Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 558 - Appel accordé

Date de l'ouverture du procès : 22 mai 2012

Endroit : Garnison Saint-Jean, Mégastructure, Salle B-134, 25 chemin du Grand-Bernier, Saint-Jean-sur-ichelieu (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) Cr. Cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.
•Chefs d’accusation 3, 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 4 : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) C. cr.).
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 7) : Art. 130 LDN, voyeurisme (art. 162(5) Cr. Cr.).
•Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 93 LDN, conduite déshonorante.
•Chef d’accusation 8 : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Retirés. Chefs d’accusation 4, 8 : Coupable. Chefs d’accusation 5, 6, 7 : Non coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 12 mois, à être purgé à l’établissement de détention Sorel, 75 boulevard Poliquin, Sorel, Québec, J3P 7Z5.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Larouche, 2012 CM 3023

 

Date : 20121219

Dossier : 201164

 

Cour martiale permanente

 

Garnison St-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat R. Larouche, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication  : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité des personnes décrites dans le présent jugement comme étant les plaignantes ou témoins.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le 30 août 2012, la cour martiale permanente a reconnu coupable le soldat Larouche aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’une infraction de voyeurisme contrairement au paragraphe 162(5) du Code criminel et d’une infraction  pour possession de pornographie juvénile contrairement au paragraphe 163.1(4) du Code criminel.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir à titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente de déterminer la sentence.

 

 

[3]               Dans le contexte particulier d'une force armée, le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou de façon plus positive de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leur mission avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l'ordre public et s'assure que les personnes justiciables du code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               L'imposition d'une sentence est une des tâches les plus difficiles pour un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt R c Généreux,[1992] 1 RCS 259 à la page 293 que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » Elle a aussi souligné à la même page que « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devraient être réprimés promptement, et dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. » Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[5]               Dans le cas qui nous occupe ici, dans le contexte où l’une de ces deux infractions prévoit l’application d’une peine minimale de 45 jours d’emprisonnement, le procureur de la poursuite m’a suggéré de condamner le soldat Larouche à une peine d’emprisonnement de 18 mois. De son côté, l’avocat de la défense qui représente le contrevenant m’a recommandé d’infliger une peine d’emprisonnement pour une période de six mois.

 

[6]               L'imposition d'une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel le respect de la loi et le maintien de la discipline, et ce, en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   la protection du public y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  la dénonciation du comportement illégal;

 

c.                   la dissuasion du contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e.                   la réhabilitation et la réforme du contrevenant.

 

[7]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire peuvent également prendre en compte les principes suivants :

 

a.                   la proportionnalité en relation à la gravité de l'infraction;

 

b.                  la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui-ci;

 

c.                   l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peine semblable à celle infligée à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.                  l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de peine moins contraignante lorsque les circonstances le justifie. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort;

 

e.                   finalement, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[8]               La cour est d'avis que l'infliction d'une peine au contrevenant dans cette cause doit mettre l'accent sur l’objectif lié d’abord à la dénonciation du comportement illégal et puis à celui de la dissuasion générale. Il est important de retenir que le principe de dissuasion générale implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[9]               Concernant l’infraction de voyeurisme, il appert que V.C. a eu une relation amoureuse avec le contrevenant entre le mois d’octobre et le mois de décembre 2009 et durant laquelle ce dernier l’aurait filmée, à son insu, alors qu’elle dormait dans un lit situé dans la chambre de l’appartement du soldat Larouche, ne portant qu’un jeans, le haut du corps totalement nue, avec des notes de cours près d’elle.

 

[10]           En ce qui a trait à l’infraction de possession de pornographie juvénile, le contrevenant a admis qu’il avait en sa possession, mille cinquante quatre fichiers électroniques, comportant de la pornographie juvénile, tel que défini au paragraphe 163.1(1) du Code criminel. De ce nombre, 553 fichiers constituent des fichiers originaux et 501 fichiers sont des copies des fichiers originaux.

 

[11]           Sur les 553 fichiers originaux, dit aussi fichiers uniques, 210 d’entre eux n'ont pas fait l’objet d’une copie. Sur les 343 fichiers originaux qui ont été copiés, 297 sont des photos et 46 sont des fichiers vidéos.

 

[12]           La nature des fichiers de pornographie juvénile en possession du contrevenant sont des photos et des vidéos sur lesquelles apparaissent deux adolescentes.  En effet, sur la très grande majorité des fichiers photos que le contrevenant aurait lui-même constitués apparaît sa belle-fille entre l’âge de 13 et 18 ans qui est nue dans diverses positions et pour lesquelles elle aurait été rémunérée à l’occasion, et aussi des fichiers photos et vidéos sur lesquels elle peut être observée performant des actes de nature sexuelle avec le contrevenant.

 

[13]           Des fichiers photos et vidéos, toujours constitués par le contrevenant, d’une autre adolescente nue âgée de 14 ans, étaient aussi en possession de ce dernier.

 

[14]           Le 21 janvier 2010, suite à l’obtention d’un mandat de perquisition, une fouille du domicile du soldat Larouche a été effectuée par la police militaire qui a permis la saisie de ces fichiers photos et vidéos, et ce dernier a fait aussi l’objet d’une arrestation au même moment. Le contrevenant a été relâché avec conditions. Malgré celle de s’abstenir de communiquer avec les présumées victimes, il a tenté de rentrer en contact avec l’une d’entre elles à au moins deux reprises.

 

[15]           Dans la décision de la Cour d’appel du Québec qui est R. c. L.(J.J.), 1998 CANLII 12722 (Qc C.A.) aux p. 4 à 7, la juge Otis, s’exprimant pour la cour, a énuméré une série de facteurs de qualification permettant de mesurer la responsabilité pénale d'un délinquant en regard de la détermination de la peine concernant des infractions d'ordre sexuel, notamment :

 

a.                   La nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l'usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation, etc.

 

b.                  La fréquence des infractions et l'espace temporel qui les contient.

 

c.                   L'abus de confiance et l'abus d'autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime.

 

d.                  Les désordres sous-jacents à la commission des infractions: détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication, etc.

 

e.                   Les condamnations antérieures du délinquant: proximité temporelle avec l'infraction reprochée et nature des condamnations antérieures.

 

f.                    Le comportement du délinquant après la commission des infractions: aveux, collaboration à l'enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s'il y a lieu, compassion et empathie à l'endroit des victimes (remords, regrets, etc.).

 

g.                   Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d'atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d'autres infractions, etc.).

h.                   La victime : gravité des atteintes à l'intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l'âge, la nature et l'ampleur de l'agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l'abus de confiance ou d'autorité, les séquelles traumatiques, etc.

 

[16]           Il existe évidemment d’autres facteurs qui ne sont pas énumérés, tels que l’existence ou l’absence de préméditation, la consommation d’alcool ou le délai à procéder avec les accusations. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et d’autres facteurs peuvent toujours être considérés.

 

[17]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a donc tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes révélées par les faits de cette cause.

 

[18]           En ce qui concerne les facteurs aggravants, la cour retient les aspects suivants :

 

a.                   La gravité objective des infractions. Vous avez été trouvé coupable de deux infractions d’ordre militaire, soit aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour voyeurisme contrairement au paragraphe 162(5) du Code criminel qui est passible, au maximum, d’un emprisonnement de 5 ans ou d’une peine moindre, et possession de pornographie juvénile contrairement au paragraphe 163.1(4) du Code criminel qui est passible, au minimum, d’une peine d’emprisonnement de 45 jours, et au maximum, d’un emprisonnement de 5 ans ou d’une peine moindre.

 

b.                  En ce qui a trait à la gravité objective de l’infraction de possession de pornographie juvénile, j’aimerais souligner les commentaires de la cour d’appel du Québec sur ce sujet dans l’arrêt R c André Von Gunten, (2006) QCCA 286 aux paragraphes 13 à 15 :

 

J’examinerai sommairement chacun des moyens soulevés par le ministère public en commençant par celui qui concerne la gravité objective du crime dont il s’agit. La Cour suprême du Canada a commenté cette question dans l'arrêt Sharpe :

 

On peut dire que les liens entre la possession de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants sont plus ténus que ceux qui existent entre la production et la distribution de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants. Toutefois, la possession de pornographie juvénile contribue au marché de cette forme de pornographie, lequel marché stimule à son tour la production qui implique l'exploitation d'enfants. La possession de pornographie juvénile peut faciliter la séduction et l'initiation des victimes, vaincre leurs inhibitions et inciter à la perpétration éventuelle d'infractions.

 

Il ne fait pas de doute que le crime de possession en est un sérieux.  Il faut toutefois se garder de le confondre avec les crimes de production et de distribution, lesquels entretiennent un rapport encore plus étroit avec le mal que le législateur cherche à éradiquer, en l’occurrence l’exploitation éhontée des enfants.

 

Dans la même veine, on ne peut faire abstraction du fait que le législateur a rangé ce crime dans la catégorie de ceux qui ne peuvent commander une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement. De ce point de vue, il fait partie de l’une des catégories les moins graves de toutes celles qui recoupent les crimes susceptibles de faire l'objet d'une poursuite par acte d'accusation. Ainsi, objectivement, selon le législateur, il s’agit d’un crime moins grave que le vol d’un bien d’une valeur supérieure à 5000 $.

 

Relativement à la gravité subjective, il y a quatre aspects que je retiens de la preuve qui m'a été présentée :

 

i.                     Concernant l’infraction de voyeurisme, vous avez abusé de la confiance de la victime, qui était votre amoureuse à l’époque, alors qu’elle se trouvait à votre domicile.  Il est clair qu’elle avait un problème avec le fait que vous la posiez ou filmiez nu et vous avez décidé d’agir à son insu afin d’arriver à vos fins.

 

ii.                   De plus, la découverte beaucoup plus tard par la victime de l’existence d’une telle séquence filmée a été un choc pour elle et elle a vu son intégrité physique et psychologique attaquée. 

 

iii.                  La nature du matériel constituant de la pornographie juvénile doit être considéré dans cette affaire comme un facteur aggravant. Ici, il ne s’agit de matériel que vous avez téléchargé sur des sites mais plutôt de matériel que vous avez conservé et qui implique que :

 

1.                  Deux victimes d’âge mineur et qui sont à peine dans leur adolescence;

 

2.                  L’une de ses victimes est votre belle-fille que vous avez payé à l’occasion, donc une personne en principe proche de vous;

 

3.                  Le matériel est constitué de photos et vidéos sur lesquelles ont y retrouve ces deux victimes nues ou encore votre belle-fille performant certains actes sexuels;

 

4.                  Les actes sexuels vous impliquent personnellement et vous les avez filmés et photographiés;

 

5.                  Le matériel se rapporte à différentes périodes de l’adolescence de votre belle-fille sur une période d’environ quatre ans;

 

iv.                 Le nombre de fichier photos et vidéos qui ont été saisis. Cela dénote qu’il ne s’agit pas de quelque chose de momentané mais plutôt qu’une certaine habitude s’était installé chez vous à conserver de telles choses pour vos propres fins.

 

[19]     La cour considère comme atténuant les facteurs suivants :

 

a.                   Les admissions que vous avez faites quant à la commission de l’infraction de possession de pornographie juvénile, reconnaissant ainsi une certaine responsabilité de votre part et évitant aussi aux victimes de témoigner;

 

b.                  L’absence d’antécédents judiciaires et de fiche de conduite qui réfèrent à des infractions similaires;

 

c.                   Le fait que votre carrière militaire se soit terminée rapidement en relation avec ces incidents, au point où un retrait de vos fonctions militaires vous a été imposé et que votre carrière a fait l’objet d’une révision administrative entraînant ainsi votre libération au mois d’avril 2011 sous le motif 2 a) parce que votre conduite était non satisfaisante, constitue un facteur atténuant qui doit être considéré même si cela ne constitue pas en soi une sentence de nature disciplinaire. En effet, le fait de mettre fin à votre service en tant que membre des Forces canadiennes est un processus purement administratif guidé par des paramètres juridiques différents du système disciplinaire mais dont la cour doit tenir compte en raison des faits qui y sont reliés et des conséquences indirectes qui en découlent;

 

d.                  Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues, de certains de vos pairs et des médias, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que le genre de conduite que vous avez eu ne sera tolérée d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

 

[20]           Il est important de considérer que l’article 163.1 du Code criminel, tel qu’il était en vigueur au moment de la commission de l’infraction, comporte l’imposition obligatoire par un tribunal d’une sentence d’emprisonnement pour une période minimale de 45 jours.

 

[21]           La Cour devra donc infliger une peine d'emprisonnement au contrevenant parce que cela est obligatoire en vertu des effets résultant de la combinaison de l’alinéa 130(2)(a) de la Loi sur la défense nationale qui prévoit l’imposition de la peine minimale prescrite à la disposition du Code criminel applicable, et l’article 163.1 du Code criminel qui prévoit l’imposition obligatoire d’une sentence d’emprisonnement pour une période minimale de 45 jours.

 

[22]           La question qui se pose à ce moment-ci, est de savoir quelle devrait-être la durée d'une telle peine d'emprisonnement pour assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline?

 

[23]           Il est important de souligner que la cour est d’avis que dans les cas ou les actes reprochés débordent le cadre disciplinaire et qu'ils constituent une activité proprement criminelle, alors là, le juge militaire qui impose la sentence doit non seulement regarder ces infractions à la lumière des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes mais aussi dans l'optique de l'exercice d'une juridiction pénale concurrente.

 

[24]           À cet effet, dans une perspective d’application du principe de l’harmonisation des peines, une étude de la jurisprudence soumise par les parties qui couvre une période récente de 2006 à 2012, et qui contient des décisions procédant à une analyse de diverses décisions en matière de sentence en matière de possession de pornographie juvénile, comprenant aussi d’autres infractions comme le voyeurisme, indique l’existence d’une grande variété de période d’emprisonnement allant presque du minimum jusqu’à au moins une période de 2 ans moins un jour. Cependant, sans être une référence formelle, pour des circonstances similaires, les cours canadiennes semblent imposer une sentence variant de 6 à 18 mois d’emprisonnement, la plupart des décisions s’en tenant plus souvent autour d’une période de 9 à 12 mois d’emprisonnement.

 

[25]           Comme l’a si bien écrit le juge Parent dans la décision R c É C au paragraphe 70 :

 

Comme l’écrit la Cour suprême dans l’arrêt Sharpe, la pornographie juvénile implique l’exploitation d’enfants et la possession de pornographie juvénile n’a aucune valeur sociale.

 

[26]           Dans le cas qui nous occupe, la nature particulière de la pornographie juvénile possédée par le contrevenant constitue un facteur aggravant particulier dont la cour doit tenir compte. En réalisant des vidéos et photographies qu’il a gardées sur son ordinateur, le soldat Larouche a contribué à l’exploitation de deux jeunes filles sans aucune raison valable et sur une période de temps importante en ce qui concerne l’une d’elle.

 

[27]           De plus, l’infraction de voyeurisme ne fait que souligner à nouveau que le contrevenant visait d’abord à assouvir ses propres désirs sexuels en n’hésitant pas à bafouer l’intégrité physique et psychologique d’une personne qui lui faisait confiance.

 

[28]           Le témoignage de V.C. concernant les habitudes du soldat Larouche de lui exposer les photos d’autres femmes nues qu’il connaissait, le fait de prendre des photos d’elle dans la douche, les représentations fausses quant à sa véritable fonction au sein des Forces canadiennes et la manipulation qu’il a exercée sur elle sont des faits inquiétants, qui ajoutés à ceux entourant la commission des infractions, militent en faveur d’une peine sérieuse d’emprisonnement.

 

[29]           Je ne peux passer sous silence le fait que la cour ne dispose pas d’un profil de l’accusé, autant sur son attitude quant à la commission des infractions, qu’en ce qui a trait à son profil psychologique. Il est clair que cela rend plus difficile l’élaboration d’une sentence juste et appropriée dans les circonstances. Il est clair que la cour est en mesure de déduire que le soldat Larouche a une propension à photographier et à filmer des femmes nues et certains ébats sexuels et qu’il ne semble pas vouloir s’en cacher. Au contraire, il semble amasser de telles choses. De plus, il semble vouloir habituellement impliquer des personnes qui lui sont proches, sans égard à leur âge.

 

[30]           Il est clair qu’il existe un problème comportemental chez le contrevenant et l’absence d’information à cet effet, particulièrement quant à sa teneur, la possibilité de récidive et surtout ses avenues de résolution, sans militer nécessairement pour l’infliction d’une peine d’emprisonnement nécessairement plus longue, ne favorise pas d’en considérer une plus courte.

 

[31]           Après l’examen de la jurisprudence, et tenant compte des principes et objectifs applicables à la détermination de la sentence, incluant ceux relatifs à la dénonciation et à la dissuasion, et à la lumière des facteurs aggravants et atténuants, j’en viens à la conclusion qu’une peine d’emprisonnement pour une durée de 12 mois serait appropriée et juste dans les circonstances.

 

[32]           Conformément à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale, considérant que les deux infractions pour lesquelles j’ai prononcé la sentence sont des infractions primaires tel que défini à l’article 196.11 de la Loi sur la défense nationale, j’ordonne, tel qu’il appert du formulaire réglementaire ci-joint, le prélèvement sur le soldat Larouche du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique.

 

[33]           Conformément à l’article 227.01 de la Loi sur la défense nationale, considérant que les deux infractions pour lesquelles j’ai déclaré coupable le contrevenant sont des infractions désignées tel que défini à l’article 227 de la Loi sur la défense nationale, et je vous enjoins, tel qu’il appert du formulaire réglementaire ci-joint, de vous conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels à perpétuité conformément au paragraphe 227.02 (2.1) de la Loi sur la défense nationale.

 

[34]           J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme, tel que me l’y oblige l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable, ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès.

 

[35]           La poursuite a demandé à cette cour d’émettre une ordonnance de confiscation de biens qui ont été saisis chez le contrevenant, particulièrement en ce qui concerne le matériel de pornographie juvénile. Elle a suggéré que la cour pouvait utiliser l’article 249.25 de la Loi sur la défense nationale à cette fin. Cet article se lit comme suit :

 

 (1) Le tribunal militaire qui prononce une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction visée par le code de discipline militaire doit ordonner que tout bien obtenu par la perpétration de l’infraction soit restitué à qui y a apparemment droit, si, lors du procès, le bien se trouve devant lui ou a été détenu de façon à pouvoir être immédiatement rendu à cette personne en vertu de l’ordonnance.

 

(2) Dans le cas où il ne prononce pas de déclaration de culpabilité mais est convaincu qu’une infraction a été commise, le tribunal militaire peut également procéder de la manière et dans les conditions prévues au paragraphe (1).

 

(3) Le présent article ne permet toutefois pas de prendre une ordonnance à l’égard :

 

a) de biens pour lesquels un acheteur de bonne foi a acquis contre paiement un titre légitime;

 

b) d’une valeur payée ou acquittée de bonne foi par une personne qui y était tenue;

 

c) d’un effet de commerce, acquis ou reçu de bonne foi, par voie de transfert ou remise, à titre onéreux, par une personne n’ayant pas connaissance de l’infraction ni d’aucun motif raisonnable de soupçonner qu’elle avait été commise.

 

(4) L’ordonnance prise sous le régime du présent article est exécutée par les personnes qui sont habituellement chargées de donner effet aux décisions du tribunal militaire.

 

[36]           À mon avis, le libellé de l’article 249.25 de la Loi sur la défense nationale ne permet pas à cette cour d’émettre une ordonnance de confiscation d’un bien. En effet, le but de cette disposition est de rendre à son propriétaire un bien qui a servi à la perpétration de l’infraction et non pas de confisquer ce bien en raison de sa nature pour en priver définitivement son propriétaire.

 

[37]           J’ai analysé aussi à la possibilité pour cette cour d’émettre une ordonnance de confiscation des biens qui ont servi à la commission de l’infraction de possession de pornographie juvénile en vertu de l’article 164.2 du Code criminel, tel que suggéré par la poursuite.

 

[38]           D’entrée de jeu, il est important de noter que le législateur a prévu dans la Loi sur la défense nationale certaines ordonnances qu’un tribunal peut faire, tel que la restitution de certains biens à l’article 249.25 ou encore concernant l’interdiction de possession d’une arme à l’article 147.1. Même si certaines ordonnances sont spécifiées à la Loi sur la défense nationale, celle relative à la confiscation d’un bien n’apparaît nulle part dans cette loi.

 

[39]           Il est clair pour ce tribunal qu’il ne peut exercer une telle prérogative en s’inspirant directement de cette disposition du Code criminel.

 

[40]           Il m’a été suggéré par la poursuite qu’en raison du libellé de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale, la cour martiale aurait autorité pour émettre une telle ordonnance. Cet article se lit comme suit :

 

 (1) La cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle, notamment le pouvoir de punir l’outrage au tribunal.

 

(2) Chaque juge militaire a ces mêmes attributions pour l’exercice des fonctions judiciaires que lui confie la présente loi, sauf lorsqu’il préside une cour martiale.

 

[41]           À mon avis, étant donné que l’infraction de pornographie juvénile relève de la compétence de la cour martiale dans cette affaire, la question de savoir si cette cour peut émettre une ordonnance qui découle directement de l’imposition d’une sentence concernant cette même infraction va de soi. En effet, si cette cour a autorité pour traiter cette infraction, il en va de même pour le fait d’infliger une peine et d’imposer toutes les ordonnances connexes à l’infliction d’une peine reliée à cette infraction, ce que d’ailleurs une cour supérieure de juridiction criminelle serait en mesure de faire.

 

[42]           J’en viens à la conclusion que cette cour a autorité pour émettre une ordonnance en vertu de l’article 164.2 du Code criminel et en conséquence j’ordonne la confiscation au profit de Sa Majesté des biens utilisés pour commettre l’infraction de possession de pornographie juvénile, soient les biens portant le numéro 0935656B-14 et 0935656B-15 à la pièce 13, et qu’il en soit disposé selon les instructions du Directeur des poursuites militaires.

 

[43]           Il est aussi de mon devoir d’indiquer que dans les circonstances de cette affaire, et qu’en raison de ma conclusion quant à l’application et la portée de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale, je considère que cette cour martiale est autorisé à émettre à l’égard du contrevenant une ordonnance d’interdiction concernant le fait de se trouver en contact ou en présence d’une personne âgée de moins de seize ans dans certains lieux comme le permet l’article 161 du Code criminel.

 

[44]           En effet, compte tenu du problème comportemental du contrevenant, tel que révélé par la preuve, et considérant la nature du matériel de pornographie juvénile possédé par ce dernier, et en l’absence de toute indication quant à la teneur, la nature, la possibilité de récidive et la manière envisagée pour régler le problème comportemental, j’en viens à la conclusion qu’il est dans l’intérêt de la protection du public, qui réprouve la commission de ce genre d’infraction, qu’une telle ordonnance soit rendue.

 

[45]           En conséquence, la cour interdit au contrevenant de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire, de chercher, d’accepter ou de garder un emploi — rémunéré ou non — ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans, d’avoir des contacts — notamment communiquer par quelque moyen que ce soit — avec une personne âgée de moins de seize ans, à moins de le faire sous la supervision d’une personne adulte.

 

[46]           Je me dois de déplorer le fait que la cour martiale ne possède pas la possibilité de requérir d’un agent de probation la confection d’un rapport écrit concernant l’accusé afin d’aider le tribunal à infliger une peine, tel que prévu à l’article 721 du Code criminel. Dans le système actuel, la cour repose uniquement sur la volonté du contrevenant de se soumettre à l’exercice nécessitant la confection d’un tel rapport et elle n’est pas en position de l’obliger de le faire ou encore de lui reprocher quoi que ce soit sur cette question s’il ne le fait pas.

 

[47]           L’absence d’un tel outil restreint l’obtention d’éléments qui permettent au juge militaire de déterminer la sentence juste et appropriée, particulièrement lorsqu’elle exerce une juridiction pénale concurrente.

 

[48]           Dans ce contexte, et sachant que la poursuite considérait que cette cour ne pouvait émettre une ordonnance sous l’article 161 du Code criminel, et que l’autorité de cette cour d’émettre d’autres ordonnances n’est pas clairement spécifiée à la Loi sur la défense nationale, le choix de la poursuite de procéder avec ces accusations devant la cour martiale au lieu d’un tribunal civil de juridiction criminel soulève plusieurs questions. Considérant le contexte particulier de ce dossier, il est de bon droit de la part de ce tribunal de soulever la question, à savoir si l’intérêt public et celui de la justice n’aurait pas été mieux servi en procédant devant un tribunal ayant pleinement et clairement la compétence pour traiter ce genre d’infraction.

 

[49]           Le choix du forum approprié relève de l’exercice discrétionnaire de la part de la poursuite, et il n’est pas de l’intention de ce tribunal de contester ce choix. Par contre, à la lumière de cette affaire et des faits qui ont été apportés devant cette cour martiale, il ne lui est pas interdit de soulever la question dans la perspective où l’intérêt public ne semble pas, à premières vues, être le mieux servi en raison des outils confiés par le législateur à ce tribunal. Je souhaite ardemment qu’une réflexion sur le sujet puisse avoir lieu.

 

[50]           Soldat Larouche, levez-vous, s'il vous plaît.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[51]           CONDAMNE le soldat Larouche à l’emprisonnement pour une période de 12 mois.

[52]           ORDONNE le prélèvement sur le soldat Larouche du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique conformément à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale.

 

[53]           ORDONNE de vous conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels à perpétuité conformément au paragraphe 227.02 (2.1) de la Loi sur la défense nationale.

 

[54]           ORDONNE en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et l’article 164.2 du Code criminel, la confiscation au profit de Sa Majesté des biens utilisés pour commettre l’infraction de possession de pornographie juvénile, soient les biens portant le numéro 0935656B-14 et 0935656B-15 à la pièce 13, et qu’il en soit disposé selon les instructions du Directeur des poursuites militaires.

 

[55]           INTERDIT en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et l’article 161 du Code criminel, au contrevenant de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire, de chercher, d’accepter ou de garder un emploi — rémunéré ou non — ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans, d’avoir des contacts — notamment communiquer par quelque moyen que ce soit — avec une personne âgée de moins de seize ans, à moins de le faire sous la supervision d’une personne adulte.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires
Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette Desbiens, Service d'avocats de la défense
Avocat pour l'ex-soldat R. Larouche

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