Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 1 mars 2011

Endroit : BFC Borden, Édifice A-176, 94 chemin Craftsman, Borden (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 50$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Fondren, 2011 CM 4005

 

Date : 20110304

Dossier : 201055

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Borden

Borden (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat R.M. Fondren, demandeur

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA DÉCISION CONCERNANT UNE VIOLATION DE L’ARTICLE 9 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS.

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur, le Soldat Fondren, est accusé d’avoir désobéi à l’ordre légitime d’un supérieur.  Plus précisément, il est accusé d’avoir refusé d’aller chercher sa trousse d’articles comme le lui avait ordonné l’Adjudant-chef Stone.  Le demandeur a présenté une demande en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) en alléguant qu’il avait été arrêté puis détenu arbitrairement en violation de ses droits garantis par l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.  Le demandeur demande à la cour, à titre de réparation convenable pour ladite violation alléguée, de suspendre l’instance en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés ou, subsidiairement, de tenir compte de cette violation pour atténuer la sentence.

 

[2]               Le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir l’existence de la violation selon la prépondérance des probabilités.  Il affirme que, si la cour devait décider qu’il y a bien eu violation des droits du demandeur, la suspension de l’instance ne serait pas appropriée en l’espèce.

 

[3]               La demande a été entendue au début du procès.  La cour a décidé de rendre sa décision à la fin du procès.  Le Soldat Fondren s’est avoué coupable de l’accusation et une audience de détermination de la peine a suivi.  La preuve que le demandeur a présentée dans le cadre de la demande se composait des témoignages du Soldat Fondren, de l’Adjudant-chef Stone et du Sergent Blais et d’un affidavit du Capitaine de corvette Walden.  La cour a pris judiciairement connaissance des faits contenus dans l’article 15 des Règles militaires de la preuve (RMP).  Le demandeur a présenté trois pièces.

 

[4]               Je vais d’abord passer en revue les faits qui ne sont pas contestés dans la présente demande.  Le Soldat Fondren était étudiant à l’École de technologie et du génie aérospatial des Forces canadiennes au moment de l’infraction.  Le vendredi 16 juillet 2010, le Soldat Fondren a subi un procès sommaire et a été condamné à quatre jours de consigne au quartier (CQ).  Insatisfait de l’issue de ce procès, il a informé son officier désigné qu’il souhaitait une révision de ce procès sommaire.  On lui a dit qu’une révision prendrait un certain temps et qu’il aurait à purger sa peine.  L’article 108.45 des ORFC prévoit la révision des verdicts et peines des procès sommaires.  Cet article ne permet la suspension de l’exécution de la peine de détention qu’en attendant l’issue de la révision.

 

[5]               Après le procès sommaire, le Soldat Fondren s’est entretenu avec l’Adjudant-chef Stone, l’adjudant-chef de l’école.  L’Adjudant-chef Stone a expliqué au Soldat Fondren la procédure de CQ et l’Ordre permanent de la Base Borden relatif à la CQ.  Le Soldat Fondren a refusé de signer un document indiquant qu’il comprenait les règles applicables à la CQ.  Il a ensuite quitté le bureau de l’Adjudant-chef Stone en compagnie d’une escorte pour aller chercher la trousse d’articles dont il avait besoin pour purger sa peine de consigne au quartier.  Il a dit à l’escorte qu’il ne prendrait pas sa trousse pour la CQ.  L’escorte a amené le Soldat Fondren à l’Adjudant-chef Stone, qui a dit à plusieurs reprises au Soldat Fondren qu’il devait aller chercher sa trousse.  Le Soldat Fondren a d’abord répondu non, puis a gardé le silence.  L’Adjudant-chef Stone a appelé au bureau du juge-avocat adjoint (JAA) pour obtenir un avis juridique.  L’Adjudant-chef Stone a ensuite informé le Soldat Fondren qu’il avait le choix d’aller chercher sa trousse pour sa CQ ou d’être mis en état d’arrestation.  Le Soldat Fondren a encore dit qu’il n’irait pas chercher sa trousse; l’Adjudant-chef Stone a appelé la police militaire.  À 15 h, le 16 juillet, l’Adjudant-chef Stone a arrêté, sans mandat, le Soldat Fondren et a demandé à la police militaire d’emmener le Soldat Fondren au poste de garde.

 

[6]               La police militaire a emmené le Soldat Fondren au poste de garde et l’Adjudant-chef Stone s’est également rendu au poste de garde.  Avec l’aide du Sergent Blais, le sous-officier (s/off) responsable du poste de garde, l’Adjudant-chef Stone a rempli un compte-rendu écrit.  L’Adjudant-chef Stone a pris des dispositions pour obtenir du personnel pour garder le Soldat Fondren jusqu’au lundi matin.  Le Soldat Fondren a parlé à l’avocat de garde dans la soirée du 16 juillet.  Le Soldat Fondren a été mis en liberté sous condition vers 16 h 25, le 17 juillet 2010.

 

[7]               Les dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés qui s’appliquent à la présente affaire sont l’article 9 et le paragraphe 24(1).  L’article 9 se lit ainsi :

 

Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

 

Le paragraphe 24(1) se lit ainsi :

 

Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

[8]        Le paragraphe 154(1) de la Loi sur la défense nationale (LDN) prévoit ceci :

 

Peut être mis aux arrêts quiconque a commis, est pris en flagrant délit de commettre ou est accusé d’avoir commis une infraction d’ordre militaire, ou encore est soupçonné, pour des motifs raisonnables, d’avoir commis une telle infraction.

 

[9]        L’article 105.01 des ORFC reproduit le paragraphe 154(1) et précise ce qui suit à la note B :

 

Une personne qui a été accusé [sic] ou qui peut faire l’objet d’une accusation n’a pas nécessairement à être mis [sic] en état d’arrestation ou en détention préventive. Les circonstances afférentes à chaque cas devraient être examinées avant de décider s’il s’avère indiqué d’effectuer une arrestation.

 

[10]      Dans R. c. Gauthier[1], la Cour d’appel de la Cour martiale (CACM) a examiné le pouvoir d’arrestation sans mandat que l’article 156 de la LDN confère aux policiers militaires.  La CACM a conclu que l’exercice de ce pouvoir d’arrestation doit être justifié dans les circonstances à cause de la nature particulièrement attentatoire de celui-ci aux droits et libertés d’un individu.  La cour a fait remarquer que, si l’article 495 du Code criminel confère à un policier le pouvoir d’arrêter un justiciable, il lui :

 

... interdit [également] de le faire s’il a des motifs raisonnables de croire que l’intérêt public peut être sauvegardé sans qu’il soit procédé à l’arrestation et s’il n’a pas de motifs raisonnables de croire que le justiciable fera défaut de se présenter devant le tribunal. La notion d’intérêt public dans ce contexte réfère, entre autres éléments, à la nécessité d’identifier le justiciable et d’empêcher la répétition ou la poursuite de l’infraction ou la perpétration d’une autre infraction.

 

La CACM a ensuite conclu que les conditions d’exercice du pouvoir d’arrestation que l’on retrouve au Code criminel :

 

... sont devenues des exigences minimales d’un exercice valable du pouvoir d’arrestation[2].

 

[11]      L’Adjudant-chef Stone n’est pas un policier militaire.  Son pouvoir d’arrestation découle du paragraphe 155(2) de la LDN.  Plus précisément en l’espèce, l’alinéa 155(2)a) se lit ainsi :

 

   Un militaire du rang peut, sans mandat, dans les cas mentionnés à l’article 154, effectuer ou ordonner l’arrestation des personnes suivantes :

 

... un militaire du rang d’un grade inférieur ...

 

[12]      Quand on lit ensemble l’article 154 et le paragraphe 155(2), on conclut que ce pouvoir d’arrestation a une portée plus restreinte que le pouvoir d’arrestation prévu à l’article 156.  Le paragraphe 155(2) vise uniquement le pouvoir d’arrestation sans mandat, alors que l’article 156 permet l’arrestation sans mandat et la détention.  Le paragraphe 155(2) permet seulement l’arrestation sans mandat d’un militaire du rang, alors que l’article 156 permet l’arrestation sans mandat et la détention de tout justiciable du Code de discipline militaire.  Enfin, l’article 156 permet également l’arrestation d’un justiciable qui est soupçonné, pour des motifs raisonnables, d’être sur le point de commettre une infraction d’ordre militaire.  Nonobstant ces différences, le pouvoir d’arrestation prévu au paragraphe 155(2) est assez étendu et confère à un militaire du rang à peu près le même pouvoir d’arrestation à l’égard d’un militaire du rang d’un grade inférieur que celui d’un policier militaire dans les mêmes circonstances.

 

[13]      Le défendeur n’a pas fait valoir que le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé différemment.  On ne m’a fourni aucun élément de preuve et je ne vois aucune raison expliquant pourquoi le pouvoir d’arrestation conféré à un militaire du rang serait appliqué différemment de celui de la police militaire.  Par conséquent, je conclus que les conditions d’exercice du pouvoir d’arrestation que l’on retrouve au Code criminel et qui sont devenues des exigences minimales d’un exercice valable du pouvoir d’arrestation prévu à l’article 156 s’appliquent également dans le cas d’une arrestation effectuée en vertu du paragraphe 155(2).

 

[14]      La CACM a fait remarquer que les conditions d’exercice du pouvoir d’arrestation que l’on retrouve à l’article 495 du Code criminel se retrouvent seulement à l’article 158 de LDN, qui se rapporte à la mise en liberté par la personne effectuant l’arrestation.  L’article 105.12 des ORFC reproduit le paragraphe 158(1) de la LDN.  La note de l’article 105.12 dit ceci :

 

Le simple fait qu’une enquête ne soit pas encore terminée ou qu’une personne puisse s’absenter sans permission ne constitue pas, en règle générale, une raison suffisante pour détenir la personne en question.

 

[15]      Dans du-Lude c. Canada, [2001] 1 CF 545, le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel fédérale et qui avait également rédigé la décision de la CACM dans Gauthier, devait décider si l’appelant avait été arrêté légalement par la police militaire.  Il a exposé, au paragraphe 12 de l’arrêt du-Lude, les circonstances pouvant mener à l’arrestation sans mandat d’un militaire qui omet sans autorisation de se présenter à son poste.  Le paragraphe 12 se lit ainsi :

 

Il ne fait pas de doute, compte tenu de la mission des forces armées, que l’intérêt public peut, par exemple, en temps de guerre ou lors de missions de maintien ou de rétablissement de la paix ou en période d’entraînement pour de telles missions justifier l’arrestation sans mandat d’un militaire qui omet sans autorisation de se présenter à son poste ou d’y demeurer. Un tel comportement peut constituer beaucoup plus qu’un manquement à la discipline : il peut mettre en péril les objectifs militaires ainsi que la sécurité de biens ou d’autres personnes civiles ou militaires. Ce disant, je n’exclus aucunement que des objectifs ou des opérations militaires puissent aussi être mis en péril ou affectés par un tel comportement en temps de paix et qu’il soit alors permis, voire requis, de recourir au pouvoir d’arrestation. Mais ce ne sont définitivement pas les circonstances qui prévalent dans le cas qui nous est soumis. Bien au contraire.

 

[16]      Il ressort clairement des décisions Gauthier et du-Lude ainsi que de la note B de l’article 105.01 et de la note de l’article 105.12 que le pouvoir d’arrestation doit être exercé soigneusement et d’une manière qui respecte le droit fondamental voulant que la liberté d’une personne ne doive pas être restreinte inutilement et de façon arbitraire.

 

[17]      L’Adjudant-chef Stone a témoigné que la trousse était nécessaire pour la CQ selon les Instructions administratives permanentes de la Base Borden.  Il a été surpris par la réaction du Soldat Fondren à son ordre parce que, a-t-il affirmé, [traduction] « on ne me dit pas souvent non, surtout les soldats ».  Pendant son contre-interrogatoire, il a affirmé que l’école peut compter jusqu’à 900 étudiants en période de pointe et qu’ils ont conduit au moins 70 procès sommaires au cours des deux dernières années.  Soixante-huit de ces procès sommaires ont donné lieu à une peine de CQ.  Aucun contrevenant ne lui a jamais dit non avant le Soldat Fondren.

 

[18]      Il avait besoin de temps pour réfléchir à la situation et a dit au Soldat Fondren d’attendre à l’extérieur de son bureau.  Il a appelé au bureau du JAA et a parlé avec l’adjudant-chef du JAA.  Il a témoigné qu’il s’agissait d’une conversation à trois voies où il parlait à l’adjudant-chef du JAA, qui parlait au JAA et transmettait l’information du JAA à l’Adjudant-chef Stone.  C’est ainsi qu’il a obtenu son « avis juridique » sur les prochaines mesures qu’il allait prendre.  Sur la base de cet avis juridique, il a conclu qu’il devait arrêter le Soldat Fondren s’il n’obéissait pas à son ordre.

 

[19]      Il a dit au Soldat Fondren qu’il avait le choix d’obéir à son ordre ou d’être mis en état d’arrestation.  Il aurait donné au Soldat Fondren environ huit à dix occasions d’obéir à son ordre avant de l’arrêter.  Le Soldat Fondren n’a pas manqué de respect envers l’Adjudant-chef Stone et n’a pas dit de vulgarités en refusant d’obéir à l’ordre; il a surtout, en fait, gardé le silence.

 

[20]      L’Adjudant-chef Stone a témoigné qu’il n’avait d’autre choix que de l’arrêter.  Il a affirmé qu’il ne pouvait le forcer à aller chercher sa trousse ni le traîner à la consigne au quartier, mais que la police militaire pouvait le faire.  Le compte-rendu écrit signé par l’Adjudant-chef Stone, soit la pièce M1-4, mentionne deux motifs pour lesquels le Soldat Fondren a été mis en détention, à savoir la présence à la cour et la continuation de l’infraction.  L’Adjudant-chef Stone a témoigné qu’il ne se souvenait pas pourquoi la présence à la cour figurait sur ce formulaire.  Il n’y avait rien dans les actions ou déclarations passées ou actuelles du Soldat Fondren qui indiquait qu’il ne se présenterait pas devant la cour.  Lors de son contre-interrogatoire, il a affirmé que le Sergent Blais avait rempli le formulaire et qu’il n’avait pas dit au Sergent Blais d’inscrire la présence à la cour.  Il croyait que le Sergent Blais avait simplement « coupé-collé » le formulaire sur son ordinateur.  L’infraction qui continuait était la désobéissance à un ordre légitime.  Il a témoigné qu’il ne s’attendait pas à ce que le Soldat Fondren se conforme et obéisse à l’ordre.  L’infraction allait donc cesser quand le Soldat Fondren obéirait à l’ordre.

 

[21]      Il est retourné à son bureau et a aménagé un horaire de garde pour le Soldat Fondren pour la fin de semaine.  Il n’avait pas décidé combien de temps il allait le garder en détention parce qu’il n’avait pas encore discuté de la question avec son conseiller juridique.  Durant la soirée du 16 juillet, il a lu les ORFC en ligne pour établir son plan d’action.  Il avait reçu un avis juridique au sujet de l’arrestation, mais, comme il l’a affirmé, [traduction] « non quant à la suite des choses ».  Il a déclaré que le Soldat Fondren était en [traduction] « garde fermée ».  Le lendemain, il a tenté en vain de joindre le JAA pour obtenir un avis juridique.

 

[22]      Le 17 juillet, il a discuté de la situation avec le Major Pellerin, l’officier réviseur de la détention, et ils sont arrivés à la conclusion que le Soldat Fondren pouvait être mis en liberté sous certaines conditions.  Le Soldat Fondren devait se présenter devant l’officier de service de la base de la BFC Borden à 18 h les 17 et 18 juillet.  Il était alors d’avis que l’infraction avait cessé parce qu’il la considérait comme un [traduction] « incident isolé ».  Il a expliqué que le Soldat Fondren s’était vu accorder l’occasion d’obéir à l’ordre et avait refusé.  Il a expliqué pourquoi le Soldat Fondren n’avait pas été envoyé accomplir sa CQ en affirmant que le Major Pellerin et lui avaient discuté de la question et conclu que le fait de passer environ 24 heures dans une cellule et de devoir se présenter devant l’officier de service allait suffire.  Il a déclaré que la prison se situait [traduction] « dans l’esprit de purger une partie de la CQ ».  Il voulait [traduction] « mettre fin à cette situation désagréable ».

 

[23]      Pendant son contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi la continuation de l’infraction avait cessé d’être une préoccupation le 17 juillet, il a affirmé qu’il avait délaissé la CQ pour se concentrer sur la désobéissance à l’ordre qu’il avait donné.  Il ne croyait pas qu’il était nécessaire de garder le Soldat Fondren en cellule en attendant qu’il obtienne un avis juridique quant au chef d’accusation.  Il a en outre fait état des inconvénients que comportait le fait de trouver quelqu’un pour garder le Soldat Fondren la fin de semaine et qu’il ne s’agissait d’une situation gagnante pour personne et que ce n’était pas [traduction] « une chose agréable à faire ».

 

[24]      Le Sergent Blais a témoigné avoir compris que l’Adjudant-chef Stone voulait que le Soldat Fondren reste en prison jusqu’au lundi matin.  Il a dit à l’Adjudant-chef Stone qu’il devait se conformer aux dispositions de la LDN et des ORFC relatives à la détention avant procès.  Il a informé son commandant de peloton de ses préoccupations.  Il a rempli le formulaire de compte-rendu écrit sur son ordinateur de détachement à partir d’un formulaire en blanc et a témoigné que l’Adjudant-chef Stone lui avait dicté les motifs de la détention.

 

[25]      La liberté est un droit fondamental au Canada, et les membres des Forces canadiennes jouissent également de ce droit.  Le défendeur, le procureur de la poursuite, a fait valoir qu’il aurait été contraire à l’intérêt public de ne rien faire.  L’intérêt public en jeu en l’espèce est la continuation de l’infraction.  Compte tenu de la preuve, la cour a tiré les conclusions suivantes.  La cour rejette l’explication de l’Adjudant-chef Stone selon laquelle il devait arrêter le Soldat Fondren pour empêcher la continuation de l’infraction.  L’Adjudant-chef Stone a été surpris par le refus du Soldat Fondren d’obéir à son ordre.  Il a contacté le bureau du JAA de la base et a obtenu ce qu’il a décrit comme un avis juridique par l’intermédiaire de l’adjudant-chef du JAA.  Après cette conversation téléphonique, il a décidé de donner au Soldat Fondren le choix d’aller chercher la trousse d’articles dont il avait besoin pour la peine de CQ ou d’être mis en état d’arrestation.

 

[26]      Les exigences en matière de discipline, un intérêt public précis ou une raison valable sur le plan juridique peuvent justifier l’exercice d’un pouvoir d’arrestation dans des circonstances appropriées.  La LDN confère aux officiers et militaires du rang le pouvoir d’arrêter sans mandat leurs subordonnés pour leur permettre de promouvoir le bon ordre et la discipline au sein des Forces canadiennes puisqu’ils ont l’obligation légale de le faire[3].  Ce pouvoir de priver une personne de sa liberté doit être exercé avec grand soin et dans le respect des droits de la personne et des besoins des Forces canadiennes.  Il s’agit d’une mesure grave et sévère qu’on ne doit pas utiliser à la légère.

 

[27]      L’Adjudant-chef Stone a témoigné être allé voir le Soldat Fondren au poste de garde le samedi matin parce que son bien-être était primordial.  L’article 5.01 des ORFC dit qu’un militaire du rang doit connaître, observer et faire respecter la LDN, les ORFC et tous les autres règlements, règles, ordres et directives se rapportant à l’exercice de ses fonctions et promouvoir le bien-être, l’efficacité et l’esprit de discipline de tous ses subordonnés.  Comme c’est le cas pour tous les officiers et militaires du rang, le bien-être et l’esprit de discipline de leurs subordonnés seront mieux servis si chacun connaît bien son autorité légitime, veille à la bonne application de la loi et respecte les droits de ces derniers.

 

[28]      La cour conclut que l’Adjudant-chef Stone n’avait qu’un objectif en tête : soit le Soldat Fondren purgeait sa CQ, soit il était placé sous la garde de la police militaire.  Dans les deux cas, le Soldat Fondren allait être confiné.  L’explication de l’Adjudant-chef Stone quant à savoir pourquoi il n’avait d’autre choix que d’arrêter le Soldat Fondren, les conditions de sa mise en liberté, l’exigence voulant que le Soldat Fondren se présente devant l’officier de service et l’explication quant à savoir pourquoi le Soldat Fondren n’a pas eu à purger sa peine de CQ étayent cette conclusion.  La cour n’approuve pas la conduite du Soldat Fondren ni son refus d’obéir à un ordre, mais elle doit apprécier les faits relatifs à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’arrestation à la lumière de la loi applicable.

 

[29]      Si la cour ne connaît pas le contenu de l’avis juridique qu’il aurait reçu par l’intermédiaire de l’adjudant-chef du JAA, l’Adjudant-chef Stone a clairement déclaré n’avoir reçu qu’un avis concernant l’arrestation et [traduction] « non quant à la suite des choses ».  Le 16 juillet, il a décidé que le Soldat Fondren demeurerait en détention.  Il a signé un compte-rendu écrit à l’égard duquel il ne peut expliquer clairement pourquoi la présence à la cour figure parmi les motifs pour mettre le Soldat Fondren en détention.  L’Adjudant-chef Stone a parlé du Soldat Fondren comme étant en [traduction] « garde fermée », terme qui ne figure ni dans la LDN ni dans les ORFC et n’apparaît plus dans la législation depuis plusieurs années.

 

[30]      La cour n’a pas retenu le témoignage de l’Adjudant-chef Stone concernant la nécessité d’empêcher la continuation de l’infraction et n’a reçu aucun élément de preuve établissant en quoi le maintien de la discipline a été servi par les mesures que l’Adjudant-chef Stone a prises le 16 juillet.  Le Soldat Fondren a indiqué qu’il n’irait pas chercher sa trousse.  Ces événements se sont déroulés dans le bureau de l’Adjudant-chef Stone, et non dans un lieu public.  Le Soldat Fondren fait présentement l’objet d’autres mesures disciplinaires parce qu’il a refusé d’obéir à un ordre.  Un certain nombre de spectateurs ont assisté à l’audience de la présente cour martiale.  La cour n’a reçu aucun élément de preuve se rapportant aux répercussions négatives que le refus du Soldat Fondren d’obéir à l’ordre de l’Adjudant-chef Stone pouvait avoir sur la discipline de l’école.  La cour ne s’est vu remettre aucun élément de preuve démontrant que l’arrestation et la détention du Soldat Fondren les 16 et 17 juillet 2010 étaient nécessaires pour promouvoir le bon ordre et la discipline dans l’école ou étaient justifiées par un intérêt public.

 

[31]      L’Adjudant-chef Stone a pris une décision irréfléchie en arrêtant le Soldat Fondren.  Il a aggravé cette décision en le mettant en détention.  Ces arrestation et détention ainsi que les conditions de mise en liberté imposées visaient à restreindre la liberté du Soldat Fondren, faisant ainsi en sorte que la peine de CQ soit en fait purgée.  Ce n’est pas une raison pour arrêter une personne et la détenir ensuite.  Cela va à l’encontre, en fait, du droit en matière de pouvoirs d’arrestation.

 

[32]      L’avocat de la défense a affirmé qu’il n’y avait aucune allégation de malveillance de la part de l’Adjudant-chef Stone.  Si elle ne va pas jusqu’à conclure que l’Adjudant-chef Stone a agi par malveillance, la cour estime néanmoins qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour s’assurer qu’il choisissait bien le bon plan d’action pour les bonnes raisons.  La façon dont il a obtenu son « avis juridique » laisse la cour très perplexe.  Il ferait probablement mieux à l’avenir de parler directement à un avocat militaire lorsqu’il demande un avis juridique sur des questions aussi importantes.  De plus, il n’a demandé conseil qu’à l’égard de l’arrestation du Soldat Fondren et ne semble pas avoir pensé aux étapes suivantes de la séquence des événements, omettant ainsi de demander un avis juridique sur le maintien en détention jusqu’au lendemain.  Son témoignage concernant le compte-rendu écrit nous amène à conclure qu’il n’a pas accordé beaucoup d’attention à ce document et à son importance.  Il s’agit d’un document important qui est signé par la personne qui procède à l’arrestation et qui explique à la personne arrêtée pourquoi elle est mise en détention.  On comprend donc d’emblée pourquoi il faut se concentrer lorsque l’on prend cette importante décision et que l’on remplit le compte-rendu écrit.

 

[33]      La cour a l’impression que l’Adjudant-chef Stone n’a vraiment commencé à se renseigner sur la loi et les règlements applicables aux événements s’étant déroulés dans son bureau que dans la soirée du 16 juillet.  Il a alors recommandé à l’officier réviseur de la détention des conditions qui compenseraient, dans une certaine mesure, le refus du Soldat Fondren d’aller chercher la trousse nécessaire à la CQ.  Comment peut-on associer l’obligation de se présenter devant l’officier de service de la base à 18 h les samedi 17 et dimanche 18 juillet à l’infraction d’avoir désobéi à l’ordre d’aller chercher sa trousse?  Il a clairement affirmé que la présence à la cour n’était pas une préoccupation.  L’officier réviseur de la détention a souscrit à ces recommandations.  Il n’y a peut-être pas eu de malveillance en l’espèce, mais la cour estime qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’Adjudant-chef Stone.

 

[34]      Au paragraphe 52 de l’arrêt R. c. Carosella, [1997] 1 RCS 80, le juge Sopinka, au nom de la majorité, a affirmé ceci :

 

Il a été reconnu que l’arrêt des procédures constitue une réparation exceptionnelle, qui ne devrait être accordée que dans les « cas les plus manifestes ».  Dans les motifs qu’elle a exposés dans O’Connor, le juge L’Heureux‑Dubé a affirmé ceci (au par. 82) :

 

                Il faut toujours se rappeler que l’arrêt des procédures est approprié uniquement « dans les cas les plus manifestes » lorsqu’il serait impossible de remédier au préjudice causé au droit de l’accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation de la poursuite causerait à l’intégrité du système judiciaire un préjudice irréparable.

 

[35]      Après avoir examiné soigneusement la jurisprudence fournie par les avocats, je suis arrivé à la conclusion que la suspension d’instance n’est pas appropriée en l’espèce.  Les actions de l’Adjudant-chef Stone n’ont pas causé un préjudice au droit du Soldat Fondren à une défense pleine et entière.  On ne m’a fourni aucun élément de preuve pouvant m’amener à conclure que la continuation de la poursuite causerait à l’intégrité du système de justice militaire un préjudice irréparable.  La décision rendue à l’égard de la présente demande et une réduction importante de la sentence enverront le message clair que les arrestations et détentions injustifiées dans des circonstances comme celles de la présente affaire ne seront pas tolérées par les cours martiales.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

 

[36]      ACCUEILLE la demande présentée en vertu de l’alinéa 112.05(5)e), mais n’ordonne pas la suspension de l’instance en application du paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés.

 

[37]      CONCLUT que la réparation convenable en l’espèce est une réduction de la sentence.

 


 

Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Captain S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Procureur du Soldat R.M. Fondren



[1] [1998] A.C.A.C. no 4, CACM-414.

[2] Ibid., aux par. 22-26.  Voir également Lui c. R., 2005 CACM 3, au par. 7.

[3] Art. 4.02 des ORFC; art. 5.01 des ORFC.

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