Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 avril 2011

Endroit : BFC Petawawa, Édifice L-106, Petawawa (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, a causé illégalement des lésions corporelles (art. 269 C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 124 LDN, a éxécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Perras, 2011 CM 4009

 

Date :  20110415

Dossier :  201068

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sapeur M. J. Perras, accusé

 

 

En présence du Lieutenant‑colonel J-G Perron, J.M.

 


MOTIFS DU VERDICT

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]        Le Sapeur Perras est accusé d’avoir causé illégalement des lésions corporelles et d’avoir exécuté avec négligence une tâche ou mission militaire.

 

[2]        La poursuite soutient que la preuve présentée à la cour établit hors de tout doute raisonnable que le Sapeur Perras s’est servi de son arme sans avoir pris des précautions raisonnables, pour assurer la sécurité d’autrui, lorsqu’il a tiré sur la fausse cible dans l’enceinte no 1 et que ses actes ont causé des lésions corporelles au Sapeur McCulloch. La poursuite soutient également que la tâche militaire du Sapeur Perras consistait à s’assurer qu’il respectait la sécurité d’autrui lorsqu’il utilisait son fusil C7. L’avocat de la défense soutient que la preuve soumise à la cour n’établit pas hors de tout doute raisonnable que le Sapeur Perras est coupable de ces infractions.

 

LE DROIT APPLICABLE

 

[3]        Avant que la cour analyse la preuve et les accusations, il convient qu’elle traite de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience. 

 

[4]        Il est juste de dire que la présomption d’innocence est fort probablement le principe fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[5]        La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[6]        Le tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[7]        Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est pas une indication de sa culpabilité.

 

[8]        Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême du Canada a statué ainsi :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a aucune obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, en l’occurence le Sapeur Perras. Pour mettre les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[9]        La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faites devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en des témoignages d’experts, des aveux judiciaires faits par la poursuite ou la défense, ou des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[10]      Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles. 

 

[11]      La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants, ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[12]      L’attitude du témoin pendant son témoignage est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait‑il? Finalement, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[13]      Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne fait pas nécessairement en sorte de l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque d’entacher l’ensemble d’un témoignage.

 

[14]      La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[15]      La cour doit porter son attention sur le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Ce critère est le suivant :

 

                        Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

                                Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[16]      Dans l’arrêt R. c. J.H.S., [2008] CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a cité, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R. c. H. (C.W.) (1991), 68 CCC (3d) 146, où le juge Wood de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a formulé une directive supplémentaire :

 

[traduction] Dans ces cas, j’ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapable de décider qui croire, vous devez prononcer l’acquittement. »

 

[17]      Ayant fait cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions en litige. La preuve produite devant la cour est formée essentiellement d’éléments dont la cour a pris connaissance judiciaire, de pièces, d’admissions et de témoignages. La cour a pris connaissance judiciaire des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.  La poursuite a produit en preuve quatre pièces. La pièce 3 constitue les admissions faites par l’accusé. La pièce 5 constitue les photographies de l’équipement personnel que le Sapeur McCulloch portait le 12 janvier 2010 et du fusil C7 du Sapeur Perras. La pièce 6 constitue l’exposé sur la sécurité du tir de niveau 3,5 préparé par le Capitaine Rattray et la pièce 7 constitue les ordres donnés par le Capitaine Haskell. L’avocat de la défense n’a présenté que la pièce 4, le diagramme du champ de tir de niveau 3,5. Les témoignages du Sergent Singer, du Caporal‑chef Allen, du Caporal‑chef Chant, du Capitaine Rattray, du Capitaine Haskell, du Lieutenant Berry, du Caporal McCulloch et du Sapeur Perras ont été entendus, dans cet ordre.

 

[18]      La crédibilité des témoins n’est pas contestée par le procureur ou par l’avocat de la défense. Malgré l’existence de quelques incohérences mineures entre les déclarations de certains témoins, il n’y a aucune contradiction dans la preuve présentée par la poursuite et par la défense. La cour accepte les témoignages des témoins.

 

[19]      Le 12 janvier 2010, le Sapeur Perras était membre du 2e Régiment du génie de combat et s’entraînait avec son unité à Fort Irwin, en Californie, en vue de son déploiement en Afghanistan. Il faisait partie de la section commandée par le Sergent Singer. Cette section participait à un exercice de tir réel avec un peloton d’infanterie commandé par le Capitaine Haskell. Le Sapeur Perras était présent à l’exposé sur la sécurité du tir présenté le soir précédent par l’officier de sécurité du champ de tir, le Capitaine Rattray.   

                                                                       

[20]      Le peloton et la section devaient nettoyer plusieurs enceintes. Le peloton s’est approché du complexe d’enceintes par l’est en se dirigeant vers l’ouest. La première enceinte à nettoyer était l’enceinte no 4. L’enceinte no 1 se trouvait au nord de l’enceinte no 4. L’enceinte no 1 avait environ 40 pieds de largeur sur 20 pieds de profondeur. Le bâtiment de l’enceinte mesurait environ 15 pieds sur 10 pieds. 

 

[21]      L’infanterie a nettoyé l’enceinte no 1. Le Sergent Singer a divisé sa section en deux détachements. Son détachement était composé de lui‑même, du Sapeur McCulloch et du Sapeur Perras. Le Sergent Singer a demandé aux Sapeurs McCulloch et Perras d’inspecter le mur latéral intérieur de l’enceinte. Il a dit ensuite au Sapeur Perras de le rejoindre pour fouiller le bâtiment. Après avoir inspecté le dessous et le périmètre du bâtiment, le Sergent Singer a demandé au Sapeur Perras de fouiller l’intérieur du bâtiment.

 

[22]      L’entrée dans le bâtiment était couverte par une couverture; le Sergent Singer a soulevé la couverture pour permettre au Sapeur Perras d’entrer dans le bâtiment. Le Sapeur Perras se tenait en position d’attente, ce qui veut dire qu’il tenait son fusil C7 avec ses deux mains, la crosse contre son épaule, la bouche du fusil pointée vers le bas et le fusil était en position « prêt ». Le Sapeur Perras était seul dans le bâtiment. Il s’est dirigé vers la pièce à gauche et a tiré à deux reprises. Le Sapeur McCulloch a entendu les deux coups de feu, a senti une douleur vive au bras droit et il est tombé par terre. Le Sergent Singer et le Sapeur Perras sont allés immédiatement lui donner les premiers soins.

 

[23]      L’exercice a été arrêté. L’officier de sécurité du champ de tir a retiré le fusil C7 du Sapeur Perras en vue d’un examen par un technicien d’armement. On a constaté que son fusil C7 et le chargeur étaient en bon état de service.

 

[24]      Le Sergent Singer a décrit le déroulement de l’exercice de tir réel du 12 janvier 2010. Sa section suivait un peloton d’infanterie à l’intérieur du complexe d’enceintes. L’infanterie devait entrer d’abord dans l’enceinte pour éliminer les menaces éventuelles d’origine humaine. Les sapeurs devaient par la suite nettoyer l’enceinte des menaces d’explosifs comme les engins explosifs improvisés et les pièges. Le Sergent Singer a nettoyé l’enceinte no 4 avec sa section au complet et ensuite il a divisé celle‑ci en deux détachements. Il est allé avec son détachement composé des Sapeurs Perras et McCulloch nettoyer l’enceinte no 1. Bien que l’infanterie fût censée laisser sur place un agent de liaison qui informe les sapeurs de l’état de l’enceinte, le Sergent Singer ne se souvenait pas avoir vu un tel agent sur les lieux de l’enceinte no 1.

 

[25]      Il a ordonné aux Sapeurs McCulloch et Perras de nettoyer le périmètre intérieur du mur de l’enceinte, le Sapeur McCulloch du côté gauche et le Sapeur Perras du côté droit. Le Sergent Singer a demandé au Sapeur Perras de l’aider à nettoyer le bâtiment alors que celui‑ci avait atteint le point central du côté nord du mur. Le Sapeur McCulloch effectuait encore son inspection. Le Sapeur Perras avait terminé l’inspection plus tôt que le Sapeur McCulloch parce que la distance à couvrir était plus courte. Le Sapeur Perras aurait eu besoin de 10 à 15 minutes pour terminer l’inspection du mur. Lorsqu’on lui a dit en contre‑interrogatoire que l’exercice de ratissage du mur de l’enceinte demandait que chaque sapeur continue et qu’il couvre le terrain qui avait déjà été inspecté par l’autre sapeur, le Sergent Singer a répondu que c’était la situation tactique qui commandait et qu’en l’espèce, vu que chaque sapeur était muni d’un détecteur de métal, il avait décidé de demander au Sapeur Perras de fouiller le bâtiment.

 

[26]      Le Sergent Singer et le Sapeur Perras ont inspecté l’extérieur du bâtiment, cette opération prenant environ cinq minutes. Le Sergent Singer et le Sapeur Perras se sont dirigés vers la porte du bâtiment située sur le côté sud. Le Sergent Singer a ordonné au Sapeur Perras de nettoyer le bâtiment, alors que le Sapeur McCulloch finissait le ratissage du mur de l’enceinte et qu’ [traduction] « il se trouvait probablement derrière le bâtiment à ce moment », comme l’a déclaré le Sergent Singer dans son témoignage.

 

[27]      Lorsqu’ils entraient dans l’enceinte, le Lieutenant Berry, l’officier de sécurité en génie, a dit au Sergent Singer que l’enceinte avait été nettoyée. Le Sergent Singer a témoigné qu’ils [traduction] « s’entraînent à lutter ». Il ne s’attendait pas à trouver des cibles dans le bâtiment parce que l’infanterie l’avait déjà nettoyé, mais il n’a pas changé la façon dont ses troupes exécutaient leurs exercices parce qu’il ne voulait pas donner de mauvaises leçons à ses soldats et que [traduction] « les exercices manquent de rigueur ». Le Sergent Singer a déclaré que personne ne présume qu’un bâtiment est nettoyé puisqu’il est possible que quelque chose ait échappé à l’infanterie. Un militaire doit pénétrer à l’intérieur d’un bâtiment prêt à lutter et c’est de cette façon que ses soldats étaient entraînés.

 

[28]      Les cibles étaient placées de manière à assurer que personne ne se trouve dans les arcs de tir lorsqu’une cible était engagée. Le Sergent Singer a déclaré que la cible se trouvant à l’intérieur de l’enceinte no 1 n’aurait pas dû être en position debout lorsqu’ils sont arrivés au bâtiment. Il ne croyait pas qu’il y avait des arcs de tir dans l’enceinte no 1 parce qu’il ne devait pas y avoir de cibles dans l’enceinte. De plus, le personnel de sécurité était présent lorsque les soldats devaient engager des cibles. Il ne pouvait pas se rappeler s’il avait entendu parler d’une fausse cible qui se trouvait dans le bâtiment lorsqu’il est arrivé à l’enceinte no 1. Les cibles qui avaient été engagées par l’infanterie dans l’enceinte no 4 avaient été renversées, ce qui signifiait qu’elles ne constituaient plus une menace. On ne lui a pas demandé et il n’a pas déclaré s’il avait dit à ses sapeurs qu’il ne devait pas y avoir des cibles dans le bâtiment. Ses sapeurs avaient exécuté correctement leurs exercices jusqu’à ce que le Sapeur McCulloch soit blessé par balle. Le Sergent Singer n’était pas certain s’ils s’étaient entraînés sur ce même champ de tir avant l’incident.

 

[29]      Le Sergent Singer est entré dans le bâtiment après avoir donné les premiers soins au Sapeur McCulloch et il a vu la cible qui se trouvait en position debout dans un angle de 45 degrés au coin nord‑ouest du bâtiment. La zone d’impact pour cette cible était la section nord‑ouest du champ de tir. La cible était placée de manière qui exigeait qu’elle soit renversée manuellement. La pièce était très sombre parce que la fenêtre était couverte par une couverture. Il s’agissait d’une fausse cible. La cible réelle et la fausse cible représentaient une image tridimensionnelle d’une personne habillée comme un Afghan. La cible réelle montrait un homme qui tenait une arme, alors que la fausse cible montrait le même homme tenant un tout autre objet.

 

[30]      Le Sergent Singer a confirmé qu’il avait donné des instructions à ses sapeurs sur la façon d’exécuter leurs exercices lorsqu’ils faisaient face à une cible et que leur réaction pouvait devenir une deuxième nature. Ils s’étaient entraînés en vue d’une brèche ouverte à l’explosif, mais ils n’ont pas répété le nettoyage des bâtiments. Le Sergent Singer n’a pas ordonné à ses sapeurs de ne pas engager des cibles. Ceux‑ci devaient déterminer avec certitude que leur cible constituait une menace avant de pouvoir tirer sur elle et ils devaient contrôler leur tir. 

 

[31]      Le Capitaine Rattray était l’officier de sécurité du champ de tir pour l’exercice du 12 janvier 2010. Il a confirmé que les soldats devaient tirer dans la direction nord‑ouest. Le Lieutenant Berry était l’adjoint du génie de l’officier de sécurité du champ de tir et il était responsable de l’activité des sapeurs dans le champ de tir. Le Capitaine Rattray croyait que le Lieutenant Berry était présent lors de l’exposé sur la sécurité du tir le soir du 11 janvier, mais il n’en était pas certain. Il a déclaré en contre‑interrogatoire qu’il entendait que les adjoints des officiers de sécurité du champ de tir surveillent constamment les troupes.

 

[32]      Le Capitaine Haskell était le commandant du peloton d’infanterie le 12 janvier 2010. Il avait précisé dans ses ordres que la présence d’une menace devait être déterminée avec certitude avant que la cible soit engagée. Il a confirmé que les cibles étaient placées de sorte que les soldats ouvrent le feu dans la direction nord‑ouest. Il a convenu que les sapeurs n’avaient pas reçu l’ordre de tirer sur les cibles parce qu’il n’y avait aucune raison de donner un tel ordre et qu’ [traduction] « il n’était pas logique » puisqu’ils s’entraînaient en vue de leur déploiement en Afghanistan.

                                                                                                                

[33]      Le commandant de la section d’infanterie qui était responsable du nettoyage de l’enceinte no 1 lui a dit qu’il fallait nettoyer cette enceinte. Les membres de cette section avaient tiré des coups de feu dans le bâtiment. Le capitaine Haskell était au courant de la présence d’une cible à l’intérieur de ce bâtiment. Il n’a pas vérifié si la cible avait été renversée. Il n’a pas vu le Sergent Singer après le nettoyage de l’enceinte no 4.

 

[34]      Il a expliqué comment l’infanterie doit indiquer qu’une enceinte a été nettoyée, mais il n’a pas dit si l’enceinte no 1 portait une marque à cet effet. Il a affirmé également que l’exercice tout entier était [traduction] « bien orchestré » et qu’il n’y avait aucun doute que l’infanterie avait ratissé le bâtiment. Il a appris après l’incident qu’il s’agissait d’une fausse cible.

 

[35]      Le Capitaine Haskell a ordonné aux sapeurs de nettoyer l’enceinte no 4, mais il n’a pas donné ces mêmes ordres à l’égard de l’enceinte no 1. C’est le Sergent Singer qui a donné ces ordres et le Capitaine Haskell n’a pas considéré cette décision comme déraisonnable. Il a confirmé qu’il n’avait pas l’intention de demander aux sapeurs de fouiller chaque enceinte, mais d’être prêts à fouiller une enceinte. Il pensait que la fouille de l’enceinte no 4 aurait pu amener les sapeurs à croire qu’ils devaient nettoyer chaque enceinte. Il a présumé que les sapeurs ne pénétreraient dans une enceinte que si l’infanterie l’avait nettoyée de toutes les menaces physiques. Le commandant du génie ne pouvait pas entrer dans une enceinte s’il pensait qu’il y avait des menaces autres que les explosifs. Il a convenu que les soldats devraient toujours être prêts à réagir et à faire feu.

 

[36]      Le Lieutenant Berry, l’adjoint du génie de l’officier de sécurité du champ de tir, a déclaré que le champ de tir de niveau 3,5 était l’un des premiers champs de tir réel sur lequel se déroulait l’entraînement à Fort Irwin. Le Lieutenant Berry n’était pas présent lors de l’exposé sur la sécurité du tir présenté par le Capitaine Rattray. Le Lieutenant Berry a déclaré qu’il a suivi le Sergent Singer à l’enceinte no 1 et lui a dit que l’infanterie se trouvait dans l’enceinte no 2. Il surveillait les compétences et les techniques des sapeurs. Il a continué d’observer le Sapeur McCulloch lorsque le Sergent Singer et le Sapeur Perras sont entrés dans le bâtiment. Il ne savait pas que la fausse cible se trouvait encore dans le bâtiment. Il a dit que la couverture qui cachait la fenêtre du côté gauche du bâtiment empêchait la lumière de passer. Il a confirmé qu’il n’y avait pas d’agent de liaison à l’enceinte no 1. Il a dit que la majorité des sections du génie ont ouvert le feu pour répondre à des menaces.

 

[37]      Le Sapeur McCulloch, maintenant le Caporal McCulloch, se souvient que le Sergent Singer lui a dit d’inspecter la partie gauche du périmètre intérieur du mur de l’enceinte. Il a effectué un balayage visuel de ce secteur. Il pensait que le Sergent Singer inspectait la partie droite du mur et que le Sapeur Perras était entré dans le bâtiment. Il ne se souvient pas dans quelle enceinte ils se trouvaient ou quelle était la disposition de l’enceinte au moment où il a été blessé par balle. Il a déclaré que c’était la situation tactique qui commandait comment exécuter leurs manœuvres dans une enceinte donnée. Ils [traduction] « devaient décider très rapidement où se diriger et comment agir ». La chaîne de commandement lui avait ordonné d’effectuer un balayage visuel de l’enceinte. Il se trouvait au coin supérieur gauche de l’enceinte lorsqu’il a été blessé.

 

[38]      Le Sapeur McCulloch suivait les techniques qu’il avait apprises. Il ne pouvait rien dire au sujet des arcs de tir soit parce qu’il ne s’en souvenait pas soit parce qu’il n’avait pas retenu beaucoup de l’exposé sur la sécurité du tir. Il savait que l’infanterie entrait d’abord dans l’enceinte et que les sapeurs n’auraient peut‑être pas besoin de tirer, mais ils n’avaient pas reçu l’ordre de ne pas tirer. Ils n’avaient pas fait des répétitions quant au nettoyage des bâtiments.

 

[39]      Le Sapeur Perras s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 2007. Il a joint les rangs du 2 RGC en 2008 après avoir reçu l’entraînement de base pour les sapeurs. Il a utilisé le fusil C7 sur des champs de tir classiques pendant son entraînement de base et pendant l’entraînement au sein du 2 RGC. Il n’avait pas participé au segment de l’exercice OSONS HAMMER qui se déroulait dans le champ de tir parce qu’il suivait un cours pour les conducteurs de VBLC. Il avait toujours tiré sur des cibles normales en papier dans un champ de tir classique.

 

[40]      Il a suivi un cours donné par l’US Army Corps of Engineers sur la fouille des bâtiments et des enceintes. Il a appris que les sapeurs devaient commencer la fouille à l’entrée de l’enceinte, nettoyer le mur intérieur par une inspection effectuée dans deux directions opposées par deux sapeurs, se rencontrer au milieu du périmètre du mur, continuer à inspecter le secteur qui déjà été couvert par l’autre sapeur jusqu’à ce qu’ils se rencontrent au point de départ. Par la suite, ils allaient procéder à la fouille des bâtiments.

 

[41]      Pendant qu’il se trouvait à Fort Irwin, il n’avait pas pratiqué la fouille d’un bâtiment avant le 12 janvier 2010. Ils avaient fait des répétitions en se servant d’un [traduction] « bâtiment transparent », ce qui signifie que le contour du bâtiment était tracé sur le sol à l’aide de tresses blanches. Ils avaient notamment pratiqué leurs compétences d’infanterie. Fort Irwin constituait le test ultime après des années d’entraînement avant le déploiement en Afghanistan. Ils se trouvaient sur place pour pratiquer la façon de vivre et de se déplacer sur le champ de bataille pour qu’ils soient prêts pour la guerre réelle. On lui avait dit qu’il devait toujours être prêt au combat une fois à l’extérieur du périmètre de sécurité.

 

[42]      Le Sapeur Perras savait que, selon les règles de sécurité, il devait garder le contrôle sur son arme personnelle et qu’il ne devait pas utiliser le marquage laser sur des personnes, ce qui signifie qu’il ne devait pas diriger le marqueur laser vers une personne. Il a compris que le rôle du personnel de sécurité était de suivre le groupe qui se déplaçait à travers le village et de surveiller constamment les participants à l’exercice.

 

[43]      Il a dit qu’ils avaient nettoyé l’enceinte no 4 en utilisant les techniques qu’ils avaient apprises. Le Sergent Singer, le Sapeur McCulloch et lui‑même se sont dirigés ensuite vers l’enceinte no 1. Il n’y avait aucun agent de liaison sur place. Il ignorait l’identité de l’agent de sécurité responsable du secteur à ce moment. Le Sergent Singer leur a dit d’inspecter le périmètre intérieur du mur de l’enceinte. Après que le Sappeur Perras eut [traduction] « joint pour ainsi dire [le Sapeur McCulloch] au centre de l’enceinte », le Sergent Singer lui a dit de se joindre à lui à l’arrière du bâtiment pour nettoyer le périmètre. Le Sapeur McCulloch est resté à l’arrière de l’enceinte. Le Sergent Singer a ensuite dit au Sapeur Perras d’entrer dans le bâtiment. Celui‑ci a eu l’impression qu’il était mis à l’épreuve et qu’il devait s’acquitter bien de sa tâche lors de cet exercice semblable à la situation sur le terrain en Afghanistan. Il ne connaissait pas la position du Sapeur McCulloch à ce moment. Il était surtout préoccupé de la réussite de sa tâche. Il a expliqué qu’il se fiait à la chaîne de commandement pour les diriger dans le champ de tir.  On lui avait dit qu’il pouvait faire des erreurs et que le personnel de sécurité serait présent partout.

 

[44]      Il a pénétré dans le bâtiment et a constaté que celui‑ci comprenait deux pièces.  Il est entré dans la pièce située à gauche et a vu une cible dans un coin. La fenêtre de la pièce était petite et elle était couverte. Il faisait sombre et la cible semblait être une menace. Elle représentait un homme en tenue afghane. Le Sappeur Perras a armé son fusil, a visé et a tiré à deux reprises.

 

[45]      Le premier chef d’accusation énonce ce qui suit : [traduction] « Le 12 janvier 2010, ou vers cette date, à Fort Irwin, en Californie, ou à proximité de celui‑ci, l’accusé a causé illégalement des lésions corporelles au Sapeur McCulloch en utilisant une arme à feu, soit un fusil C7, sans avoir pris des précautions raisonnables pour assurer la sécurité d’autrui ». La poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable les éléments suivants relativement à cette infraction :

 

            a.         l’identité de l’accusé comme contrevenant et les dates et lieu allégués dans l’acte d’accusation;

 

            b.         le fait que le Sapeur Perras a commis un acte illégal;

 

            c.         le fait que l’acte commis était objectivement dangereux;

 

            d.         le fait que l’acte illégal a causé des lésions corporelles au Sapeur

                        McCulloch.

 

[46]      Il ressort clairement de la preuve incontestée que le Sapeur Perras est l’accusé.  Le Sapeur Perras se trouvait à Fort Irwin, en Californie, le 12 janvier 2010. Il a tiré sur le Sapeur McCulloch et l’a blessé au bras droit. Celui‑ci a subi une fracture de l’humérus. Les médecins lui ont inséré une tige en titane dans le bras. Il a toujours une balle logée dans sa cage thoracique et il doit subir une autre intervention chirurgicale pour l’extraire. Il ne fait aucun doute que les blessures subies nuisent à la santé ou au bien‑être du Sapeur McCulloch et qu’elles ne sont pas de nature passagère ou sans importance.

 

[47]      Le Sapeur Perras a‑t‑il commis un acte illégal? Un acte illégal s’entend d’une infraction prévue par une loi fédérale ou provinciale. L’acte illégal allégué en l’espèce vise l’utilisation d’une arme à feu sans avoir pris des précautions raisonnables pour assurer la sécurité d’autrui. Cette infraction est prévue à l’article 86 du Code criminel. La poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable les éléments suivants relativement à cette infraction :

 

            a.         le fait que le Sapeur Perras a utilisé une arme à feu;

 

            b.         le fait que le Sapeur Perras a utilisé l’arme à feu sans avoir pris des précautions raisonnables pour assurer la sécurité d’autrui;

 

            c.         le fait que le Sapeur Perras a utilisé l’arme à feu sans excuse légitime.

 

[48]      Selon le Code criminel, une « arme à feu » comprend « toute arme susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d’infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne ». Le Sapeur Perras a admis que le fusil C7 est une arme à feu au sens du Code criminel. Il a témoigné avoir tiré deux balles de son fusil C7 le 12 janvier 2010, au cours de l’opération de nettoyage du bâtiment. Il ne fait aucun doute que le Sapeur Perras s’est servi d’une arme à feu le 12 janvier 2010.  

 

[49]      Le procureur a‑t‑il établi hors de tout doute raisonnable que le Sapeur Perras a omis de prendre des précautions raisonnables pour satisfaire à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances? Tout d’abord, qu’est‑ce qu’une norme de diligence? Selon le procureur, la norme de diligence impose au militaire l’obligation de s’assurer que personne ne se trouve dans les arcs de tir avant d’utiliser l’arme personnelle.

 

[50]      Selon la pièce 6, l’exposé sur la sécurité du tir de niveau 3,5, le champ de tir sert à [traduction] « faire exercer le peloton au complet, ainsi que ses compléments, et de faire pratiquer le feu et le mouvement, les opérations en milieu urbain et complexe, de jour et de nuit ». L’exposé fait également savoir aux participants qu’ils seront en mesure [traduction] « de pratiquer le mouvement, les opérations urbaines, le tir et les compétences médicales ». Le paragraphe 7 prévoit que [traduction] « la sécurité est la  responsabilité de tous. Il faut utiliser les armes de façon appropriée en tout temps et effectuer les exercices adéquatement, et tout acte dangereux doit être interrompu immédiatement ». La mise en garde qui suit est de nouveau énoncée dans l’exposé : [traduction] « Il faut utiliser les techniques adéquates en tout temps – la sécurité c’est de votre responsabilité. » Il est indiqué qu’il ne faut utiliser les armes que dans les arcs de tir et qu’il faut surveiller en tout temps la direction du canon. L’angle de sécurité pour les armes de petit calibre de 5.56 millimètres est de 688 mils. En mouvement, il faut garder les armes en position « prêt », le clan de sureté enclenché. L’énoncé prévoit également qu’[traduction] « il ne faut, en aucun cas, pointer l’arme vers un participant à l’exercice ». Ce document indique également que [traduction] « la chaîne de commandement contrôle toutes les actions des participants au cours de l’exercice ».

 

[51]      L’exposé sur la sécurité du tir de niveau 3,5 n’indique pas qu’il est défendu à un soldat de se servir de son arme si un autre soldat se trouve dans ses arcs de tir. La cour ne dispose d’aucune preuve selon laquelle on a demandé expressément aux soldats de ne pas se servir de leur arme si un soldat se trouvait dans leurs arcs de tir. Bien que le bon sens puisse commander qu’un soldat, lors d’un exercice réel dans un champ de tir, ne devrait pas se servir de son arme personnelle lorsqu’un autre soldat se trouve à proximité de la cible ou dans l’angle de sécurité de l’arme, la cour n’est pas appelée à prendre connaissance judiciaire de ce fait et ne dispose d’aucune preuve à cet égard.

 

[52]      Quels étaient les arcs de tir du Sapeur Perras? La cour a demandé au procureur quelle preuve a été présentée pour expliquer les arcs de tir du Sapeur Perras lorsque celui‑ci a engagé la cible et quelle preuve explique le sens du terme « 688 mils »? Le procureur a répondu qu’il n’y avait aucune preuve quant à la définition de ce terme, que la poursuite n’était pas tenue de définir chaque terme à la cour ni d’établir le nombre de degrés correspondants à 688 mils. Il a dit qu’il s’agissait d’un angle et qu’un tribunal militaire devrait connaître le sens du terme « mils » qui est défini dans le dictionnaire.

 

[53]      La pièce 6 ne définit pas le terme « mils ». Les témoins n’ont pas été invités à définir ou à expliquer ce terme. L’article 1.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prévoit que les mots et expressions sont interprétés selon le sens ordinaire approuvé, indiqué dans le Concise Oxford Dictionary s’il s’agit d’un texte anglais, sauf que :

 

a)  les mots et les expressions techniques, ainsi que les mots qui ont pris un sens particulier dans les Forces canadiennes, sont interprétés selon leur sens particulier;

 

b)  les mots et expressions définis dans les ORFC ou dans la Loi d’interprétation ou la Loi sur la défense nationale sont interprétés selon cette définition.

 

Le terme « mils » n’est pas défini dans la Loi d’interprétation, la Loi sur la défense nationale ni dans les ORFC. Le Concise Oxford Dictionary, 10e édition, définit le mot « angle » comme [traduction] « l’espace (habituellement mesuré en degrés) entre deux lignes ou deux surfaces qui se rencontrent au point d’origine ou à proximité du point d’origine. Dans le même dictionnaire, le mot « degré » est défini, entre autres, comme [traduction] « unité de mesure d’un angle égale à la quatre‑vingt‑dixième partie d’un angle droit ». Le Concise Oxford Dictionary définit le mot « mil » comme une abréviation pour millilitres, millimètres ou millions, ou comme nom désignant un millième d’un pouce. Est‑ce à dire que l’angle de sécurité pour les arcs de tir des petites armes de calibre 5.56 millimètres est de 688 millimètres ou de 688 millièmes d’un pouce? La cour devrait deviner que la réponse est 688 millimètres puisqu’il s’agit de la seule mesure de la distance qui semble logique dans le contexte.

 

[54]      Le tribunal peut inférer un fait. L’inférence est une déduction de fait qui peut logiquement ou raisonnablement être tirée à partir d’un autre fait ou groupe de faits qui ont été établis au procès. L’inférence est une conclusion qui peut, et non doit, être tirée dans les circonstances. En l’absence de faits établis permettant de tirer logiquement des inférences, il est impossible de formuler des conclusions; au mieux, la cour ferait des conjectures ou des suppositions, mais ce n’est pas la norme établie en droit canadien.

 

[55]      Le sens du terme « mils » est probablement bien connu des personnes qui dirigent les champs de tir et des personnes qui s’y entraînent. Ce terme est probablement expliqué dans l’une des publications des Forces canadiennes, mais il n’a pas été expliqué à la cour. Le terme « mils » a manifestement un sens précis lorsqu’il est employé dans le contexte d’un angle de sécurité, mais la cour estime qu’aucun élément de preuve n’a été présenté qui puisse l’informer clairement de son sens. Les définitions tirées de Concise Oxford Dictionary ne permettent pas à la cour d’inférer le sens du terme « 688 mils » par rapport à un angle de sécurité pour les arcs de tir des petites armes de calibre 5.56 millimètres. Il n’a pas été demandé à la cour de prendre connaissance judiciaire de la définition de ce terme lors du procès.

 

[56]      Bien qu’il ait raison d’affirmer qu’il ne faut pas nécessairement expliquer tous les termes, le procureur sait qu’il lui incombe d’établir hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction reprochée. Pour l’essentiel, le procureur doit établir les allégations formulées. Il pourra le faire de diverses façons. La production d’éléments de preuve sur l’importance des arcs de tir du Sapeur Perras au moment de l’infraction alléguée constitue une partie essentielle de la preuve contre le Sapeur Perras. La cour estime que le procureur n’a pas présenté tous les éléments de preuve nécessaires pour inférer le sens du terme « 688 mils » et comprendre l’importance d’un angle de sécurité de 688 mils lorsqu’on utilise une arme de calibre 5.56. La cour estime également que le procureur n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que, le 12 janvier 2010, il a été interdit à un soldat sur un champ de tir de niveau 3,5 de se servir de son arme personnelle lorsqu’une personne se trouvait dans ses arcs de tir. Par conséquent, la cour conclut que le procureur n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que le fait de s’assurer que personne ne se trouve dans l’arc de tir avant de se servir de l’arme personnelle constitue la norme de diligence en l’espèce. 

 

[57]      Nonobstant cette conclusion et tenant pour acquis que la poursuite a établi l’existence de la norme de diligence, la cour examinera maintenant la question de savoir si le Sapeur Perras s’est servi de son fusil C7 sans avoir pris des précautions raisonnables pour assurer la sécurité d’autrui. Le procureur soutient que le Sapeur Perras aurait dû demander à son sergent s’il pouvait engager la cible sans risque ou qu’il aurait dû attendre jusqu’à ce que tout le monde se trouve en position de sécurité. Selon le procureur, il s’agit d’exemples de précautions raisonnables en l’espèce parce que le Sapeur Perras savait que ses balles pouvaient traverser les murs de contreplaqué du bâtiment et que le Sapeur McCulloch se trouvait derrière le bâtiment. Était‑il raisonnable que le Sapeur Perras ne se préoccupe pas de la position du Sapeur McCulloch lorsqu’il a reçu l’ordre d’entrer dans le bâtiment?

 

[58]      Le Sapeur Perras était l’un des plus jeunes soldats qui participaient à l’exercice de tir ce jour‑là. Il était sapeur depuis 2008, soit environ deux ans avant l’infraction alléguée. Il a reçu une formation sur l’utilisation de son arme personnelle, le fusil C7, mais toujours sur un champ de tir classique. Il a expliqué comment ils devaient nettoyer le périmètre intérieur du mur d’une enceinte. Ils ont nettoyé ainsi le mur de l’enceinte no 4. Il était en train de nettoyer le périmètre intérieur de l’enceinte no 1 lorsque le Sergent Singer lui a ordonné d’arrêter et de le joindre pour nettoyer le bâtiment. Le Sergent Singer a nettoyé l’extérieur du bâtiment avec le Sapeur Perras et ensuite il lui a ordonné d’entrer dans le bâtiment pour le fouiller.

 

[59]      On n’avait pas dit au Sapeur Perras de ne pas engager des cibles lorsqu’il est entré dans le bâtiment. La cour n’est saisie d’aucun élément de preuve qui démontre que le Sapeur Perras savait qu’il ne pouvait ou qu’il ne devait pas engager une cible dans ce bâtiment. On lui a dit au contraire d’être toujours sur ses gardes. Le Sergent Singer a confirmé qu’il avait toujours voulu que ses sapeurs exécutent correctement leurs techniques. Le Sergent Singer s’attendait à ce que ses sapeurs réagissent adéquatement à une menace.

 

[60]      Le Sapeur Perras a pris à tort une fausse cible pour une cible réelle. La pièce était sombre. Les membres de la section d’infanterie qui avaient nettoyé le bâtiment avaient commis la même erreur. Pour une raison inconnue à la cour, la cible était restée en position debout dans un coin de la pièce. Aucun agent de liaison ne se trouvait sur place pour avertir le Sergent Singer de cette situation. Le Sergent Singer a ordonné au Sapeur Perras de fouiller le bâtiment sans savoir qu’il y avait une cible à l’intérieur et en tenant pour acquis que le bâtiment ne comportait aucune menace possible parce que l’infanterie l’avait déjà nettoyé.

 

[61]      Le Sapeur Perras ne connaissait pas la position exacte du Sapeur McCulloch lorsqu’il a tiré sur la fausse cible. Il a déclaré qu’il l’avait vu la dernière fois au point central du mur arrière de l’enceinte. Le Sergent Singer a dit au Sapeur Perras de le joindre lorsque celui‑ci se trouvait au point central du mur arrière de l’enceinte. Il semble que le Sergent Singer a perdu de vue le Sapeur McCulloch en concentrant son attention sur le bâtiment.

 

[62]      La preuve présentée devant la cour est loin d’être claire sur ce que l’on attendait du Sapeur McCulloch au moment où les coups de feu ont été tirés. Devait‑il continuer à inspecter le mur en utilisant les techniques apprises et, par conséquent, à inspecter le côté droit du mur? Il se serait ainsi trouvé dans la section nord‑est de l’enceinte plutôt que dans la section nord‑ouest de l’enceinte. Devait‑il retourner à l’entrée de l’enceinte en revenant sur ses pas? Devait‑il attendre dans le coin nord‑ouest de l’enceinte? Que devait‑il faire et où devait‑il se trouver? Quelles étaient les intentions du Sergent Singer à l’égard du Sapeur McCulloch lorsqu’il a demandé au Sapeur Perras de se joindre à lui? La cour ne connaît pas les réponses puisque ces questions n’ont pas été formulées lors du procès. Certaines de ces réponses permettraient certainement de comprendre pourquoi le Sapeur McCulloch se trouvait au coin nord‑ouest de l’enceinte, dans l’arc de tir des cibles, et au moment où le Sergent Singer a ordonné au Sapeur Perras de fouiller le bâtiment.

 

[63]      Le Sergent Singer ne pensait pas que le Sapeur Perras serait obligé d’engager une cible parce que l’infanterie avait déjà nettoyé le bâtiment, bien qu’il n’ait pas été informé  clairement à cet égard. Il a tenu pour acquis qu’il n’était pas nécessaire de s’inquiéter au sujet d’arcs de tir possibles puisqu’il ne croyait pas que le Sapeur Perras rencontrerait une cible. Pourtant, il exigeait de ses sapeurs qu’ils entrent dans chaque bâtiment en tenant pour acquis qu’ils pourraient être en danger. Il s’attendait à ce qu’ils réagissent en conséquence.

 

[64]      Le Sapeur Perras s’est manifestement retrouvé dans une situation où l’utilisation de son arme aurait pu avoir des conséquences dangereuses pour les autres soldats qui se trouvaient dans le champ de tir. Par sa nature même, un champ de tir réel constitue un milieu où les soldats sont exposés à plus de risques que sur un champ de tir classique. La planification efficace et le bon déroulement des exercices sur les champs de tir réduisent le risque de blessure ou de décès. Bien que chaque soldat soit tenu de garder le contrôle sur son arme et de s’assurer qu’il l’utilise de façon sécuritaire en tout temps, le personnel de sécurité du champ de tir et la chaîne de commandement doivent s’assurer de la planification et du déroulement sécuritaire des exercices et faire en sorte que les soldats ne se trouvent pas dans des situations dangereuses. Le Sapeur Perras était jeune et manquait d’expérience au moment de l’infraction reprochée. Il a exécuté les techniques de tactique et de maniement des armes de la façon qu’il avait apprise. Il a obéi aux ordres du Sergent Singer lorsqu’il est entré dans le bâtiment pour le fouiller. Il avait appris comment réagir au danger et on exigeait de lui que sa réaction soit adaptée à la nature de du danger.

 

[65]      La cour ne dispose d’aucun élément établissant que le Sapeur Perras savait ou aurait dû savoir que le Sapeur McCulloch se trouverait dans le coin nord‑ouest de l’enceinte lorsqu’il est entré dans le bâtiment ou que celui‑ci aurait pu se trouver dans ses arcs de tir lorsqu’il a engagé la cible. Le Sapeur Perras ne pouvait pas savoir ce que le Sapeur McCulloch faisait et où il se trouvait puisqu’on lui avait ordonné de nettoyer le périmètre extérieur du bâtiment et de le fouiller par la suite. Il ne s’agit pas d’une situation où un soldat se sert de son arme après avoir aperçu un autre soldat dans ses arcs de tir. Il ne s’agit pas non plus d’une situation où des indices indiquent au soldat la présence d’un problème et où il a l’obligation d’avertir son supérieur. Il n’appartient pas aux plus jeunes militaires de remettre en question les ordres légitimes de leurs supérieurs sauf si la situation sur le terrain le justifie clairement.

 

[66]      Tout membre des Forces canadiennes a l’obligation légale d’obéir aux ordres légitimes d’un supérieur[1]. Bien qu’on puisse supposer que les Forces canadiennes veulent compter dans leurs rangs des soldats capables de réfléchir et de contribuer à la réussite de la mission, on s’attend également à ce que les soldats obéissent aux commandements légitimes d’un supérieur sans avoir besoin d’explications en toutes circonstances. Au combat, les soldats doivent obéir rapidement et correctement aux ordres. Ceux qui participaient, le 12 janvier 2010, aux exercices dans le champ de tir réel s’entraînaient en vue de leur déploiement. Ils s’entraînaient au combat.

 

[67]      Bien que la sécurité relative à l’utilisation des armes demeure toujours une priorité et une responsabilité individuelle, la cour conclut que les circonstances de la présente affaire indiquent clairement qu’un jeune soldat qui manquait d’expérience a obéi de son mieux à un commandement légitime d’un supérieur, se fondant sur les renseignements dont il disposait au moment en question. Il était responsable d’exécuter correctement les techniques de tactique et de maniement des armes. Malheureusement, le Sapeur Perras a répété l’erreur que l’infanterie avait faite quelques minutes auparavant : il est entré dans une pièce sombre et a tiré sur une fausse cible. Dans son cas, les balles tirées ont blessé le Sapeur McCulloch.

 

[68]      Compte tenu de la preuve présentée, la cour estime qu’il était raisonnable que le Sapeur Perras concentre son attention sur la tâche qui lui avait été attribuée dans le scénario d’entraînement en milieu réel et ne se demande pas si le Sapeur McCulloch se trouvait dans ses arcs de tir. La cour conclut que le procureur n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que le Sapeur Perras a omis de prendre des précautions raisonnables pour satisfaire à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. 

 

[69]      Le deuxième chef d’accusation énonce ce qui suit : [traduction] « Le 12 janvier 2010, ou vers cette date, à Fort Irwin, en Californie, ou à proximité de celui‑ci, lorsqu’il a utilisé le fusil C7, l’accusé a omis de respecter la sécurité d’autrui comme il était tenu de le faire. » La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments suivants relativement à cette infraction :

 

a.                   l’identité de l’accusé comme contrevenant et les dates et lieu allégués dans l’acte d’accusation;

 

b.                  le fait que le Sapeur Perras devait exécuter une tâche militaire particulière;

 

c.                   le fait que le Sapeur Perras connaissait la tâche qui lui avait été attribuée;

 

d.                  le fait que le Sapeur Perras devait respecter une norme de diligence;

 

e.                   la conduite du Sapeur Perras relativement à cette tâche militaire;

 

f.                   le fait que sa conduite n’a pas répondu à la norme de diligence applicable;

 

g.                  le fait que l’omission du Sapeur Perras de respecter la sécurité d’autrui lorsqu’il a utilisé son fusil C7 constituait de la négligence.

 

[70]      La tâche militaire qu’on lui reproche de ne pas avoir accomplie vise le respect de la sécurité d’autrui lorsque l’accusé utilise un fusil C7. Selon la pièce 6, la sécurité est la  responsabilité de tous et il faut utiliser les armes de façon appropriée en tout temps et effectuer les exercices adéquatement. Il y est indiqué qu’il ne faut utiliser les armes que dans les arcs de tir et qu’il faut surveiller en tout temps la direction du canon.

 

[71]      Le Sapeur Perras connaissait‑il sa tâche militaire? Le Sapeur Perras était présent lors de l’exposé sur la sécurité du tir. Il savait qu’il devait garder le contrôle de son arme et qu’il ne devait pas utiliser le marquage laser sur des personnes. Il savait en quoi consistait cette tâche.

 

[72]      Quelle était la norme de diligence que le Sapeur Perras devait respecter? Selon la poursuite, la norme de diligence que le Sapeur Perras devait respecter était de s’assurer que personne ne se trouvait dans ses arcs de tir lorsqu’il se servait de son arme et d’identifier formellement les cibles avant de les engager. La cour ne voit pas d’emblée comment ce besoin d’identification formelle fait partie de cette tâche militaire spécifique.  Le besoin d’identifier formellement les cibles n’est pas prévu par les ordres relatifs à la sécurité dans le champ de tir à la pièce 6, mais il est énoncé dans la section « Règles d’engagement » des ordres de tactique donnés par le Capitaine Haskell, figurant à la pièce 7. Le besoin d’identifier formellement les cibles est un ordre qui vise à assurer que seules les menaces sont engagées et non les personnes innocentes ou les non‑belligérants. Dans un champ de tir réel, une personne peut engager une cible sans l’avoir identifiée correctement et formellement comme une menace et se servir de son arme d’une manière sécuritaire qui lui permette d’engager la cible lorsque aucune personne ne se trouve dans ses arcs de tir. Cette situation n’indique pas nécessairement qu’il y a eu violation d’une règle de sécurité dans le champ de tir, bien qu’elle puisse indiquer que la personne en question n’a pas respecté les règles d’engagement.

 

[73]      La cour a déjà indiqué relativement au premier chef d’accusation que le procureur n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que, le 12 janvier 2010, sur un champ de tir de niveau 3,5, il a été interdit à un soldat de se servir de son arme personnelle lorsque aucune personne se trouve dans ses arcs de tir. Pour les mêmes motifs énoncés relativement au premier chef d’accusation, la cour conclut que le procureur n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que l’obligation pour un soldat de s’assurer qu’aucune personne ne se trouve dans ses arcs de tir avant de se servir de son arme personnelle constitue la norme de diligence en l’espèce. Nonobstant cette conclusion et tenant pour acquis que la poursuite a établi l’existence de la norme de diligence, la cour déterminera maintenant si la conduite du Sapeur Perras représente un écart marqué par rapport à la conduite que doit respecter une personne raisonnable dans la situation du Sapeur Perras.

 

[74]      Comment le Sapeur Perras s’est‑il conduit relativement à cette tâche militaire?  Le Sapeur Perras s’est servi de son fusil C7 et a blessé le Sapeur McCulloch. Le Sapeur Perras s’est servi de son arme lorsque le Sapeur McCulloch se trouvait dans ses arcs de tir. Cette conduite viole‑t‑elle la norme de diligence requise? Dans le contexte d’une opération militaire, la norme de diligence variera considérablement en fonction du degré de responsabilité incombant à l’accusé, de la nature et de l’objet de l’opération ainsi que des exigences d’une situation donnée. Pour répondre à cette question, la cour doit examiner toute la preuve, y compris le rang, le statut et le niveau d’entraînement du Sapeur Perras au moment de l’infraction reprochée, la nature de l’activité et les circonstances entourant le défaut reproché au Sapeur Perras dans l’exercice de la diligence requise.

 

[75]      Le Sapeur Perras a tiré sur une cible à l’intérieur d’un bâtiment alors qu’il ne connaissait pas la position exacte du Sapeur McCulloch. Compte tenu de la preuve présentée et pour les motifs énoncés relativement au premier chef d’accusation, la cour estime qu’il était raisonnable que le Sapeur Perras concentre son attention sur la tâche qui lui avait été attribuée dans ce scénario d’entraînement et ne se demande pas si le Sapeur McCulloch se trouvait ou non dans ses arcs de tir. La cour conclut que la poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que la conduite du Sapeur Perras n’a effectivement pas satisfait à la norme de diligence requise.

 

[76]      La cour entend continuer son analyse de l’infraction. Si la cour tient pour acquis que la conduite du Sapeur Perras n’a pas satisfait à la norme de diligence requise, elle doit ensuite se demander si cette conduite constitue de la négligence. Le mot « négligente » employé à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale signifie que le Sapeur Perras a fait ou omis de faire quelque chose d’une manière qui n’aurait pas été employée par une personne raisonnablement compétente et prudente, dans sa situation au sein du Service et dans les mêmes circonstances. Lorsqu’une personne prend toutes les mesures raisonnables que lui permettent ses connaissances, son niveau d’entraînement et son expérience et que ces mesures ne respectent pas la norme de diligence acceptable, ce non‑respect ne constitue pas en soi de la négligence au sens de l’infraction d’exécution négligente d’une tâche militaire.

 

[77]      L’infraction d’exécution négligente d’une tâche militaire est établie au‑delà de la simple incurie commise par le Sapeur Perras. Son omission doit constituer un écart marqué par rapport à la norme de conduite prévue relativement à l’exécution d’une tâche militaire, par opposition à une norme générale de diligence. Un simple écart par rapport à la norme que doit respecter une personne raisonnable ayant le rang, le niveau d’entraînement, le statut, le degré de responsabilité et l’expérience du Sapeur Perras, dans les mêmes circonstances, ne suffit pas à établir la responsabilité pour négligence pénale que nécessite l’infraction d’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire prévue à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale. La distinction entre un simple écart et un écart marqué par rapport à la norme de conduite est une question de degré. Ce n’est que lorsque la conduite satisfait à la norme plus élevée que le tribunal peut conclure, en se fondant sur cette seule conduite, à l’existence d’un état d’esprit répréhensible.

 

[78]      La cour a déjà indiqué que la sécurité relative à l’utilisation des armes demeure toujours une priorité et une responsabilité individuelle. La cour a déjà conclu que les circonstances de la présente affaire indiquent clairement qu’un jeune soldat qui manquait d’expérience a obéi de son mieux à un commandement légitime d’un supérieur, se fondant sur les renseignements dont il disposait au moment en question. Il était responsable d’exécuter correctement les techniques de tactique et de maniement des armes. La preuve n’établit pas qu’il savait ou aurait dû savoir que le Sapeur McCulloch se trouvait dans ses arcs de tir lorsqu’il est entré dans le bâtiment et a tiré sur la cible. La cour conclut que la preuve n’établit pas hors de tout doute raisonnable que les actes du Sapeur Perras constituent un écart marqué par rapport à la conduite que doit respecter une personne raisonnable ayant le rang, le niveau d’entraînement, le statut, le degré de responsabilité et l’expérience du Sapeur Perras, dans les mêmes circonstances. Sapeur Perras, veuillez vous lever.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

 

[79]      Vous DÉCLARE non coupable du premier et du deuxième chefs d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Capitaine Eric Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Sapeur M.J. Perras



[1] ORFC, art. 19.015

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