Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 1 mars 2011

Endroit : BFC Borden, Édifice A-176, 94 chemin Craftsman, Borden (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 50$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Fondren, 2011 CM 4006

 

Date : 20110304

Dossier : 201055

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Borden

Borden (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat R.M. Fondren, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Soldat Fondren, après avoir accepté et enregistré votre aveu de culpabilité selon lequel vous vous êtes avoué coupable d’avoir désobéi à l’ordre légitime d’un supérieur contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, la cour vous reconnaît maintenant coupable de ce chef d’accusation.  La cour doit maintenant fixer une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]        L’énoncé des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, la preuve entendue dans le cadre de la demande fondée sur la Charte et votre témoignage éclairent la cour quant au contexte dans lequel cette infraction a été commise.  Le Sergent Boland, le Caporal-chef Janelle et le Sergent Feeney ont également témoigné à l’étape de la détermination de la peine du présent procès.  Votre avocate a également présenté sept pièces.

 

[3]        Au moment de l’infraction, vous étiez étudiant à l’École de technologie et du génie aérospatial des Forces canadiennes (ETGAFC).  Le vendredi 16 juillet 2010, vous avez subi un procès sommaire et avez été condamné à quatre jours de consigne au quartier (CQ).  Insatisfait de l’issue de ce procès, vous avez informé votre officier désigné que vous souhaitiez une révision de ce procès sommaire.  On vous a dit qu’une révision prendrait un certain temps et que vous auriez à purger votre peine.

 

[4]        Après le procès sommaire, vous vous êtes entretenu avec l’Adjudant-chef Stone, l’adjudant-chef de l’école.  Il vous a expliqué la procédure de CQ et l’Ordre permanent de la Base Borden relatif à la CQ.  Vous avez refusé de signer un document indiquant que vous compreniez les règles applicables à la CQ.  Vous avez ensuite quitté le bureau de l’adjudant-chef en compagnie d’une escorte pour aller chercher la trousse d’articles dont vous aviez besoin pour purger votre peine.  Vous avez dit à l’escorte que vous ne prendriez pas votre trousse.  L’escorte vous a amené à l’Adjudant-chef Stone, qui vous a dit à plusieurs reprises que vous deviez aller chercher votre trousse.  Vous avez d’abord répondu non, puis vous avez gardé le silence.  Il vous a informé que vous aviez le choix d’aller chercher votre trousse pour votre CQ ou d’être mis en état d’arrestation.  Vous avez encore refusé.  L’Adjudant-chef Stone a appelé la police militaire.  Il vous a arrêté à 15 h, le 16 juillet, et a demandé à la police militaire de vous emmener au poste de garde.

 

[5]        La police militaire vous a emmené au poste de garde et l’Adjudant-chef Stone a pris des dispositions pour obtenir du personnel pour vous garder jusqu’au lundi matin.  Vous avez parlé à l’avocat de garde dans la soirée du 16 juillet.  Vous avez été mis en liberté sous condition vers 16 h 25, le 17 juillet 2010.

 

[6]        Le procureur de la poursuite a recommandé une sentence consistant en une amende de 500 $ et une période de CQ de 14 à 21 jours.  Il a dit qu’il aurait pu demander la détention, mais qu’il ne l’a pas fait à cause de l’aveu de culpabilité et du fait que la détention vous empêcherait d’obtenir votre diplôme et priverait ainsi les Forces canadiennes de vos services qualifiés.  Il a affirmé que les principes de la dissuasion générale et individuelle et de la dénonciation sont les principes de détermination de la peine les plus importants en l’espèce.

 

[7]        Votre avocate soutient que la CQ n’est pas appropriée en l’espèce.  Elle a également affirmé que, si la cour devait décider que vos droits garantis par la Charte n’ont pas été violés, une amende de 200 $ à 500 $ serait appropriée.  La cour pourrait aussi infliger une réprimande si elle devait conclure qu’une amende ne suffit pas.  Dans l’éventualité où la cour déciderait qu’il y a eu violation de vos droits garantis par la Charte sans que soit ordonnée la suspension de l’instance, l’avocate de la défense a affirmé que la peine appropriée serait un avertissement.

 

[8]        Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale (CACM), la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir[1]

 

[9]        La CACM a aussi clairement dit, dans l’arrêt Tupper[2], que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui figurent au Code criminel[3] s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de fixer une sentence.  L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c.                   isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e.                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[10]      Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient un processus individualisé de détermination de la peine dans lequel la cour doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction mais aussi la situation particulière du délinquant[4].  La peine doit également être semblable à celles infligées dans des circonstances semblables[5].  Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine[6].  La Cour suprême du Canada nous enseigne, au paragraphe 42 de l’arrêt Nasogaluak, que ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[11]      Un délinquant ne devrait pas être privé de sa liberté lorsque les circonstances justifient l’imposition de sanctions moins contraignantes.  Cette règle générale de détermination de la peine créée par la jurisprudence canadienne est maintenant énoncée à l’article 718.2 du Code criminel.  Toutefois, la CACM a aussi indiqué que le contexte précis du système de justice militaire peut, dans des circonstances appropriées, justifier et, à l’occasion, exiger une peine qui favorisera l’atteinte des objectifs militaires[7].

 

[12]      La cour doit également infliger la peine la moins sévère nécessaire pour maintenir la discipline.  L’objectif ultime de la détermination de la peine est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire.  La discipline est cette qualité que chaque membre des Forces canadiennes doit posséder pour pouvoir faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels.  Cette qualité est nécessaire, car les membres des Forces canadiennes doivent obéir spontanément et rapidement à des ordres légitimes pouvant avoir des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, comme des blessures ou la mort.  La discipline est souvent définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, elle est une qualité intérieure.  Il s’agit de l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée.

 

[13]      J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes que j’ai prises en compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce.  Je considère les circonstances suivantes comme aggravantes :  L’infraction consistant à désobéir à l’ordre légitime d’un supérieur est objectivement l’une des infractions les plus graves du Code de discipline militaire puisque la peine maximale est l’emprisonnement à vie.  Il faut obéir aux ordres légitimes et il n’existe aucune façon correcte ou convenable de désobéir à un ordre légitime.  Cela dit, certains cas de désobéissance à un ordre légitime sont subjectivement plus graves que d’autres.  La façon dont on a désobéi à l’ordre, la nature de l’ordre donné et le contexte dans lequel on y a désobéi sont certains des facteurs qui peuvent être utilisés pour apprécier la gravité subjective de l’infraction.  Subjectivement, la présente infraction n’est pas aussi grave que les infractions contenues dans la jurisprudence présentée à la cour.  S’il est vrai que vous avez désobéi à l’ordre de l’adjudant-chef, vous l’avez fait d’une manière très discrète dans son bureau.  Vous n’avez pas manqué de respect envers l’Adjudant-chef Stone et n’avez pas dit de vulgarités en refusant d’obéir à son ordre; vous avez surtout, en fait, gardé le silence.  Je ne suis pas d’accord avec le procureur de la poursuite pour dire que vous avez manifesté du mépris envers l’Adjudant-chef Stone lorsque vous avez désobéi à son ordre.

 

[14]      Je conviens toutefois avec le procureur de la poursuite que vous n’avez pas respecté le processus de procès sommaire.  Vous semblez avoir de la difficulté à communiquer quand vous vous trouvez dans une situation stressante.  Le Sergent Boland a témoigné que vous êtes un étudiant au-dessus de la moyenne sur le plan académique.  Il a déclaré que vous étiez calme et réservé et que vous deveniez tendu en présence de l’autorité et aviez de la difficulté à communiquer dans de telles circonstances, mais que vous étiez à l’aise avec vos pairs.  Vous n’étiez peut-être pas d’accord avec la peine qui vous a été infligée, mais vous n’avez pas réagi correctement.  Vous êtes membre des Forces canadiennes depuis 1993.  Vous ne semblez pas encore avoir appris à réagir correctement à l’autorité ou aux situations stressantes.

 

[15]      Quant aux circonstances atténuantes, je soulignerai ceci :  Vous avez une fiche de conduite, mais celle-ci ne contient que l’infraction pour laquelle vous avez subi un procès sommaire.  Vous vous êtes avoué coupable.  Vous avez également témoigné et vous avez exprimé des remords.  La cour reconnaît donc que vous regrettez vos actes et que vous assumez l’entière responsabilité de cette infraction.

 

[16]      J’ai examiné vos rapports de cours figurant aux pièces 10 et 11.  Ces documents et le témoignage de vos instructeurs vous décrivent comme une personne travaillante et intelligente.

 

[17]      J’ai également tenu compte du fait que vous avez passé une journée en cellule et des conditions de votre mise en liberté.  Vous avez dû vous présenter devant l’officier de service de la base à 18 h les samedi 17 et dimanche 18 juillet, et vous avez été confiné à la BFC Borden jusqu’au 16 octobre 2010.  Les conditions de votre mise en liberté ont été inscrites dans le CIPC, ce qui vous a amené à être fouillé lorsque vous avez traversé la frontière Canada-États-Unis au cours de la dernière période des Fêtes.

 

[18]      On peut se demander pourquoi vous avez été confiné si longtemps à la BFC Borden alors qu’il ressort clairement du témoignage de l’Adjudant-chef Stone qu’il n’a jamais craint que vous ne vous présentiez pas devant la cour.  Ce confinement à la base semble tenir davantage de l’action punitive que d’une condition nécessaire à votre mise en liberté.  On peut également se demander pourquoi l’officier réviseur de la détention vous a imposé cette condition et pourquoi elle a été imposée pendant tout ce temps.  J’accorderai beaucoup de poids à ce facteur atténuant au moment de fixer la sentence appropriée.

 

[19]      Si le procureur de la poursuite a dit qu’il aurait pu demander la détention, il n’a fourni à la cour aucune jurisprudence ou justification expliquant pourquoi cette peine serait appropriée en l’espèce.  Ainsi, je ne crois pas que la présente affaire en soit une qui justifie une peine de détention.

 

[20]      Après avoir examiné la jurisprudence présentée par les avocats, les faits propres à l’espèce et les facteurs aggravants et atténuants, j’aurais estimé qu’une amende de 200 $ constituait une sentence appropriée.  Comme je l’ai indiqué précédemment, je vais également tenir compte de la violation de votre droit fondamental de ne pas être arrêté et détenu arbitrairement pour atténuer votre sentence.

 

[21]      Je crois que la sentence doit refléter essentiellement le principe de la dissuasion, tant générale qu’individuelle, et de la dénonciation.  Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la jurisprudence et les observations présentées par le procureur de la poursuite et votre avocate, et compte tenu de ma décision antérieure concernant la violation de votre droit garanti par la Charte,

 

LA COUR

 

[22]      VOUS CONDAMNE à une amende de 50 $.

 


 

Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Procureur du Soldat R.M. Fondren



[1] Tupper c. R., 2009 CAMC 5, au par. 13.

[2] Ibid., au par. 30.

[3] L.R.C. 1985, ch. C-46

[4] R. c. Angelillo, 2006 CSC 55, au par. 22

[5] R. c. L.M., 2008 CSC 31, au par. 17

[6] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, au par. 41

[7] R. c. Tupper, supra note 1, aux par. 33-34.

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