Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 14 novembre 2011

Endroit : BFC Valcartier, Édifice 534, l'Académie, Courcelette (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré. Chef d’accusation 3 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.).

•SENTENCE : Détention pour une période de 14 jours et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Ouellet, 2011 CM 1013

 

Date : 20111116

Dossier : 201132

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Valcartier

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté La Reine

 

- et -

 

Soldat K. Ouellet, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le soldat Ouellet a avoué sa culpabilité, d’une part, à un chef d’accusation de voies de fait punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l’article 266 du Code criminel et, d’autre part, à l’infraction moindre et incluse de voies fait relativement à un chef d’accusation de voies de fait causant des lésions corporelles punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l’article 267 b) du Code criminel. .


 

[2]               Les circonstances entourant la commission de ces infractions nous indiquent que les accusations découlent de deux incidents distincts lors desquels le soldat Ouellet a choisi délibérément d’utiliser la violence à l’égard de militaires pour régler des comptes personnels. Le premier évènement a eu lieu, le 20 avril 2010, à la Garnison Valcartier. Vers 22 h 30, le soldat Ouellet, accompagné d’autres membres du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment, est entré dans la bâtisse 504. Ce bâtiment loge des militaires appartenant aux pelotons d’attente du Centre d’instruction du Secteur du Québec de la Force terrestre. En entrant dans les lieux, le soldat Ouellet a requis que les personnes présentes dans leurs chambres, sortent de celles-ci et se mettent en position garde-à-vous. Un militaire du peloton d’attende demanda au soldat Ouellet pour quelle raison il agissait ainsi et ce qu’il voulait. Le soldat Ouellet prétexta chercher une personne du peloton d’attente qui l’avait fait « chier » au bar L’Entre-Nous, situé à Val-Bélair. Arrivé à l’extrémité du corridor du bâtiment, le soldat Ouellet croisa des yeux le soldat Roussy qui se tenait debout dans le cadre de la porte de sa chambre. Le soldat Ouellet lui demanda : « Qu’est-ce que t’as à regarder ? ». Et avant même que le soldat Roussy ne puisse répondre à la question, le soldat Ouellet lui asséna un coup de poing à la poitrine. Suite à ce geste, le soldat Ouellet et ses acolytes sont rapidement sortis par la porte du côté nord de l’immeuble pour se diriger vers la bâtisse 302, en lançant des insultes aux membres du peloton d’attente. Au même moment, l’officier en devoir arriva sur les lieux et prit en charge la situation. Peu de temps après les événements, des policiers militaires se sont présentés à la bâtisse 504 pour intervenir. Ils avaient été envoyés sur les lieux, à la suite de l’appel téléphonique, qu’avait logé, à la centrale 9-1-1, un membre du peloton d’attente afin de signaler les incidents qui se déroulaient alors dans leur quartier. Une fois informés de la situation, les policiers militaires effectuèrent un certain nombre de vérifications pour tenter de localiser les suspects, mais ces recherches furent sans succès. Le lendemain, un des témoins de l’événement identifia le soldat Ouellet comme étant l’instigateur de l’incident qui s’était produit la veille. Quelques jours plus tard, le soldat Ouellet fut arrêté et remis en liberté sous certaines conditions. Le soldat Roussy a ressenti des douleurs à la poitrine durant quelques jours.

 

[3]                Le second événement a eu lieu, le 25 août 2010, à la base des Forces canadiennes Gagetown, Nouveau-Brunswick. Le soldat Ouellet participait à un cours d’instructeur de contrôle de foule, à titre de membre de la force opposée. Il logeait alors à la bâtisse D-24 qui était adjacente à la bâtisse D-25. Il y avait passé la soirée à s’amuser sur un jeu vidéo en compagnie de l’un de ses amis. Vers 22 heures, il décida d’aller se coucher. Or, un groupe d’individus faisait la fête et beaucoup de bruit à l’extérieur. Incommodé par les cris et le bruit à l’extérieur qui l’empêchait de dormir le soldat Ouellet ouvrit sa fenêtre et leurs cria de cesser tout ce vacarme. Un membre du groupe lui répliqua à son tour de se taire en l’insultant en le qualifiant de « French frog ». Le soldat Ouellet retourna dans son lit, mécontent de l’attitude du groupe. Vers 22 h 46, le soldat Ouellet n’en pouvait plus de tout ce bruit et décida d’aller régler la situation définitivement. Il s’est présenté devant l’entrée principale de la bâtisse D-25, là où se trouvait le caporal Clarke-Burke. Le soldat Ouellet a alors demandé au caporal Clarke-Burke : « Are you the one crying? » Le caporal Clarke-Burke croyant qu’il lui demandait s’il venait de crier, a alors répondu par l’affirmative, parce qu’il avait effectivement interpellé un de ses amis à l’extérieur de la bâtisse, afin d’aller lui chercher un rafraichissement. Le soldat Ouellet a poussé le caporal Clarke-Burke contre un mur et lui a asséné trois coups de poing à la tête. Le caporal Clarke-Burke, tout en tentant de parer aux coups portés, appela à l’aide. Ses amis lui portèrent rapidement assistance. Le soldat Ouellet quitta promptement les lieux en direction du bâtiment D-24, sans réaliser qu’il s’était trompé de cible parce que le caporal Clarke-Burke ne faisait pas partie du groupe d’individus à l’origine du mécontentement du soldat Ouellet. Les policiers militaires furent envoyés sur les lieux à la suite d’un appel d’urgence. Après avoir reçu une description de l’incident et de l’agresseur, ils procédèrent à la recherche de l’individu dans le bâtiment D-24. Ils localisèrent rapidement le soldat Ouellet qui fut identifié sur place par deux témoins de l’agression. Il fut mis en état d’arrestation et conduit au poste de police militaire. Le lendemain matin, le soldat Ouellet était relâché sans condition. Telles qu’en font foi les photos déposées en preuve lors de l’audition de la détermination de la peine (pièces 10 et 11), le caporal Clark-Burke a eu une lacération au cuir chevelu, suite à l’agression du soldat Ouellet. Une équipe médicale fut dépêchée sur place et s’assura d’arrêter le saignement de la blessure. Le caporal Clarke-Burke n’a pas reçu de traitement particulier suite à cet incident, mais il conserve à ce jour une cicatrice apparente au cuir chevelu d’environ quatre centimètres.

 

[4]               Sans présenter à la cour une suggestion commune, les procureurs en présence recommandent des types de peines similaires, soit une courte période de détention assortie d’une amende importante. La poursuite suggère qu’une peine de détention de 14 jours et une amende de trois mille dollars maintiendrait la discipline et respecterait les objectifs de dissuasion spécifique, la punition et la dénonciation du geste, ainsi que la réhabilitation du soldat Ouellet. La défense soumet qu’une période de détention légèrement moindre assortie d’une amende d’environ deux mille dollars permettrait d’atteindre les même objectifs.

 

[5]               Le processus de détermination de la peine est individualisé. Au surplus, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit présenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi et ce, par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         dénoncer le comportement illégal;

 

b)         dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)         favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e)                  susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[7]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Lorsqu’elle envisage une peine privative de liberté, la cour doit examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devra être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[8]               Dans cette affaire, la cour considère les circonstances suivantes comme aggravantes :

 

a)                  l’infraction prévue à l’article 266 du Code criminel, soit d’avoir commis des voies de fait, est passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Cette infraction est objectivement sérieuse même si elle l’est moins que celle prévue à l’article 267 b) dudit Code qui est passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans;

 

b)                  le fait qu’en l’espace de quelques mois, le soldat Ouellet s’est fait justice lui-même en ayant recours à la violence physique contre des militaires à deux reprises. Il est clair qu’il a préféré laisser ses poings parler plutôt que de régler ses différends de manière civilisée et responsable. Cela est d’autant plus déplorable que ses premiers écarts de conduite lui ont valu d’être arrêté et libéré sous conditions. Force est de constater qu’il n’avait vraisemblablement saisi ni la porté de ses gestes, ni le caractère répréhensible de son comportement. Il s’est comporté en voyou lors du premier incident, alors qu’il était accompagné d’amis pour intimider de jeunes soldats du peloton d’attente. Quelques mois plus tard, il laisse la frustration et l’impulsivité le conduire à l’attaque d’une autre personne identifiée par erreur, comme celle qui faisait partie d’un groupe à la source du tapage nocturne qui l’incommodait et qu’il l’avait rabroué en tenant des propos insultants et inacceptables relatif à sa langue maternelle. Lorsque l’on examine les deux incidents, force est de reconnaître qu’il y a escalade au niveau de la force utilisée et des inconvénients subis par la deuxième victime. Il ne fait aucun doute qu’un tel comportement doit être dissuadé, dénoncé et sévèrement puni;

 

c)                  le fait que les deux incidents sont le résultat de gestes prémédités même si dans le cas du deuxième incident, le soldat Ouellet avait toutes les raisons d’être frustré et en colère; et

 

d)                 le fait que les gestes posés par le soldat Ouellet ont eu des conséquences pour les victimes, particulièrement dans le cas du caporal Clarke-Burke qui doit vivre maintenant avec une cicatrice au cuir chevelu.

 

[9]               La cour considère néanmoins que les circonstances suivantes doivent atténuer la sentence :

 

a)                  les aveux de culpabilité du soldat Ouellet qui constituent une démonstration de l'acceptation de son entière responsabilité dans cette affaire. Ce faisant, le soldat Ouellet a évité la tenue d’un long procès et a dispensé plusieurs personnes de devoir venir témoigner et de s’absenter de leur travail dans une autre province;

 

b)                  l’absence de dossier criminel ou de fiche de conduite;

 

c)                  le fait que le soldat Ouellet soit un jeune militaire de 24 ans qui est perçu par sa chaîne de commandement comme un bon élément au sein de son unité. La preuve déposée devant la cour démontre que malgré son rang et son peu d’expérience au sein des Forces canadiennes, soit quatre ans, il a déjà démontré les qualités et des aptitudes éloquentes. Le soldat Ouellet est un jeune soldat apprécié pour son initiative et son efficacité. Il est apprécié pour son esprit d’équipe, son sens des responsabilités et son dévouement. Bref, il a su démontrer en peu de temps, un excellent potentiel (voir les pièces 7 et 9); et

 

d)                 le fait que le soldat Ouellet a une situation familiale et financière exigeante. Il est le père d’une jeune fillette de 10 mois dont il a la garde partagée. Le soldat Ouellet verse également une pension alimentaire de cinq cents dollars par mois à la mère de l’enfant. Sa situation financière indique qu’il rembourse un prêt auto à raison de cent soixante-quinze dollars bimensuellement (voir la pièce 8).

 

[10]           Tant la jurisprudence soumise par les parties que celle consultée par la cour démontre que les recommandations des procureures se situent dans le spectre des sentences normalement imposées dans ce genre d’affaire. Les peines infligées se composent normalement de réprimande assortie d’une amende importante jusqu’à des périodes d’emprisonnement de moins de six mois. Ce large éventail tient évidemment compte des circonstances particulières des contrevenants et des circonstances de chaque affaire. Je souscris aux prétentions de la poursuite, à l’effet que la sentence dans cette affaire doit mettre l’emphase sur les objectifs de dissuasion spécifique et de réhabilitation ainsi que la dénonciation du comportement et la punition du contrevenant. Mais la cour croit que la dissuasion générale est aussi un objectif important lorsque le contrevenant a eu recours à la violence physique à deux reprises en l’espace de quelques mois pour régler ses problèmes. Ce genre d’attitude doit être vivement dénoncé. Il ne s’agit pas de ces gestes commis sous l’impulsion totale et soudaine ou d’un geste isolé commis à la suite d’une simple erreur de jugement. Comme je le soulignais récemment dans la R c Boudreault, 2011 CM 1011, le 19 octobre 2011, les personnes qui pensent avoir recours à l’usage de la violence pour se faire justice pourront en être dissuadées, si elles savent qu’elles devront répondre de leurs actes devant la justice. Là où la présente affaire se distingue de ces cas mineurs tient à la présence du pattern démontré par le soldat Ouellet, dans l’utilisation de la violence et la banalisation de celle-ci par le délinquant qui semble y voir une façon normale de régler ses différends en société. Les militaires professionnels sont rigoureusement entrainés à gérer la violence et son usage. Ils savent ou devraient savoir mieux que quiconque quand ils peuvent y avoir recours à des fins légitimes et selon les paramètres qui s’appliquent. Les situations décrites devant cette cour, ne sont définitivement pas de cette nature. Le soldat Ouellet a démontré de très belles qualités jusqu’à ce jour, mais cet épisode doit lui servir d’avertissement sérieux s’il désire poursuivre une longue carrière au sein des Forces canadiennes. Ceux qui comme lui pensent que tout peut se régler à la force des poings devraient réfléchir sérieusement sur une telle façon de vivre en société. La colère, la frustration, voire la provocation, ne peuvent pas servir d’excuses perpétuelles à la commission de crime de violence. Si la cour avait le pouvoir de le faire, elle aurait ordonné au soldat Ouellet de compléter avec succès une formation visant à gérer la colère et les situations conflictuelles. Elle lui aurait ordonné également de fournir des excuses à ses victimes. Je l’y encourage fortement. S’il est sincère dans sa démarche relativement à l’acceptation de ses responsabilités et des remords qu’il ressent à l’endroit des victimes comme là souligné l’avocat de la défense, il en prendra l’initiative. La cour n’accepte pas que dans les circonstances l’aveu de culpabilité du soldat Ouellet équivaut à des excuses indirectes comme le prétendait son avocat. Le soldat Ouellet a démontré de très belles qualités jusqu’à maintenant. Il devrait bondir sur l’opportunité qui lui est offerte et démontrer à tous qu’il a atteint la maturité et qu’il possède le degré d’humilité qui lui seront nécessaires s’il veut poursuivre une belle carrière au sein des Forces canadiennes.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[11]      PRONONCE un verdict de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation, soit d’avoir commis des voies de fait, une infraction punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l’article 266 du Code criminel;

 

[12]      PRONONCE un verdict de culpabilité à l’égard du troisième chef d’accusation, mais à l’infraction moindre et incluse de voies de fait, relativement à ce chef d’accusation porté aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale relativement à l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles et punissable sous le régime de l’article 267 b) du Code criminel;

 

ET

 

[13]      CONDAMNE le soldat Ouellet à la détention pour une période de 14 jours assortie d'une amende de deux mille dollars. L'amende sera payable par versements mensuels consécutifs égaux de cent dollars à compter du 30 novembre 2011 jusqu'au complet paiement de l'amende.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Service d’avocats de la défense

Avocat pour le soldat K. Ouellet

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.