Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 20 février 2007.
Endroit : Garnison Edmonton, édifice 179, Edmonton (AB).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, traffic (art. 5(1) LRCDAS).
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 130 LDN, possession d’une substance (art. 4(1) LRCDAS).
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 1500$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Le Soldat S.C. Johnstone, 2007 CM 4007
Dossier :200662
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
EDMONTON (ALBERTA)
1er BATAILLON DES SERVICES
Date :20 février 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
SOLDAT S.C. JOHNSTONE
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Soldat Johnstone, la cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité aux chefs d’accusation numéro 2 et numéro 3 vous déclare maintenant coupable de ces chefs d’accusation. Vous pouvez rompre et vous asseoir aux côtés de votre avocat.
[2] Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclaire la cour quant au contexte dans lequel vous avez commis les infractions.
[3] Les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle au Canada, ont été énoncés de différentes manières. En général, ces principes s’appuient sur le besoin de protéger le public, lequel comprend les Forces canadiennes. Parmi les principes fondamentaux, il y a la dissuasion, qui comprend aussi bien l’effet dissuasif produit sur la personne visée que l’effet dissuasif général produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre des infractions du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la dénonciation du comportement illégal et, le dernier mais non le moindre, le principe de l’amendement et de la réinsertion sociale du contrevenant Il revient à la cour de déterminer si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces principes.
[4] La cour a également tenu compte de l’orientation suggérée par les articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada, plus précisément des objectifs suivants : dénoncer le comportement illégal; dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; favoriser la réinsertion sociale des délinquants; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[5] La cour est aussi tenue, lorsqu’elle inflige une peine, de suivre les directives de l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, qui lui impose de tenir compte de toutes les conséquences indirectes de sa décision ou de la peine qu’elle prononce et d’infliger au contrevenant une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et à ses antécédents.
[6] La cour a également tenu compte du principe voulant que les peines infligées aux contrevenants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables ne soient pas disproportionnées. La cour a aussi le devoir d’infliger la peine la plus clémente compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs.
[7] Dans R. c. L.P., [1998] A.C.A.C. no 8, CACM‑418, la Cour d’appel de la cour martiale a affirmé clairement que le juge appelé à prononcer une peine ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit dans l’intérêt public. La poursuite et votre avocat ont tous les deux proposé que vous soyez condamné à une amende 1 500 $. Votre avocat a recommandé que cette amende soit payée par mensualités de 300 $.
[8] La cour doit aussi garder à l’esprit que l’objectif fondamental de la peine
est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs des Forces armées. La discipline est cette qualité que tout membre des FC doit avoir pour l’aider à placer les intérêts du Canada et des Forces canadiennes devant tout intérêt personnel. Ce besoin existe parce que les membres des Forces canadiennes doivent obéir rapidement et sans se faire prier aux ordres légitimes, même si ceux‑ci peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, comme des blessures ou même la mort. Quoique la discipline soit une qualité qui est enseignée et cultivée par les Forces canadiennes dans le cadre de la formation et des exercices, il s’agit en définitive d’une qualité personnelle essentielle à l’efficacité opérationnelle de toute force militaire.
[9] La Cour suprême du Canada a évoqué la notion de discipline dans les Forces armées au paragraphe 60 de R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, un arrêt majeur. La Cour a écrit, et je cite :
Le but d’un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s’occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien‑être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d’une armée, composée de femmes et d’hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s’ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vu conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d’établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire.
La Cour a ensuite rappelé les commentaires formulés par la Cour fédérale dans MacKay c. Rippon, [1978] 1 C.F. 233, et je cite :
Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. Vraisemblablement ceux qui s’enrôlent dans les Forces armées le font, en temps de guerre, par patriotisme et, en temps de paix, pour prévenir la guerre. Pour qu’une force armée soit efficace, il faut qu’il y ait prompte obéissance à tous les ordres licites des supérieurs, respect des camarades, encouragement mutuel et action concertée; il faut aussi respecter les traditions du service et en être fier.
‒‒ et j’insiste tout particulièrement sur la partie suivante de cette citation‒‒
Tous les membres des Forces armées se soumettent à un entraînement rigoureux pour être à même, physiquement et moralement, de remplir le rôle qu’ils ont choisi et, en cela, le respect strict de la discipline est d’une importance capitale.
Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu’elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l’imposition de sanctions plus sévères.
[10] Dans cette affaire, la Cour fédérale avait comparé certaines infractions comme le vol et les voies de fait, indiquant comment ces infractions sont beaucoup plus graves dans le contexte militaire que dans le contexte civil. Personnellement, j’ajouterais à cette liste que la possession de drogues illicites dans un contexte militaire est une infraction beaucoup plus grave, objectivement parlant, que dans un contexte civil.
Facteurs atténuants
[11] La cour abordera d’abord la preuve relative aux circonstances susceptibles d’atténuer la peine. Le poursuivant a eu de bons mots au sujet de votre volonté d’assumer la responsabilité de vos actes. Vous avez collaboré immédiatement avec la police militaire et le fait que vous ayez plaidé coupable dès le début a permis de réduire énormément la quantité de travail et les frais que nécessite la préparation du procès. Votre plaidoyer de culpabilité témoigne de façon tangible de la reconnaissance de votre responsabilité de vos actes. Bien qu’à proprement parler, vous n’en êtes pas à votre première infraction, l’inscription que contient votre fiche de conduite pour utilisation négligente d’une arme au cours de votre instruction pour la qualification de soldat, qui s’est produite le 18 mai 2004, n’a rien à voir avec les infractions qui vous sont reprochées aujourd’hui.
[12] Ces deux infractions, qui se sont produites le 19 avril 2005, et les infractions que vous avez commises par la suite, à savoir ivresse et possession d’alcool en contravention des instructions permanentes d’opération de l’École d’administration et de logistique des Forces canadiennes, commises les 5 et 7 mai 2005, semblent indiquer que vous avez eu des problèmes de dépendance en 2005. Les documents fournis par votre avocat jettent une lumière très favorable sur les efforts que vous avez faits pour régler votre problème de dépendance à l’alcool et aux drogues. La déclaration de M. Perkins, conseiller en alcoolisme et toxicomanie de la base, BFC Edmonton, qui est incluse dans l’énoncé de faits-sentence, et l’attestation de réussite du programme d’intervention en toxicomanie d’Edgewood présentée par votre avocat laissent croire que vous êtes sur la voie du rétablissement. La cour tient également compte du fait que la quantité de cocaïne et de marihuana qui a été trouvée en votre possession était minime. Elle tient compte aussi du retard accusé pour saisir la cour de ces accusations. Enfin, la cour prend note de la confiance que votre unité est disposée à vous témoigner. Votre unité est la mieux placée pour juger votre caractère et votre volonté de devenir le genre de personne que les Forces canadiennes recherchent et veulent voir dans leurs rangs. Votre commandant recommande votre maintien en poste dans les Forces canadiennes en attendant l’issue de la présente cour martiale. On vous a également offert une période intermédiaire de service. Il semblerait que votre unité et les Forces canadiennes veulent vous donner une seconde chance. Je vous incite fortement à tirer le meilleur parti de cette seconde chance, car il est bien possible qu’il n’y ait jamais de troisième chance.
Facteurs aggravants
[13] Le poursuivant recommande que la peine infligée soit suffisamment lourde pour dissuader d’autres personnes de commettre ce genre d’infractions. Ainsi, les principes de dénonciation devraient s’appliquer à la détermination de la peine qu’il convient de vous infliger. La réinsertion n’a pas à être considérée comme un facteur important étant donné que, d’après la preuve, vous travaillez vous-même à votre réinsertion par l’intermédiaire des services de counseling en matière de toxicomanie offerts par les Forces canadiennes.
[14] La cour tient compte du fait que vous aviez peu d’expérience dans les Forces canadiennes au moment où vous avez commis ces infractions, mais elle sait également que vous, comme tous les autres membres des Forces canadiennes, étiez parfaitement au courant de la politique rigoureuse des Forces canadiennes au sujet de la possession de drogues illicites. Le poursuivant et l’avocat de la défense reconnaissent tous les deux que la possession de drogues illicites est un manquement grave au Code de discipline militaire.
[15] La possession de drogues illicites est aussi une grave infraction aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. La possession d’une drogue illicite est une infraction mixte, ce qui signifie que, dans le cadre d’une poursuite civile, si le poursuivant décide d’emprunter le mode de poursuite le plus grave, la peine maximale qu’un tribunal peut infliger est sept ans d’emprisonnement dans le cas de possession de marihuana. Ainsi, il ressort clairement du régime de peines que le Parlement estime que la possession de la cocaïne et d’autres drogues illicites est une infraction grave, qu’il souhaite punir ceux qui commettent ces infractions en conséquence et dissuader les personnes de commettre ces infractions.
[16] La possession de drogues illicites ne peut être tolérée dans les Forces canadiennes. Leur possession mène logiquement soit à leur consommation, soit à leur trafic, et porte atteinte aux valeurs fondamentales de la société militaire.
[17] J’ai cité précédemment un passage de l’arrêt de la Cour suprême du Canada où il est question de la discipline et du rôle des Forces canadiennes. Nous jouons un rôle essentiel dans la société canadienne : nous sommes autorisés à avoir recours à la violence pour défendre notre pays et pour accomplir les tâches qui nous sont confiées par notre gouvernement qui est élu démocratiquement. Or, ce pouvoir et ces attributions vont de pair avec des responsabilités et des obligations importantes. Les hommes et les femmes à qui les autorités donnent l’ordre de se mettre dans des situations dangereuses au Canada et à l’étranger doivent être sains de corps et d’esprit. Nous sommes entraînés pour exécuter nos fonctions et l’on attend de nous que nous les exécutions du mieux que nous le pouvons. Il nous faut aussi pouvoir compter sur nos compagnons d’armes pour assurer le succès de nos missions et la sécurité de nos troupes. Quiconque possède une expérience opérationnelle dans les Forces canadiennes sait que l’usage et le trafic de drogues constituent une menace directe à l’efficacité opérationnelle de nos forces ainsi qu’à la sécurité de notre personnel et de notre équipement.
[18] Veuillez vous lever, Soldat Johnstone. Aujourd’hui, vous avez montré à la présente cour que vous pouvez assumer la responsabilité de vos actes et que vous êtes prêt à vivre avec les conséquences de ceux-ci. Vous avez manifestement fait des efforts en vue de votre réinsertion. Vos efforts pour vous défaire de vos dépendances, votre nouvelle relation, votre bon rendement au travail, l’absence d’inscription récente sur votre fiche de conduite et votre plaidoyer de culpabilité indiquent que la dissuasion spécifique n’est nullement nécessaire dans le présent cas. Il est vrai que ces infractions constituent de graves manquements au Code de discipline militaire, mais les efforts que vous avez déployés au cours de la dernière année et vos actes sont dignes de mention.
[19] La cour croit que la présente sentence doit viser principalement la dissuasion générale et la dénonciation. La cour, tenant compte des importantes circonstances atténuantes présentes en l’espèce et ayant à l’esprit les directives données par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. L.P., souscrit à la recommandation conjointe selon laquelle la peine la plus clémente propre à assurer le maintien de la discipline dans ce cas bien précis est une amende de 1 500 $ payable par versements mensuels de 300 $.Si vous étiez libéré des Forces canadiennes, le solde dû devrait être versé intégralement la veille de votre libération. Sortez, Soldat Johnstone.
LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.
Avocats :
Le Major J. Caron, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Capitaine de corvette J.C.P. Lévesque, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Soldat S.C. Johnstone