Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 28 novembre 2011

Endroit : 3721 avenue Henri-Julien, Montréal (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats

•VERDICT : Chefs d'accusation 1: Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Pavlyuk, 2011 CM 1014

 

Date : 20111205

Dossier : 201156

 

Cour martiale permanente

 

Les Fusiliers Mont-Royal

Montréal (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal D. Y. Pavlyuk, accusé

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le caporal Pavlyuk est accusé d'avoir eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale. Les détails de l'accusation allèguent qu'il aurait harcelé un collègue de travail, entre le 7 juin 2011 et le 27 juin 2011, à la Garnison Valcartier, Courcelette, Province de Québec, contrairement à la Directive et ordonnance administrative de la défense 5012-0.

 

LA PREUVE

 

[2]               La preuve devant cette cour martiale est constituée essentiellement des éléments suivants, soit :

 

a)         Les témoignages qui ont été entendus devant la cour. Outre celui du caporal Marc-André Crompt, le plaignant dans cette affaire, la cour a entendu les témoignages des personnes suivantes : M. Daniel Bourdages, adjudant Jean Gagné, caporal Pierre-Marie Montes, caporal Réjean-Paul Rodas-Figueroa, caporal Dany Andraos, major Benoît Lefebvre et soldat Alexandre Joanisse.

 

b)        La pièce 3, soit une déclaration pré-enrôlement signée par le caporal Pavlyuk, qui atteste notamment qu'il :

 

                                                              i.      a lu la politique des Forces canadiennes sur la discrimination et le harcèlement;

 

                                                            ii.      la comprend et qu'il n'y a rien qui l'empêche d'y adhérer;

 

                                                          iii.      comprend qu'à défaut de s'y soumettre, il peut être sujet à des mesures disciplinaires et/ou à des mesures administratives incluant la libération; et

 

                                                          iv.      adhèrera à la politique s'il est enrôlé.

 

c)         La pièce 4, soit un registre des présences de l'unité pour les militaires en service de réserve classe A en date du 14 décembre 2010 pour la soirée du 7 décembre 2010.

 

d)        La pièce 5, soit la présentation Powerpoint© intitulée « Prévention du harcèlement, Gestion des conflits et Équité d'emploi» qui fut présentée par M. Daniel Bourdages à un auditoire des Fusiliers Mont-Royal en date du 7 décembre 2010 dans le cadre d'un programme mandaté à l'endroit de ladite unité.

 

e)         La pièce 6, soit une liste informatisée des présences compilée par l'adjudant Gagné qui contient le nom de toutes les personnes de l'unité Fusiliers Mont-Royal qui auraient été présentes lors de la soirée du 7 décembre 2010.

 

f)         La pièce 7, soit une publication du Gouvernement du Canada qui contient la politique sur la prévention du harcèlement en milieu de travail. La cour a pris connaissance judiciaire de cette publication aux termes de l'article 16 des Règles militaires de la preuve.

 

g)        Finalement, la cour a pris connaissance judiciaire des faits et questions qui sont du domaine de l'article 15 des Règles militaires de la preuve.


 

LES FAITS

 

[3]               Les faits entourant cette cause gravitent donc essentiellement autour des évènements qui se sont déroulés entre la mi-mai et la fin juin 2011 lorsque certains membres des Fusiliers Mont Royal travaillaient à la Garnison Valcartier durant l'été. Malgré certains témoignages qui laissent paraître un certain nombre de contradictions ou incohérences à la lumière de l'ensemble de la preuve, il ressort que toutes les personnes qui auraient été témoins des évènements, en tout ou en partie, étaient toutes présentes à la Garnison Valcartier lors de l’été 2011, soit le caporal Crompt (le plaignant), le caporal Andraos, le caporal Montes, le caporal Rodas-Figueroa et le soldat Joanisse. Ils faisaient tous partie de l’équipe A qui était responsable de s’occuper de la cafétéria au CSM1 et au Camp Vimy par la suite.

 

[4]               Selon le caporal Crompt, il s’est présenté à Valcartier deux semaines avant le caporal Pavlyuk et tout allait bien pour lui à ce moment. Il a dit qu’il a été déployé en Afghanistan en 2009 au sein d’une équipe qui participait au mentorat de l’armée Afghane. Il s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 2006 dans la Force de réserve. Selon toute vraisemblance, il n’avait que peu d’expérience lors de son déploiement en Afghanistan et il est raisonnable de croire que ses responsabilités étaient compatibles à son niveau de compétence et d’expérience. À son retour, il souffre de problème à l’oreille gauche et il accomplit du service de classe C au sein du quartier-maitre régimentaire, et ce jusqu’à aujourd’hui. Alors qu’il était en service de réserve de classe B lors de l’été 2011, soit de la mi-mai à la fin juin, il était un des membres de l’équipe A qui s’occupait de la cuisine et du ravitaillement du camp avec le caporal Pavlyuk et les autres. Le caporal Crompt est arrivé sur les lieux en mai et le caporal Pavlyuk se serait joint au groupe quelques semaines plus tard. Ils se connaissaient sans être des amis. Au début, il semble que tout allait bien. Le climat de travail était enjoué et tous les membres de l’équipe s’amusaient à se taquiner et à faire des plaisanteries. Durant la semaine du 8 juin 2011, certains membres de l’équipe ont commencé à entonner une chanson grivoise qui figurait au contenu des lecteurs de musique de certains d'entre eux. Cette chanson d’un rappeur français contenait les paroles suivantes : « Suce-moi le pénis pour la Saint-Valentin ». Il semble que cette chanson était omniprésente au sein de leur équipe.

 

[5]               Selon le témoignage du caporal Crompt, les choses commencent à se détériorer rapidement lorsque le caporal Pavlyuk décide de le cibler en modifiant la chanson et en s’adressant à lui de la manière suivante, soit seul ou en présence d’autres membres du groupe. Les paroles deviennent ainsi : « Suce-moi le pénis pour la Saint-Valentin … Crompt ». Il ajoute que le groupe l’avait alors ciblé, ce qu’il niera plus tard lors de son contre-interrogatoire. Selon sa version des faits, il décide de les ramener à l’ordre le matin du 8 juin 2011 en s’adressant à eux d’une manière assez forte: « Les gars, le prochain qui me dit ça, je fais une plainte ». Personne n’aurait continué à chanter cette chanson à son endroit cette journée-là et le message semblait compris. Selon le caporal Crompt, la chanson modifiée par l’ajout de son nom à la fin n’était que pour lui. Les autres membres de son équipe ne faisaient pas l’objet de sarcasme.

 

[6]               Selon le caporal Crompt, le caporal Pavlyuk recommence d’une certaine façon environ une semaine plus tard, en affirmant cette fois-ci que le caporal Crompt s’adonnait à sucer des pénis lorsqu’il était en Afghanistan. Déjà trouvait-il que la chanson était stupide et insignifiante, de pareilles allusions le troublaient parce qu’il sentait que le caporal Pavlyuk lui enlevait le crédit qu’il méritait face au groupe.

 

[7]               Il a témoigné à l’effet que le caporal Pavlyuk lui faisait cette remarque quotidiennement. Il ajouta que le caporal Pavlyuk allait même jusqu’à feindre d’enlever sa ceinture de pantalon en le regardant pour ajouter l’insulte à l’injure.

 

[8]               Exaspéré, le caporal Crompt serait allé voir un certain caporal Langlois — qui n’a pas été appelé comme témoin — et ils se seraient rendus voir le caporal Pavlyuk le 22 juin 2011 pour le ramener à l’ordre en le menaçant. Le caporal Crompt aurait dit : « Je ne peux pas tolérer ça, si tu continues tu vas être dans la « marde » (sic), tu vas avoir l’air d’une couille. Pense à ta blonde, pense à d’autres choses que Pavlyuk ». Selon la version des faits du caporal Crompt, le caporal Pavlyuk se serait détourné de lui et lui aurait dit vaguement : « Si t'as pas sucé de pénis, ça ne devrait pas t’affecter! »

 

[9]               Le caporal Crompt ajoute que vers 17 heures, le 26 juin 2011, il était au Camp Vimy dans les tentes. L’accusé occupait la tente à côté de la sienne. C’est alors qu’il entend le caporal Pavlyuk dire d’une voix forte : « Crompt, suce-moi le pénis! » Le caporal Crompt est fâché parce qu’il voit qu'il y avait entre 20 à 30 jeunes cadets à proximité qui auraient pu entendre. Trouvant ces remarques injustifiables, le caporal Crompt décide, selon ses propres dires, de montrer l’exemple. En interrogatoire principal, il affirme avoir dit : « demain, je te fais une plainte ». D’où Pavlyuk de répondre : « Oui mais on est du même régiment! » Il formulait sa plainte le lendemain.

 

[10]           Selon le témoignage du plaignant, le comportement du caporal Pavlyuk démontrait un manque de respect à son égard et il ne pouvait le tolérer. Il a ajouté que ces propos l’ont affecté personnellement et qu’il a même consulté le « padre » à deux reprises. En contre-interrogatoire, le caporal Crompt y est allé de commentaires surprenants. Il a dit notamment qu’il savait que la carrière du caporal Pavlyuk reposait entre ses mains en raison du poids de sa parole et de son expérience. Il ressort de son propre témoignage que le caporal Crompt considère que sa simple présence en Afghanistan en tant que soldat attaché au sein d’une équipe de mentorat de l’armée Afghane a fait de lui un mentor et un militaire d’expérience, à tout le moins lorsqu’il se compare aux autres membres de l’équipe A qui l’ont côtoyé lors de l’été dernier. Le caporal Crompt a témoigné d’une manière qui ne laisse aucun doute relativement à sa perception à l’effet que ses pairs, en particulier le caporal Pavlyuk, lui manquaient de respect eu égard à ses états de service et son expérience en Afghanistan, respect qu'il méritait. D’ailleurs, le témoignage du caporal Crompt révèle que le seul camarade qui méritait le même respect que lui était le caporal Montes qui avait, tout comme lui, servi son pays en théâtre opérationnel. En contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu qu’il n’était pas le seul à faire l’objet de taquineries et que chacun en était victime à tour de rôle. Au surplus, il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’était pas ciblé par le groupe. Selon le plaignant, le chef de l’équipe A, le caporal Andraos savait ce qui se passait, mais il faisait l’autruche.

 

[11]           Le caporal Crompt a témoigné à l’effet qu’il avait discuté de la cause devant cette cour avec le caporal Montes qui était au courant de sa plainte et qu’il avait confiance en lui parce qu’il avait de l’expérience. Du caporal Pavlyuk, il ne s’est pas caché pour affirmer qu’il n’avait aucun respect pour lui et qu’il avait plus de respect pour ses ennemis talibans. Il a même ajouté que le caporal Pavlyuk était à l’encontre des valeurs canadiennes au niveau du respect. Cette affirmation est troublante quant à l’état d’esprit du caporal Crompt et du ressentiment viscéral qu’il semble éprouver à l’endroit de l’accusé.

 

[12]           Lors du contre-interrogatoire, le caporal Crompt a admis qu’il avait ri des paroles de la chanson au début, mais pas très longtemps. Il a affirmé qu’il avait choisi délibérément d’avertir le caporal Pavlyuk et les autres de son groupe vers 4 h 15 le 9 juin 2011, parce que les gens seraient fatigués et que son intervention aurait plus d’impact. C’est à ce moment qu’il aurait dit : « le prochain qui le dit, je vais faire de la paperasse contre lui! » Il a pris soin d’ajouter que ses propos étaient dynamiques et qu’ils avaient du punch pour avoir de l’impact. Toujours en contre-interrogatoire, il a affirmé avoir donné des avertissements le 8 et le 22 juin 2011 et que le 26 juin 2011, il avait averti le caporal Pavlyuk et les autres présents, y compris les caporaux Andraos et Rodas-Figueroa ainsi que le soldat Joanisse à l'effet qu’il allait faire une plainte le lendemain.

 

[13]           Pour le caporal Crompt, les propos dont il se dit victime n’avaient pas leur place au sein d’une armée professionnelle et il était déçu du manque de maturité de ses collègues. Alors que l’atmosphère au sein du groupe était à la taquinerie et à l’amusement, le caporal Crompt y voyait de l’immaturité qui n'avait pas sa place. Selon lui, il avait des objectifs différents de ceux de ses collègues. Questionné sur l'effet de surprise que sa plainte avait créé chez ses collègues, il s’est empressé de dire que c’était exactement parce qu’ils étaient des soldats qui n’avaient pas l’expérience de la discipline, alors que lui faisait partie de ce groupe d’individus qui possède cette expérience.

 

[14]           Le caporal Crompt a dit que les paroles de la chanson l’avaient touché en spécifiant qu’il n’était pas « un suceur de pénis ». Selon lui, c’est la constance et la répétition des paroles à son endroit qui l’ont affecté. Il a ajouté qu’il avait envie de détruire le caporal Pavlyuk après que ce dernier lui a dit les paroles à deux reprises. Sa dernière réponse formulée lors du contre-interrogatoire est révélatrice : « c’est vrai que je voulais lui donner une leçon ». Même si la cour reviendra sur le témoignage du soldat Joanisse plus loin, il est opportun de préciser que l’affirmation du caporal Crompt relativement à l’affirmation qu’il avait été touché par les paroles prononcées à son endroit, le soldat Joanisse a fortement démenti cette affirmation. Il suffit de rappeler pour l’instant que le soldat Joanisse aurait spécifiquement demandé au caporal Crompt à deux reprises, lorsqu’il fut informé de la plainte de ce dernier, s’il avait réellement été affecté par les paroles prononcées à son endroit durant l’été 2011. Selon le soldat Joanisse, le caporal Crompt lui aurait répondu que ça n’avait pas été le cas.

 

[15]           Des autres témoins entendus dans cette affaire, la cour retiendra les éléments suivants. Le caporal Montes s’est enrôlé en 1997. Il a depuis servi en Bosnie en 2004 et en Afghanistan en 2009 et 2010. De tous les témoins entendus qui faisaient partie de l’équipe A à Valcartier durant l’été 2011, il est de loin le plus âgé et le plus expérimenté. Il a témoigné à l’effet qu’il a souvent été témoin des paroles du caporal Pavlyuk à l’endroit du caporal Crompt, soit « suce ma bitte Crompt pour la Saint-Valentin », et ce une à deux fois par jour. Il a ajouté qu’il était souvent question de sexe entre les deux individus. Selon lui, le caporal Pavlyuk prenait cela à la blague. Le caporal Montes a témoigné à l’effet qu’il se souvient d'avoir entendu le caporal Crompt s’adresser à l’accusé pour lui dire que s’il continuait, il — en parlant de Crompt — ferait une plainte pour harcèlement. Malgré cet avertissement, le caporal Pavlyuk avait continué. En contre-interrogatoire, le caporal Montes a maintenu avoir entendu les paroles, mais il a précisé que c’était dans un contexte où tout le monde se taquinait, même si lui n’aurait pas accepté ça si lesdites paroles lui avaient été destinées.

 

[16]           Le caporal Andraos était le chef de l’équipe A. Lors de l’été 2011, il comptait deux ans d’expérience au sein des Forces canadiennes dans la Force de réserve, mais il était néanmoins chef d’équipe d’un groupe de 20-25 personnes. Il a dit avoir été témoin d’un seul échange entre le caporal Pavlyuk et le caporal Crompt, soit le 26 juin 2011 à l’extérieur d’une tente au Camp Vimy. Il corrobore le témoignage du caporal Crompt sur le contenu de la phrase dans laquelle le caporal Pavlyuk y ajoutait le nom du plaignant. Il a ajouté avoir entendu la chanson auparavant, mais que c’était la première fois qu’elle visait le caporal Crompt directement. Le caporal Andraos a témoigné de la réaction du caporal Crompt à ce moment, soit qu’il avait esquissé un sourire. Selon ses observations, il semble que le caporal Crompt avait trouvé cela drôle, même s’il avait entendu le caporal Crompt dire à l’accusé que s’il n’arrêtait pas, il allait faire une plainte. Il a déclaré avoir été surpris par la plainte du caporal Crompt pour harcèlement. Le caporal Andraos a ajouté que les membres de son équipe en furent bouche bée. Les autres membres de l’équipe faisaient aussi l’objet de taquineries durant cette période pour diverses raisons. Que ce soit relativement à leur âge comme le soldat Joanisse, leur origine ethnique comme le caporal Rodas-Figueroa ou lui-même qui se faisait traiter de terroriste en raison de ses origines. Selon lui, chacun y passait. Il a mentionné que la veille de la plainte, tout le monde trouvait cela drôle.

 

[17]           Le caporal Rodas-Figueroa était le chef-adjoint de l’équipe A. Il est réserviste depuis 2006. Il confirme avoir entendu à plusieurs reprises le caporal Pavlyuk prononcer les fameuses paroles envers le caporal Crompt. Selon lui, le caporal Crompt en riait, même s’il semblait un peu fâché. Selon lui, le caporal Crompt encaissait le tout d’une manière sarcastique. Le caporal Rodas-Figueroa a précisé qu’il connaissait la chanson et qu’elle s’était transformée par l’ajout du nom de plusieurs personnes. Selon lui, les membres du groupe en riaient, y compris le caporal Crompt. Il a ajouté qu’il y avait de l’humour au sein de l’équipe et il corrobore le témoignage du caporal Andraos à l’effet que chacun faisait l’objet de taquineries ciblées, y compris lui-même. L’usage de paroles vulgaires et les commentaires immatures étaient chose commune dans l’équipe A. En ce qui a trait à la chanson spécifique, il ne considère pas que le caporal Crompt fût plus visé que les autres. En ce qui a trait aux paroles qui auraient été prononcées près d’une tente au camp Vimy le 26 juin 2011 par le caporal Crompt à l'endroit du caporal Pavlyuk et des autres personnes relativement à une plainte, il n’en a aucun souvenir. La cour souligne que le caporal Crompt a témoigné à l'effet que le caporal Rodas-Figueroa était présent. Ce dernier a dit à la cour avoir été mis au courant de la plainte du caporal Crompt par un supérieur. Il a réagi à ce moment en se disant que le caporal Crompt était dans son droit de le faire, mais qu’il ne s’y attendait pas.

 

[18]           Le soldat Joanisse a été le dernier témoin entendu par la cour. Il s’est enrôlé dans la Force de réserve au début de l’année 2010. Il faisait partie de l’équipe A lors des évènements. Il a témoigné que durant la période visée, le sentiment au sein de leur équipe était à la fête et qu’il n’y avait pas de chicane entre eux. Selon lui, les gens voulaient avoir du plaisir, sortir et s’amuser. Il a spécifié qu’il avait lui-même demandé à sa chaîne de commandement l'opportunité d'être entendu comme témoin devant la cour une fois mis au courant de la tenue d'une cour martiale dans cette affaire. Il aurait même fait une déclaration écrite.

 

[19]           Le soldat Joanisse a témoigné à l’effet que la fameuse chanson était pour ainsi dire celle de l’été et qu’elle avait été adaptée en y ajoutant le nom de tous et chacun, y compris lui-même. Le soldat Joanisse mentionne que c’était juste pour niaiser et qu’il n’y voyait rien de méchant. Il a été témoin à plusieurs reprises que le caporal Pavlyuk la chantait au caporal Crompt. Le soldat Joanisse raconte que tous les membres du groupe en riaient et que nul n’était ciblé. Citant ses propres paroles : « Tout le monde riait, tout le monde avait du fun avec ça ». Personne ne s’en plaignait, sauf le caporal Crompt. En ce qui a trait à l’échange du 26 juin 2011 entre le caporal Crompt, le caporal Pavlyuk et les autres près de la tente au camp Vimy, le soldat Joanisse confirme qu’il était présent. Il se rappelle que le caporal Crompt était fâché et qu’il a demandé au caporal Pavlyuk de cesser de chanter cette chanson parce qu’il était tanné. Selon lui, il lui semblait que le caporal Pavlyuk avait saisi le message parce qu’il réalisait peut-être qu’il avait été trop loin. Il n’avait jamais été témoin d’un avertissement de la part du caporal Crompt avant ce jour.

 

[20]           Le soldat Joanisse fut mis au courant de la plainte du caporal Crompt à l’endroit du caporal Pavlyuk. Il n’est l’ami d’aucun d'entre eux. Il a témoigné à l’effet que cette situation l’avait embêté suffisamment pour qu’il veuille en parler directement avec le caporal Crompt au sujet de sa plainte. Il rapporte que le 13 juillet 2011, il en a discuté avec le caporal Crompt pour qu'il lui confirme avoir été réellement affecté par le fait de se faire chanter la fameuse chanson à laquelle son nom était ajouté. Selon le soldat Joanisse, le caporal Crompt lui aurait dit que cela ne l’affectait pas personnellement. Suite à cette révélation, le soldat Joanisse était perplexe. Il a donc rencontré le caporal Crompt à une autre occasion pour confirmer ce qui s’était dit lors de leur première rencontre. Le soldat Joanisse a affirmé catégoriquement que le caporal Crompt lui avait alors mentionné à six ou sept reprises que ça ne le touchait pas. Le caporal Crompt lui aurait aussi demandé s’il avait appris une leçon, soit que cela ne le touchait pas!

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

La présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable

 

[21]           Avant d'appliquer le droit aux faits de la cause, il est opportun de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une composante essentielle de la présomption d'innocence.

 

[22]           Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il peut être fondé non seulement sur la preuve mais aussi sur l’absence de preuve.   

 

[23]           La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve. Elle s'applique à l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé.

 

[24]           Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve. Dans l'arrêt R c Starr [2000] 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le juge Iacobucci, pour la majorité, a indiqué :

 

... qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. En d’autres mots, si la cour est convaincue que le caporal Pavlyuk est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[25]           La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité, et la cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes. Si la cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du caporal Pavlyuk qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter.

 

La crédibilité et la fiabilité des témoignages

 

[26]           La preuve devant cette cour est telle que la cour doit se prononcer sur la crédibilité et la fiabilité des témoins à la lumière de l'ensemble de la preuve. Il n'existe aucune formule magique pour décider de la crédibilité d'un témoignage ou de la valeur qu'il faut y accorder. Mais la cour a entre autre porté attention à la capacité des témoins de se souvenir et de communiquer leur récit d'une façon claire et précise, la cohérence de leur récit en soi et avec l'ensemble de la preuve et si les témoignages semblaient colorés par un intérêt personnel. La cour a considéré leur capacité de se souvenir des évènements en tenant compte que certains évènements ou certains faits peuvent marquer chaque personne de manière différente. Elle a aussi observé les témoins en prêtant attention à des facteurs comme si le témoin tentait honnêtement de dire la vérité, s'il était sincère et franc ou s'il était partial, réticent, évasif ou argumentatif.

 

[27]           Témoigner n'est pas une expérience courante. Les gens réagissent et se présentent différemment. Ils possèdent des capacités, des valeurs, des expériences de vie différentes. Il y a tout simplement trop de variables pour que le comportement d'un témoin constitue le seul facteur ou le facteur le plus important pour prendre une décision.

 

[28]           Les témoignages entendus sont généralement crédibles et fiables. Il ne fait aucun doute toutefois que leur perception des évènements diffère. Le caporal Crompt a témoigné de manière convaincue, parfois trop. D'ailleurs, il semblait souvent catégorique sur certains détails qu'une personne dotée d'une mémoire normale aurait eu de la difficulté à se souvenir. Il a aussi eu tendance à argumenter avec l'avocat de la défense ou il essayait d'éviter des questions comme si son intégrité était mise en doute. Il semblait se sentir personnellement attaqué. Il ressort de son témoignage qu'il a une opinion très favorable de lui-même et des exigences requises des membres d'une armée professionnelle. Mais il ne fait aucun doute qu'il jugeait et qu'il juge encore aujourd'hui le comportement et le niveau de professionnalisme du caporal Pavlyuk tout à fait inadéquat et immature pour un militaire.

 

[29]            Sur la foi de l'ensemble de la preuve, la cour croit que le caporal Crompt exagère l'impact que les paroles ont eu sur lui. Cela ne veut pas dire qu'elles ne l'affectaient pas, mais c'est plutôt le sentiment général d'immaturité et de manque de professionnalisme du caporal Pavlyuk qui l'irritaient au plus au point. Il en avait assez et il a voulu lui donner une leçon.

 

L'infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale

 

[30]           Le caporal Pavlyuk est accusé de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline au terme de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale qui édicte en partie ce qui suit :

 

129. (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

   (2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

   a) une disposition de la présente loi;

   b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

   c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

Les détails de l’accusation allèguent que le caporal Pavlyuk a harcelé le caporal Crompt en contravention de la Directive et ordonnance administrative de la défense 5012-0. Il n’est pas contesté que cette ordonnance administrative de la défense en soit une qui est publiée pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes et qu’elle tombe sous l’application de l’alinéa 129(2)b). La poursuite a donc choisi de s’appuyer sur la présomption du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale pour faire la preuve que la conduite reprochée à l’accusé est préjudiciable au bon ordre et à la discipline, même si la perte de cette présomption ne priverait nullement la poursuite d’établir le préjudice au bon ordre et à la discipline autrement. La Cour d’appel de la cour martiale a récemment traité de cette question dans la décision Sa Majesté la Reine c Winters, CACM 2011, 3 février 2011, aux paragraphes 24 à 27 :

 

[24] Lorsqu’une accusation est portée en vertu de l’article 129, outre l’état d’esprit blâmable de l’accusé, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable l’existence d’un geste ou d’une omission dont la conséquence a été de porter préjudice au bon ordre et à la discipline. La preuve du préjudice peut être évidente, directe, mais l’existence du préjudice et sa relation causale peuvent aussi s’inférer des éléments de preuve établis : voir Bradt c. R., 2010 CACM 2, aux paragraphes 39 à 42.

 

[25] Dans certains cas, la preuve d’un préjudice ou de la relation causale peut s’avérer difficile à faire. Le législateur peut vouloir créer une présomption pour atténuer cette difficulté ou même y obvier. Ou, comme dans le cas de l’alinéa 129(2)b) de la Loi, assurer l’obéissance aux règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne des Forces canadiennes et, par le fait même, simplifier la preuve du préjudice résultant d’un manquement à ces dispositions.

 

[26] Ainsi, le paragraphe 129(2), et conséquemment l’alinéa (2)b), font présumer, à partir du geste posé, l’existence d’un préjudice au bon ordre et à la discipline ainsi que l’existence d’une relation de cause à effet entre le geste et le préjudice. Lorsque les conditions du paragraphe (2) et, plus spécifiquement de l’alinéa (2)b) en l’espèce, sont satisfaites, la poursuite est dispensée de faire la preuve de cet élément essentiel de l’infraction. Mais l’infraction dont on parle ici, c’est celle du paragraphe 129(1). Il n’y en a pas d’autre.

 

[27] Ainsi, le fait que les conditions du paragraphe 129(2) relatives à la preuve ne soient pas rencontrées ne signifie pas qu’il n’y a pas d’infraction sous le paragraphe (1), que la poursuite ne peut faire la preuve de cette infraction ou que l’accusé ne peut plaider coupable à cette infraction. En d’autres termes, la perte par la poursuite du bénéfice d’une présomption quant à la preuve d’un préjudice ne met pas un terme à la poursuite et à la possibilité pour l’accusé de plaider coupable.

 

Les questions en litige

 

[31]           La cour identifie deux questions en litige. La première est liée à la preuve de la connaissance de l’ordonnance par l’accusé puisque la nature et l’existence de celle-ci a fait l’objet de l’application de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, alors que la deuxième consiste à déterminer si la conduite du caporal Pavlyuk constitue du harcèlement aux termes de la directive et ordonnance de la défense 5012-0, la DOAD 5012-0.

 

La preuve de la connaissance de la DOAD 5012-0

 

[32]           En ce qui a trait à la preuve de l’ordonnance, la poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable que l’accusé connaissait la DOAD 5012-0. La défense soutient que la poursuite n’a pas prouvé que l’accusé connaissait personnellement l’ordonnance pour qu’elle lui soit ainsi opposable parce qu’elle ne lui a jamais été spécifiquement expliquée. Elle ajoute que l’ordonnance n’a pas été régulièrement notifiée, émise et publiée à l’accusé aux termes des articles 1.21 et 4.26 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Cet argument n’est pas fondé sur la preuve. Il ne fait aucun doute que l’accusé connaissait personnellement l’ordonnance en question, soit la politique des Forces canadiennes en matière de harcèlement, tel qu’il appert de la pièce 3 qui contient sa propre déclaration à cet effet. Au surplus, il existe une preuve fiable et non-contredite que le caporal Pavlyuk était bel et bien présent lors de deux briefings donnés à son unité, Les Fusiliers Mont-Royal, soit d’une part le 7 décembre 2010 (voir les pièces 4, 5 et 6 ainsi que les témoignages de M. Daniel Bourdages et de l’adjudant Jean Gagné) ; et, d’autre part celui qui fut donné en mars 2011 par le major Lefebvre.

 

[33]           La question n’est pas de déterminer si l’accusé connaissait le titre spécifique et le numéro de l’ordonnance 5012-0, mais s’il en connaissait le contenu, c’est-à-dire la politique de prévention et de résolution du harcèlement des Forces canadiennes. La cour est convaincue de cette preuve hors de tout doute raisonnable. D’ailleurs lors de son briefing mandaté du 7 décembre 2010, M. Daniel Bourdages a couvert l’ensemble de la politique des Forces canadiennes et du Ministère de la défense nationale contenue à la DOAD 5012-0 aux pages 9 à 32 de sa présentation Powerpoint©. Tous les éléments de la définition et de la politique applicable aux membres des Forces canadiennes sont couverts dans le briefing présenté par M. Bourdages. La DOAD 5012-0 définit le harcèlement comme suit :

 

Le harcèlement se définit comme tout comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail, et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou une menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

La conduite du caporal Pavlyuk constitue-elle du harcèlement aux termes de la DOAD 5012-0

 

[34]           Selon la version des faits du plaignant dans cette affaire, le caporal Crompt, les propos qu’il reproche à l’accusé sont de deux ordres. Premièrement, le fait de s’adresser à lui en sa présence unique ou devant d’autres personnes et de reprendre les paroles d’une chanson commerciale popularisée par un rappeur qui était largement connue et chantée par une grande partie de son équipe lors de la période en question en y ajoutant son nom, soit « suce-moi le pénis pour la Saint-Valentin …Crompt ! » Selon le plaignant, il aurait été le seul à qui l'on chantait cet extrait de chanson en ajoutant son nom de famille à la fin de la phrase pour ainsi la particulariser. Toujours selon le plaignant, il aurait été la cible unique du caporal Pavlyuk durant plusieurs semaines et il l’aurait averti de cesser à trois reprises, soit les 8, 22 et 26 juin 2011. Deuxièmement et dans la même veine, le plaignant affirme qu’une semaine après son avertissement au groupe, le caporal Pavlyuk aurait recommencé d’une certaine façon en tenant des propos dégradants à son endroit, notamment en lui disant « tu suçais des pénis en Afghanistan ».

 

[35]           La cour est satisfaite que les propos rapportés par le caporal Crompt et corroborés par plusieurs témoins soient inopportuns dans un milieu de travail. Les commentaires du caporal Pavlyuk à l’endroit du caporal Crompt tendaient à diminuer, rabaisser, humilier ou l'embarrasser. Or, ces propos ne constituent du harcèlement que si la poursuite établit hors de tout doute raisonnable que le caporal Pavlyuk savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice au caporal Crompt au moment où les paroles ont été prononcées à la lumière de l’ensemble des circonstances, y compris la relation qui existait entre les individus qui formaient l'équipe A à cette époque.

 

[36]           Or l'ensemble de la preuve permet d'affirmer que l'atmosphère qui régnait en était une de plaisanteries et d'immaturité où les blagues de mauvais goût et les conversations à caractère sexuel étaient monnaie courante entre tous. Les caporaux Crompt et Montes étaient plus vieux que leurs collègues de travail et ils avaient plus d'expérience militaire. Ils étaient aussi plus matures. Les faits nous indiquent également que les personnes responsables de l'équipe étaient du même grade que la majorité et qu'ils comptaient très peu d'expérience au sein des Forces canadiennes. Il est tout aussi évident que le caporal Crompt s'attendait à plus de respect de la part des membres de son équipe, en particulier de la part du caporal Pavlyuk en raison de son expérience professionnelle antérieure. Le caporal Crompt se considérait lui-même beaucoup plus professionnel que ses camarades et il s'attendait ainsi à plus de respect de leur part. C'est d'ailleurs pour ces mêmes raisons qu'il vouait un tel respect au caporal Montes et qu'il avait confiance en lui. Le contexte de cette affaire nous démontre également que l'atmosphère qui régnait au sein de l'équipe A était plus propice à la rigolade et à la légèreté qu'à la rigueur professionnelle à laquelle le caporal Crompt s'attendait. La taquinerie, même déplacée, était banalisée et encouragée par le laxisme des chefs et des autres membres du reste de l'équipe qui n'y voyaient rien de mal.

 

[37]           Ce n'est pas sans raison que seuls les caporaux Crompt et Montes trouvaient ce genre de plaisanteries douteux. La cour partage le sentiment de ces deux militaires du rang que de telles taquineries sont immatures, dégradantes et qu'elles ne devraient pas avoir leur place au sein d'un groupe de militaires professionnels, même s'il y règne une franche camaraderie. C'est d'ailleurs une raison pour laquelle la hiérarchie militaire possède les structures pour que le développement des subalternes se fasse dans un environnement encadré où les leaders sont responsables de veiller à l'apprentissage des valeurs communes, y compris le respect des uns envers les autres et les politiques applicables à tous les militaires dans la gestion de leurs relations interpersonnelles. L'ensemble de la preuve révèle qu'il y avait des lacunes importantes au sein de l'équipe A en matière de leadership. Si cela avait été, les responsables auraient dû mettre un frein à la rigolade et au manque de professionnalisme de certains membres de l'équipe entre eux. Au contraire, les caporaux Andraos et Rodas-Figueroa n'y voyaient rien de répréhensible, au même titre que les autres membres du groupe, à l'exception des caporaux Crompt et Montes pour les motifs exprimés plus tôt.

 

[38]           Dans de telles circonstances est-ce que la cour est satisfaite hors de tout doute raisonnable que le caporal Pavlyuk savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice au caporal Crompt? La cour est convaincue que le caporal Pavlyuk probablement ou vraisemblablement savait que c'était le cas. Or, lorsqu'une accusation est portée aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, ce n'est pas la norme de preuve applicable car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. En d'autres mots, si le caporal Pavlyuk faisait l'objet de mesures administratives, allant théoriquement jusqu'au congédiement, le décideur pourrait peut-être conclure que le caporal Pavlyuk savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu' il offensait ou pouvait offenser ou causer préjudice au caporal Crompt par ses propos répétés et non sollicités selon la balance des probabilités ou la prépondérance de la preuve. Or, cela n'est pas la norme de preuve applicable devant un tribunal militaire.

 

[39]           En conséquence, la cour conclut que la poursuite ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve et le caporal Pavlyuk doit bénéficier du doute raisonnable, même si la cour est satisfaite qu'une prépondérance de preuve pourrait exister à l'effet que le caporal Crompt a été victime d'harcèlement de la part du caporal Pavlyuk en juin 2011.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[40]           PRONONCE un verdict de non-culpabilité à l'égard du premier chef d'accusation aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 


 

Avocats :

 

Major J.S.P. Doucet et lieutenant de vaisseau A. Lippé, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de la poursuivante

 

Capitaine de corvette M.P. Létourneau, Service des avocats de la défense

Avocat pour le caporal D. Y. Pavlyuk

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