témoignages dexperts, des aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 


[12]                  Il nest pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents dun fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles. La crédibilité nest pas synonyme de dire la vérité et labsence de crédibilité nest pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans lévaluation que la cour fait de la crédibilité dun témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qua eue le témoin dobserver, les raisons dun témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si quelque chose de précis a aidé le témoin à se rappeler les détails de lévénement quil a décrit, si les faits valaient la peine dêtre notés, sils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a‑t‑il un intérêt dans lissue du procès; en dautres termes, a‑t‑il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est‑il impartial? Ce dernier facteur sapplique dune manière quelque peu différente à laccusé. Bien quil soit raisonnable de présumer que laccusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption dinnocence ne permet pas de conclure quil mentira lorsquil décide de témoigner.

 

[13]                  Un autre facteur qui doit être pris en compte dans la détermination de la crédibilité dun témoin est son apparente capacité à se souvenir. Lattitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait‑il sans cesse? Finalement, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui nont pas été contestés? De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en est autrement, par contre, dans le cas dun mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier. La cour nest pas tenue daccepter le témoignage dune personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins davoir une raison de ne pas le croire. Par ailleurs, elle peut accepter un témoignage en totalité ou en partie ou le rejeter complètement.

 

[14]                  Comme la règle du doute raisonnable sapplique à la question de la crédibilité, la cour doit dabord, en lespèce, statuer de manière définitive sur la crédibilité de laccusé et décider si elle ajoute foi ou non à ce quil dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions de crédibilité importantes et quil sagit dun cas où la méthode dévaluation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans larrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peut être appliquée parce que laccusé, le Caporal Davidson, a témoigné. Le critère à utiliser est défini à la page 758 de cet arrêt :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de laccusé, manifestement vous devez prononcer lacquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de laccusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer lacquittement.

 

Troisièmement, même si navez pas de doute à la suite de la déposition de laccusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de laccusé.

 

[15]                  Rédigeant les motifs de dissidence dans larrêt R. c. Haroun, [1997] 1 R.C.S. 593, rendu par la Cour suprême du Canada, le juge Sopinka a donné des indications additionnelles sur la manière dont les juges des faits doivent appliquer le critère formulé dans larrêt R. c. W. (D.). Il a dit aux paragraphes 12 à 15 de larrêt Haroun :

 


Même si un juge ou un jury ne croit pas le témoignage de laccusé, il se peut que ce témoignage, considéré dans le contexte de lensemble de la preuve, engendre un doute raisonnable dans lesprit dun juge ou dun jury. Ce principe fondamental ressort de larrêt W. (D.) [...] où le juge Cory sest exprimé ainsi [...] :

 

Plus précisément, le juge doit dire aux jurés quils sont tenus dacquitter laccusé dans deux cas. Premièrement, sils croient laccusé. Deuxièmement, sils najoutent pas foi à la déposition de laccusé, mais ont un doute raisonnable sur sa culpabilité après avoir examiné la déposition de laccusé dans le contexte de lensemble de la preuve. Voir R. v. Challice (1979), 45 C.C.C. (2d) 546 ...

 

Dans larrêt R. c. Challice [...] le juge Morden explique [...] que ce principe sapplique à toute la preuve à décharge :

 

[traduction] Naturellement, le jury doit examiner attentivement les questions de crédibilité au cours de ses délibérations sur le verdict et les jurés peuvent avoir des opinions divergentes à légard de différents éléments de preuve : acceptation complète, rejet complet ou quelque chose entre les deux. Une façon efficace et souhaitable de reconnaître cette partie nécessaire du processus et de la présenter au jury dune manière qui convient exactement à son devoir relativement au fardeau et à la norme de preuve, consiste à dire au jury quil nest pas nécessaire quil croie la preuve à décharge sur une question fondamentale, mais quil suffit que, considérée dans le contexte de toute la preuve, elle le laisse dans un état de doute raisonnable quant à la culpabilité de laccusé [...]

 

Le juge Sopinka poursuit au paragraphe 14 :

 

[14] Dans larrêt W. (D.), laccusé avait témoigné que les incidents que décrivait la plaignante ne sétaient jamais produits. Il y avait un simple conflit de crédibilité entre laccusé et la plaignante. Personne dautre navait témoigné, ni pour le ministère public, ni pour la défense. Il nest donc pas surprenant que le juge Cory ne mentionne que laccusé dans lexposé quil suggère [...] Cependant il ressort clairement des arrêts Challice et Morin que le principe énoncé par le juge Cory sétend également aux autres témoins de la défense. Que ce soit le témoignage de laccusé lui-même ou dun autre témoin à décharge, il est toujours possible que ce témoignage puisse soulever un doute raisonnable dans lesprit du jury sans nécessairement quil y prête foi. Ce principe relève de lobligation du ministère public de prouver la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable. Laccusé na rien à prouver, que ce soit par lui-même ou par lentremise des témoins à décharge.

 


[15] Les propos du juge Cory dans W. (D.) sappliquent donc non seulement au témoignage de laccusé, mais à lensemble de la preuve de la défense. Ainsi, le juge du procès doit dire aux jurés que, premièrement, sils croient la déposition de laccusé ou des témoins de la défense, ils doivent prononcer lacquittement. Deuxièmement, même sils ne croient pas la déposition de laccusé ou des témoins de la défense, ils doivent également prononcer lacquittement sils ont un doute raisonnable après avoir examiné lensemble de la preuve, y compris les dépositions de laccusé et des témoins de la défense.

 

[16]                  La Cour suprême du Canada a aussi indiqué, dans larrêt R. c. Avetysan ‑ je lépelle : A-v-e-t-y-s-a-n ‑ [2000] 2 R.C.S. 745, que, dans son exposé au jury, le juge ne doit pas :

 

[...] inviter le jury à résoudre la question factuelle de ce qui sétait produit [...]

 

La Cour a ajouté au paragraphe 21 de cet arrêt :

 

[...] Le jury était confronté à deux versions inconciliables des événements. Il se peut que les jurés aient eu limpression quils avaient la responsabilité de déterminer « quelle version » croire. Cela pouvait logiquement les amener à penser quils navaient le choix quentre ces deux propositions. Il était important que le juge du procès attire lattention des jurés sur la troisième possibilité que décrit larrêt W. (D.), cest-à-dire, quils pouvaient acquitter les accusés, même sils najoutaient pas foi à leur déposition mais quun doute subsistait. Il se peut que le jury ait gardé limpression quil lui fallait choisir une des deux versions contradictoires des événements. Il fallait lui offrir le troisième choix [...]

 

Il ressort clairement de cet extrait que le juge des faits nest pas censé choisir une version des faits plutôt quune autre, mais déterminer si la preuve quil admet soulève un doute raisonnable quant à la culpabilité de laccusé.

 

[17]                  La Cour dappel de la Nouvelle-Écosse a clarifié davantage le droit dans larrêt R. v. Lake (2005), 203 C.C.C. (3d) 316, où elle a formulé une mise en garde contre les dangers quil y a à comparer la crédibilité des témoins de la poursuite et celle de laccusé, aux paragraphes 19 à 22 :

 

[traduction]

[19] Il importe à ce moment‑ci de rappeler les principes fondamentaux qui sous‑tendent le critère formulé dans larrêt W. (D.). Évidemment, le juge du procès a parfaitement le droit de croire le témoin de la poursuite et de ne pas croire laccusé. Il doit cependant respecter le fardeau de la preuve. Lorsque le procès oppose la crédibilité des témoins de la poursuite à la crédibilité de laccusé, le fardeau de la preuve est menacé de deux façons.

 

[20] Premièrement, un verdict fondé sur la question de savoir qui croire peut ne pas tenir compte de la notion de doute raisonnable [...]

 


[21] Deuxièmement, le juge du procès peut, comme cest le cas en lespèce, rejeter le témoignage de laccusé pour la seule raison quil a cru les témoins de la poursuite. La défense est neutralisée dès le départ, peu importe lattitude ou le témoignage de laccusé, pas parce que le juge ne la pas cru, mais parce quil a été marginalisé. Aussi, il nest pas permis de rejeter le témoignage de laccusé simplement parce que lon a cru les témoins de la poursuite. Le juge des faits devrait déterminer à la fois sil croit les témoins de la poursuite et sil ne croit pas laccusé. Il sagit de la justification de la première question posée dans larrêt W. (D.).

 

[22] Le juge analyse le témoignage de laccusé et la preuve de la poursuite en connaissant pleinement toute la preuve produite au procès. La première question posée dans larrêt W.(D.) ne fait pas en sorte que le témoignage de laccusé est analysé en vase clos. Dans larrêt W. (D.) [...], le juge Cory a cité R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345 [...] où, aux pages 354, 355, 357 et 358, la Cour suprême a rejeté lanalyse de la preuve élément par élément effectuée pour savoir sil existe un doute raisonnable. La première question de larrêt W. (D.) na pas pour but disoler le témoignage de laccusé afin quil soit évalué en vase clos, mais plutôt de faire en sorte que le juge des faits évalue la crédibilité de laccusé au lieu de le marginaliser parce quil croit les témoins de la poursuite.

 

[18]                  Aussi, il ressort clairement de la jurisprudence sur lapplication du critère de larrêt R. c. W. (D.) que la preuve produite par laccusé, qui est constituée de son témoignage et des autres éléments quil présente, doit être appréciée à la lumière de la preuve dans lensemble. Ce critère ne suppose pas un choix entre la preuve présentée par la poursuite et la preuve de laccusé, mais soulève simplement la question de savoir si la preuve admise par le juge des faits suscite chez lui un doute raisonnable quant à la culpabilité de laccusé. En dautres termes, il incombe à la poursuite de prouver linfraction hors de tout doute raisonnable et non à laccusé de démontrer quil na pas commis linfraction.

 

[19]                  Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, jexaminerai maintenant les questions en litige qui ont été soumises à la cour. La poursuite et la défense sentendent sur le moment et le lieu de linfraction présumée et sur lidentité du contrevenant présumé. Jestime que la date et le lieu de linfraction de même que lidentité de laccusé ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. Compte tenu de la preuve qui a été présentée à la cour, les questions fondamentales en lespèce consistent à savoir si le Caporal Davidson a touché la plaignante comme la poursuite lallègue et si ce contact physique a constitué une agression sexuelle.

 


[20]                  Dans son exposé final, la poursuite a dit que trois ou quatre versions des faits semblaient ressortir de la preuve. Elle a souligné que le témoignage de Mme Newman nest pas corroboré, que tous les autres témoins dansaient sur une piste de danse passablement occupée et quils avaient tous consommé de lalcool, à lexception de la Caporal Leduc. Elle a mentionné aussi que les témoins avaient discuté de la situation le soir même et le lendemain. La poursuite fait valoir que la plaignante est un témoin crédible qui a répondu aux questions avec franchise et honnêteté et que certaines incohérences étaient attribuables à la période de temps qui sest écoulée depuis les faits. La poursuite affirme en outre que la plaignante était sur ses gardes au cours de son contre‑interrogatoire parce quelle pensait quon ne la croyait pas et que cette attitude ne signifie pas quelle mentait.

 

[21]                  La défense prétend que cette preuve suscite un doute raisonnable quant au prétendu contact quauraient eu laccusé et la plaignante. La cour doit décider si, compte tenu de la preuve quelle a admise, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le Caporal Davidson a agressé sexuellement la plaignante en pressant son bassin sur ses fesses à deux occasions et en lui saisissant les fesses.

 

[22]                  Jappliquerai maintenant le critère formulé dans larrêt R. v. W. (D.). En ce qui concerne la première question, la cour a des raisons de douter du témoignage du Caporal Davidson. Ce dernier nest pas considéré comme un témoin crédible et digne de foi car il était sous lemprise de lalcool au moment de linfraction présumée. Il avait consommé environ quatre ou cinq bières avant le moment où linfraction aurait été commise et la Caporal Leduc a déclaré à la police militaire quil était réellement ivre ce soir‑là.

 

[23]                  Le témoignage du Caporal Davidson sur la façon dont il a été escorté à lextérieur de la piste de danse est ambigu. Alors quil a dit pendant son interrogatoire principal que Mme Newman lavait escorté hors de la piste de danse vers le vestiaire, vers lentrée, il a déclaré au cours de son contre‑interrogatoire que personne ne lavait escorté jusquau vestiaire, mais quil sy était rendu seul. La Caporal Leduc a affirmé dans son témoignage que Mme Newman avait demandé à un collègue descorter le Caporal Davidson hors de la piste de danse. Cette ambiguïté concorde avec le refus du Caporal Davidson dadmettre quil aurait pu commettre un acte répréhensible. Bien que le Caporal Davidson affirme navoir jamais parlé à Mme Newman, la Caporal Leduc a déclaré dans son témoignage quil aurait répondu à Mme Newman avant de déposer sa bière. Le Caporal Hopkins et la Caporal Squire nétaient pas en mesure de dire si le Caporal Davidson avait parlé à Mme Newman.

 


[24]                  Par ailleurs, pendant son contre‑interrogatoire, le Caporal Davidson a reconnu quil sétait moqué de la plaignante en dansant derrière elle, avant de dire quil avait fait des blagues à la ronde et dargumenter avec son avocat. Toujours pendant son contre‑interrogatoire, il a dabord refusé dadmettre quil avait dit aux autres étudiants quil croyait avoir entendu quelquun dire au Huron Club quil avait touché la poitrine de Mme Newman alors que, lorsquon lui avait demandé précédemment ce quil avait dit à ces étudiants au moment de retourner dans les logements, il avait seulement répondu quil leur avait dit que, à son avis, le problème découlait du fait quil navait pas remis ses pièces didentité militaires au personnel du club. Lorsque la poursuite a insisté au cours de son contre‑interrogatoire, il a admis avoir dit aux autres étudiants quil était soupçonné de lavoir touchée. En conséquence, la cour najoute pas foi à son témoignage.

 

[25]                  La cour doit maintenant traiter du deuxième volet du critère formulé dans larrêt R. c. W. (D.). Le Caporal Hopkins nest pas considéré comme un témoin crédible et digne de foi. Il a admis avoir bu environ cinq ou six gin tonics pendant une période de trois heures environ. À la question de savoir à quel endroit le Caporal Davidson avait posé son verre de bière, qui lui a été posée au cours de son contre‑interrogatoire, il a dit quil essayait réellement de sen rappeler, mais que cela sétait passé plus dun an auparavant. Compte tenu de la quantité dalcool quil avait bue et de sa déclaration concernant le temps écoulé depuis les faits, la cour estime quil est difficile de croire que la description quil a faite de son observation continue du Caporal Davidson est digne de foi. Aussi, la Caporal Squire et la Caporal Leduc ont toutes deux déclaré dans leur témoignage que le Caporal Hopkins avait passé un bref moment sur la piste de danse. La Caporal Leduc a même dit que le Caporal Hopkins se trouvait sur la piste de danse le temps de quelques chansons seulement. Le Caporal Hopkins semblait favoriser le Caporal Davidson dans son témoignage. Le fait quil a répondu immédiatement [traduction« je nai vu aucun couple se frotter si » - correction - [traduction« si cest ce que vous me demandez », lorsque le procureur de la poursuite lui a demandé sil avait vu des gens se toucher sur la piste de danse, semblait indiquer quil voulait faire passer un message précis, même si cette expression na pas été employée lors de linterrogatoire principal ou du contre‑interrogatoire.

 

[26]                  La cour estime que la Caporal Squire est un témoin crédible, mais non un témoin digne de foi. Elle aussi était sous lemprise de lalcool au moment de linfraction alléguée. Elle avait bu cinq bières environ entre 18 h 30 et 23 h. Elle a admis quelle ne regardait pas le Caporal Davidson lorsque le deuxième incident est survenu. Son témoignage ne révèle pas quelle a accordé une attention particulière au Caporal Davidson pendant la soirée.

 

[27]                  Jestime par contre que la Caporal Leduc est un témoin crédible et digne de foi en général, malgré le fait que son témoignage est influencé par son opinion sur la plaignante et par sa réticence à fournir certains renseignements pouvant nuire à laccusé. Elle na pas bu dalcool le soir du 16 mars. Bien quelle ait répondu avec franchise aux questions, elle a été réticente à admettre que le Caporal Davidson était ivre ce soir‑là, comme elle lavait déclaré à la police militaire. De plus, elle na pas semblé apprécier lattitude de Mme Newman à lendroit du Caporal Davidson et ne lapprouvait pas. Elle a déclaré dans son témoignage quelle na pas regardé le Caporal Davidson pendant toute la soirée.

 


[28]                  Le fait que tous les témoins de laccusé ont indiqué quils navaient vu aucun contact entre le Caporal Davidson et la plaignante ne signifie pas nécessairement quil ny en a pas eu, mais seulement que ces témoins nen ont pas vu. La Caporal Leduc et la Caporal Squire nont pas regardé le Caporal Davidson pendant toute la période en question. La cour ne croit pas que le Caporal Hopkins puisse affirmer avec certitude quil a observé continuellement le Caporal Davidson sans que les autres danseurs sur la piste de danse ne lempêchent de le faire ou que son attention na jamais été détournée pendant toute la durée des deux premiers incidents.

 

[29]                  La cour na toujours pas un doute raisonnable après avoir examiné la preuve de la défense.

 

[30]                  Finalement, jappliquerai le dernier volet du critère. Je dois me poser plus précisément la question suivante : compte tenu de la preuve que jai admis, suis‑je convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de laccusé?

 

[31]                  La preuve révèle que le Caporal Davidson était sous lemprise de lalcool et quil se comportait dune manière idiote. Mme Newman lui a parlé à deux reprises parce quil tenait un verre de bière dans sa main pendant quil dansait. Elle lui a dit dans les deux cas de poser son verre quelque part. Les deux fois, le Caporal Davidson a posé son verre sur la colonne se trouvant dans le coin de la piste de danse et sest mis à danser derrière Mme Newman. La preuve de la poursuite et celle de la défense concernant ce qui sest passé par la suite sont tout à fait à lopposé.

 

[32]                  Mme Newman est la seule personne à avoir témoigné pour la poursuite. Elle travaillait pour le Huron Club depuis six mois. Elle avait commencé comme employée de bar, avant de devenir agente de sécurité. Au début des années 1990, elle avait suivi une formation dans le domaine de la sécurité offerte par Richards Security, au Nouveau‑Brunswick. Elle avait aussi reçu une formation au Huron Club. Aucune description de lune ou lautre des formations na cependant été fournie à la cour. Cétait la première fois quelle travaillait dans un bar. Elle était donc relativement inexpérimentée dans le domaine de la sécurité.

 


[33]                  Il y avait six personnes chargées de la sécurité au Huron Club le soir en question. Le conjoint de Mme Newman travaillait au bar ce soir‑là. Mme Newman a décrit deux incidents au cours desquels laccusé laurait saisie par la taille et aurait pressé son bassin sur ses fesses. Le premier incident aurait duré environ cinq secondes et le deuxième serait survenu environ 15 minutes plus tard et aurait duré approximativement 14 secondes. Laccusé la saisie plus fermement et les mouvements simulant explicitement lacte sexuel étaient plus énergiques lors du deuxième incident. Mme Newman a aussi mentionné dans son témoignage quelle pouvait sentir une demi‑érection lorsque laccusé frottait son bassin contre ses fesses lors du deuxième incident. Après chaque incident, elle aurait demandé à laccusé darrêter. Elle a affirmé quelle na rien fait relativement au premier incident, même si celui‑ci était inacceptable, parce quelle savait que laccusé suivait un cours et quil était au club pour faire la fête. Elle laurait averti de nouveau plus fermement après le deuxième incident. Elle a raconté dans son témoignage quelle sétait appuyée contre la rampe entourant la piste de danse, où elle se sentait plus en sécurité, et quelle avait essayé de voir où laccusé se trouvait. Elle ne lavait pas vu et elle se sentait en sécurité, appuyée sur la rampe, pour surveiller la piste de danse.

 

[34]                  On pourrait se demander pourquoi Mme Newman na pas pris immédiatement des mesures à ce moment‑là au lieu de donner un deuxième avertissement à laccusé et de lui dire quil serait expulsé sil recommençait. Aucun des avocats ne lui a posé cette question, mais elle a déclaré dans son témoignage quelle voulait faire plaisir aux clients et les laisser samuser.

 

[35]                  Le Caporal Davidson aurait saisi ses fesses à deux mains pendant une seconde alors quelle était appuyée sur la rampe. Elle se serait retournée et aurait commencé à sacrer et à jurer contre lui. Comme elle la dit au cours de son témoignage, [traduction« je ne me contrôlais plus ».

 

[36]                  Au cours du contre‑interrogatoire de la Caporal Leduc, le procureur de la poursuite a mentionné que Mme Newman avait dit : [traduction« Je veux quil sorte dici, il ma violé. » La Caporal Leduc a affirmé avoir entendu ces mots lorsque Mme Newman était près du vestiaire. Mme Newman a déclaré quelle était agitée et quelle criait. Elle a indiqué dans son témoignage quelle était trop gênée pour parler de la demi‑érection dans son rapport parce quelle ne voulait pas que ses collègues soient au courant. Elle a mentionné ensuite quelle ne voulait pas remplir le rapport parce quelle était trop bouleversée.

 

[37]                  Il ne fait aucun doute que Mme Newman était bouleversée ce soir‑là. La question est de savoir pourquoi. Elle a crié dans un club bondé quelle avait été violée. Elle na rien dit de la demi‑érection au caporal de la police militaire qui a répondu à lappel le soir en question, mais elle en a parlé au Caporal‑chef Chase, du SNEFC, le lendemain matin. Elle a expliqué que, même si elle était gênée, il lui était plus facile de décrire lincident et de mentionner la demi‑érection au Caporal‑chef Chase en raison de la façon dont ce dernier lui parlait et du fait quil lavait mise plus à laise. Lorsquelle a parlé au Caporal‑chef Chase, elle navait pas dormi la nuit précédente. On lui a demandé de fournir une déclaration écrite un mois environ après le prétendu incident. La cour ne sait pas pourquoi lenquêteur du SNEFC a pris tant de temps avant de demander une déclaration aussi importante. Bien quelle ne semble pas avoir indiqué correctement, dans son témoignage et dans sa déclaration verbale au Caporal‑chef Chase, combien de temps ces prétendus incidents avaient duré, elle nest pas la seule dont le témoignage est imprécis à cet égard; les témoignages des témoins de la défense étaient également loin de concorder.


[38]                  Les réponses données par Mme Newman lorsquelle a été contre‑interrogée au sujet des mots exacts que laccusé aurait prononcés ‑ [traduction« ne me touche pas ou arrête de me toucher » ‑ et lendroit précis ‑ sur la piste de danse ou ailleurs ‑ où il aurait saisi ses fesses ne sont pas cohérentes. Elle était sur la défensive et a changé la réponse quelle avait donnée à lorigine à ces questions. Les émotions et le passage du temps peuvent avoir une incidence sur la capacité dune personne de se rappeler de faits avec précision. Mme Newman a témoigné quelle avait vu les amis du Caporal Davidson [traduction« rire et lencourager », ce qui semble lavoir mise en colère. Le fait quelle semblait très embarrassée lorsquelle a décrit comment elle avait senti la demi‑érection contre ses fesses mais quelle ne semblait pas gênée de crier en public quelle avait été violée plonge la cour dans la perplexité.

 

[39]                  Alors que Mme Newman affirme catégoriquement que le Caporal Davidson ne se trouvait pas sur la piste de danse lorsquil a été escorté par la sécurité après le troisième prétendu incident, la Caporal Leduc a déclaré au cours de son contre‑interrogatoire quil était sur la piste avec elle lorsquil avait été escorté par la sécurité. La poursuite na pas contesté cette déclaration. Le fait quaucun autre témoin naurait vu aucun des trois prétendus incidents, en particulier le deuxième qui aurait duré environ 14 secondes, laisse aussi la cour perplexe. Mme Newman se rappelle maintenant les mots prononcés par laccusé quelle na pas mentionnés lors de son entrevue avec le Caporal‑chef Chase le 17 mars 2006 ou dans sa déclaration écrite du 18 avril 2006.

 

[40]                  Caporal Davidson, veuillez vous lever. La cour doit décider si la poursuite lui a présenté une preuve qui établit chaque élément de linfraction hors de tout doute raisonnable. Je suis parvenu à la conclusion que les incohérences contenues dans le témoignage de Mme Newman, le témoignage contradictoire non réfuté de la Caporal Leduc et les réactions émotives de Mme Newman le soir en question et pendant son témoignage soulèvent des doutes quant à la fiabilité des parties du témoignage de Mme Newman au cours desquelles celle‑ci a décrit les prétendus incidents qui prouveraient quune agression sexuelle a été commise comme il est allégué.

 

[41]                  Je crois que la vérité se situe entre la version de la défense et la version de la poursuite, ce qui signifie que celle‑ci ne ma pas prouvé hors de tout doute raisonnable les actes constituant linfraction présumée. Caporal Davidson, la cour vous déclare non coupable de laccusation no 1. Linstance de la présente cour martiale concernant le Caporal Davidson est maintenant terminée.

 

 

 

 

                                                                                  Lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


Avocats :

 

Le Major S.A. MacLeod, Direction des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Capitaine de corvette J. McMunagle, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal Davidson

 

 

 

 

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