Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 31 mars 2011

Endroit : The Lincoln and Welland Regiment, 81 rue Lake, St. Catharines (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Harris, 2011 CM 4008

 

Date :  20110331

Dossier :  201112

 

Cour martiale permanente

 

Lincoln and Welland Regiment

St. Catharines (Ontario) Canada

 

Entre : 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

- et -

 

Sergent M.C. Harris, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Sergent Harris, la cour a accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité quant au chef d’accusation no 1 et vous déclare aujourd’hui coupable de cette infraction.  Vous avez plaidé coupable à une accusation portée en application de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.  Alors que vous étiez à Kandahar, vous avez envoyé par la poste à votre domicile à Welland, en Ontario, un AK-74, deux chargeurs de 30 cartouches et une gaine de tir de RPG-7, contrevenant ainsi à l’ordre permanent du théâtre (OPT) 108 de la Force opérationnelle en Afghanistan, à savoir un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La cour doit maintenant rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               L’exposé des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits qui y sont énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.  Durant un déploiement en Afghanistan, vous avez appris qu’il pourrait être possible d’envoyer des armes d’Afghanistan au Canada si les armes étaient acquises pour un musée. Vous étiez enthousiaste à cette idée et vous vouliez fournir des artefacts récents à votre musée régimentaire.

 

[3]               En septembre 2010, vous vous êtes organisé pour acheter, par l’entremise d’un Afgan du coin, un AK-74, deux chargeurs de 30 cartouches et une gaine de tir de RPG‑7. Vous vous êtes également organisé pour que ces armes soient fermées par soudage afin de les rendre inutilisables. Vous avez payé un montant de 750 $US à même vos propres fonds pour acheter les outils et faire les modifications.

 

[4]               Contrairement aux avertissements affichés au comptoir postal de l’aérodrome de Kandahar, et sans les autorisations requises énoncées dans l’OPT 108, vous avez envoyé ces armes à votre domicile situé à Welland, en Ontario, par Postes Canada.

 

[5]               Le 17 septembre 2010, alors qu’ils effectuaient un examen aux rayons X du courrier reçu d’Afghanistan, les employés de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ont découvert les armes et les ont confisquées. L’ASFC a communiqué avec la police militaire à Trenton et une enquête a été lancée pour déterminer s’il y avait eu importation illégale d’armes. Un technicien en armement dans les Forces canadiennes a inspecté les armes et a souligné que même si on avait tenté de rendre les armes inutilisables, il n’aurait pas été difficile de les remettre en état d’utilisation.  Les avocats de la poursuite et de la défense ont recommandé conjointement une sentence consistant en une amende de 1 000 $ payable en quatre versements mensuels de 250 $.

 

[6]               La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine figurant au Code criminel s’appliquaient au système de justice militaire et que le juge du procès devait en tenir compte au moment de déterminer la peine[1].  L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions similaires;

 

c.                   isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e.                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[7]               La cour doit décider si la protection du public sera mieux assurée par l’application de la dissuasion, de la réinsertion sociale ou de la dénonciation ou d’une combinaison de ces facteurs.  Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit de l’une des tâches les plus difficiles pour le juge du procès[2].

 

[8]               Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient un processus individualisé de détermination de la peine dans lequel la cour doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction mais aussi la situation particulière du délinquant[3].  La peine doit également être semblable à celle infligée dans des circonstances semblables[4].  Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine.  La Cour suprême du Canada nous enseigne, au paragraphe 42 de l’arrêt Nasogaluak[5], que la proportionnalité requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction

 

[9]               La cour doit également infliger la peine la moins sévère nécessaire pour maintenir la discipline.  L’objectif ultime de la détermination de la peine est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire.  La discipline est cette qualité que chaque membre des Forces canadiennes doit posséder pour pouvoir faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels.  Cette qualité est nécessaire, car les membres des Forces canadiennes doivent obéir spontanément et rapidement à des ordres légitimes pouvant avoir des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, comme des blessures ou la mort.  La discipline est souvent définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, elle est une qualité intérieure et l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée.

 

[10]           J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes que j’ai prises en compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce.  J’estime que les circonstances suivantes sont des facteurs aggravants.  La conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline est une infraction grave, objectivement, parce que la peine maximale dont elle est punissable est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.  Subjectivement, il s’agit aussi d’une infraction grave.  Bien que j’accepte que vous ayez acquis ces armes pour votre musée régimentaire, vous avez démontré un manque total de respect à l’égard des ordres permanents du théâtre.

 

[11]           Vous avez une fiche de conduite.  Les avocats de la poursuite et de la défense ont allégué que cette infraction est très différente des deux infractions figurant sur votre fiche de conduite, soit d’avoir désobéi à un ordre légitime et de vous être absenté sans permission. La première infraction s’est produite en 2002 au manège militaire de la rue Lake, alors que la deuxième infraction s’est produite en 2009 alors que vous étiez en déploiement en Afghanistan et que vous étiez au service de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar. Vous étiez sergent au moment de ces infractions. La nature des infractions figurant sur votre fiche de conduite et votre comportement durant ce court procès m’incitent à me demander si la présente infraction constitue réellement une erreur de jugement, comme l’a affirmé l’avocat de la défense, ou simplement un autre exemple de votre manque de respect à l’égard des ordres légitimes. Puisque je ne dispose pas de tous les renseignements nécessaires pour tirer une conclusion éclairée sur cette question précise, je laisserai les gens qui vous connaissent bien tirer la conclusion appropriée.

 

[12]           La poursuite a décidé de vous accuser de l’infraction prévue à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale et n’a déposé aucune accusation relative aux armes sous le régime du Code criminel. Je dois vous punir pour les infractions que vous avez commises et non pour les infractions dont vous avez été accusé. Vous, ainsi que les autres membres des Forces canadiennes, devez réaliser que toute infraction mettant en cause des armes ne doit pas être considérée à la légère et est habituellement sévèrement sanctionnée par les tribunaux canadiens.

 

[13]           L’infraction, comme celle concernant l’absence sans permission sur votre fiche de conduite, s’est produite sur un théâtre d’opérations. Vous étiez bien au courant de l’ordre permanent de théâtre et vous avez choisi d’y désobéir. Bien que je considère cet élément comme un facteur aggravant, je lui ai accordé moins d’importance que je l’aurais fait dans si l’infraction avait été commise à des fins purement personnelles.

 

[14]           Vous étiez âgé de 38 ans au moment de l’infraction et vous étiez sergent. Vous étiez assez âgé pour être mieux avisé et pour comprendre la nature et les conséquences de vos actes. Vous avez désobéi à un ordre. À titre d’officier du rang, vous êtes tenu de promouvoir le bien-être, l’efficacité et l’esprit de discipline parmi tous vos subordonnés[6].  Vous pouvez uniquement vous acquitter de ce devoir en étant un exemple pour eux.

 

[15]           Les circonstances atténuantes sont les suivantes.  Vous avez plaidé coupable; un plaidoyer de culpabilité est considéré comme un facteur atténuant.  Cette approche n’est généralement pas perçue comme étant contraire aux droits de l’accusé de garder le silence et de s’attendre à ce que le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable l’accusation portée contre lui.  En effet, elle est plutôt perçue comme un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine moins sévère, car l’aveu de culpabilité signifie habituellement que les témoins n’ont pas à témoigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires.  Elle est également interprétée comme signifiant que l’accusé veut prendre responsabilité pour ses actes illégaux et pour le préjudice qu’ont entraîné ces actes.  Vous semblez avoir agi pour une bonne cause, car vous vouliez fournir des artefacts du théâtre d’opérations afghan à votre musée régimentaire. Vous n’avez pas commis cette infraction afin d’en tirer des avantages personnels.  Ces armes interdites ont été initialement confisquées par l’Agence des services frontaliers du Canada à leur arrivée au Canada. Elles sont actuellement en possession de la police militaire et seront renvoyées à l’ASFC.

 

[16]           J’ai examiné les pièces 8, 9 et 10 présentées par votre avocat. Ces lettres écrites par le Capitaine Cincio, l’Adjudant Ward et le Capitaine Knox vous décrivent de manière très positive. Le Capitaine Cincio vous connaît depuis les années 1990. Il affirme que vous excellez dans vos fonctions pour votre esprit de commandement et vous décrit comme un soldat et un patriote travaillant et diligent. L’adjudant Ward vous connaît depuis votre formation à titre de jeune soldat en 1992. Il estime que votre professionnalisme et votre intégrité viennent seulement au deuxième rang devant votre dévouement au bien-être de votre unité.  Le Capitaine Knox était commandant adjoint de la compagnie de la COCIM durant votre deuxième affectation en Afghanistan. Il affirme que le succès des projets de la COCIM dans votre domaine de responsabilité est en grande partie attribuable à votre capacité à prendre des décisions qui ont aidé la mission. Il a également souligné votre capacité à communiquer étroitement avec les Afghans locaux et à gagner leur confiance. Somme toute, ces lettres dressent le portrait positif d’un bon soldat.

 

[17]           Sergent Harris, veuillez vous lever.  La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé que le juge chargé de la détermination de la peine ne devrait pas rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la sentence proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt public.  J’estime, en accord avec la poursuite, que les principes de dissuasion générale et de dénonciation sont importants en l’espèce.

 

[18]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la jurisprudence et les observations présentées par le procureur et l’avocat de la défense, j’estime que la peine proposée constitue la peine minimale nécessaire en l’espèce, qu’elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public.  Par conséquent, je suis d’accord avec la présentation conjointe du procureur et de l’avocat de la défense.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[19]           Vous CONDAMNE à une amende de 1 000 $.  L’amende doit être payée par quatre versements mensuels de 250 $ qui débuteront le 15 avril 2011.

 


 

Avocats

 

Capitaine R.D. Kerr, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine D.M. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent M.C. Harris

 



[1] Tupper c. R, 2009 CACM 5, au par. 30.

[2] Ibid., au par. 13.

[3] R c. Angelillo, 2006 CSC 55, au par. 22.

[4] R c. L.M., 2008 CSC 31, au par. 17.

[5] R c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, au par. 41.

[6] Art. 5.01 des ORFC

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