Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 novembre 2012.

Endroit : BFC Shilo, Multi-Purpose Training Facility Building, chemin Patricia, Shilo (MB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Alcime, 2012 CM 3020

 

Date : 20121121

Dossier : 201247

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Shilo

Shilo (Manitoba), Canada

 

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Bombardier O. J. Alcime, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

 

(Rendus oralement)

[1]               Le bombardier Alcime est accusé d’une infraction de désobéissance à un ordre légitime contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale pour ne pas avoir assumé la position du garde-à-vous lorsqu’il en a reçu l’ordre, et d’une seconde infraction pour avoir insulté un supérieur ou d’avoir agi de manière méprisante à l’égard d’un supérieur contrairement à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale.

[2]               Il s’agit d’accusations qui réfèrent à la relation et au respect exigés entre un subordonné et un supérieur dans un cadre militaire et qui découlent d’un incident qui se serait produit le 19 mai 2011 dans le bâtiment principal où se trouve le 1er Régiment Canadian Horse Artillery (RCHA) sur la base des Forces canadiennes (BFC) Shilo, au Manitoba.

[3]               Essentiellement, il s’agit ici pour la cour de déterminer si la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable que le bombardier Alcime a commis chacune des infractions qui lui sont reprochées. Ce dernier a décidé de présenter une défense, et de témoigner lui-même dans le cadre de la présentation de sa preuve.

[4]               La présente cour martiale a débuté le 19 novembre 2012 et la présentation de la preuve des parties et de leur plaidoirie n’a prise qu’une seule journée. Elle est constituée des éléments suivants :

a.                   Du témoignage, dans l’ordre de présentation à la cour, du bombardier-chef Petkovich, du bombardier-chef Meger, du capitaine McDonald, du bombardier McConnell et du bombardier Alcime, l’accusé dans cette affaire;

b.                  De la pièce 3, une copie du chapitre 19-43 des ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) et intitulé « Comportement raciste »;

c.                   Une admission verbale faite par le bombardier Alcime par l’intermédiaire de son avocat, à l’effet qu’il est celui qui a commis les deux infractions dont il est accusé, et qu’il a commis les deux infractions à la date indiquée dans les détails des deux infractions, soit le 19 mai 2011.

d.                  Une admission verbale faite par la poursuite à l’effet que le bombardier Alcime est une personne de race noire.

e.                   La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve, incluant la teneur du chapitre 19-43 des OAFC.

[5]               Le bombardier Alcime est un membre de la force régulière qui était affecté comme chauffeur à la section de maintenance et transport du quartier-maître de la batterie B du 1er RCHA le 19 mai 2011. Son supérieur immédiat à l’époque était le bombardier-chef Meger. La relation entre les deux individus était plutôt difficile depuis environ un an et certaines actions administratives avaient déjà été prises à l’égard du bombardier Alcime en raison de deux précédents échanges.

 

[6]               À l’époque de l’incident, le bombardier Alcime était inscrit à un cours de chauffeur concernant le véhicule de remplacement MSVS. Il a réalisé que sa qualification sur les freins à air était expirée depuis au moins un an sur son permis de conduire militaire (DND 404). Le type de véhicule dont le cours faisait l’objet avait des freins à air. Il a donc avisé l’adjudant de la section de transport de son unité, le sergent Beaulieu de ce fait.

 

[7]               Le sergent Beaulieu l’a donc avisé qu’il devait refaire le test de certification concernant les freins à air afin de poursuivre le cours en question et aussi pour être en mesure de conduire les autres types de véhicule pour lesquels il possédait une certification.

 

[8]               Le bombardier Alcime a échoué à deux reprises le test de certification de freins à air. Le 19 mai 2011, son supérieur immédiat, le bombardier-chef Meger, qui était au courant de la situation, a appris que l’accusé avait échoué pour une deuxième fois le test. En conséquence, il a donc trouvé le bombardier Alcime à l’unité afin de l’amener voir le sergent Beaulieu pour discuter de la situation et faire en sorte que le DND 404 du bombardier Alcime soit amendé en conséquence.

 

[9]               L’autre conséquence était que l’utilisation du bombardier Alcime au sein du quartier-maître était affectée puisqu’il était maintenant limité sur le type de véhicule qu’il était autorisé à conduire et le bombardier-chef Meger avait ordre d’amener le bombardier Alcime au sergent Beaulieu pour que ce dernier constate la situation et traite de cette question de la manière appropriée.

 

[10]           Donc, toujours le 19 mai 2011, considérant le contexte auparavant décrit, le bombardier-chef Meger a demandé au bombardier Alcime de le suivre jusqu’au bureau de la section du transport de l’unité. Une fois arrivé, il lui a demandé au d’attendre à l’extérieur du bureau.

 

[11]           Le bombardier-chef Meger est entré à l’intérieur du bureau et il a cherché le sergent Beaulieu qui était absent. Il a appris que ce dernier devait revenir au bureau dans environ 5 à 10 minutes. Après avoir discuté avec des gens sur place, il est sorti et il a constaté que le bombardier Alcime n’était plus à l’endroit où il l’avait laissé.

 

[12]           Il est donc parti à sa recherche et il l’a vu avec des clés. Il a intercepté le bombardier Alcime et il a appris que ce dernier allait s’entraîner au gymnase et qu’il était allé chercher la clé de cet endroit au bureau du centre régimentaire du personnel en devoir (Regimental Duty Center Office) situé à l’entrée de la bâtisse de l’unité. Il a demandé à ce dernier de retourner la clé à l’endroit où il l’avait prise car ils devaient retourner tous les deux à la section de transport.

 

[13]           Le bombardier Alcime est donc retourné porter la clé au bureau en question. Cependant, il ne semblait pas en sortir rapidement de cet endroit et le bombardier-chef Meger a donc décidé d’aller sur place voir ce qui se passait.

 

[14]           Lorsque le bombardier-chef Meger est entré dans le bureau du centre régimentaire du personnel en devoir, le bombardier-chef Petkovich était assis derrière le bureau du sous-officier en devoir, le capitaine McDonald était sur place et le chauffeur en devoir, le bombardier McConnell était aussi sur place ou est entré immédiatement après.

 

[15]           Selon les témoins de la poursuite, le bombardier-chef Meger a demandé si le bombardier Alcime pouvait demeurer sur place et si le bombardier-chef Petkovich pouvait garder un œil sur ce dernier. Selon le bombardier Alcime, le bombardier-chef Meger lui a assigné un devoir supplémentaire à titre de chauffeur remplaçant du chauffeur en devoir, l’obligeant ainsi à demeurer avec le personnel en devoir de l’unité.

 

[16]           Cette situation a été l’élément déclencheur qui a fait en sorte que le bombardier Alcime s’est adressé au bombardier-chef Meger, en lui disant sur un ton d’exaspération ou plutôt méprisant, selon les versions des témoins, et tout en gesticulant avec ses mains : « Why are you so hard on me? Is it because you are a racist? »

 

[17]           En raison de la réaction du bombardier Alcime, le bombardier-chef Meger a alors mis son béret sur sa tête, a adopté la position du garde-à-vous et il lui a ordonné d’assumer la position du garde-à-vous.

 

[18]           Le bombardier Alcime n’aurait par réagi immédiatement. Il a dû répéter l’ordre quelques fois et le bombardier aurait assumé la position du garde-à-vous selon certains témoins ou cessé de parler et de s’agiter selon d’autres, et il se serait finalement assis.

 

[19]           Par la suite, le bombardier-chef Meger aurait quitté le bureau. Le capitaine McDonald aurait fait de même.

 

[20]           Le bombardier Alcime aurait rencontré par la suite le sergent Beaulieu pour discuter d’une manière de résoudre les problèmes causés par la nature de la relation de travail qu’il avait avec le bombardier-chef Meger. Le sergent Beaulieu aurait opté pour une résolution informelle du conflit et quelques jours plus tard le bombardier Alcime était transféré dans un autre endroit.

 

[21]           Le bombardier Alcime a pu, au cours de la dernière année, obtenir sa certification sur les freins à air et il a été à nouveau muté au poste qu’il occupait auparavant à la section de maintenance et de transport.

 

[22]           L’article 83 de la Loi sur la défense nationale se lit comme suit :

 

Quiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité.

 

[23]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable, à savoir l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation. Elle devait également prouver les éléments additionnels suivants : le fait qu’un ordre a été donné au bombardier Alcime, que cet ordre était légitime et que le bombardier Alcime a reçu cet ordre ou en a eu connaissance, le fait que le bombardier Alcime a reçu l’ordre d’un supérieur et qu’il connaissait le statut de ce dernier, le fait que le bombardier Alcime n’a pas obtempéré à cet ordre et, enfin, l’état d’esprit répréhensible du bombardier Alcime.

 

[24]           Quant à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale, il se lit comme suit :

 

Quiconque menace ou insulte verbalement un supérieur, ou se conduit de façon méprisante à son endroit, commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

           

[25]           Même si dans le titre du deuxième chef d’accusation, le document réfère aux termes « menace » et « insulte », il est clair pour la cour que les détails de l’accusation révèlent clairement une situation où l’accusé est accusé de s’être conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur et c’est sur cette base que la cour a l’intention d’effectuer son analyse. D’ailleurs, dans sa plaidoirie finale, l’avocat du bombardier Alcime a exprimé sa compréhension de la théorie de la poursuite à l’effet qu’elle tentait de démontrer que les paroles utilisées par son client à l’égard de son supérieur étaient insultantes et méprisantes dans le contexte de l’affaire.

 

[26]           Donc, en plus de l’identité de l’accusé ainsi que la date et du lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation, la poursuite devait également prouver pour cette infraction les éléments additionnels suivants : que le bombardier Alcime a eu une conduite méprisante, que cette conduite a été dirigée à l’égard d’un supérieur et qu’elle s’est produite en présence de ce dernier.

 

[27]           En ce qui a trait à la démonstration d’une conduite méprisante de la part de l’accusé, il s’agit ici pour la poursuite de démontrer à la cour que l’accusé à marquer son mépris par des gestes, des paroles ou les deux, et aussi qu’elle peut inférer de cette situation qui a été démontrée, l’intention d’insubordination de l’accusé.

 

[28]           Avant que la cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux. Si ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[29]           On peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue, sans aucun doute, le principe fondamental par excellence de notre droit pénal et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n’a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’accusation.

 

[30]           La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, jamais à l’accusé de prouver son innocence.

 

[31]           Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, celui-ci doit être acquitté. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des traditions judiciaires. Dans son arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directive sur le doute raisonnable. Par la suite, la Cour suprême et les tribunaux d’appel ont appliqué les principes définis dans l’arrêt Lifchus à de nombreuses décisions.

 

[32]           En substance, le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés, mais sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal.

 

[33]           Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS. 144, la Cour suprême a déclaré :

 

...une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[34]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le bombardier Alcime, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[35]           Qu’entend-on par la preuve? La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes et d’autres éléments déposés par des témoins, de témoignages d’experts, de faits officiellement admis par la poursuite ou la défense et de matières dont le tribunal a connaissance judiciaire d’office en vertu des Règles militaires de la preuve.

 

[36]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu’il juge crédibles.

 

[37]           La crédibilité n’est pas synonyme de véracité et l’absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoignage. Par exemple, il doit évaluer la possibilité d’observer qu’a eue le témoin, ce qui l’incite à se souvenir, par exemple si les événements étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants, et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer.

 

[38]           Il doit aussi se demander si le témoin a un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, s’il a une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou s’il est impartial. Ce dernier facteur s’applique aussi, mais de façon différente, à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[39]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. Il est possible d’observer l’attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, ou encore hésitantes, s’il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés.

 

[40]           Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque d’entacher l’ensemble d’un témoignage.

 

[41]           Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[42]           Après avoir procédé à cet exposé sur les éléments essentiels de chacun des chefs d’accusation, la présomption d’innocence et sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, j’examinerai maintenant les questions en litige en l’espèce et traiterai des principes juridiques.

 

[43]           D’entrée de jeu, la cour tient à affirmer que cette cause ne repose pas sur une question de crédibilité et de fiabilité des témoins qui ont été présentés au tribunal. En effet, il a appert que le témoignage du bombardier Alcime est fiable et crédible car ce dernier a témoigné de manière claire, cohérente, naturelle et parfois candide. Il a été très transparent quant aux motifs qui l’ont conduit à agir de la manière qu’il l’a faite dans le bureau du centre régimentaire du personnel en devoir. Il n’a pas caché son insatisfaction sur la manière dont le bombardier-chef Meger l’a traité à ce moment-là et sur les raisons de ses agissements par la suite. De plus, plusieurs aspects de son témoignage sont corroborés par les témoins de la poursuite, que cela soit en rapport avec l’expiration de sa qualification sur les freins à air, de ses tentatives de certification, de la séquence des événements en général, des endroits où il se trouvait durant l’incident, du motif qui l’a amené et retourné au bureau du centre régimentaire du personnel en devoir et de la séquence des événements dans le bureau même.

 

[44]           Quant aux témoins présentés par la poursuite, il apparaît à la cour qu’ils ont tous témoigné de manière claire et cohérente. Il est évident que certaines contradictions soient apparues entre ces témoignages, ce qui est normal dans les circonstances. Il est clair qu’à l’exception des deux principaux belligérants dans cette affaire, l’incident qui s’est produit était soudain et inattendu pour les autres témoins, que le tout s’est passé sur un court laps de temps, que les témoins avaient une perspective différente en fonction de l’endroit où ils se trouvaient et ce sur quoi ils se sont concentrés au moment où tout cela se déroulait. Il n’est pas rare que des témoins donnent plus d’importance aux gestes, aux paroles ou aux impressions qu’ils ont d’un même événement et dans le présent dossier, ceci peut expliquer facilement les quelques contradictions qui existent.

 

[45]           Il est à noter que l’ensemble des témoins, y compris l’accusé, ont identifié la séquence des événements reliés à l’incident dans le même ordre, incluant l’intervention du bombardier-chef Meger et l’ordre qui en a suivi.

 

[46]           La cour relève deux endroits où la preuve semble ne semble pas converger. D’abord, il y a la description de l’événement déclencheur qui aurait fait perdre patience au bombardier Alcime dans le bureau du centre régimentaire du personnel en devoir. Cependant, quelqu’en soit la description qui en a été faite par les témoins, il est clair que la nature même de ce qui a été décrit par le bombardier Alcime et le bombardier-chef Meger ne diffère pas en soi. À la fin, tous les deux décrivent une directive donnée par le bombardier-chef Meger qui a engendré un commentaire et une réaction du bombardier Alcime et qui constituent l’essence même du deuxième chef d’accusation.

 

[47]           Quant au fait d’obtempérer ou non à l’ordre donné par le bombardier-chef Meger au bombardier Alcime, il est vrai que les témoins ne décrivent pas le même résultat. Cependant, il est à noter que les deux principaux belligérants dans cette affaire témoignent tous les deux de la même manière sur cet aspect et j’y reviendrai plus loin dans mon analyse.

 

[48]           Concernant le premier chef d’accusation, la cour est satisfaite que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité de l’accusé à titre d’auteur de l’infraction, la date et le lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation, le fait qu’un ordre a été donné au bombardier Alcime, que cet ordre était légitime et que le bombardier Alcime a reçu cet ordre, le fait que le bombardier Alcime a reçu l’ordre d’un supérieur et qu’il connaissait le statut de ce dernier.

 

[49]           Qu’en est-il donc de l’élément essentiel à l’effet que le bombardier Alcime ne s’est pas conformé à l’ordre qu’il a reçu ? Le bombardier Alcime a affirmé dans son témoignage qu’il a obtempéré à l’ordre qu’il avait reçu du bombardier-chef Meger d’assumé la position du garde-à-vous, sans enthousiasme, et pas de la manière qui lui a été enseignée dans le cadre de son entraînement de soldat. Essentiellement, il a décrit qu’il a mis les talons ensembles, qu’il a posé ses bras le long de ses jambes et qu’il a cessé de parler.

 

[50]           Le bombardier-chef Meger a témoigné à l’effet que le bombardier Alcime s’est conformé à l’ordre qu’il lui avait donné d’assumer la position de garde-à-vous. Le bombardier-chef Petkovich a confirmé à la cour que l’accusé a posé ses bras le long de son corps, qu’il a cessé de parler et qu’il s’est assis.

 

[51]           Ces témoignages, et particulièrement celui de l’accusé et de l’émetteur de l’ordre, sont à mon avis suffisants pour soulever un doute raisonnable à l’effet que le bombardier Alcime ne s’est pas conformé à l’ordre qu’il avait reçu d’assumer la position du garde-à-vous.

 

[52]           La cour croit l’accusé sur cet aspect et de plus, celui qui a donné l’ordre confirme que cela a été fait et j’accorde beaucoup d’importance à ce dernier témoignage qui confirme celui du bombardier Alcime.

 

[53]           La poursuite a soulevé le fait que l’accusé ne s’était pas conformé immédiatement à l’ordre qu’il avait reçu. Il est vrai que dans certaines circonstances, le fait de ne pas obtempérer immédiatement constitue une désobéissance à un ordre, alors que dans d’autres circonstances, même si un refus clair est exprimé de ne pas obéir à l’ordre, si le militaire y obtempère, alors cela sera considéré comme une obéissance à un ordre.

 

[54]           Dans le présent contexte, le but de l’ordre était de faire cesser l’attitude belligérante du bombardier Alcime à l’égard du bombardier-chef Meger en le mettant en position du garde-à-vous, ce qui exige en soi de cesser de parler. Il est clair, dans le contexte de cette affaire, que le bombardier Alcime n’a jamais exprimé un refus de se conformer à l’ordre. C’est plutôt le fait qu’il a réalisé le contexte autour de lui qui l’a ramené à l’ordre, comme le béret sur la tête, et la répétition de l’ordre lui-même. Ultimement, il a obéi à l’ordre qui lui a été donné. Dans le contexte de cette affaire, le fait de ne pas obéir à l’ordre dès qu’il a été exprimé pour la première fois, ne constitue pas, selon l’opinion de la cour, un refus clair et délibéré de ne pas y obtempérer. En ce sens, la cour ne retient pas l’argument de la poursuite sur cet aspect.

 

[55]           En conséquence, la cour est d’avis que puisque qu’il existe un doute raisonnable à l’effet que le bombardier Alcime ne s’est pas conformé à l’ordre qu’il avait reçu d’assumer la position du garde-à-vous, elle en vient à la conclusion que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve qui consistait à prouver hors de tout doute raisonnable que le bombardier Alcime avait désobéi à un ordre légitime.

 

[56]           En ce qui a trait au deuxième chef d’accusation, la cour est satisfaite que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité de l’accusé à titre d’auteur de l’infraction, la date et le lieu de l’infraction reprochée dans l’acte d’accusation, que la conduite du bombardier Alcime a été dirigée à l’égard d’un supérieur, soit le bombardier-chef Meger et qu’elle s’est produite en présence de ce dernier

 

[57]           Il reste donc à la cour à déterminer si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé était méprisante. Comme mentionné auparavant par la cour, il s’agit ici pour la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé a marqué son mépris par des gestes, des paroles ou les deux, et aussi qu’elle peut inférer de cette situation qui a été démontrée, l’intention d’insubordination de l’accusé.

 

[58]           Cette évaluation doit être faite objectivement, c’est-à-dire que la cour doit établir la signification qu’une personne raisonnable, au fait de l’ensemble des circonstances, donnerait aux mots exprimés et aux gestes posés par le bombardier Alcime à l’égard du bombardier-chef Meger dans le bureau du centre régimentaire du personnel en devoir.

 

[59]           Dans la présente cause, il a été démontré par la poursuite à travers le témoignage du bombardier-chef Meger, que ce dernier cherchait à faire en sorte que le bombardier Alcime demeure au même endroit pour qu’il puisse rencontrer l’adjudant de la section de transport de l’unité, le sergent Beaulieu, tel qu’il lui avait été indiqué de le faire.

 

[60]           Considérant, que le bombardier Alcime avait quitté, de sa propre initiative et sans avoir fourni aucun avertissement, l’endroit où il lui avait dit de demeurer près du bureau de la section du transport, le bombardier-chef Meger cherchait un moyen de s’assurer que son subordonné ne répéterait pas le même geste.

 

[61]           C’est ainsi qu’il a indiqué au bombardier Alcime qu’il devait demeurer sous la surveillance du sous-officier en devoir, que ce soit personnellement ou à titre de chauffeur en devoir. Une personne raisonnable comprendrait ainsi que le bombardier-chef avait un but légitime à sa demande et que la relation existante entre les deux individus n’avait rien à voir avec ce qu’il avait exigé de son subordonné.

 

[62]           Une personne raisonnable comprendrait aussi que les gestes du bombardier Alcime et ses paroles exprimaient au minimum l’expression d’une frustration et au maximum une forme d’intimidation visant à impressionner suffisamment son supérieur pour qu’il le laisse tranquille.

 

[63]           Dans la mesure où cela s’est produit devant une audience restreinte formée de paires et de supérieurs, une personne raisonnable en viendrait à la conclusion que les gestes et paroles du bombardier Alcime était disproportionnés dans les circonstances et que ce dernier a clairement indiqué par ses paroles et ses actes qu’il estimait que son supérieur n’était plus digne d’un respect quelconque, exprimant tout le mépris qu’il avait ainsi pour lui.

 

[64]           Même si les raisons poussant le bombardier Alcime à agir comme il l’a fait pouvaient être légitimes, il n’en reste pas moins qu’il a démontré clairement par ses faits et gestes son intention de refuser de se soumettre aux exigences de son supérieur de demeurer dans le bureau sous la supervision du sous-officier en devoir en le confrontant sur sa manière d’agir et sur son autorité.

 

[65]            La cour est donc satisfaite que la poursuite a démontré, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé s’est conduit de manière méprisante.

 

[66]           En conséquence, la cour conclut que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve consistant à prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR

[67]           DÉCLARE le bombardier Alcime non coupable du premier chef d’accusation; et

[68]           DÉCLARE le bombardier Alcime coupable du deuxième chef d’accusation.


Avocats :

Capitaine K. Lacharité, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major J.L.P.L. Boutin, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le bombardier O.J. Alcime

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