Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 499 - Appel abandonné

Date de l’ouverture du procès : 19 décembre 2006.
Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).
Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 200$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Le Caporal‑chef J.R.J. McRae, 2007 CM 4005

 

Dossier : 200631

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

GATINEAU

______________________________________________________________________

Date : Le 6 février 2007

______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.

______________________________________________________________________

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL‑CHEF J.R.J. MCRAE

(accusé)

______________________________________________________________________

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

______________________________________________________________________

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    Le Caporal‑chef McRae C84 365 830 était accusé de trois infractions. Ayant conclu que laccusation no 3 ‑ négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline ‑ navait pas été prouvée à première vue, la cour a déclaré le Caporal‑chef McRae non coupable de cette accusation.

 

[2]                    Le Caporal‑chef McRae fait toujours lobjet de deux accusations pour avoir désobéi à un ordre légitime dun supérieur, une infraction prévue à larticle 83 de la Loi sur la défense nationale. La poursuite soutient que la preuve présentée à la cour prouve hors de tout doute raisonnable chaque élément des deux infractions. La poursuite et la défense sentendent sur la date et le lieu de ces deux infractions et sur lidentité du prétendu contrevenant.

 


[3]                    En ce qui concerne laccusation no 1, la poursuite prétend que lon a ordonné au Caporal‑chef McRae, le 23 août 2005, de commander ses uniformes à DCamC [traduction« dès que possible ou ce soir » et quil ne sest pas conformé à cet ordre en commandant ses uniformes à DCamC le 24 août 2005. Pour sa part, la défense prétend quaucun ordre semblable de commander les uniformes à DCamC na été donné. Selon elle, on aurait plutôt suggéré au Caporal‑chef McRae de commander ses uniformes à DCamC ce soir‑là. Dans lhypothèse où un tel ordre a été donné, la défense soutient que le Caporal‑chef McRae a fourni une explication raisonnable de ses tentatives de se conformer à cet ordre.

 

[4]                    En ce qui concerne laccusation no 2, la poursuite et la défense ont des points de vue opposés sur le fait quun ordre de porter un nouvel uniforme le 9 septembre 2005 a été donné le 8 septembre 2005. En outre, les deux parties ont produit des éléments de preuve différents sur létat de la chemise de combat du Caporal‑chef McRae le matin du 9 septembre 2005. 

 

LA PREUVE

 

[5]                    La preuve produite devant la présente cour martiale est formée essentiellement déléments dont la cour a pris judiciairement connaissance, de témoignages et de pièces. La cour a pris judiciairement connaissance des éléments énumérés à larticle 15 des Règles militaires de la preuve, ainsi que des Instructions sur la tenue des Forces canadiennes A-AD-265-00/AG/001, qui sont visées à lalinéa 16(1)e) de ces règles.

 

[6]                    La cour a entendu, dans lordre, les témoignages du Maître de 2e classe De Guise; de lAdjudant‑maître Watters, ladjudant à lépoque des infractions; du Caporal Thiffault; de lAdjudant‑chef Lauzon; du Caporal‑chef McRae, laccusé; de Mme McRae; de M. Michael Sischka. Les témoignages du Sergent Drouin, de Mme Drouin et du Caporal‑chef Love, qui ont été entendus relativement à la demande fondée sur lalinéa 11b) de la Charte, ont été produits en preuve par laccusé, avec le consentement de la poursuite.

 

[7]                    Un certain nombre de pièces ont aussi été présentées en preuve. La pièce 3, un courriel envoyé par le Maître de 2e classe De Guise à lAdjudant‑maître Watters le 23 août 2005, a été produite en preuve par la poursuite, sur consentement. La pièce 4, un courriel transmis par le Maître de 2e classe De Guise à lAdjudant‑maître Watters le 12 septembre 2005, a aussi été produit en preuve par la poursuite, sur consentement. La pièce 5, un autre courriel transmis par le Maître de 2e classe De Guise à lAdjudant‑maître Watters le 15 septembre 2005, qui contenait un courriel envoyé par le Caporal Thiffault au Maître de 2e classe De Guise le 15 septembre 2005, a aussi été produite en preuve par la poursuite, sur consentement.

 


[8]                    La pièce 6, un courriel envoyé par le Caporal‑chef McRae au Caporal Thiffault, à lAdjudant‑maître Watters et au Maître de 2e classe De Guise le 24 août 2005, a été déposée en preuve par lavocat de la défense, sur consentement. La pièce 8, un rapport judiciaire de données rédigé par M. Sischka le 7 janvier 2007, a été déposé en preuve par lavocat de la défense, sur consentement. La pièce 7, une chemise de combat kaki, a été présentée à la cour par lavocat de la défense; cette chemise appartenait au Caporal‑chef McRae, qui laurait portée le matin du 9 septembre 2005. La poursuite a contesté ladmissibilité de cette pièce. La cour a admis la chemise kaki en preuve à titre de chemise appartenant au Caporal‑chef McRae.

 

LES FAITS

 

[9]                    Les faits en lespèce concernent des incidents survenus le 23 août 2005 et les 8 et 9 septembre 2005 au détachement Medina, situé sur la Lackland Airforce Base, au Texas (États‑Unis). Pendant la période au cours de laquelle les infractions auraient été commises, le Caporal‑chef McRae faisait partie du quartier général du groupe des opérations des Forces canadiennes du détachement Medina, situé sur la Lackland Airforce Base, au Texas (États‑Unis). Ce détachement était composé de neuf militaires. LAdjudant‑maître Watters, ladjudant à lépoque des prétendues infractions, était le plus haut gradé canadien au sein du détachement et le Maître de 2e classe De Guise était son commandant adjoint.  

 

[10]                  Le Caporal‑chef McRae a rencontré lAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise le 23 août 2005 parce que lAdjudant‑maître Watters devait discuter avec lui derreurs concernant ses conditions de service. Selon lAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise, ils auraient ordonné au Caporal‑chef McRae de commander ses uniformes à DCamC auprès de la commis à létranger parce que le Maître de 2e classe De Guise venait tout juste de prendre des dispositions avec elle au sujet de cette commande duniformes.

 

[11]                  Le Caporal-chef McRae a indiqué dans son témoignage quils lui auraient suggéré de commander ses uniformes pendant que la commis avait encore fraîche à lesprit sa conversation avec le Maître de 2e classe De Guise. Il a indiqué également quil avait essayé de commander ses uniformes à DcamC ce soir-là en utilisant son ordinateur personnel, mais quil na pas pu avoir accès à Internet. Il a essayé à nouveau le soir du 24 août 2005. Il croyait avoir commandé les uniformes étant donné quil navait pas reçu de message linformant que sa commande navait pas pu être transmise.

 

[12]                  Le 8 septembre 2005, tous les membres du détachement, à lexception du Caporal‑chef MacDonald, ont prêté main‑forte aux sinistrés de louragan Katrina en travaillant dans un entrepôt de lArmée du Salut. Il faisait chaud ‑ environ 90 à 100 degrés ‑ et tous ont effectué des travaux manuels. LAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise ont dit quils se sont adressés au détachement à la fin de la journée, avant le départ. Mme Drouin a corroboré ces propos. Le Maître de 2e classe De Guise aurait informé les membres du détachement quil sattendait à ce quils portent de nouveaux uniformes le lendemain. Le Caporal‑chef McRae ne se rappelle pas que le Maître de 2e classe De Guise se soit adressé au détachement pendant quils étaient en formation.


[13]                  Le matin du 6 septembre 2005, pendant quils se trouvaient dans lendroit réservé aux fumeurs, lAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise auraient aperçu le Caporal‑chef McRae avec un uniforme de combat kaki où lon pouvait voir des taches de transpiration sous les bras et autour de la taille, le long de la ceinture de la chemise de combat. LAdjudant‑maître Watters a dit au Maître de 2e classe De Guise daller voir le Caporal‑chef McRae à son poste de travail pour confirmer létat de son uniforme. Après avoir reçu la confirmation du Maître de 2e classe De Guise, lAdjudant‑maître Watters, en présence du Maître de 2e classe De Guise et du Premier maître Herrington, le superviseur américain du Caporal‑chef McRae, a parlé à ce dernier de létat de son uniforme et lui a dit quil y aurait des conséquences. Après avoir effectué une enquête disciplinaire, lAdjudant‑maître Watters a déposé des accusations contre le Caporal‑chef McRae le 23 septembre 2005.

 

[14]                  Le droit applicable et les éléments essentiels de laccusation. Larticle 83 de la Loi sur la défense nationale prévoit :

 

Quiconque désobéit à un ordre légitime dun supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale lemprisonnement à perpétuité.

 

[15]                  La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de ces infractions : lidentité de laccusé ainsi que la date et le lieu des infractions qui sont allégués dans lacte daccusation; le fait quun ordre avait été donné au Caporal‑chef McRae; la légitimité de cet ordre; le fait que le Caporal‑chef McRae avait reçu ou connaissait lordre; le fait que lordre lui avait été donné par un supérieur et quil connaissait le statut de cette personne; le fait que le Caporal‑chef McRae ne sétait pas conformé à lordre; son état desprit blâmable.

 

[16]                  Avant que la cour ne procède à lanalyse juridique des deux accusations, il convient de traiter de la présomption dinnocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement lié aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle daudience.

 


[17]                  Il est juste de dire que la présomption dinnocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption dinnocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée dune infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé na pas à prouver quil est innocent. Cest à la poursuite quil incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de linfraction.

 

[18]                  La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne sapplique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à lensemble de la preuve sur laquelle cette dernière sappuie pour établir la culpabilité de laccusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité dun accusé incombe à la poursuite, jamais à laccusé. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable sil a un doute raisonnable quant à sa culpabilité ou après avoir considéré ‑ pas « ou », après avoir considéré lensemble de la preuve.

 

[19]                  Lexpression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans larrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours dappel. Essentiellement, un doute raisonnable nest pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. Cest un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce quelle ne lui révèle pas.

 

[20]                  Le fait quune personne a été accusée nest absolument pas une indication quelle est coupable, et jajouterai que les seules accusations dont un accusé doit répondre sont celles qui figurent dans lacte daccusation présenté à la cour. Dans larrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer quelle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. [...]

 

[21]                  Par contre, il faut se rappeler quil est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite na pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui nexiste pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de laccusé, en lespèce le Caporal‑chef McRae, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que laccusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit lacquitter car la preuve dune culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 


[22]                  Quentend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce quelles ont vu ou fait. Elle peut consister en documents, en photographies, en cartes ou en dautres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en témoignages dexperts, en aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou en des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance. Il nest pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents dun fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[23]                  La crédibilité nest pas synonyme de dire la vérité et labsence de crédibilité nest pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans lévaluation que la cour fait de la crédibilité dun témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qua eue le témoin dobserver, les raisons dun témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine dêtre notés, sils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a‑t‑il un intérêt dans lissue du procès; en dautres termes, a‑t‑il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est‑il impartial?

 

[24]                  Ce dernier facteur sapplique dune manière quelque peu différente à laccusé. Bien quil soit raisonnable de présumer que laccusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption dinnocence ne permet pas de conclure que laccusé mentira lorsquil décide de témoigner.

 

[25]                  Un autre élément dans la détermination de la crédibilité dun témoin est son apparente capacité à se souvenir. Lattitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait‑il sans cesse? Finalement, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui nont pas été contestés? De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas dun mensonge délibéré. Cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en tout ou en partie. La cour nest pas tenue daccepter le témoignage dune personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins davoir une raison de ne pas le croire.

 


[26]                  Comme la règle du doute raisonnable sapplique à la question de la crédibilité, la cour doit statuer de manière définitive sur la crédibilité de laccusé en lespèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce quil dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il sagit dun cas où lapproche en matière dévaluation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans larrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peut être appliquée de façon stricte parce que laccusé, le Caporal‑chef McRae, a témoigné. La Cour suprême a établi ce qui suit à la page 758 de cet arrêt :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de laccusé, manifestement vous devez prononcer lacquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de laccusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer lacquittement.

 

Troisièmement, même si navez pas de doute à la suite de la déposition de laccusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de laccusé.

 

[27]                  Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, jexaminerai maintenant les questions en litige en lespèce et traiterai des principes juridiques.

 

[28]                  Les deux parties ont convenu que lune des questions fondamentales au regard des deux accusations est de savoir, selon la preuve qui a été présentée à la cour, si un ordre a été donné. La deuxième question fondamentale consiste à déterminer si le Caporal‑chef McRae a obéi à lordre, à la lumière de ce qui est décrit dans chaque accusation. Même si les autres éléments essentiels des deux accusations, notamment la légitimité de lordre, nont pas été contestés par la défense, ils doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable par la poursuite.

 

[29]                  Jestime que la date, le lieu et lidentité de laccusé ont été prouvés hors de tout doute raisonnable dans le cas des deux accusations. Comme la défense prétend quaucun ordre na été donné, la cour doit décider si, selon la preuve qui lui a été présentée, un ordre a été donné au Caporal‑chef McRae, si cet ordre était légitime, si le Caporal‑chef McRae a reçu ou connaissait lordre, si lordre lui a été donné par un supérieur et sil connaissait le statut de cette personne, si le Caporal‑chef McRae ne sest pas conformé à lordre et si son état desprit était blâmable.

 

LA CRÉDIBILITÉ   

 

[30]                  La nature de la preuve en lespèce oblige la Cour à tirer certaines conclusions sur la crédibilité des différents témoins.

 


[31]                  LAdjudant‑maître Watters a témoigné avec calme et franchise. Il nétait pas évasif et nargumentait pas. Il na pas essayé dembellir sa version. Il a déclaré dans son témoignage que le Maître de 2e classe De Guise avait dit au Caporal‑chef McRae de commander ses uniformes à DcamC ce soir-là et quil pourrait avoir confirmé lordre. Il na pas été contre‑interrogé sur cette partie de son témoignage. Il a décrit de manière claire et cohérente létat de luniforme de combat porté par le Caporal‑chef McRae le matin du 9 septembre 2005. Même sil a qualifié de professionnelle la rencontre quil a eue avec le Caporal‑chef McRae le 9 septembre 2007, il a admis avoir parlé fort et lavoir renvoyé en lui disant : [traduction« Fichez le camp. »

 

[32]                  Bien quil nait pas interrogé le Caporal‑chef McRae dans le cadre de son enquête disciplinaire, il a déclaré dans son témoignage quil naurait pas déposé une accusation si on lui avait présenté une preuve disculpatoire. Il a également dit que les adjectifs [traduction« nouveau » et [traduction« propre » sont des synonymes lorsquil est question duniformes. Le Maître de 2e classe De Guise ‑ la cour estime que lAdjudant‑maître Watters est un témoin crédible et digne de foi.

 

[33]                  Le Maître de 2e classe De Guise. Son attitude est demeurée la même pendant tout son témoignage. La cour estime que la plus grande partie de son témoignage est crédible et digne de foi. Son témoignage sur lordre donné le 8 septembre 2005 et sur les incidents du matin du 9 septembre 2005 était cohérent. Il a expliqué que, même si le rapport denquête sur le harcèlement indiquait que lordre du 8 septembre avait été donné par lAdjudant‑maître Watters, il navait pas examiné en détail lébauche du document préparé par lAdjudant‑maître Mack et navait pas non plus vu le rapport auparavant. Quoiquil ait déclaré dans son témoignage avoir ordonné au Caporal‑chef McRae de commander ses uniformes à DcamC [traduction« ce soir », il a écrit [traduction« dès que possible » dans le courriel du lendemain. Il a mentionné que, pour lui, les deux expressions voulaient dire la même chose.

 

[34]                  Le Caporal Thiffault. Le Caporal Thiffault est un témoin crédible et digne de foi. Elle a témoigné avec beaucoup dhonnêteté et de franchise. Elle a affirmé quelle navait reçu aucune communication du Caporal‑chef McRae depuis avril 2005 et elle a confirmé que les documents concernant les vêtements de ce dernier indiquaient quil possédait trois uniformes de combat kaki à lépoque des prétendues infractions.

 

[35]                  LAdjudant‑chef Lauzon. Ce dernier a témoigné à titre dexpert sur la tenue vestimentaire et la conduite des militaires des Forces canadiennes. Son témoignage était crédible et digne de foi.

 

[36]                  Le Sergent Drouin. Bien quil soit considéré comme un témoin crédible et digne de foi, la manière dont il a été interrogé na pas fait ressortir beaucoup déléments pouvant aider la cour à trancher les principales questions en litige en lespèce. Le Sergent Drouin a cependant précisé que les militaires devaient porter luniforme à DcamC lorsquils se trouvaient au détachement, sauf sil y avait une activité spéciale.

 


[37]                  Mme Drouin. Mme Drouin est également un témoin crédible et digne de foi, mais son témoignage a une utilité limitée en lespèce. Elle a confirmé que le Maître de 2e classe De Guise sétait adressé au groupe à la fin de la journée le 8 septembre 2005. Elle ne se rappelait pas avoir entendu le Maître de 2e classe De Guise ordonner aux militaires présents de porter un nouvel uniforme le lendemain, mais, selon elle, cest ce quil dirait.

 

[38]                  Le Caporal-chef Love. Le Caporal‑chef Love était crédible mais non digne de foi car il était incapable de se rappeler une grande partie des faits entourant les accusations.

 

[39]                  Mme McRae. Son attitude na pas changé pendant son témoignage. Elle a témoigné avec franchise, mais il est évident quelle a intérêt à témoigner de façon à aider son mari. Néanmoins, en raison de son attitude, la cour juge quelle est un témoin crédible et digne de foi.

 

[40]                  Son témoignage renferme des éléments de preuve qui sont incompatibles avec le témoignage du Caporal‑chef McRae. Selon ses dires, la soirée du 8 septembre 2005 était une [traduction« soirée pratiquement normale » passée avec son mari, alors que le Caporal‑chef McRae décrit cette soirée autrement. Par ailleurs, Mme McRae a indiqué que luniforme quelle avait placé dans un cas le 23 septembre était suspendu à un crochet dans le bureau où son mari change de vêtements, alors que ce dernier a déclaré dans son témoignage que le sac était suspendu au pommeau de la douche de la salle de bain secondaire qui nétait pas utilisée. Mme McRae a aussi déclaré dans son témoignage quelle navait pas vu luniforme avant le 23 septembre 2005.

 

[41]                  Le Caporal-chef McRae. De manière générale, son témoignage nest pas très crédible ou digne de foi. Ce témoignage était entaché par sa vision des faits. Le Caporal‑chef McRae était résolu à contredire toute question soulevée par la poursuite et la fait dune manière quelque peu raisonneuse. Malgré le fait que Mme Drouin, un témoin non intéressé, a déclaré dans son témoignage que le Maître de 2e classe De Guise sétait adressé au groupe le 8 septembre 2005, le Caporal‑chef McRae a maintenu catégoriquement que cela ne sétait pas passé, à tout le moins pendant la portion organisée de lactivité.

 

[42]                  Il a rapidement fait état, lorsquil a décrit sa rencontre du 9 novembre 2005 avec lAdjudant‑maître Watters, de la réaction incrédule du Premier maître Herrington à légard de la situation, mais il a plus rapidement encore contester la crédibilité de ce dernier en affirmant quil avait été rétrogradé pour avoir menti lorsquil a appris que le Premier maître Herrington pouvait avoir, dans le cadre de lenquête sur le harcèlement, tenu des propos qui nappuyaient peut‑être pas sa position.

 


[43]                  Sa déclaration concernant le nombre duniformes de combat quil possédait a été contredite par le Caporal Thiffault, et son témoignage sur lendroit où se trouvait sa chemise de combat après le 23 septembre est nettement différent de celui de son épouse sur cette question précise. Étant donné que létat de luniforme depuis le 9 septembre, en particulier depuis le 23 septembre, était si important pour le Caporal‑chef McRae et son épouse, on sattendrait à ce quils décrivent de la même manière lendroit où cet important élément de preuve avait été conservé en vue déventuelles poursuites.

 

[44]                  M. Shishka. Il a témoigné à titre dexpert de lanalyse judiciaire des données et des disques durs, plus particulièrement en ce qui a trait aux courriels. Il est un témoin crédible et digne de foi. Il a analysé lordinateur personnel du Caporal‑chef McRae et a confirmé quun courriel avait été envoyé au Caporal Thiffault, à lAdjudant‑maître Watters et au Maître de 2e classe De Guise le 24 août 2005, mais que ce message pourrait navoir jamais été reçu sil a été capturé et détruit par un filtre de pourriel. 

 

ANALYSE

 

[45]                  Appliquant le critère énoncé par la Cour suprême dans larrêt R. c. W.(D), cité ci‑dessus, et compte tenu de lensemble de la preuve qui lui a été présentée, la cour a des raisons de ne pas croire laccusé et son témoignage au regard des questions suivantes : des ordres ont‑ils été donnés Caporal‑chef McRae le 23 août et le 8 septembre 2005; le Caporal‑chef McRae a-t-il reçu ou connaissait‑il les ordres; sy est-il conformé; son état desprit était‑il blâmable? Par conséquent, la cour ne croit pas la preuve produite par le Caporal‑chef McRae, sauf pour ce qui est de sa tentative denvoyer un courriel le soir du 24 août 2005.

 

[46]                  La cour examine maintenant le deuxième volet du critère énoncé par la Cour suprême dans larrêt R. c. W.(D). Après avoir considéré lensemble de la preuve qui lui a été présentée, la présente cour na toujours aucun doute raisonnable par suite du témoignage du Caporal‑chef McRae quant aux éléments essentiels de linfraction de désobéissance à un ordre légitime, sauf pour ce qui est du courriel mentionné ci‑dessus.

 


[47]                  Finalement, jappliquerai maintenant le dernier volet du critère de larrêt R. c. W.(D.) aux deux accusations. Dabord, dans le cas de laccusation no 1, la cour doit répondre à la question suivante : un ordre a-t-il été donné au Caporal‑chef McRae? La cour estime que la preuve produite par la poursuite démontre que le Maître de 2e classe De Guise a ordonné au Caporal‑chef McRae de commander ses uniformes à DcamC. La preuve relative à la période de temps précise au cours de laquelle le Caporal‑chef McRae devait exécuter cet ordre est ambiguë; les expressions [traduction« dès que possible » et [traduction« ce soir » pourraient vouloir dire la même chose pour le Maître de 2e classe De Guise, mais non pour une autre personne. Il y a aussi une certaine incertitude dans le souvenir de ladjudant‑maître de ce qui a exactement été dit au Caporal‑chef McRae et par qui. Il ne fait aucun doute quils voulaient que le Caporal‑chef McRae commande ses uniformes à DcamC ce soir‑là, mais, après avoir entendu leur témoignage, la cour a un doute suffisant quant à lexactitude de lordre pour quil existe un doute raisonnable concernant la période de temps allouée au Caporal‑chef McRae pour exécuter cet ordre.

 

[48]                  Le Caporal‑chef McRae a déclaré dans son témoignage quil avait essayé dutiliser Internet le soir du 23 août 2005, mais quil navait pas réussi à le faire, et quil avait essayé de nouveau le lendemain. Ce jour‑là, il a envoyé un courriel qui, pensait‑il, allait être reçu par le Caporal Thiffault, lAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise. M. Sischka, un expert de lanalyse judiciaire des données, a indiqué dans son témoignage que ce courriel avait été créé et envoyé, mais quil navait fort probablement pas atteint ses destinataires parce quil avait été détruit par un filtre de pourriel. En envoyant un courriel le 24 août 2005, le Caporal‑chef McRae se conformait à lordre de commander des uniformes à DcamC dès que possible.

 

[49]                  Par conséquent, sur la foi de la preuve quelle accepte, la cour estime que cet élément de linfraction na pas été prouvé hors de tout doute raisonnable. La poursuite na donc pas réussi à établir hors de tout doute raisonnable que le Caporal‑chef McRae a désobéi à un ordre légitime dun supérieur le 23 août 2005.

 

[50]                  Accusation no 2. Encore une fois, la cour doit dabord répondre à la question suivante : un ordre a-t-il été donné au Caporal‑chef McRae? La cour considère que le témoignage du Maître de 2e classe De Guise selon lequel il a donné lordre de porter des nouveaux uniformes le lendemain est concluante. En outre, elle reconnaît que quiconque entendant cet ordre comprendrait que, après une journée passée à exécuter des travaux manuels alors que la température atteint 100 degrés, un nouvel uniforme signifie un uniforme propre. Ladjectif [traduction« nouveau » dans le contexte qui existait les 8 et 9 septembre 2005 signifiait propre.

 

[51]                  Lordre était‑il légitime? Comme lAdjudant‑chef Lauzon la dit dans son témoignage, on enseigne à tout militaire des FC à porter un uniforme propre lorsquil se présente au travail. Il ne fait aucun doute que lordre était légitime.

 


[52]                  Le Caporal‑chef McRae a-t-il reçu ou connaissait‑il lordre? Lordre lui a‑t‑il été donné par un supérieur? Le Caporal‑chef McRae connaissait‑il le statut de la personne qui lui a donné lordre? LAdjudant‑maître Watters, le Maître de 2e classe De Guise et Mme Drouin ont indiqué dans leur témoignage que tous les membres du détachement étaient présents à la fin de la journée quand lAdjudant‑maître Watters et le Maître de 2e classe De Guise se sont adressés au groupe, mais le Caporal‑chef McRae affirme que le Maître de 2e classe De Guise ne sest pas adressé au groupe pendant que celui‑ci était en formation. La cour accepte la preuve selon laquelle toutes les personnes étaient présentes quand le Maître de 2e classe De Guise a parlé au groupe. Aussi, le Caporal‑chef McRae, qui a mentionné dans son témoignage quil savait que le Maître de 2e classe De Guise était son supérieur, aurait entendu lordre donné par ce dernier.

 

[53]                  Le Caporal‑chef McRae sest-il conformé à lordre? La cour accepte le témoignage de lAdjudant‑maître Watters et du Maître de 2e classe De Guise concernant létat de la chemise de combat du Caporal‑chef McRae le matin du 9 septembre 2005; cette chemise nétait pas une chemise propre. Finalement, le Caporal‑chef McRae a choisi de remettre luniforme quil portait la veille. Il savait quil devait porter un nouvel uniforme le 9 septembre 2005. Il aurait pu se présenter au travail vêtu dun uniforme de combat propre ou de son uniforme marron, mais il a choisi de porter la même chemise de combat que le 8 septembre, sans la laver.

 

[54]                  Par conséquent, compte tenu de lensemble de la preuve, la cour estime que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de la deuxième infraction de désobéissance à un ordre légitime dun supérieur.

 

[55]                  Caporal‑chef McRae, veuillez vous lever. Caporal‑chef McRae, la cour vous déclare non coupable de laccusation no 1, soit celle de ne pas avoir commandé vos uniformes de combat à dessin de camouflage canadien comme vous lavait ordonné le Maître de 2e classe De Guise. Par contre, la cour vous déclare coupable de laccusation no 2 pour ne pas avoir porté un uniforme propre au travail, comme vous lavait ordonné le Maître de 2e classe De Guise.

 

 

 

                                                            LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.

 

Avocats :

 

Le Major J. Caron, procureur militaire régional, région de lEst

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Capitaine de corvette J.C.P. Lévesque, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal-chef J.R.J. McRae

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