Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 560 - Appel rejeté

Date de l’ouverture du procès : 15 octobre 2012.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, exploitation sexuelle (art. 153 C. cr.).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, contacts sexuels (art. 151 C. cr.).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, incitation à des contacts sexuels (art. 152 C. cr.).
•Chef d’accusation 6 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 4, 5 : Coupable. Chefs d’accusation 3, 6 : Retirés.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 12 mois, destitution du service de Sa Majesté et une rétrogradation au grade de sous-lieutenant.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Moriarity, 2012 CM 3022

 

Date : 20121205

Dossier : 201229

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine D.J. Moriarity, contrevenant

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication : par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité des personnes décrites dans le présent jugement comme étant les plaignants :

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               La cour a déjà déclaré le capitaine Moriarity coupable de quatre infractions punissables en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Les deux premiers chefs d’accusation concernaient deux infractions d’exploitation sexuelle allant à l’encontre de l’article 153 du Code criminel, le troisième, une infraction d’agression sexuelle allant à l’encontre de l’article 271 du Code criminel et le quatrième, une infraction d’incitation à des contacts sexuels allant à l’encontre de l’article 152 du Code criminel.

 

[2]               Les deux infractions d’exploitation sexuelle commises à l’endroit d’une plaignante concernent des incidents survenus en juillet et août 2010 et en mars 2011 au Centre d’instruction d’été des cadets de l’armée de Vernon. Les deux autres infractions, qui ont été commises à l’endroit d’un plaignant, concernent des incidents survenus au Manège militaire Ashton, à Victoria, (Colombie-Britannique), entre mai 2009 et juillet 2011.

 

[3]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

 

[4]               Dans le contexte particulier d'une force armée, le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C'est grâce à la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, de manière fiable et confiante. Le système assure également le maintien de l'ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293).

 

[6]               La Cour suprême du Canada a également reconnu ce qui suit au paragraphe 31 du même arrêt :

 

Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

 

[7]               Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières.

 

[8]               Dans la présente affaire, le procureur de la poursuite et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe au sujet de la peine que la cour devrait infliger. Ils ont recommandé que la cour vous inflige une peine de douze mois d’emprisonnement et qu’elle prononce votre destitution du service de Sa Majesté et votre rétrogradation au grade de sous-lieutenant, afin de répondre aux exigences de la justice. Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire, notamment lorsque la peine n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public. (voir R c Taylor, 2008 CMAC 1, au paragraphe 21).

 

[9]               L’imposition d’une sentence représente la tâche la plus difficile que le juge doit accomplir. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans Généreux, à la page 293, « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». La Cour suprême du Canada a également souligné que, « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devraient être réprimés promptement, et dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[10]           L’objet fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.       protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.      dénoncer le comportement illégal;

 

c.       dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.      isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e.       favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

 

[11]           Lorsqu’il impose une peine, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.       la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

 

c.       la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.      le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de la cour martiale;

 

e.       enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[12]           La cour est d’avis que l’infliction de la peine en l’espèce devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. Il importe de rappeler que le principe de la dissuasion générale sous-entend que la peine infligée devrait non seulement avoir un effet dissuasif sur le contrevenant, mais également dissuader toute personne se trouvant dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites. De plus, il convient de souligner que, selon l’article 718.01 du Code criminel, la cour doit accorder une attention particulière à ces deux objectifs lorsqu’elle impose une peine relativement à une infraction constituant un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans.

 

[13]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la présente affaire concerne différentes infractions. En ce qui a trait à l’article 153 du Code criminel, il semble que cette disposition vise essentiellement à interdire à un adulte d’exploiter la vulnérabilité d’un adolescent à des fins sexuelles. À cet égard, dans l’arrêt R c Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, le juge Laforest, qui a rédigé le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada, a analysé la notion de confiance rattachée à cette disposition et a décrit comme suit l’objet que visait le législateur aux paragraphes 35 et 36 :

 

35.           La confiance, nous enseigne Le Grand Robert, est le fait de croire, l'espérance ferme en quelque chose, la foi en quelqu'un et l'assurance qui en découle. En anglais, le mot «trust» peut avoir diverses significations, surtout dans un contexte juridique. Puisque le législateur a utilisé le mot « confiance » dans la version française, je doute que le mot « trust » au par. 153(1) réfère au concept d'equity. Je souscris donc aux réserves exprimées par le juge Blair. « Trust » doit plutôt être interprété suivant son sens premier : [TRADUCTION] « [c]onfiance en une qualité ou un attribut d’une personne ou d’une chose, ou en la véracité d’une déclaration ». Le mot « confidence » se définit ainsi : [TRADUCTION] « [a]ttitude morale de celui qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose; espérance ferme, fiabilité, foi ».

 

36.           J'ajouterai que la définition de la portée des expressions utilisées par le législateur, tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l'adolescent et l’accusé, doit se faire en fonction du but et de l'objectif poursuivis par le législateur de protéger les intérêts des adolescents qui, en raison de la nature de la relation qu'ils vivent avec certaines personnes, se trouvent à l'égard de celles-ci en situation de vu1nérabilité et de faiblesse.

 

[14]           En ce qui concerne l’accusation d’incitation à des contacts sexuels, cette infraction rend criminelle toute conduite pouvant mener à des voies de fait. Toutefois, elle ne nécessite aucun contact physique réel.

 

[15]           Dans le cas de l’infraction d’agression sexuelle, j’aimerais souligner que, dans c Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, le juge Major, de la Cour suprême du Canada, a exposé le raisonnement qui sous-tend la criminalisation des voies de fait, lorsqu’il s’est exprimé comme suit, au paragraphe 28 :

 

Le raisonnement qui sous-tend la criminalisation des voies de fait explique cet état de choses. La société est déterminée à protéger l'intégrité personnelle, tant physique que psychologique, de tout individu. Le pouvoir de l'individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l'autonomie de l’être humain. L'inclusion des infractions de voies de fait et d'agression sexuelle dans le Code témoigne de la détermination de la société à assurer la sécurité des personnes, en les protégeant des contacts non souhaités ou des menaces de recours à la force.

 

[16]           À l’instar des tribunaux civils, les tribunaux militaires accordent une attention particulière aux infractions de cette nature qui concernent un abus de confiance ou d’autorité dans le contexte d’un mouvement destiné aux adolescents, notamment lorsque cet abus est commis par un adulte au détriment de l’intégrité physique et psychologique du jeune. Dans ce genre de situation, l’abus mine la cohésion et le moral des unités de cadets et de leurs membres, puisqu’il va à l’encontre des principes de respect d’autrui, d’intégrité et de responsabilité que doivent respecter tous les Canadiens d’âge adulte, y compris les membres des Forces canadiennes, et plus spécialement les officiers du Cadre des instructeurs de cadets (CIC) œuvrant au sein du Mouvement des cadets du Canada.

 

[17]           Il est important de rappeler que l’Organisation des cadets du Canada est un programme jeunesse qui est parrainé par le gouvernement fédéral et qui ne fait pas partie des Forces canadiennes, ainsi que le prévoit le paragraphe 46(3) de la Loi sur la défense nationale. Les cadets sont des jeunes dont l’âge se situe entre douze et dix-neuf ans, comme le prévoit le paragraphe 46(1) de la Loi sur la défense nationale.

Il convient de souligner que, selon cette même disposition, c’est le ministre de la Défense nationale qui est investi du pouvoir d’autoriser la constitution d’une organisation de cadets et que cette organisation est assujettie à l’autorité et à la surveillance des Forces canadiennes.

 

[18]           Selon le chapitre 11-03 des Ordonnances sur l’administration et l’instruction des cadets (OAIC), établi sous l’autorité du chef d’état-major de la Défense, la mission du Programme de cadets est la suivante :

 

« 6. Mission. Le Programme des cadets a pour mission de favoriser un épanouissement chez les jeunes et de les préparer à faire la transition à l'âge adulte en leur inculquant les connaissances nécessaires pour relever les défis d'une société moderne grâce à un programme communautaire dynamique. »

 

[19]           Seuls les officiers du CIC sont membres des Forces canadiennes. Le CIC est un sous-élément de la Force de réserve, laquelle fait partie des Forces canadiennes, tout comme la Force régulière et la Force spéciale, comme le prévoit le chapitre 2-8 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC), également établi sous l’autorité du chef d’état-major de la Défense.

[20]           Les fonctions des officiers du CIC consistent à administrer, à former et à superviser les cadets, conformément au chapitre 23-01 des OAIC. Au cours de l’instruction d’été, les cadets-cadres et les cadets peuvent aider les officiers à accomplir leurs tâches liées à la formation, à la supervision et à l’administration. Bien entendu, comme c’est le cas dans les Forces canadiennes, il existe une hiérarchie entre les officiers du CIC, les cadets-cadres et les cadets selon le grade et les fonctions de chacun.

[21]           Le contrevenant a rencontré une cadette en mars 2007 lors d’un stage d’instruction collective d’une durée d’une semaine au Centre d’instruction d’été de cadets de l’armée de Vernon (CIECAV) à Vernon, en Colombie-Britannique. La cadette était âgée de 13 ans à l’époque. Ils ont entretenu une relation à distance pendant une période de plus de quatre ans au cours de laquelle ils se sont échangé de nombreux courriels et messages textes, en plus d’avoir plusieurs conversations en ligne. Pendant toutes ces années, ils ont eu des discussions de nature sexuelle, la plupart du temps à l’initiative du contrevenant. La cadette a fourni à celui-ci au moins trente photographies ou bandes vidéo explicites dans lesquelles elle apparaissait partiellement ou totalement nue.

[22]           Au cours de l’été de 2010, le contrevenant et la cadette se sont rencontrés à quelques occasions au CIECAV. Ils ont eu deux fois des relations sexuelles cet été-là au camp, soit une en juillet et une autre en août. Ils ont continué à communiquer de la même façon jusqu’à ce qu’ils se voient lors d’un autre stage d’instruction collective au CIECAV en mars 2011. Ils se sont rencontrés tard un soir et ont eu des relations sexuelles.

[23]           Habitant dans une ville différente, la cadette a pris des dispositions pour déménager à Victoria, où le contrevenant vivait. Au cours de l’été 2011, elle a appris que le contrevenant avait été renvoyé à son unité, parce qu’il avait eu une conversation sexuelle déplacée avec un cadet en ligne. Elle a alors décidé de révéler à la police militaire la relation qu’elle avait eue avec le contrevenant.

[24]           Au cours du printemps de 2008, le contrevenant a noué une relation avec un cadet au corps de cadets de sa région. La relation n’était à l’origine qu’une relation professionnelle. Le contrevenant a ajouté le cadet dans ses amis sur son compte Facebook. Après plusieurs mois, le contrevenant a commencé à formuler des remarques inappropriées de nature sexuelle dans le cadre de discussions en ligne. Pendant l’année 2009, il a également posé au cadet des questions concernant ses expériences sexuelles et ses pratiques ou préférences en la matière. Au cours de l’automne de 2010, le cadet a demandé au contrevenant de cesser cette pratique, et le contrevenant s’est conformé à cette demande pendant quelques mois. Cependant, au début de l’année 2011, il a recommencé. De février à mai 2011, les interactions du contrevenant avec le cadet sont devenues plus explicites et ont finalement abouti à des contacts à des fins d’ordre sexuel de la part du capitaine Moriarity sur la personne du cadet, lesquels contacts ont eu lieu à trois moments différents dans un établissement de la Défense, alors que le capitaine Moriarity était en service.

[25]           Le troisième incident s’est terminé par une altercation physique au cours de laquelle le contrevenant a menacé le cadet de faire de sa vie un enfer. Par la suite, aucune autre interaction n’a eu lieu entre eux.

[26]           Le 25 août 2011, le contrevenant a été arrêté et mis en liberté sous condition le même jour. Des accusations ont été portées en février 2012 et mentionnées dans plusieurs médias au cours du même mois. En conséquence, le contrevenant a été congédié par son employeur et expulsé par son propriétaire. Le contrevenant a également été rejeté par plusieurs de ses amis et connaissances.

[27]           Le contrevenant voit un conseiller de la région de Victoria depuis que des accusations ont été portées contre lui en février 2012. Il a été accepté dans le programme d’administration des affaires du collège Camosun et travaille à temps partiel. Il a l’intention de suivre un traitement et de participer à des séances de consultation pour délinquants sexuels auprès du Dr Monkhouse, à Victoria.

[28]           Le contrevenant a déposé un rapport d’évaluation psychologique rédigé par un psychologue, le Dr Bruce Monkhouse, et daté du 26 novembre 2012; en le lisant, la cour a obtenu les renseignements supplémentaires suivants :

a.       Le capitaine Moriarity s’est décrit comme une personne bisexuelle depuis quelques années. Il doit continuer à travailler sur son problème d’insécurité et de confusion relativement à son orientation sexuelle.

 

b.      Le capitaine Moriarity n’est pas attiré sexuellement vers des enfants ou des adolescents et la situation mettant en cause les deux victimes était unique.

 

c.       Le capitaine Moriarity accepte l’entière responsabilité des événements qui sont survenus et ne tente pas de minimiser le préjudice causé aux victimes. Il se sent très coupable et éprouve beaucoup de remords pour son inconduite.

 

d.      Le capitaine Moriarity a pris des mesures pour atténuer le risque qu’il représente et il a l’intention de participer à d’autres séances de consultation aussi longtemps que ce sera nécessaire.

 

e.       Selon la récente évaluation dont il a fait l’objet, le capitaine Moriarity est considéré à juste titre comme une personne dont le risque de récidive sexuelle est faible à modéré.

 

f.        Le capitaine Moriarity ne constitue pas un danger imminent pour le public, notamment pour les enfants ou les adolescents. Il peut être contrôlé en toute sécurité dans la collectivité, mais il doit suivre un traitement psychologique ou un traitement pour délinquants sexuels afin de résoudre ses problèmes criminogènes sous-jacents.

[29]           Dans R c L.(J.J.), 1998 CANLII 12722 (QCCA), aux pages 4 à 7, la juge Otis, qui a rédigé le jugement au nom de la Cour d’appel du Québec, a énuméré une série de facteurs caractérisant la responsabilité personnelle du contrevenant aux fins de la détermination de la peine à lui infliger pour les infractions sexuelles qu’il avait commises, y compris les facteurs suivants :

a.       la nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l’usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation;

 

b.      la fréquence des infractions et l’espace temporel qui les contient;

 

c.       l’abus de confiance et l’abus d’autorité caractérisant les relations du contrevenant avec la victime;

 

d.      les désordres sous-jacents à la commission des infractions : détresse psychologique du contrevenant, pathologie et déviance, intoxication;

 

e.       les condamnations antérieures du contrevenant : proximité temporelle avec l’infraction reprochée et nature des condamnations antérieures;

 

f.        le comportement du contrevenant après la commission des infractions : aveux, collaboration à l’enquête, participation immédiate à un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière, s’il y a lieu, compassion et empathie à l’endroit des victimes;

 

g.       le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d’atténuation selon le comportement du contrevenant (âge du contrevenant, intégration sociale et professionnelle, commission d’autres infractions);

 

h.       la victime : gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique révélée, notamment, par l’âge, la nature et l’ampleur de l’agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l’abus de confiance ou d’autorité, les séquelles traumatiques, etc.

 

[30]           Il existe aussi d’autres facteurs qui ne sont pas énumérés, comme l’existence ou l’absence de préméditation, la consommation d’alcool ou le délai lié au traitement de l’accusation. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et d’autres facteurs peuvent toujours être pris en compte.

 

[31]           Pour arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants suivants. Voici les facteurs qu’elle considère comme des éléments aggravants :

 

a.       En premier lieu, la gravité objective des infractions. La cour vous a déjà déclaré coupable de deux infractions visées à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir touché, à des fins d’ordre sexuel, un adolescent vis-à-vis duquel vous étiez en situation d’autorité, contrairement à l’alinéa 153(1)a) du Code criminel. La gravité objective de cette infraction parle d’elle-même, puisque son auteur est passible d’un emprisonnement minimal de 45 jours et maximal de 10 ans, ce qui montre bien la répugnance et l’aversion que la société canadienne éprouve à l’égard de la perpétration d’infractions de cette nature. Vous avez également été déclaré coupable d’une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir commis une agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel. L’auteur de ce type d’infraction est passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans. Enfin, vous avez été déclaré coupable d’une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir incité une personne de moins de 16 ans à avoir des contacts sexuels avec vous, contrairement à l’article 152 du Code criminel. L’auteur de ce type d’infraction est passible d’un emprisonnement minimal de 45 jours et maximal de 10 ans.

 

b.      En deuxième lieu, la gravité subjective des infractions, qui comporte trois aspects. Il importe d’abord d’examiner la fréquence et le contexte des infractions. Vous avez commis plusieurs actes, au cours d’une période assez longue, sur la personne de deux victimes, alors que vous étiez en service dans un établissement de la défense. Aucun des incidents en question ne s’est produit lors d’une situation imprévue; chacun d’eux constituait plutôt une conduite intentionnelle et délibérée.

c.       En troisième lieu, votre insécurité et votre confusion, qui ont totalement occulté votre jugement à ce qui a trait à la relation qui se formait entre les victimes et vous-même. D’une part, vous avez noué une relation romantique et sexuelle avec une cadette dans le cadre de votre expérience au sein du mouvement des cadets; or, la formation que vous avez reçue comme officier, y compris la formation concernant les relations interdites entre le personnel et les cadets eux‑mêmes, aurait dû être suffisante pour vous permettre de comprendre que vous avez tiré profit d’une adolescente vulnérable et que vous avez abusé de sa confiance. D’autre part, vous avez tenté de nouer une autre relation romantique et sexuelle avec un cadet de votre unité en vous servant et en abusant de votre autorité pour satisfaire vos propres désirs. De plus, vous avez abusé de la confiance que vos supérieurs avaient en vous, ainsi que de celle des parents des victimes et de l’ensemble de la société canadienne, qui a des attentes précises en ce qui a trait au respect de la mission des cadets.

d.      En dernier lieu, les répercussions de vos agissements pour les victimes, qui sont indéniablement importantes. D’abord, le cadet a dû avoir une altercation physique avec vous pour vous faire comprendre qu’il en avait assez. Il a dû vous repousser plusieurs fois afin que vous respectiez son intégrité physique et psychologique. Dans le cas de la cadette, elle parvient à faire face aux événements. Elle se sent trahie et, loin d’éprouver l’assurance inhérente à une expérience au sein du mouvement des cadets, elle essaie encore de bâtir une sorte de confiance en elle qui lui permettrait de voir la vie sous un angle plus positif. Elle avait mis toute sa confiance en vous et vous l’avez laissée tomber.

[32]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants mentionnés ci-dessous :

 

a.       Vos aveux et le regret que vous avez exprimé à l’égard de votre comportement à l’endroit des deux victimes, qui montrent que vous acceptez pleinement la responsabilité de vos gestes.

 

b.      L’absence d’annotation sur votre fiche de conduite. Rien n’indique que vous avez déjà commis une infraction, militaire ou criminelle, semblable, qu’elle soit liée ou non aux événements survenus.

 

c.       Le risque minime qu’un incident de cette nature se reproduise :

 

                                                               i.      Il appert de l’évaluation dont vous avez récemment fait l’objet que vous êtes décrit à juste titre comme une personne dont le risque de récidive sexuelle est faible à modéré.

 

                                                             ii.      Le fait que vous n’êtes pas attiré sexuellement vers les enfants ou les adolescents et que la situation mettant en cause les deux victimes était unique.

 

                                                            iii.      Le fait que vous ne représentez pas un danger imminent pour le public, notamment pour les enfants ou les adolescents.

 

                                                           iv.      Le fait que vous vous êtes engagé à prendre des mesures pour éliminer les facteurs de risque que vous présentez et que vous avez l’intention de participer à d’autres séances de consultation aussi longtemps que ce sera nécessaire.

 

[33]           La cour doit donc imposer une peine d’emprisonnement au contrevenant, à la fois parce que cette peine est nécessaire pour assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline militaire, conformément aux décisions militaires rendues sur le sujet, et parce qu’elle est requise en raison des effets de l’application combinée de l’alinéa 130(2)a) de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit l’imposition de la peine minimale prescrite par la disposition législative correspondante du Code criminel, et des articles 152 et 153 du Code criminel, qui exigent l’imposition d’un emprisonnement minimal de 45 jours.

[34]           Il convient maintenant de déterminer la durée de la peine d’emprisonnement à infliger pour assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline.

[35]           En ce qui a trait à la parité de la peine, la cour reconnaît, comme l’a souligné le procureur de la poursuite, qu’il appert manifestement de la jurisprudence que les infractions de cette nature nécessitent une peine allant de six à dix-huit mois d’emprisonnement. Dans les circonstances de la présente affaire, la peine proposée conjointement par les deux avocats se situe manifestement à l’intérieur de cette fourchette.

[36]           Selon une observation faite à la cour, en plus de la peine d’emprisonnement, il y aurait lieu de prononcer la rétrogradation du contrevenant au grade de sous-lieutenant.

[37]           Dans R c Fitzpatrick, [1995] C.M.A.J. n° 9, le juge Goodfellow, de la Cour d’appel de la cour martiale, a décrit la nature de cette peine, au paragraphe 31 :

La sentence de rétrogradation est une sentence sévère. Elle entraîne des conséquences sur le plan de la carrière et des pertes financières considérables, en plus d'une atteinte au statut social et professionnel au sein des Forces armées. C'est un truisme d'affirmer que le grade confère des privilèges, et le fait de rétrograder quelqu'un au plus bas grade constitue un pas de géant en arrière, qui sans doute ne sert pas uniquement à exercer un effet de dissuasion sur l'individu concerné, mais exerce aussi un effet de dissuasion évident et marqué à l'égard des autres. Il y a des occasions où une sentence prononcée en contexte militaire se distingue à bon droit des peines imposées en général par les tribunaux civils, et la rétrogradation est certes une sentence purement militaire.

[38]           Madame la juge Bennett a également exposé clairement le sens de cette peine lorsqu’elle a formulé les commentaires suivants au paragraphe 39 de la décision qu’a rendue la Cour d’appel de la cour martiale dans Reid c. R.; Sinclair c. R., 2010 CMAC 4 :

La rétrogradation est un instrument important faisant partie de la trousse utilisée par le juge militaire dans la détermination de la peine. La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenants ont perdu leur fonction de supervision.

[39]           La rétrogradation est donc une peine purement militaire qui traduit la perte de confiance à l’endroit du membre contrevenant. Tel qu’il est mentionné à l’article 140.2 de la Loi sur la défense nationale, la cour peut prononcer la rétrogradation du contrevenant en plus de le condamner à une peine d’emprisonnement.

[40]           Dans la présente affaire, il est bien connu que, vers l’époque de la perpétration des infractions, le contrevenant a été nommé commandant-adjoint de son unité et devait devenir le commandant du corps de cadets. À mon avis, afin d’exprimer la perte de confiance à l’endroit d’une personne qui occupe un poste de cette nature et qui a commis les infractions qui lui sont reprochées, il semble raisonnable de prononcer la rétrogradation du contrevenant en plus de le condamner à une peine d’emprisonnement en l’espèce. Cette peine traduirait la perte de confiance du milieu militaire à l’endroit du leadership du contrevenant et de sa capacité d’occuper des postes comme ceux de commandant-adjoint et de commandant d’une unité, eu égard aux circonstances ayant mené au dépôt des accusations dont la cour a été saisie.

[41]           Fait intéressant à souligner, les parties proposent également à la cour de prononcer la destitution du contrevenant en plus de le condamner à une peine d’emprisonnement. Sur ce point, j’ai fait savoir aux parties que j’envisageais la possibilité de ne pas donner suite à cette recommandation.

[42]           Ainsi que je le leur ai expliqué, je n’étais pas convaincu que cette peine serait appropriée dans les circonstances de la présente affaire. Même si la rétrogradation convenait, à mon sens, la destitution irait au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire en l’espèce. À mon avis, le fait que le contrevenant a perdu son emploi civil et qu’il a été expulsé de son appartement lorsque le dépôt des accusations a été rendu public a eu un effet de dénonciation et de dissuasion sur lui. Ces mesures ont montré très clairement la désapprobation de la société à l’égard des agissements du contrevenant et il ne me semblait pas nécessaire d’exprimer à nouveau cette désapprobation d’un point de vue strictement militaire, eu égard à l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants déjà examinés.

[43]           En définitive, à l’instar de la rétrogradation, la destitution est une sanction unique et purement militaire qui peut être imposée seule ou qui peut être prononcée en même temps que l’emprisonnement. J’ai mis en doute la nécessité de libérer le contrevenant des Forces canadiennes. Il m’a semblé que les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale étaient bien traduits par la peine d’emprisonnement, par la durée de cette peine et par la rétrogradation du contrevenant. Prononcer la destitution pourrait aller au-delà de la peine qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances de la présente affaire.

[44]           Cependant, après avoir donné aux parties la possibilité de présenter des observations supplémentaires à ce sujet, j’ai compris que les circonstances particulières de la présente affaire nécessitaient non seulement la prise en compte des objectifs de la détermination de la peine du point de vue criminel, mais également leur examen sous l’angle de la discipline militaire. La combinaison des deux points de vue a donné lieu à la suggestion formulée.

[45]           Envisagée sous cet angle, la destitution dénoncerait l’échec flagrant d’un officier des Forces canadiennes en ce qui a trait à l’accomplissement de ses fonctions et responsabilités ainsi que le fait qu’il a trahi la confiance qu’il avait de la part des Forces canadiennes, du mouvement des cadets, de sa chaîne de commandement et de ses subalternes. Je conviens avec les avocats que la peine à infliger devrait aussi mettre l’accent sur la violation du rôle et des responsabilités d’un officier du CIC occupant un poste de confiance clé. La combinaison de la rétrogradation et de la destitution aurait pour effet d’accentuer cette dénonciation.

[46]           La destitution entraînera plusieurs conséquences directes, dont deux très importantes : d’abord, la libération du contrevenant des Forces canadiennes ne sera plus une « libération honorable », mais une « libération pour inconduite ». En deuxième lieu, cette peine montrera également que les personnes qui trahissent la confiance placée en elles en abusant sciemment de la confiance et de l’intégrité physique des adolescents dont elles ont la responsabilité ne méritent plus d’avoir le privilège de diriger des jeunes dans le mouvement des cadets et perdront ce privilège.

[47]           Une peine juste et équitable devrait tenir compte de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du contrevenant dans le contexte particulier de l’affaire. En conséquence, la cour acceptera la recommandation présentée par les avocats et vous condamnera à une peine d’emprisonnement de 12 mois, en plus de prononcer votre destitution du service de Sa Majesté et votre rétrogradation au grade de sous-lieutenant, étant donné que cette peine ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[48]           Conformément à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale, compte tenu du fait que les infractions visées par la présente condamnation sont toutes des infractions primaires au sens de l’article 196.11 de la cette même loi, j’ordonne, tel qu’il est mentionné sur le formulaire ci-joint, le prélèvement sur la personne du capitaine Moriarity du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique.

[49]           Conformément à l’article 227.01 de la Loi sur la défense nationale et compte tenu du fait que les infractions visées par la présente condamnation sont des infractions désignées au sens de l’article 227 de la Loi sur la défense nationale, je vous enjoins, comme le montre le formulaire réglementaire ci-joint, de vous conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant toute votre vie.

[50]           Je me suis également demandé s’il convenait en l’espèce de rendre une ordonnance d’interdiction de possession d’arme, comme le prévoit l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. À mon avis, cette ordonnance n’est ni souhaitable ni nécessaire pour assurer la sécurité du contrevenant ou celle d’autrui en l’espèce, eu égard, notamment, aux critères applicables aux termes de l’article 109 du Code criminel dans le contexte d’une infraction d’abus sexuel. Même si l’infraction susmentionnée est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans, j’estime qu’au cours de la perpétration des infractions en question, il n’y a pas eu d’usage, de tentative ou de menace de violence contre autrui et, en conséquence, je ne rendrai pas d’ordonnance en ce sens.

DÉCISION

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[51]           VOUS CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de 12 mois et prononce votre destitution du service de Sa Majesté et votre rétrogradation au grade de sous‑lieutenant.

[52]           ORDONNE le prélèvement sur votre personne du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique.

[53]           Vous ENJOINT de vous conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant toute votre vie.


 

Avocats :

 

Lieutenant-colonel S. Richards, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Capitaine Bruce et Capitaine de corvette M. Létourneau,

Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du capitaine D.J. Moriarity

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